Qui n’a jamais eu envie de publiquement brûler un livre indigeste, nul, ou plus simplement manifester son ras-le-bol de la soupe littéraire qu’on nous propose ? Idée séduisante, mais attention l’exercice est délicat ! Petit pyromane en herbe, si tu ne veux passer ni pour un provocateur fasciste ni pour un forcené sous LSD, pose donc ton briquet et lis ce post.
Qu’est-ce qu’un autodafé ?
D’abord il convient de situer le contexte. Qu’est-ce c’est, quelle est l’origine de l’autodafé et comment ça pouvait bien se passer à l’époque ? Allez, accrochez-vous parce que je vais vous résumer au moins 2.000 ans d’Histoire.
Tout commence vers 40 avant J.C., lorsque par mégarde la flotte romaine, en pilonnant savamment le port d’Alexandrie, brûla en partie sa bibliothèque. Cet épisode, certes romancé, est superbement rendu dans une BD de Phil Hester. Cramer des bouquins, une bibliothèque entière, c’est terrible comme sentence. Pire que tuer tous les vieillards d’une cité même. De cette regrettable erreur a probablement germé le principe même de l’autodafé.
En effet, la Chrétienté aux commandes a su tirer le meilleur parti de l’idée en créant une institution pour l’occasion. Qui dit Église (catholique) dit latin, notamment « actus fidei », ou acte de foi. Vous reconnaîtrez la provenance du terme « autodafé ». Un tel acte est une prière au cours de laquelle le croyant rappelle sa foi en Dieu et ne reconnaît comme vérité que la Sienne (je ne parle pas de la région éponyme en Italie).
Quoi de mieux alors que d’avoir une juridiction (l’Inquisition en particulier) qui rappelle de temps à autre son attachement à ses préceptes religieux en assemblant tous les ouvrages qui s’éloignent de la foi afin d’en faire un joli bûcher. Pour peu que les reliures soient faites en peau de porc, je vous laisse imaginer l’odeur de bacon dans le bourg d’à côté. Peut-être que ça a aidé pour la Reconquista en repoussant les Musulmans toujours plus bas (le vent devait venir du nord dans ce pays)… Comme souvent, je m’éloigne du sujet. Passons.
Le Tigre ne parle que de bûchers de livres, car il était monnaie courante d’y placer qui une sorcière, qui un juif, qui une Jeanne, bref ceux qui représentaient un danger (souvent imaginaire) pour la société. Comme un bon livre vaut largement mille discours, l’impact sur la société à terme valait son pesant de cacahouètes.
A noter que les censeurs n’étaient pas complètement abrutis, et gardaient dans leurs « bibliothèques de l’enfer » un exemplaire des œuvres condamnées. Sûrement au cas où un petit malin republierait quelques passages sous un autre titre ; jamais pour les lire en douce comme un gamin irait se servir dans le pot de confiture dans l’armoire du haut chez mémé. Non non, pas le genre de la maison.
Enfin, l’art de la science-fiction a su imaginer l’autodafé littéraire systématique : c’est bien sûr Fahrenheit 451, de Bradbury. Ou encore Equilibrium, film de SF avec le très nonchalant Christian Bayle (les scènes de combat sont l’unique raison de le voir). Comme ce sont des œuvres américaines, évidemment qu’au cours de l’histoire notre héros va subitement découvrir les plaisirs interdits de la culture. Et souffrir.
Pourquoi brûler des livres ?
Vous l’aurez saisi, l’acte de foi a une saveur un peu surannée qu’il conviendrait de remettre au goût du jour (sans jeu de mot). Mais pourquoi en particulier un vibrant plaidoyer pour un autodafé qui serait résolument contemporain ?
D’une part, la notion d’autodafé a dans les esprits très mauvaise presse. C’est bien légitime, comme dirait Mr. Manatane. Déjà les dernières séances (à succès) publiques de feux de joie autour de bouquins ont été effectuées par des individus ou organisations peu recommandables. Le Tigre pense aux autodafés du printemps 1933 mis en place par les nazis, ou encore les provocations plus récentes à flamber un Coran. Ainsi, l’autodafé a une couleur politique et religieuse, mais jamais artistique.
D’autre part, Le Tigre suppute que les récents « autodafés artistiques » de ce monde prennent une bien mauvaise direction. En effet, certains conservateurs de musée de campagne, pour attirer l’attention sur l’abjecte politique culturelle de leurs collectivités, n’hésitent plus à sortir le chalumeau. Certes les tableaux auraient sûrement pourri dans une cave, et ce n’est (que) de l’art contemporain, il n’empêche qu’on brûle quelque chose qui a une certaine valeur.
Pourquoi ne pas s’en prendre plutôt à la surproduction de livres (ou magazines) ? Imaginez qu’un magazine à succès X vende en moyenne 100 unités. Et bah celui-ci en produira 140, sachant que 40 seront mises au rebut. Mais pour l’annonceur, c’est un tirage de 140. Ce dernier paiera bien plus cher.
Ou alors considérons une seconde un énième roman d’un auteur à succès, tiré un million d’exemplaires et qui squatte les têtes de gondoles des librairies pendant deux mois (et empêchant le renouvellement littéraire). Qui n’a pas envie de débiter lesdites gondoles à la hache ?
Ainsi, l’autodafé ne devait être qu’un acte artistique pour signaler son mécontentement au sujet d’une œuvre qui ne mériterait pas tant d’attention médiatique, ou dénoncer des comportements économiquement compréhensibles mais fort douteux sur tous les autres plans.
Comment mettre tout ce petit monde au bûcher ?
On l’a vu, rassembler ce qui ne vous sied guère au milieu d’une place communale et immoler le tout version « fête des voisins » risquerait de provoquer d’intenses réactions qui se méprendraient sur le but de l’autodafé moderne. Il vaut mieux vivre avec son temps, et embrasser sans hésitation certaines des grandes caractéristiques du XXIème siècle : j’ai nommé l’écologie, le buzz et les nouvelles technologies.
Premièrement, il paraît nécessaire de diminuer l’empreinte carbone de l’acte. Et ce pour ne pas se mettre à dos tout un tas d’écolos revanchards qui sont naturellement censés adhérer à l’idée. Pensez vert, qu’on ne voit pas dans la démarche une quelconque veste brune ou rouge maoïste.
Pour cela, les exemples qui viennent à l’esprit du Tigre se bousculent. En vrac : installer un récupérateur de chaleur afin de produire de l’énergie à partir de la flambée, celle-ci ne devant en aucun cas fournir l’électricité pour votre écran plasma qui diffuse Danse avec les stars. Ce serait soigner la peste en s’inoculant le choléra. Un peu comme Les combustibles de la mère Nothomb. Ou alors alimenter un feu qui permettra de cuire de délicieux marshmallows. L’intégralité des cours de mathématiques de prépa du Tigre ont permis à ce dernier de se concocter un velouté de champignons accompagné de ses œufs brouillés.
Pour info, si les guides Michelin sont devenus payants, c’est qu’un responsable a découvert que ceux-ci servaient avant tout à soutenir les voitures en réparation dans les garages. Ne sous-estimez pas comment souiller un livre minable autrement qu’en ne le terminant pas.
Deuxièmement, faire le buzz. Il faut qu’on parle de l’acte en bien, et les idées ci-dessus ne seront pas de trop. L’idée est de faire fort, innovant et avec une pointe d’humour que même les auteurs bafoués salueront. Un autodafé mémorable, c’est un bûcher courtois qui ne s’attaque pas personnellement à l’auteur (ou l’ouvrage), mais à ce qu’il (ou celui-ci) est devenu. Il faut absolument communiquer là-dessus, c’est essentiel.
On n’asperge pas d’essences (bioéthanol si possible) 30.000 autobiographies de Loana à la va-vite, dénoncer la télé-réalité en plaçant les livres/essais/trucs de telle sorte qu’un message apparaisse est préférable. Les innombrables BD sur le foot (et qui cachent le dernier Boulet) ne seront pas impunément déchirées, mais seront transformées en confettis offerts à des favelas pour le carnaval de rio. Quant au dernier tirage de Marie-Claire, une chaîne géante de livres en flamme et en forme de vagin serait délicieuse. De l’audace, de la classe.
Troisièmement, s’adapter aux NTIC. Le buzz se propage grâce à tous les réseaux sociaux, mais cela ne vous suffira pas. Loin de là. Il serait de bon aloi de donner à l’autodafé une tournure définitivement numérique.
C’est là que la technologie ne représente pas forcément le progrès que l’on espère. Et oui, Le Tigre évoque le remplacement du noble papier par des tablettes numériques. Or lesdits objets, en se consumant, vont émettre tout un tas de gaz toxiques. En sus, vous détruirez des données dont vous ne voulez pas vous séparer. Faire disparaître un Musso en même temps que les photos de l’anniversaire de la petite dernière, ça ne vaut pas le coup je le concède. Enfin, c’est excessivement coûteux.
La seule solution (à part bouder l’e-book en question) qui vienne (pour l’instant) à l’esprit fécond du Tigre est ce que j’appellerais une SPF : la séance publique de formatage. Plein de lecteurs en colère, alignés devant les caméras, qui suppriment ou formatent le disque dur de leurs lecteurs numériques, quel exploit ! Concilier écologie, NTIC et buzz, la glorieuse trinité autodaféiste !
Chaude conclusion
Tout n’est qu’étapes. Step by step, on autodafe toujours plus utilement. Le Tigre a commencé par certains journaux prenant régulièrement le chemin de sa cheminée (devant laquelle trône une peau de Paris Hilton), et dorénavant s’apprête à alimenter le tas de compost de sa maison de campagne par quelques daubes soigneusement sélectionnées.
Je vois bien que tout cela est fort complexe à mettre en œuvre et nécessiterait une logistique exagérément lourde (notamment la SPF). Mais comme le disait le grand Charles, « pour les grands desseins, l’intendance suivra ». Je rajouterais : « l’intendance, c’est toi lecteur, hostile aux basses tendances ».