DodécaTora, Chap.TS : 12 bouquins particulièrement déprimants

Le Tigre Editions, pas de pages.

DodécaTora« Salutations, Tigre. Je ne t’écris pas de l’au-delà pour te demander de changer les paroles de certaines de mes chansons, mais seulement pour me rendre un petit service. On organise un concours de suicides, et à part regarder les films de Mélanie Laurent les incitations se font rares. Si tu peux nous signaler quelques bouquins, ce serait perfect. Bises du Nirvana, Kurt C. »

Douze livres qui poussent au suicide

Attention, ce billet n’est pas une incitation à commettre l’irréparable, Le Tigre ne veut pas terminer comme l’auteur du premier ouvrage qui sera abordé. C’est pourquoi les titres dont je fais référence doivent être lus, de préférence, au soleil, en bonne santé et après avoir reçu une augmentation.

Qu’est-ce qui fait un bon livre déprimant ? A mon sens, il faut :
1/ Une fin aussi joyeuse qu’un dimanche pluvieux en Angleterre. A quoi bon foutre tous les protagonistes dans la merde si c’est pour découvrir que ça se termine bien ?
2/ Des péripéties malheureuses du fait des Hommes, et non pas à cause de Dame Nature qui fait sa coureuse de remparts ou d’une quelconque divinité désireuse de faire ce que, petit, vous faisiez subir à une colonie de fourmis. Non. Le roman doit être infiniment triste à cause de la nature humaine et son insondable méchanceté.
3/ Une intrigue et un environnement un tant soit peu réalistes, histoire que le lecteur puisse rapidement s’identifier aux personnages. Et souffrir encore plus avec eux.
4/ Une absence notable (flagrante même) d’humour dans le texte.

Dans ce DDC, Le Tigre ne s’intéressera qu’aux romans qui se dévorent relativement vite, et pas ceux qui sont déprimants à cause des thèmes abordés ET du nombre de pages. C’est pour cela que le félin a souverainement décidé de ne pas mentionner certains auteurs du XIXème siècle qui ont fait de la misère humaine leurs fonds de commerce. Zola et sa nana, Dosto’ et ses frérots, Hugo et sa Cosette, inconnus sur ce blog.

De même, j’éviterai d’aborder les livres où seul le héros (et quelques uns de ses proches) en prennent plein la gueule. Ce genre de personnages ne sont déprimants qu’à cause de leurs petites situations – difficilement applicables à d’autres. Madame Bovary qui veut péter plus haut que son cul ; Frodon Saquet qui saute volontairement dans l’aventure ; Roméo qui aurait dû larguer Juliette depuis belle lurette ; L’assassin royal (Hobbs) incapable de se rebeller et se prendre en main ; Holden Caufield (L’attrape-coeurs) qui fait sa crise d’ado, etc. tous au pilon !

Voici donc quelques titres à ne pas lire les longues soirées d’hiver, au risque d’avoir envie de se tirer une balle ou avaler une caisse de médocs. Liste personnelle certes, suivant l’état d’esprit au moment de la lecture, cependant il y a bien deux ou trois ouvrages qui feraient l’affaire pour vous.

Tora ! Tora ! Tora ! (x4)

1/ Guillon & Le Bonniec – Suicide, mode d’emploi

Avouez, vous vous attendiez à cette référence. LE livre censuré en France à cause des « méthodes » délivrées par les auteurs sur le meilleur moyen d’en terminer. Incitation au suicide Vs. liberté d’expression ; propagande néfaste Vs. droit à la mort, Le Tigre ne tient pas ce blog pour discourir de sujets aussi sensibles. Pour ne rien arranger, Yves Le Bonniec a, par une correspondance épistolaire, donné quelques recettes à un pauvre homme qui voulait en finir – ce qu’il a fait.

2/ Hubert Selby – Retour à Brooklyn

Vous êtes sûr de ne pas connaître ? Le jeune Harry et sa belle Marion, leur ami Tyrone, et la maman Sara, tous vont irrémédiablement sombrer dans les addictions – héroïne et amphétamines. Un début assez pépère, et progressivement ça part en sucette. Jusqu’à un « nasty ending » qui fait très mal au cœur. Adapté au cinéma sous le titre original en anglais, à savoir Requiem for a dream. Oui, Le Tigre adore quand ça se termine mal.

3/ John Steinbeck – La perle

Poétique et pessimiste, Steinbeck a commis un sans faute avec ce très court roman – qui reste dense, ceci dit. Le couple de l’histoire, pauvres pêcheurs de perles, trouvent ce dont ils ont toujours rêvé : la pépite qui va les rendre riche. Mais c’est sans compter l’avarice et la cruauté de tous qui, à leur manière, vont ériger d’infranchissables barricades à leur bonheur. Les héros sont pris dans un piège inextricable, tenu de main de maître par les notables – religieux, médecins, négociants, etc.

4/ Agota Kristof – La trilogie des jumeaux

Tapez son nom sur les moteurs de recherche et lisez la joie de vivre sur son visage… Imaginez la alors écrire avec son air tristounet au sujet de deux frères, Lucas et Klaus, séparés contre leur gré. L’environnement est miséreux, entre affres de la guerre (et les exactions qui vont avec) et alignement de déceptions comme autant de petits soldats. Déprimant, enfin, à cause du troisième tome qui est douloureusement imbitable.

5/ George Orwell – 1984

La guerre, la dictature, la bêtise, l’univers d’Orwell est tout simplement dégueulasse. Le pire est que l’espoir est nul, faut voir comment le héros – le seul qui a l’air de se rebeller – se fait gentiment torturer et retourner le cerveau. Un déni d’Humanité sur toute la ligne, avec une impression de malaise augmentée du fait des souvenirs de jeunesse de Winston Smith – la vie semblait alors plus douce. La fin a failli me traumatiser.

6/ Delphine de Vigan – Les heures souterraines

Mathilde et Thibault. Rien que le nom des protagonistes fout le bourdon. Une se fait harceler avec une banalité choquante, l’autre par son métier est témoin d’une grande partie de la misère humaine – à commencer par la sienne. Delphine parvient à nous rendre compte de la ville et de l’entreprise capables de broyer, moralement, tout individu pourtant normalement constitué. Petite mention pour les transports en commun, grands « moments de dégrâce ».

7/ Christiane F. – Moi Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée,…

Avec un tel titre, pas besoin d’en rajouter. Dépression prononcée parce que : 1/ C’est une histoire vraie. 2/ Ça se passe dans un pays « riche ». 3/ Christiane F. peut être votre fille. 4/ La descente dans le glauque est crédible, pas une seule fois on se dit « non mais là arrête tes conneries ». 5/ On croyait l’héroïne sortie de ce pétrin, en fait depuis la publication de l’essai elle alterne entre rechutes et séjours de désintox.

8/ Boston Teran – Satan dans le désert

Le problème, avec cet atroce roman sur un père flic à la recherche de sa fille enlevée par une bande de psychopathes à la frontière mexicaine, est son auteur. Boston Teran, c’est un pseudonyme. Le gars est anonyme et personne ne sait qui il est. Sachant cela, sa première œuvre peut faire penser à un documentaire sur l’acmé de la folie individuelle. A désespérer de l’espèce humaine, capable de subtiles tortures dont personne ne peut se remettre.

9/ Mo Hayder – Birdman [et d’autres titres]

On m’a beaucoup parlé de cette écrivaine anglaise qui n’a pas eu une existence des plus faciles. Non seulement ses polars sont glauques et flirtent avec un trash au réalisme inquiétant, mais en plus eu égard le pédigrée de Mo Hayder on ne peut s’empêcher d’avoir une idée de ses romans. Tokyo est pas mal dans le genre, paraît-il…

10/ Donald Goines – L’accroc

Allez, encore de la drogue. Allez, encore un auteur qui s’inspire de son expérience. Ici, Terry, jeune femme pleine d’avenir, passe d’un métier de vendeuse à une activité de catin réclamant son gramme d’héro. Elle est aux mains d’un dealer qui lui fera faire des choses peu ragoutantes. Sombre, sans concession, le lecteur aura sa dose de corps et esprits ravagés. Le crack, c’est le génocide des noirs [cette phrase n’est pas de moi]

11/ John Updike – Brésil

Isabel est riche, Tristao vit dans les favelas. Deux univers en pleine collision, deux êtres amoureux qui vont jusqu’à tout abandonner pour rester ensemble. Sauf que la pauvreté, évidemment, l’emportera. L’amour entre les protagonistes est pur, tangible, toutefois l’environnement impitoyable saura tailler quelques coups de canifs dans les cœurs. Leur destin constamment brisé m’a fait finir ce roman à vitesse grand V.

12/ Marc Levy – [n’importe quel titre]

Marc, c’est un peu mon marronnier favori pour finir sur une touche d’humour. A titre purement personnel, ces romans sont déprimants parce que, en les lisant, je me dis toujours : « putain, j’aurai pu écrire ça et être riche ». Sauf que si c’était le cas, Tigre ne tiendrait pas un blog et vous ferait des bras d’honneur depuis son chalet de Gstaad.

Mais aussi :

Silhouette minuscule, de Streese & Szabowski. Deux personnes qui ne se connaissent pas vont aller sur les pas d’une amie commune qui s’est suicidée. Roman numérique agrémenté de photos en noir et blanc d’une ville du Nord de la France, n’en jetez plus putain.

Bruit de fond, de Don DeLillo, conseillé par un ami. Sur fond de catastrophe écologique et de morbidité nazifiante, voilà de quoi désourire en grande pompe.

– Tout le monde me parle du Sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari. Je ne sais pas trop de quoi ça parle, dans le doute je le mets – en attendant de le lire.

N’hésitez pas à me donner d’autres cordes à mon arc de pendu. Surtout en termes de BDs et romans graphiques, je n’ai guère de pistes.

21 réflexions au sujet de « DodécaTora, Chap.TS : 12 bouquins particulièrement déprimants »

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  2. J’aurais ajoute du Julien Gracq a cette liste mais pas le Rivage des Syrtes. Plutot le Chateau d’Argol ou un Beau Tenebreux. L’ecriture est belle. Splendide. Cela se lit vite egalement mais cela fait tourner n’importe quel ciel bleu de Provence en ciel gris gluant du nord. Merci pour les idees de lecture pour les jours ou je suis tellement heureuse que c’en est indecent.
    PS: Sorry pour le QWERTY

    • Pas de souci pour le clavier, auguste signe d’un lectorat résolument cosmopolite et, dans ce cas, intellectualisant. ^^
      La liste est mise à jour dès que je lis un roman/essai/BD adéquat(e), c’est un éternel chantier ne vous inquiétez pas.

  3. Dans la série: l’auteur spécialisé dans les fins qui vous poussent au suicide, je mettrais bien Houellebecq, enfin sur les romans que j’ai lu:
    (spoiler: j’indique les fins)
    – Extension du domaine de la lutte:
    Le héros finis en psychiatrie de son plein grès, incapable de vivre en dehors.
    Il suggère à un de ses collègues de commettre un meurtre pour passer ses frustrations, celui-ci échoue et se suicide.
    -Les Particules élémentaires
    La copine du héro n°1 meurt de maladie. La copine du héros n°2 se suicide après un accident de fauteuil. En fait deux de ses copines se suicident. Le héros n°2 finit lui aussi en psychiatrie.
    -Plateforme:
    Le bonus. L’histoire est trash mais l’avant dernier chapitre semble se terminer bien (le héros envisage comme possible une vie heureuse). Mais on est pas chez Houellebecq pour rien: le deux ex machina se manifeste sous la forme d’un attentat terroriste qui renverra tout le monde au cimetière ou en psychiatrie. Super.

    Un autre, de mémoire: Queffélec
    – Les noces barbares:
    Ca commence trash, ça finit trash. En attendant, le héros, un handicapé mental aura vécu en mode sables mouvants: chaque fois qu’il essaye de s’en sortir, il s’enfonce un peu plus.
    – La Menace
    Un jeune noir abandonné en foyer a été adopté par les parents (gentils mais mous) d’un skinhead qui ferait passer batskin pour un humaniste.

    Joyeux suicide 🙂

    • Génial Grasduc, t’assures ! Pour Michel H., ce n’est pas tant déprimant qu’exagérément nihiliste, c’est pour ça que je ne l’ai pas évoqué. Mais je note pour le second auteur !

      • Disons qu’il y a une petite astuce littéraire que j’appelle: « le sable mouvant ». Plus tu bouges et plus tu t’enfonces, mais si tu ne bouges pas tu meures.
        Quelque soit la solution prise par le personnage principal, il s’enfonce. Du point de vue du lecteur, surtout s’il s’identifie au personnage, c’est horriblement déprimant.

        – Le Messie de Dune de Frank Herbert en est un bon exemple. Le héros a la vision du futur, mais toutes les issues possibles semblent conduire à des horreurs, déclenchés au moindre battement d’aile de papillon. Le héros, bien qu’en position dominante, se voit contraint de choisir entre la souffrance et la destruction de ses proches, de différentes manières possibles, et la fin de l’humanité. Réjouissant (!)

  4. Pour rester dans Steinbeck, Les raisins de la colère est aussi particulièrement déprimant… A la lecture on alterne entre révolte, colère (logique, hein..), pessimisme dépressif et une furieuse envie de mettre José Bové au pouvoir.
    Ce livre est furieusement moderne et nous ferait presque baisser les bras tant les vies humaines sont insignifiantes face à la course au profit des grandes machines économiques.
    Une grande claque et un week end à se gaver de sucre pour remonter la pente.

  5. Tu oublies un livre dans ta Pal virtuelle mais je peux m’occuper de te faire un colis plombeux … Métaux lourds de Fred Katyn rien que le nom t’annonce tout un poème en déprime majeure. Quand tu auras le temps. Je pense que tu ne seras pas déçu

  6. M’est d’avis que l’on peut potentialiser l’effet déprimant de ces livres en mettant en fond « Family Life » ou « Sweet Sixteen » de Ken Loach.
    Pour les romans graphiques, « Jimmy Corrigan » est un indispensable de la déprime.
    Et surtout « Scum Manifesto » de Valérie Solanas, que vous ayez un chibre ou non.

  7. Ouh Cioran… on flirte avec le sublime du genre, oui! Googlisez-donc son nom… effets garantis, comme pour Agota Kristof, articles sur ses penchants fanatiques à la clé… Cioran a dit: « «Aucun homme politique dans le monde actuel ne m’inspire autant de sympathie et d’admiration que Hitler.»… Sympa, le mec… non?

  8. Même pas un petit Paul Auster pour la route? Oh, me voilà déçue…

    Quant au Sermon sur la chute de Rome… une fois achevé, on se sent dans un état proche de celui d’une post-lecture de 84, d’Orwell… ça malmène les boyaux de l’espoir.

  9. À mon humble avis il manque Cioran. Je n’ai lu que « De l’inconvénient d’être né » (1973) mais c’est très très fort dans le genre. Ce sont des aphorismes.

    Mon préféré : « J’aimerais être libre. Désespérément libre. Libre comme un mort-né. »

    Joli non ?

  10. Houlà j’aime bien les listes aussi, alors je vais y aller de mes petites suggestions personnelles en essayant tant bien que mal de suivre les règles tigresques.

    Donc, voilà, comme ça, qu’est-ce qui me vient, quelles lectures sont à éviter un dimanche de Toussaint ?

    « Auprès de moi toujours » de Kazuo Ishiguro : il n’arrête pas de pleuvoir, il n’arrête pas de mourir en pièces détachées, et ça touche à des questions super déprimantes du genre « Qu’est-ce qui fait d’une personne un être humain ? », et si c’est pas le cas, « Qu’est-ce qui la sépare d’un bien de consommation ? ».

    « Johnny s’en va-t-en guerre » de Dalton Trumbo : classique des classiques antimilitaristes. Bon, ça parle d’un unique protagoniste, mais il vaut pour tous les autres, le cas particulier s’effaçant devant l’horreur générale. Monologue intérieur d’un bout de viande conscient, dur, dur, dur.

    « A Suspicious River » de Laura Kasischke : bon, ça fait un petit moment que je l’ai lu celui-là, mais j’en garde le souvenir d’un monde poisseux, de baises tristes derrière des stations Texaco, de femmes malmenées, bref, pas la joie.

    N’importe quelles nouvelles de Raymond Carver, même si parfois on n’est pas loin de syndrome tu-vas-te-bouger-le-cul-non-mais-oh-Caufield (ou Dave Eggers avec « Sauve qui peut »).

    « Voyage au bout de la nuit de Céline », même s’il y a de l’humour, noir, parce que quand même ça propose pas trop d’échappatoires, hein.

    De ta liste, cher Tigre, je vais me tenter « Les Heures souterraines », et puis « Satan dans le désert », que j’ai acheté il y a quelques mois suite à un de tes posts.

    « Tokyo » de Mo Hayder est pas mal déprimant aussi. Et pas mal pétochard.

    Encore une fois, félicitations pour ton travail et bonne continuation.

  11. peut être un peu subtil comme moteur à déprime mais tout de même : « les apparences » de Gillian Flynn, parce que ça ne vous dissuadera pas de vous marier mais ça va poussera à vous pendre après avoir perdu vos illusions

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