Ne vous jetez pas sur les commentaires pour pointer du doigt quelques vilaines erreurs de topographie, car c’est justement le sujet de ce révolutionnaire sutra. Révolution, pas moins, car je compte bien faire adopter mon idée dans ma tanière avant de l’étendre dans l’Union européenne. Après le casual friday, voici venir le casual grammar & orthography day. Ou la JO.
La journée de l’orthographe ?
Moi président de la République, je laisserai le citoyen souiller la langue française ; moi président de la République, j’obligerai la populace à cracher sur la grammaire la plus élémentaire ; moi président de la République, je punirai avec célérité et sévérité toute publication exempte de fautes ; moi président de la République, je pointerai de mon gros doigt tous les acteurs, bons ou mauvais, de notre langue ; moi président de la République, je ferai de l’hexagone, une fois par an, un bordel sans autre nom que le mien. Pour le bien de la langue française. Votez pour moi.
Comment saper l’orthographe ?
Comment faire en sorte qu’en l’espace d’une journée les francophones puissent se lâcher et agir à l’encontre d’années d’enseignements drastiques ? Le Français est paradoxal hélas, lorsqu’on lui interdit quelque chose il prend un malin plaisir à transgresser la règle (surtout si légitime). Mais si on lui permet de faire ce qui était jadis prohibé, et bah il n’a aucune envie de s’y mettre. Un peu comme un fieffé chat qui adore sauter sur la table bouffer du saumon fumé mais qui fait la gueule quand je découpe le truc hors de prix dans sa gamelle en porcelaine de Sèvres.
Le but de cette journée n’est cependant pas de faire comme bon nous semble. Ce serait trop facile. Juste écrire, publier, mettre en ligne, diffuser le quotidien en ne laissant aucun nom commun, verbe ou structure grammaticale intacts. Il ne s’agit pas de rendre le tout illisible, seulement assez de quoi légèrement piquer les yeux sans pour autant devoir lire à voix haute pour comprendre les phrases. De la finesse dans l’incorrection, un semblant d’innocence dans l’inculture orthographique, exit donc langages sms et autres dégueulasseries lolcats.
Pour cela, la puissance étatique pourra largement entrer dans le jeu et même, financièrement, y trouver son compte. 10 euros de prélèvement par mot correctement publié par les journaux lors de la JO, 1 euro pour les publications sur le net à but lucratif (dont ce blog ne fait point partie), le tout agrémenté d’un coefficient prenant en compte l’audimat et le passif du papelard. Ne pas demander au Dauphiné libéré (le Canard l’épingle souvent) la même implication qu’à la NRF me paraît juste.
Même topo pour la télévision, il y a de quoi récupérer 1.000 journées de redevance en 24h. Le Tigre veut entendre des absurdités linguistiques sur chaque chaîne. Lolo Ferrari qui accorde son subjonctif à l’imparfait, Stéphane Bern qui sort encore un mot improbable mais néanmoins strictement correct, à l’amende ! Proportionnellement à leurs illégitimes rémunérations, pour faire bonne figure. Quant aux films et séries de la soirée, chercher les sous-titres dans les forums de la jeunesse devrait suffire.
En outre, au-delà des médias, ce sont les figures notoires de l’orthographe qui devront être célébrées ou honnies. Applaudissements nourris de l’élève ayant les plus mauvaises notes en dictée, ses camarades devant aussi lui offrir des cadeaux. Nulle discrimination ou foutage de gueule, uniquement offrir un inédit instant de grâce à l’individu irrémédiablement fâché avec le français. A contrario, il conviendra de mettre à l’index d’illustres personnages sévissant dans l’univers très fermé de la langue française : fermeture temporaire de l’Académie Française, assignation de Bernard Pivot à résidence ou encore walk of shame des professeurs de français. On à qu’à leur dire que c’est une manifestation, le dépaysement sera moindre (gratuit, je m’en excuse).
Les symboles, vous le remarquez, sont d’une importance vitale. Aussi il conviendrait de contraindre tous les autres supports à rejoindre les rangs : les panneaux sur les autoroutes pourront avoir un côté face, avec le nom des villes écorché à un point à peine atteint par la secrétaire de votre dentiste lorsqu’elle épelle votre nom. Les publicités, en plus d’être irrémédiablement débiles, devront faire montre de crétinerie supplémentaire vis-à-vis de l’orthographe. Idem pour toute correspondance personnelle. A ce titre, Le Tigre paiera de sa poche quelques hackers pour modifier, le temps d’une journée, la correction automatique de vos mobiles et ordinateurs…
Pourquoi obliger les gens à mal écrire ?
Il est temps d’être un peu plus sérieux. Pourquoi tant de haine en effet, et que retirer de concret de cette JO qui déboussolera le bon peuple ? Le Tigre trilogue avec aisance, voici donc mes trois raisons :
Tout d’abord, ce jour d’intenses débauches littéraires sera une excuse supplémentaire pour violemment châtier tout individu ou organisation qui s’égarera vis-à-vis de notre belle mais complexe langue. Il y a fort à parier, en sus, qu’après 24h de mots et expressions torturés, le citoyen prenne la mesure de la légitimité de la protection de l’orthographe. Et oui, s’il vous arrive d’avoir mal à la tête après avoir déchiffré la carte de vacances du vague dernier neveu qui a appris à gribouiller, imaginez le désastre après la JO.
Transformer un parterre de bons concitoyens en un groupe terroriste orthographique, voilà qui peut motiver les individus à s’appliquer un peu plus. Grâce à cette proposition, la concentration du Français moyen qui écrit chaque jour sera mille fois plus élevée que le plus stakhanoviste soudeur japonais sur un chantier de Shikoku. De même, la JO contribuera à créer, de manière fort keynésienne, tout un tas d’emplois à l’utilité éprouvée (correcteurs, reliseurs, contrôleurs orthographiques d’un jour,…).
Ensuite, la Journée de l’Orthographe (je l’écris bien pour les moteurs de recherche) sera l’opportunité de se livrer à la créativité la plus effrénée sur le français. A se creuser les méninges à inventer des solutions pour déchiqueter chaque mot, et ce à l’encontre de réflexes les plus ancrés dans votre inconscient, je ne vois rien de mieux comme illustration du modèle « thinking out the box ». Or le boulot doit rester intelligible, comme je l’ai déjà expliqué, aussi il convient d’avoir une puissance de création d’un croiseur sans sombrer dans le n’importe quoi à l’instar du Titanic. Voilà qui est éminemment délicat.
A titre de métaphore, prenons le gus un peu niais confronté au casual friday. Il porte un costard tous les jours, les choix sont plutôt simples : costume noir ou bleu marine ? Chemise claire ou sombre ? Cravate à pois ou à rayures ? chaussettes noires ou noires ? Mais dès qu’il a l’obligation sociétale de ne plus le mettre dans le cadre très particulier du travail, notre pauvre ami va rester planter devant son armoire aussi longtemps qu’une midinette avant son premier rancard amoureux. A force, il saura se vêtir de façon classieuse mais simple.
Enfin, il ne sera pas impossible qu’au cours de cette bordélique journée de nouvelles règles émergent, l’air de rien. Et oui, à force de mal écrire un mot ou deux, peut-être les lecteurs s’apercevront que l’orthographe correcte n’est pas si logique que cela et qu’il serait souhaitable de la changer au profit d’une « invention » de nos contemporains. Les accents placés au petit bonheur la chance (dû, évènement, télescope) ou les lettres planquées comme autant de snipers (abscons, annihiler, les pluriels en x ou pas,…), on a parfois envie de prononcer le mot de Cambronne et écrire comme ça se parle.
Comme la langue est un procédé vivant, donc évolutif, si à partir d’un certain point la majorité préfère coucher sur papier/ordinateur un mot comme bon lui semble, alors la JO est le moyen le plus sûr pour le faire savoir. Au milieu de toutes ses fautes, quelque chose qui au premier abord n’en semble pas une est signe d’acceptation, par la société, de cette nouvelle orthographe. Par « société », Le Tigre ne parle pas des quarante immortels qui ont un pied dans la tombe et écrivent avec l’autre. A chaque décade, un point pourra alors être fait et de nouvelles règles admises.
Konclhuzion
Voilà, j’espère fort que ce Sutra rencontrera un léger écho parmi les plus hautes instances intellectuelles de la planète, voire servira de base à un renflouement massif du budget de l’État. Certes des défauts existent, mais pour moins de 1.500 mots j’ai décidé de laisser les briseurs de rêves de côté.
Conformément au numéro du Sutra (#14), Le Tigre va jusqu’à proposer une date à la JO : le 14 septembre. Pourquoi ? Déjà c’est l’anniversaire du noble animal. Surtout, c’est la fête de la Sainte-Croix, la même que celle qui est inscrite en bordure de pages lorsque vous écriviez une énième connerie dans votre dictée. Je ne laisse rien au hasard.