Lubrique lecteur, j’ai bien compris que tu t’en foutais royalement de mes résumés. Seule compte la débauche, si possible saupoudrée de hautes considérations littéraires. Hélas tu es bloqué entre deux stations de métro, et l’inconnu(e) aux beaux atours va sûrement se tailler. Voici quelques conseils pour ne pas passer pour un bonimenteur de huitième zone.
Pourquoi ?
Tout d’abord, la décharge habituelle : les techniques foireuses dont je vais vous entretenir ont été rarement utilisées. Le Tigre est fort timide et surtout heureux en amour. De même, je ne saurai être responsable de réactions imprévisibles que vous pourrez essuyer, ni de votre cœur brisé par un(e) malotru(e) qui s’est sans conteste inspiré(e) de mes bons mots. Lecture vaut signature (je viens de l’inventer).
Ensuite, le but premier de l’exercice : avant de conquérir l’autre, faites lui d’abord passer un bon moment de lecture ou de rigolade. En sus, le métro et la vie étant trop courts, ne perdez ni de temps à être lourd ou chiant. Humour et légèreté, je vous présente votre nouveau credo.
Pourquoi le Sutra .15 enfin ? Parce que, dans le métro parisien, après la ligne 14, la seule ligne qui vaille est celle dictée par Le Tigre. Pour des raisons de commodité, la personne que vous tenterez d’approcher s’appellera la « cible », ou tout autre synonyme.
Comment ?
Voilà, voilà, on y vient. Pas d’impatience. Le Tigre, qui est entre autres docteur en droit, est naturellement attaché aux (sempiternelles) deux parties, chacune ayant deux sous-parties.
I. La voie active
Vous avez le livre entre les pognes : vous jouez à domicile.
I.A. L’étalon de Troie
…Hélène, ne vois tu rien venir ? Si si, le fier métro de Pâris.
Cheval de Troie, car vous allez introduire dans l’univers de votre cible un objet qui affaiblira considérablement ses défenses. Un étalon, d’ailleurs, plutôt qu’un chétif cheval qui va s’écraser face au premier obstacle.
L’idée est de quitter la cible en lui laissant un item qui va donner une très flatteuse image de votre personne. Il y en a qui laissent un téléphone portable qu’ils appellent plus tard, Le Tigre trouve cela audacieux quoique risqué : imaginez que la personne ne vous le rende pas (ou pire, alors son/sa compagnon/compagne le fasse pour elle). Ou trouve votre démarche tellement déplacée qu’elle vous rende de suite le téléphone comme si c’était une patate chaude.
Non non, le but est de laisser un ouvrage à la cible, et un qui sera par votre comportement auréolé d’un pouvoir suffisant pour avoir envie de le lire. Comment accorder un tel pouvoir à quelques chapitres ? En riant bruyamment (ou faisant les gros yeux) pendant sa lecture, suffisamment du moins pour être remarqué. A ce moment vous devez capter le regard (forcément interrogateur ou amusé) de l’objectif et présenter, comme signe d’excuse, la raison de ces éclats de rire. Sans lui laisser le temps de réagir, expliquez rapidement de quoi il s’agit et enviez la personne de n’avoir pas eu la chance de découvrir l’ouvrage.
Le but est de lui laisser l’ouvrage, juste avant de filer à l’anglaise. Bien sûr votre numéro (ou mail, c’est mieux) y sera bien visible : si la cible vous demande quand le rendre (et ainsi vous contacter), faites discrètement comprendre que ce n’est pas nécessaire. Juste qu’elle vous contacte pour dire si ça lui a plu. Et attendez.
Quel livre laisser ? Je pencherai pour le rire (même l’humour noir), quelque chose que la cible ne serait pas susceptible d’avoir lu. En vrac : un Chuck Palahniuk (la plupart sont bons), ou Vice-versa de Will Self. Pourquoi pas Et ça vous fait rire ?, désopilants dessins d’Hugleikur Dagsson ? L’anticipation sociale marche plutôt bien. Bref un titre qui ne laisse pas indifférent, et associe longueur raisonnable et style résolument moderne. Ne lâchez pas un Umberto Eco, ça peut faire désordre.
Avantages : c’est rapide, si vous vous débrouillez convenablement la cible n’aura pas le temps d’en placer une, voire mettra un certain temps avant de saisir qu’elle vient d’être draguée.
Inconvénients : vous pouvez perdre un livre dans l’histoire. En sus, tout psy ayant correctement fait ses devoirs vous parlera de geste phallique d’une rare intensité.
I.B. Le romantique cryptologue
…ça te dit un petit 1000101 ? Allez file moi ton zéro un-un-zéro.
Laisser un bouquin ne vous dit pas grand chose parce que (au choix) : vous êtes un joli radin ; votre bibliothèque ne possède pas d’ouvrages dignes d’être votre wing-man ; la technique vous semble un peu éculée ; vous voulez surprendre avant tout. Don’t worry, même avec le plus insignifiant Guillaume Musso, Le Tigre vous aidera.
Vous n’allez pas en effet tabler sur le fond de l’ouvrage, mais sur la forme. En sus, vous ferez la délicieuse synthèse entre littérature et romantisme. Rien de moins. Pour cela, à l’instar d’un magicien, il y a un tour qui doit être soigneusement préparé. Ayez sur vous un livre (dont vous aurez repéré une certaine page) et un stabilo (rose, ça passe bien). Et en piste. Une minute, douche comprise.
Imaginez maintenant la scène, vue « côté cible » : devant vous un être d’apparence timide lit frénétiquement, puis jette un regard plus qu’appuyé sur vous. Regarde à nouveau une page, et encore vous. A ce moment cet individu farfouille dans sa sacoche un objet. Un surligneur. Et semble marquer quelques passages de son livre, qu’à votre grande surprise vous tend. Vous prenez l’ouvrage entre vos mains, et les mots surlignés forment le très direct « veux-tu prendre un café avec moi ? ».
Quelle bravoure ! Quelle finesse (et agilité) d’esprit ! A défaut de dire oui, la cible au moins sourira. Vous l’aurez en sus compris, il convient de faire un intensif repérage dans sa bibliothèque pour que votre douce demande possède ses mots, dans le bon ordre, dans une même page. Pas évident.
Avantages : c’est mignon, rigolo, et encore assez novateur.
Inconvénients : ensuite il faut faire le boulot, convenir d’un rendez-vous, et là il est délicat de casser le charme. N’hésitez pas à terminer la conversation avec un stylo. En outre, ce tour ne marche qu’une fois. Vous allez en pourrir des bouquins. D’où la possibilité de le faire avec un journal gratuit (nettement moins classe).
II. La voie réactive
L’objet de votre désir est en train de lire : il va falloir la jouer fine. Plus ou moins.
II.A. Le curieux asexué
…mais j’adooore la couleur de ton écharpe. Je suis fan. Du cashmere en plus. Je suis hétéro sinon.
Méthode assez classique, quoique périlleuse pour l’inculte. Heureusement internet est là. La cible lit tranquillement, et par votre conversation et érudition vous allez « l’accrocher » autour de son hobby. Mais de manière innocente, l’objet de vos échanges ne glissera jamais vers la target. Sauf si celle-ci décale la discussion. Quelque part, si vous lui parlez, c’est à cause de ce qu’elle lit. Et pas pour sa belle gueule. Mais paaaaas du tout…
A partir de là, deux écoles se foutent sur la gueule depuis des décennies : la première veut que vous adoptiez un comportement docte, tout en remarques hautement intellectuelles et autres conseils. Hélas, dans le métro, dans une fenêtre d’une minute, il va falloir être concis et percutant sans donner l’impression de défourailler votre culture comme Hollande ses discours.
La deuxième (préférence personnelle du Tigre) enseigne plutôt l’illusion de l’émerveillement : vous semblez réellement intéressé, et avez envie d’en savoir plus sur l’œuvre, son auteur, les livres du même genre, tout en fait. Vous offrirez alors à la cible un statut d’enseignant, voire de gourou, d’où une délicieuse impression de puissance chez celle-ci. Grâce à elle, vous avez enfin trouvé le cadeau parfait pour vous ou votre frère / sœur / ami(e) / …
Avantages : la défausse est à tout moment possible, du style « ah non là on ne parle que littérature, je n’ai aucune arrière-pensée d’ordre charnel ».
Inconvénients : le temps vous manquera, et prolonger ladite conversation en demandant un numéro (ou mail) vous percera sûrement à jour.
II.B. Le maître chanteur spoiler
…Hey mam’zelle, Baskerville il crève à la fin. Sinon t’es charmante.
Le meilleur (donc le pire) pour la fin. Jamais testé, The Tiger is walking here on thin ice comme on dit. Le titre de cette dernière partie me semble assez clair. Terroriste de l’information et du plaisir de terminer un bon polar, vous obligez la cible à adhérez à votre programme « je-ne-dévoilerai-rien contre numéro de téléphone ».
Le tout est dans le ton que vous donnerez à votre négociation. Bien sûr vous ne serez qu’à moitié sérieux dans ce que vous direz, mais qui irait prendre le risque d’une révélation précoce ? Pour reprendre la métaphore militaire, il faut faire dans le « shock & awe » : choquer dans la demande, qui est plutôt inhabituelle (même séduisante), et aussi effrayer gentiment la cible par ce que vous vous apprêtez à lui dire. Vous vous en sortirez d’autant mieux que le langage utilisé contrastera avec votre bestiale intention. Par exemple, dites quelque chose dans le genre :
Veuillez me pardonner mademoiselle (ou monsieur), je compte vous proposer mon silence le plus total, jusqu’à Mabillon du moins, sur l’identité de l’inélégant qui a occis la pauvre Margaret. En échange de quoi vous consentez à me laisser votre courriel, et ce afin que je vous conseille d’autres ouvrages du même acabit.
Voilà qui ne fleure pas du tout la sueur de la ligne 13, non ?
Avantages : vous serez susceptible de faire rigoler votre carré dans le wagon.
Inconvénients : si la cible le prend au premier degré, vous passerez pour un fieffé salaud. En outre, si vous ne connaissez pas ladite fin, et qu’on vous la demande, je vous laisse imaginer le malaise. Un vrai Patrick Bruel du spoil, du bluff littéraire digne d’un paysan bavarois. Comme par hasard vous sortirez à la prochaine station.
Conclusion
Le Tigre, qui ne veut faire un article trop long, a bien sûr oublié tout un tas d’astuces. Comme par exemple se faire passer pour l’écrivain (et dédicacer le roman lu par la cible, fin du fin). J’attends vos grandioses techniques (book related bien sûr), et ce afin d’en synthétiser le meilleur dans une éventuelle V2 du présent post.
En outre, j’ai conscience de la difficulté de draguer dans un tel milieu lorsque 83% des usagers ont des écouteurs dans les oreilles. A la japonaise, nous tendons vers une société « de bulles » où chacun est séparé, dans le lieu public, de son voisin tout en restant connecté avec ses proches (qui sont parfois à des milliers de kilomètres d’ici).
Ne faites pas attention, enfin, aux initiales du titre du post. Malheureux hasard, Le Tigre vient de s’en rendre compte.