Chuck Palahniuk (qltl)Voici l’intégralité d’une nouvelle tirée du roman À l’estomac (dont j’ai déjà parlé en long et en large), du grand Chuck Palahniuk. Pour toi lecteur, Le Tigre s’est ponctuellement transformé en dactylographe. Drôle et triste, détaillée et glauque, humiliante pour les protagonistes, passages à l’imagination malsaine, pourras-tu la lire de bout à bout ?

Qu’est-ce qu’est donc cette nouvelle ? Courte préface du Tigre

Le choix de reproduire (sans assistance) in extenso cette nouvelle qui date de bientôt dix berges a été longtemps mûri :

Déjà, si le texte en VO (Guts) est disponible sur le web, il ne semble pas y avoir la traduction de Bernard Blanc publiée chez Gallimard. Celle-ci est excellente et Le Tigre s’est efforcé de garder la forme, notamment l’absence de paragraphes.

Ensuite, c’est le genre de textes qui font qu’un lecteur peut dévorer un roman en une nuitée. Si Le Tigre l’a d’abord accidentellement découvert en anglais, la sortie en France du gros format a fait de moi un lecteur encore plus compulsif. N’ayez crainte, d’autres œuvres moins cradingues m’ont aussi scotché.

Enfin, l’irrésistible envie de partager le travail de cet écrivain. Je possède l’intégralité des titres de Palahniuk, autant en français qu’en anglais. Tripes occupe à peine 3 % d’un long roman qui regorge de nouvelles du même acabit, sinon pires. De surcroît, le bon Chuck en a fait plusieurs lectures publiques, et il n’était pas rare que ça déguerpisse ou s’évanouisse dans l’assistance. Presque un travail d’intérêt public que Tigre a fourni.

En conclusion, peu de gens parviennent à la lire d’une traite sans prendre de pause. Fou rire, effroi, dégout, vulgarité excessive, chacun a des raisons pour marquer un temps d’arrêt. Et si vous souhaitez en lire plus et que votre libraire n’a plus cet ouvrage, il reste possible de le trouver en ligne ici.

Bonne lecture.

Tripes – Une nouvelle de Saint Descente de Boyaux

Inhale.
Inspire autant d’air que tu peux. Cette histoire devrait durer à peu près aussi longtemps que tu seras capable de retenir ta respiration, et puis encore un peu plus. Donc, lis-là aussi vite que possible.
Un ami à moi, à treize ans, entendit parler de l’ « emmanchage » – c’est quand un mec s’éclate en se plantant un gode dans le cul. Si tu stimules ta prostate assez fort, il paraît que tu peux avoir des orgasmes explosifs – et sans les mains. À cet âge-là, mon ami est un petit obsédé. Il cherche sans cesse des moyens plus efficaces pour jouir. Il sort pour acheter une carotte et de la vaseline afin de mener à bien une petite expérience personnelle. Et puis il se rend compte de l’air qu’il va avoir au supermarché avec sa carotte solitaire et son tube de lubrifiant avançant doucement sur le tapis roulant vers la caissière. Sous les yeux de tous les clients qui font la queue derrière lui. Qui, tous, comprennent la grande soirée qu’il se prépare.
Alors, mon pote achète du lait, des œufs et du sucre, plus une carotte, tous les ingrédients pour un gâteau à la carotte. Et de la vaseline.
Comme s’il allait rentrer chez lui et se planter un gâteau à la carotte dans le fion.
De retour à la maison, il épluche son légume. Il le graisse et se l’enfonce dans le derrière. Et alors – que dalle. Il ne se passe rien, à part que ça fait mal. Pas d’orgasme.
Et voilà que sa mère l’appelle pour le dîner. Elle lui crie de descendre et tout de suite.
Il tire sur sa carotte pour la sortir de ses boyaux et il planque ce truc gluant et dégueulasse dans son linge sale, sous son lit.
Après le repas, quand il veut la récupérer, elle n’est plus là. Pendant qu’il mangeait, maman était venue chercher ses fringues pour les laver. Elle est forcément tombée sur l’éplucheur piqué à la cuisine et sur la carotte, lubrifiée et puante.
Après ça, mon pote reste des mois avec cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête, il attend que ses parents l’interrogent sur cette histoire. Et ils ne le font pas. Jamais. Et même aujourd’hui, alors que ce gamin est devenu adulte, cette carotte invisible pendouille au-dessus de chaque réveillon de Noël, de chaque anniversaire. À toutes les chasses aux œufs, à Pâques, avec ses propres gosses, les petits-enfants de ses parents, ce légume fantôme plane sur toute la famille.
Cette chose est trop horrible pour être nommée.
Les Français ont une formule pour ça – l’esprit de l’escalier – qui indique cet instant où tu trouves la réponse, mais trop tard. Disons que tu es à une fête et que quelqu’un t’insulte. Il faut que tu répliques. Et donc, sous la pression, alors que tout le monde te regarde, tu balances une connerie. Mais quand tu quittes la fête…
Juste quand tu t’engages dans l’escalier, tout à coup – c’est magique. Les mots parfaits que tu aurais dû dire te viennent tout seuls. La formule qui tue par excellence.
C’est ça, l’esprit de l’escalier.
L’ennui, c’est que même les Français n’ont pas d’expression pour les trucs stupides que tu as effectivement sortis sous le coup du stress. Ces machins idiots et affreux que tu penses ou que tu fais.
Certains actes sont trop ignobles pour être seulement nommés. Trop ignobles pour être seulement évoqués.
Rétrospectivement, les pédopsychiatres et les conseillers scolaires reconnaissent que parmi la dernière vague de suicides d’adolescents, la plupart de ces gosses tentaient de s’étrangler pendant qu’ils se branlaient. Leurs parents les découvrent, une serviette serrée autour du cou et attachée à la tringle du placard de leur chambre. Le gamin est mort. Il y a du sperme séché partout. Bien sûr, papa et maman nettoient tout ça. Et ils remettent un pantalon à leur rejeton. Ils s’arrangent pour que ça ait l’air…plus correct. Intentionnel, au moins. Le genre de suicides affreux, mais « normal ».
Un autre de mes potes, un gamin de l’école – son frère ainé est dans la marine US et il lui raconte que les mecs, au Moyen-Orient, ne s’astiquent pas comme nous. Il est stationné dans un quelconque pays plein de chameaux où on vend sur les marchés ce qu’on pourrait prendre pour un coupe-papier fantaisiste.
C’est une tige d’argent ou de cuivre poli, très mince, à peu près de la longueur d’une main, avec une extrémité un peu plus large, ou une grosse boule de métal, ou le genre de bout sculpté qu’on trouve sur le manche des épées. Le petit gars de la marine explique que les Arabes, une fois en érection, s’enfoncent toute la longueur de cette tigre métallique dans la queue, puis qu’ils se branlent avec ça et il paraît que c’est bien meilleur. Plus intense.
C’est ce grand frère qui voyage à travers le monde, et qui lui envoie des expressions françaises. Des expressions russes. Des conseils pratiques de branlette.
Et voilà qu’un jour mon pote ne se pointe pas à l’école. Et ce soir-là, il m’appelle pour me demander si je peux récupérer ses devoirs pour lui pendant deux semaines. Parce qu’il est à l’hosto.
Il est obligé de partager une chambre avec des vieux opérés de l’intestin. Il raconte qu’ils regardent la même télé. Il n’a qu’un rideau pour protéger son intimité. Ses parents ne lui rendent pas visite. Au téléphone, il me dit qu’à présent ses copains ont juste envie de flinguer son grand frère, le marin.
Au téléphone, il m’explique que, la veille, il était juste un peu défoncé. Il était chez lui, dans sa chambre, affalé sur son lit. Il avait allumé une bougie et il feuilletait de vieux magazines porno, décidé à se faire reluire. Il venait d’avoir des nouvelles de son frangin dans la marine. Ce détail technique sur la façon arabe de s’astiquer le poireau. Il regarde autour de lui pour trouver quelque chose qui ferait l’affaire. Un stylo à bille ? Trop gros. Un crayon ? Trop gros aussi, et trop rêche. Et puis il voit la fine coule de cire, le long de sa bougie. Parfait. Il la détache avec un ongle. Il la roule soigneusement entre ses mains. C’est long, c’est doux, c’est mince.
Défoncé et excité, il fait glisser cette tige de plus en plus profondément dans son urètre. Avec un bon morceau de cire qui dépasse du bout de son gland. Et il se met au boulot.
Aujourd’hui encore, il avoue que ces Arabes sont de sacrés mains. Ils ont complètement réinventé la branlette. Il est allongé sur le dos, dans son lit, et ça devient si merveilleux qu’il en oublie de surveiller la boule de cire. Encore un bon va-et-vient et il va lâcher la purée…sauf qu’il n’y a plus rien au bout de sa queue.
Elle a avalé la fine baguette. Complètement. Et si profond qu’il ne la sent carrément plus dans son canal urinaire.
Au rez-de-chaussée, sa mère l’appelle pour dîner. Elle lui demande de descendre – et tout de suite. Le gamin à la cire et celui à la carotte sont différents, mais nous vivons tous pratiquement la même vie.
Après le repas, mon pote commence à avoir mal au bide. C’est de la cire, alors il s’imagine qu’elle va peut-être fondre à l’intérieur de lui et qu’il finira par la pisser. Et puis maintenant, c’est son dos qui le fait souffrir. Ses reins. Il ne peut même plus rester droit.
Il me parle au téléphone depuis son lit d’hôpital et en fond sonore, on entend des cloches sonner, des gens hurler. Des jeux télévisés.
La radio révèle la vérité – il y a un truc long et plié en deux dans sa vessie. Ce long V à l’intérieur de lui accumule tous les sels minéraux de son urine. Il grossit et devient plus grumeleux, il se couvre de cristaux de calcium, il se déplace et déchire les parois fragiles et il empêche l’évacuation de l’urine. Ses reins sont bloqués. Et le peu de pisse qui coule de sa queue est sanguinolent.
Avec ses parents, toute sa famille, qui regardent la radio en compagnie du toubib et des infirmières, qui voient le gros V de cire d’un blanc lumineux exposé à la vue de tous, le gosse est forcé d’avouer la vérité. La façon dont les Arabes se branlent. Ce que son grand frère lui a écrit depuis son bateau.
À l’autre bout du fil, à présent, il fond en larmes.
Ils ont payé son opération de la vessie avec le capital mis de côté pour ses études. Une erreur stupide, et voilà qu’il ne sera jamais avocat.
Enfoncer des machins dans tes intérieurs. T’enfoncer à l’intérieur de machins. Une bougie dans ta queue ou ta tête dans un nœud coulant – ça sentait les emmerdes.
Ce qui m’a posé des problèmes, à moi, c’est ce que j’appelais « la Pêche aux Perles ». Ça voulait dire se branler sous l’eau, s’asseoir au fond de la piscine de mes parents, côté grand bassin. J’aspirais une énorme goulée d’air, je descendais et j’ôtais mon maillot. Je m’asseyais là pendant deux, trois quatre minutes.
Jusqu’à l’éjaculation. J’avais une sacrée capacité pulmonaire. Quand j’avais la baraque rien qu’à moi, je faisais ça tout l’après-midi. Et quand j’avais fini de cracher mon truc, mon sperme, il flottait à la surface, de gros mollards laiteux bien gras.
Ensuite, il fallait que je plonge plusieurs fois pour le récupérer. Le ramasser et essuyer chaque poignée dans une serviette. Voilà pourquoi j’avais surnommé ça la Pêche aux Perles. Même avec le chlore, il fallait que je fasse attention à ma sœur. Ou, nom de Dieu, à ma mère !
C’était ma pire crainte en ce monde : ma jeune sœur encore vierge, pensant juste qu’elle grossit un peu, et donnant finalement naissance à un bébé retardé à deux têtes. Et les deux têtes qui me ressemblent. À moi – le père ET l’oncle.
Au bout du compte, ce n’est jamais ce qui t’inquiète qui te tombe dessus.
Le meilleur moment de la Pêche aux Perles, c’était la bonde de fond du système de filtration. Le meilleur moment, c’était quand on se foutait à poil et qu’on collait son cul dessus.
Comme diraient les Français : Qui n’aime pas se faire sucer la rondelle ?
Enfin, t’es juste un gamin qui prend son pied, et puis l’instant d’après, tu ne seras jamais avocat.
À cette minute, je m’installe au fond de la piscine, et le ciel bleu clair ondule à travers deux mètres cinquante d’eau au-dessus de ma tête. Le monde est silencieux hormis les battements de mon cœur à mes oreilles. J’ai passé mon maillot à rayures jaunes autour de mon cou pour le récupérer illico presto au cas où un ami, un voisin, n’importe qui, se pointerait pour me demander pourquoi j’ai raté l’entraînement de foot. La bonde de fond m’aspire sans interruption et j’y appuie mon petit cul blanc tout maigre pour en profiter.
À cette minute, j’ai une grosse réserve d’air et j’ai ma queue bien en main. Mes parents sont partis au boulot et ma sœur est à la danse. J’ai la maison pour moi tout seul pour des heures.
Au moment où je vais jouir, je bloque tout et je remonte pour reprendre une bonne goulée d’air frais. Puis je plonge à nouveau et me réinstalle sur la bonde.
Et je recommence. Et je recommence.
Ça doit être pour ça que les filles adorent s’asseoir sur votre visage. Cette succion, c’est comme de couler un bronze qui ne s’arrête jamais. Avec ma queue bien dure et mon cul qui se fait bouffer, je n’ai pas besoin d’air. Mon cœur bat à mes oreilles et je reste sous l’eau jusqu’à ce que des étoiles de lumière très brillantes commencent à filer devant mes yeux. Les jambes en V, et mes creux poplités qui frottent durement contre le fond en ciment. Mes orteils deviennent bleus, et comme mes doigts, ils sont tout fripés d’être depuis si longtemps sous l’eau.
C’est alors que je lâche ma purée. Les gros crachats blancs jaillissent. Les perles.
Maintenant, j’ai besoin d’air. Mais quand je veux pousser avec mes pieds contre le fond pour remonter – impossible. Je ne peux pas les ramener sous moi. Mon cul est collé à la bonde.
Les services de secours vous diront que, chaque année, cent cinquante personnes environ restent coincées de cette façon, aspirées par le circuit de filtration d’une piscine. Il avale tes cheveux longs ou tes fesses, et tu te noies. Chaque année, ça arrive à des tas de gens. Et, la plupart du temps, en Floride.
Simplement, on n’en parle pas. Même les Français ne parlent pas DE TOUT.
Je redresse un genou, je réussis à poser un pied sur le fond, et je me relève à moitié – quand je sens un coup sec contre mon trou de balle. Je place mon second pied et je pousse pour remonter. Je parviens à me détacher du béton, mais pas à regagner l’air libre.
Jouant toujours des jambes et m’aidant follement des deux bras, je suis maintenant à mi-chemin entre le fond et la surface, incapable d’avancer davantage. Dans mes oreilles, les battements de mon cœur sont plus violents et plus rapides.
Des étincelles de lumière passent et repassent devant mes yeux. Je me retourne et je regarde au-dessous de moi… Mais ce que je vois n’a aucun sens. Cette corde épaisse, blanc-bleu et parcourue de veines, comme une sorte de serpent, sort de la bonde de fond et reste collée à mon derrière. Quelques-unes de ces veines saignent – un sang rouge qui, sous l’eau, paraît noir et coule lentement de petites déchirures dans la peau blême du serpent. Un sang rouge qui disparaît peu à peu en se mélangeant à l’eau. À travers la mince peau blanc-bleu du reptile, on aperçoit les morceaux d’un repas à demi digéré.
Je n’ai pas d’autre explication. Un horrible monstre marin, un serpent de mer, quelque chose qui n’a jamais vu la lumière du jour, est dissimulé au cœur même de la tuyauterie de notre piscine et attend de pouvoir me dévorer.
Et donc… Je balance un coup de pied à sa peau veinée, glissante, caoutchouteuse et pleine de nœuds, et j’ai l’impression que ça le fait sortir davantage de la bonde. À présent, il a à peu près la longueur de ma jambe, mais il s’accroche toujours à mon trou de balle. Un autre coup de pied et je gagne trois centimètres vers une bonne gorgée d’air. Je sens encore le reptile qui me bouffe le cul, mais je me rapproche de la surface.
Emmêlés à l’intérieur du serpent, tu peux voir du maïs et des cacahouètes. Tu peux voir un truc ovale orange vif. C’est le genre de remède de cheval que mon père m’oblige à avaler pour que je prenne du poids. Pour que mes talents de footballeur me valent une bourse à la fac. Des vitamines, plus du fer et des acides gras oméga-3.
C’est la vision de cette pilule de vitamine qui me sauve la vie.
Ce n’est pas un serpent. C’est mon gros intestin, mon côlon qui s’échappe de mon cul. Les toubibs appellent ça « une descente d’organe ». La bonde de fond est en train de m’aspirer les tripes.
Les secours d’urgence vous diront que dans une pompe de piscine circulent dans les trois cents litres d’eau à la minute. Soit environ deux cents kilos de pression. Le gros problème, c’est que tout est lié à l’intérieur de nous. Ton trouduc n’est que l’extrémité inférieure de ta bouche. Si je renonce, la pompe va continuer à tourner – à effilocher mes intestins – jusqu’à m’avaler la langue. Imagine-toi en train de chier une merde de deux cents kilos et tu comprendras comment elle pourrait te retourner comme une crêpe.
Ce que je peux te dire, c’est que tes tripes ne te font pas tellement mal. Rien à voir avec une blessure externe. Les trucs que tu digères, les toubibs appellent ça « matière fécale ». Au dessus, il y a le chyme, des poches d’une fine saleté baveuse constellées de maïs, de cacahouètes et de petits pois.
C’est une espèce de soupe de sang et de maïs, de merde et de sperme et de cacahouètes, qui flotte maintenant autour de moi. Mais même avec mes boyaux qui me jaillissent du cul, alors que je m’accroche à ce qui me reste de tripes, oui, même là, j’ai d’abord envie de remettre mon maillot de bain.
L’essentiel c’est que mes parents ne voient pas ma queue.
Je tiens un poing serré contre mon cul, tandis que de l’autre main j’attrape mon slip à rayures jaunes et je le retire d’autour de mon cou.
Mais impossible de l’enfiler.
Si tu veux palper tes intestins, va t’acheter un de ces paquets de capotes en boyaux d’agneau. Prends-en une et déroule-là. Remplis-là de beurre de cacahouète. Enduis-la de vaseline et mets-la sous l’eau. Et puis essaie de la déchirer. De la couper en deux. C’est trop solide et caoutchouteux.
Ca glisse tellement que tu n’arrives même pas à l’attraper.
Une capote en agneau, c’est tout simplement ton bon vieil intestin.
Maintenant, tu comprends ce qui m’attend.
Tu lâches une seconde, et tu te vides.
Tu nages jusqu’à la surface pour respirer, et tu te vides.
Tu ne nages pas, et tu te noies.
Tu as le choix entre mourir tout de suite ou mourir dans une minute.
En rentrant du boulot, mes parents découvriront un gros fœtus nu recroquevillé sur lui-même. Flottant dans l’eau trouble de leur piscine derrière la maison. Coincé au fond par un gros boyau entortillé et marbré de veines. L’exact contraire d’un gamin qui se pend en éjaculant. C’est leur bébé qu’ils ont ramené de l’hôpital il y a treize ans. C’est le gosse qu’ils espéraient voir décrocher une bourse grâce au foot et réussir un MBA. Qui se serait occupé d’eux quand ils seraient vieux. C’est tous leurs espoirs et tous leurs rêves. Flottant là, nu, mort. Avec, tout autour de lui, des grosses perles laiteuses de sperme gaspillé.
C’est ça – ou alors mes parents me découvriront enroulé dans une serviette sanguinolente, évanoui à mi-chemin entre la piscine et le téléphone de la cuisine, avec un morceau d’intestin déchiré, en lambeaux, pendouillant toujours de mon maillot de bain aux rayures jaunes.
Même les Français ne parleraient pas de ça.
Le fameux grand frère, dans la marine US il nous a appris une autre belle phrase. Une phrase russe. Quand nous disons : « C’est vraiment la dernière chose dont j’ai besoin », les Russes, eux s’exclament : « j’en ai autant envie que des dents au cul ! ».
Mnye etoh nadoh kahk zoobee v zadnetze.
Ces histoires que tu entends, sur les animaux qui se rongent la patte pour s’échapper d’un piège, ben, n’importe quel coyote te dira que, putain, deux coups de dents ça vaut mieux que d’être mort.
Putain… Même si t’es russe, un jour t’es bien content d’avoir des dents au cul.
Sinon, voilà ce que tu dois faire – tu te contorsionnes. Tu coinces un coude derrière ton genou pour ramener ta jambe contre ton visage. Et puis tu te mords le fion et tu l’entames. Vu que t’es en train d’étouffer et que tu mâcherais n’importe quoi pour avoir la bouffée d’air suivante.
C’est pas le genre de truc que t’as envie de raconter à une fille à ton premier rendez-vous. Pas si tu espères un bisou avant le dodo.
Si je te disais quel goût ça a, tu ne mangerais plus jamais de calmars, mais alors plus jamais.
Difficile de dire ce qui dégoûta le plus mes parents : la façon dont je me suis mis dans la merde, ou la façon dont je m’en suis tiré. Après ma sortie de l’hôpital, maman m’a murmuré : « Tu ne savais pas ce que tu faisais, chéri. Tu étais en état de choc. » Et elle a appris à cuisiner les œufs pochés.
Tous ces gens débectés ou désolés pour moi…
J’en ai autant envie que des dents au cul.
Aujourd’hui, on n’arrête pas de me dire que j’ai l’air trop maigre. À des dîners, mes hôtes font la gueule et le prennent mal que je ne touche pas au rôti à la cocotte qu’ils ont cuisiné. Ce genre de rôti me tue. Le jambon au four. Tout ce qui reste dans mes boyaux plus de deux heures, ça ressort tel quel. Les haricots de Lima fait maison ou les gros morceaux de thon au naturel, quand je vais chier, je les retrouve intacts au fond de la cuvette.
Quand tu as eu droit à une résection radicale des boyaux, tu ne digères plus aussi bien la viande, tu vois. La plupart des gens ont plus de deux mètres de gros intestin. Moi, je suis heureux avec mes dix-huit centimètres. Et donc, j’ai jamais eu de bourse sportive. Jamais eu de MBA. Mes deux potes, le gosse à la cire et celui à la carotte, ils ont grandi ils ont grossi, mais moi je n’ai jamais fait deux cents grammes de plus que ce que je pesais à treize ans.
Un autre gros problème, c’est que mes parents avaient claqué un paquet de fric pour cette piscine.
À la fin, mon père s’est contenté de dire au type chargé de l’entretien que c’était une histoire de chien. Notre foutu toutou était tombé dedans et s’était noyé. Son cadavre avait été aspiré par la bonde de fond. Et même quand le type a ouvert le filtre et qu’il en a retiré un tube caoutchouteux, un écheveau d’intestins détrempés, avec une vitamine orange à l’intérieur, oui, même là, mon paternel s’est contenté de dire : « Ce chien était complètement con ».
Et depuis la fenêtre de ma chambre à l’étage, j’entendis papa qui disait : « On ne pouvait pas laisser ce cabot seul une seconde… »
Et puis ma sœur n’a pas eu ses règles.
Même lorsqu’ils ont changé l’eau de la piscine, même lorsqu’ils ont vendu la maison et déménagé dans un autre État, et même après l’avortement de ma sœur, mes vieux n’ont plus jamais évoqué cette histoire.
Jamais.
C’est la carotte invisible de la famille.
Maintenant, tu peux prendre une bonne grosse bouffée d’air.
Parce que moi, j’en manque toujours.

Stefan Zweig - La Confusion des sentimentsSous-titre : Notes intimes du professeur R de D. VO : Verwirrung der Gefühle. Texte relativement court d’un auteur que Tigre apprécie particulièrement parce qu’il sait faire bref et dense (une sorte de Kawabata occidental), comme beaucoup je me suis régalé avec cette histoire de sentiments ambigus vis-à-vis d’un éminent professeur.

il était une fois…

Pour un tel classique, faisons dans le quatrième de couverture de l’éditeur (j’ai ôté les remarques dithyrambiques de la fin) :

« Au soir de sa vie, un vieux professeur se souvient de l’aventure qui, plus que les honneurs et la réussite de sa carrière, a marqué sa vie. A dix-neuf ans, il a été fasciné par la personnalité d’un de ses maîtres ; l’admiration et la recherche inconsciente d’un Père font alors naître en lui un sentiment mêlé d’idolâtrie, de soumission et d’un amour presque morbide. »

Critique de La Confusion des sentiments

Je ne pouvais passer à côté d’un quasi monument qui est grandiose à tout point de vue. Si Le Tigre a bien failli s’emmerder sur les trente premières pages qui m’ont paru excessivement longues pour planter le décor, force est d’avouer que ça devient rapidement du très grand art.

Le protagoniste, une vieux prof (R. de D.) de soixante balais, reçoit de la part de ses élèves (il enseigne la philologie) un cadeau retraçant son noble parcours. Tout y est, sauf l’élément déclencheur grâce auquel il a pu devenir un grand philosophe. Et c’est parti pour un flashback sur une partie de sa jeunesse qui l’a particulièrement marqué. Celle de la rencontre d’un maître de philosophie, son professeur, qui consent en sus à l’héberger au-dessus de son appartement.

La cohabitation entre le jeune héros et le vieux briscard prend, au fil des pages, une tournure plus qu’intéressante (cf. infra). Disons que R. de D. souffre intensément, et telle une jeune damoiselle un peu niaise sur les bords (l’époque veut sûrement ça) il a du mal à saisir le comportement de son maître qui souffle autant sur le chaud que le froid. La fin est somptueuse grâce à l’ancien qui explique justement le pourquoi de ses actes par une confession intense et brûlante.

C’est marrant que l’éditeur parle d’une nouvelle, j’ai plus lu La confusion des sentiments comme un roman pourvu d’un style dense et frisant la perfection (du moins le premier quart passé). L’immersion est presque totale, et on refermerait presque de cet ouvrage les mains tremblotantes. Quoiqu’il en soit, j’estime que celui-ci est tout indiqué en vue d’aborder le père Zweig, il est peu probable d’avoir une surprise désagréable avec.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La relation maître/élève est ici poussé très loin. L’admiration du jeunot pour la belle « machine intellectuelle » du professeur de philologie n’est pas sans rappeler celle d’un fils pour son père. D’ailleurs il suivra la même voie. Plus qu’un daron, on tend presque à l’adoration divine. Et comme toute divinité, le maître sait se faire à la fois extrêmement distant comme plus que chaleureux, ce qui ne manque pas de déstabiliser le protagoniste qui a le cul entre deux chaises.

Les faux semblants. Attention, un spoil arrive même si pour un tel monument j’imagine que les lecteur s’en foutent plus que légèrement (lorsqu’il n’ignore pas le fin mot de l’histoire). On pressent, derrière le trouble du héros, quelque chose qui ressemble à des sentiments confus (d’où le titre) proches de l’amour. Pas de l’amour entre amis, mais bien quelque chose d’un peu plus gay. Et les révélations des dernières pages éclairent plus qu’il ne faut les raisons du mariage d’apparence platonique du vieux, ses nombreuses absences mais surtout le comportement bizarre vis-à-vis du héros. Car le vieux professeur est bel et bien un homo, et chaque jour en présence de R. de D. fut une délicieuse torture de tous les jours : faut-il lui avouer la vérité, rester froid et distant,…?

…à rapprocher de :

– De Hesse, Tigre a lu (en vrac) : Le joueur d’échecs, Trois maîtres (pas mal), La peur (petite déception), Les prodiges de la vie, Brûlant secret (génial). Faut d’ailleurs que je m’occupe de leurs sorts sur QLTL.

– Sur la fascination vis-à-vis d’un professeur, outre le film Les cercle des poètes disparus, il y a Le maître des illusions, de Donna Tartt. Un gros pavé qui vaut largement la peine d’être lu.

Pour finir, si votre libraire est fermé, vous pouvez trouver ce classique en ligne ici.

Susan Maushart - PauseSous-titre : Comment trois ados hyperconnectés et leur mère (qui dormait avec son smartphone) ont survécu à six mois sans le moindre média électronique [ouf]. VO : The winter of our disconnect (mieux en anglais non ?). Cela promettait d’être intéressant, hélas Tigre a failli abandonner en route. Style insupportable et apport culturel limité, rien d’autre à dire.

De quoi parle Pause, et comment ?

Nom de Zeus. Cela faisait longtemps que Tigre n’a pas autant louvoyé le bouclage d’une telle lecture. Les 50 dernières pages ont été finies en mode « lecture rapide » d’ailleurs. La fameuse pause, c’est l’idée de l’essayiste de supprimer tout média électronique pendant 6 mois chez elle (dès janvier, soit le début de l’été en Australie). Avec ses trois adolescents. Ça commence par un appetizer de deux semaines sans électricité, puis tous en selle ! Bien sûr ils peuvent bosser sur ordi ou fesseboucquer ailleurs, ce n’est pas un Amish Paradise.

C’est parti pour la chasse aux mauvais points. D’emblée, Maushart (cœur de souris, en effet) n’arrête pas de LOLer et pondre d’autres interjections de jeunes qui n’ont rien à faire dans un tel bouquin (« la hoooooonte », « come on » et même quelques smileys m’ont fait pleurer du sang tigresque). Aucun humour. Ensuite, il y a beaucoup trop de remarques personnelles. Je comprends que c’est une sorte d’autobiographie familiale, mais lui faut-il rappeler quatre fois qu’elle est ménopausée ? Apparemment cette femme ne savait plus quoi écrire à certains moments, si ce n’est l’équivalent de billets ou de tweets. Par compensation ?

Enfin, une pétée d’études sont invoquées et franchement celles-ci sont d’une désolante trivialité. Sans compter que Susan fait parfois dire à ces sondages (pas très scientifiques souvent) n’importe quoi. Ce fut mon impression, dire qu’elle est docteur en sociologie des médias… Discrédit sur toute la ligne en fin de compte, hélas élevé à la puissance mille sur les dernières pages : tous ont hâte de se reconnecter, l’écrivaine (ce mot ne lui sied guère) parle même de sortir des ténèbres. Et quelques jours avant la fin fait une orgie de trucs inutiles : gros canapés, indécents abonnements TV, réseau mobile et internet illimités, la bonne société de consommation responsable en somme. Alors, c’est comme cela qu’ils ont vécu l’Expérience (un grand « E », vous ne rêvez pas) ? Come on…

En conclusion, la question éternelle : mais pourquoi Tigre s’est procuré cette chose ? Je l’ai emprunté à grand-papa-tigre. Les libraires sont parfois pires que les vendeurs de fenêtres à double vitrage en France.

Ce que Le Tigre a retenu

Il me fut difficile de séparer le bon grain de l’ivraie, ce qui est dommage. En effet, de temps à autre, caché dans la forêt d’insipides remarques, il est quelques espèces de champignons que j’ai jugé édifiants :

La notion d’ennui est souvent abordée dans Pause. Et le développement selon lequel l’excès de possibilités de loisirs empêche les individus de vaincre l’ennui est séduisant. Trop de sollicitations habituelles sous diverses formes, dès qu’une fout le camp un certain laps de temps il n’est pas aisé de se reporter sur les autres plaisirs du quotidien. Ces derniers peuvent sembler bien fades.

Il en résulte, selon Susie (tu permets Susan ?), un certain « amorphisme » de la part de la nouvelle génération (qu’elle nomme la « génération M », cf. paragraphe suivant). Ils sont mous, grignotent sans arrêt, et surtout leurs rythmes de sommeil ne ressemblent plus à rien. Couchés tard à être sur FB, réveillés en pleine nuit par un sms ou un tweet, le portrait est saisissant et le changement des gosses de la mère / essayiste est naturellement logique (Anna, Bill et l’autre dont j’ai déjà oublié le blaze s’endorment vite notamment).

Un dernier point, plus intéressant, est ce que le « multitâche » fait sur nos cerveaux. Il arrive au Tigre de bloguer en mangeant et regardant la TV. Mais je ne suis pas vingt conversations en même temps sur MSN (c’est impossible maintenant anyway). Ou lire plusieurs romans à la fois (exemple en lien). Et faire de tout à la fois modifie profondément à terme nos connexions neurales. Nous apprenons moins par cœur, en revanche la « génération digitale » sait trouver une information en moins de deux ou jongler avec plusieurs activités. Hélas ces dernières sont plus susceptibles d’être traitées superficiellement.

…à rapprocher de :

– Susan M. aime à poindre un lien (et citer même) vers Walden et la vie dans les bois, récit publié au milieu du 19ème siècle par Henry David Thoreau. Le gus a passé plus de deux piges dans une forêt sans les conforts de la civilisation occidentale. A la rigueur ça peut être intéressant de se l’offrir.

– Sinon, le style un peu « borderline » (à moins que ce soit la traduction) m’a rappelé un essai australien encore, cette fois-ci d’une illustre actrice porno. Et oui, il s’agit bien de Monica Mayhem et ses Confessions intimes d’une porn star.

Pour finir, si votre librairie est fermée et que vous tenez absolument à vous le procurer, vous pouvez le trouver sur Amazon ici. Mais je vous le déconseille vivement.

Quant au titre de Walden, il est ici.

qltl-textes-tigreEncore du cynisme et du glauque, je vous prie de m’excuser. Mais j’ai surtout écrit ce court texte pour qu’il figure parmi les « histoires anéanties » du très sérieux écrivain Guénolé Boillot, énième poto du Tigre. A noter enfin que la dernière idée du héros m’a été soufflée par Alastair Reynolds dans The House of Suns.

Chute libre (ou « le dernier cadeau du marié »)

Je me ressaisis, et n’ai en tête que deux choses.

Un, qu’est-ce que le temps passe vite. 35 ans que je suis né, c’est comme si c’était hier. Quatre mois déjà que j’ai gagné au loto, une minute dans mon échelle temporelle. Le saut en parachute que je préparais depuis une semaine, à peine une seconde.

Deux, cette idiote n’a jamais su mener les choses à leurs termes. La dose de somnifère qu’elle m’a refilée en douce n’est indubitablement pas assez puissante. Toutefois elle ne pouvait savoir que me jeter d’un Cesna à 10.000 pieds d’altitude allait me donner un sévère coup de fouet. A moins que ce soit voulu, afin que je vois la mort défiler pendant une bonne minute. Encore une qui passera vite.

Quelles connes. Soixante secondes donc.

Je n’ai pas de temps à perdre. Bien évidemment mon parachute a été trafiqué. J’ai été délesté de mon smartphone. Il n’y a pas de plans d’eaux aux environs. J’ai signé le contrat de mariage hier. Elle est plus maligne que prévu. Je tourbillonne dans les airs, impossible de m’évanouir ni succomber à une crise cardiaque.

Quarante-cinq secondes.

Je parviens à tâter mes poches et à les frotter, en priant qu’un génie en sorte et se dépêche d’exaucer mes vœux. Personne n’apparaît. Toutefois je sens la bosse de mon couteau suisse. Je réussis à le sortir et m’agrippe à ce dernier comme un gamin aux jupes de sa mère. J’ouvre la lame la plus tranchante. Si je m’égorge tout de suite, peut-être que je mourrais avant d’atteindre le sol. Et le nuage vertical de sang laissé aurait tout d’une performance honorant l’art éphémère. Séduisant. Quoique…

Trente secondes.

Le parachute et le tee-shirt ont eu l’air de s’envoler lorsque je les ai ôtés. Pourquoi je n’ai pas choisi une fille qui s’appelle Noémie ou Alice ? Dans Sophie, il y a une allitération sifflante indiquant un haut degré de traîtrise. Mais surtout, écrire avec une petite lame « S » sur son abdomen est plus compliqué que prévu. Les courbes sont délicates à marquer sur les replis de ma chair tremblotante, sans compter le sang qui me saute littéralement aux yeux.

Quinze secondes.

Bon, le résultat ressemble à un 5. Tant pis, il faut au moins que je protège la marque. Je parviens à me retourner dans les airs pour chuter sur le dos. Je vois l’avion une poignée de kilomètres plus haut. Celui-ci a fait demi-tour. Marrant, les volutes de fumées laissées dernière celui-ci forment un cœur. En y pensant, le mien va se faire bouffer par les charognards, la chair de mon ventre finira dans le leur. Mon travail de mutilation ne sert à rien en fait.

Une dernière idée. Je prends mon alliance et la passe au majeur de ma main gauche. Cet indice, on ne pourra passer à côté. Et j’en profite, tout sourire, pour faire un bras d’honneur à l’attention de ma femme.

Si on pense à jeter un œil sur mon corps que j’espère pas trop abîmé, elle verra ce qu’el…

Amélie Nothomb - Stupeur et Tremblements[non mais matez-moi cette bouche en derche de poule. qu’est-ce qu’il faut pas faire pour vendre] Voici une courte autobiographie rendant compte de sa courte expérience professionnelle au Japon. Toutefois ce n’est pas le meilleur titre de cette auteure. A moins que vous ne recherchiez de la sueur et des larmes dans une ville d’extrême-orient.

De quoi parle Stupeur et Tremblements, et comment ?

Que-ouah ? Le Tigre se rabaisse à résumer un Nothomb ? Je suis en effet un peu emmerdé aux entournures puisque j’ai lu quasiment tous ces titres. Les résumer un par un doit se faire à doses homéopathiques. Et pour cet ouvrage (que j’ai cru bon de classer dans les « essais ») qui m’a permis de découvrir Nothomb, cela m’a juste donné envie d’en lire un peu plus. J’étais jeune et naïf, mais cette impression de puissance liée au fait de terminer un roman en moins de deux heures était délicieuse.

Stupeur et tremblements, c’est la manière dont sont censés s’adresser les Japonais à leur empereur chéri, qui est rare symbole politique nippon que les Alliés ont laissé au pays après la seconde guerre mondiale. Et c’est aussi la façon dont la jeune Nothomb, très portée sur la culture japonaise et désireuse d’y travailler, parlera à Fubuki, sa n+1 avant de retourner en Europe écrire son premier roman. En réponse à Fubuki qui lui annonce qu’elle n’est pas si conne que ça (si ma mémoire est bonne).

Si ce n’est pas le meilleur Nothomb dont je me souvienne, le style épuré (à l’instar de la culture locale, du moins avant la catastrophe Kawaï) et plus « personnel » a rendu la lecture relativement agréable. Et puis l’immersion fut facile. Chapitres toujours aussi courts, aération dingue du texte et des paragraphes, bref le voyage au pays du soleil levant (lieu commun, check) prend dans cette œuvre la tournure d’une fugace balade dans la tête de l’écrivaine à succès.

Ce que Le Tigre a retenu

J’ai grand souvenir des nombreuses gaffes d’une Amélie qui ne connaît pas si bien que ça les us et coutumes de Tokyo. Elle y a certes vécu enfant, mais ça ne suffit pas. Bon, à sa décharge, lorsque la gourdiflote trie les noms des clients allemands, elle ne pouvait pas savoir que le terme « GmbH » est l’équivalent français de la SARL. Toutefois, quelque chose aurait du l’alerter lorsqu’elle s’est mise à classer toutes ces entreprises dans la lettre « G ». A contrario, en servant le board de Yumimoto (son employeur), elle est parfaite. Ce qui est un impair : sa maîtrise de l’art de servir le thé met infiniment mal à l’aise ces messieurs qui s’aperçoivent qu’elle peut les comprendre.

En outre, le lecteur attentif trouvera quelques éclaircissements (certes excessifs) sur le monde du travail au Japon. En vrac : l’extrême hiérarchie de la boîte ; le formatage des employés qui ont intérêt à ne pas sortir des clous ; et dernièrement le « placard » qu’on lui réserve. Comme un employé qui doit à la fin accomplir des tâches même indigne d’un stagiaire (nettoyer les chiottes en particulier), Amélie finira par un petit burn out au cours duquel elle s’humiliera un peu plus. Quelle honnêteté de sa part.

…à rapprocher de :

– De Nothomb, Tigre a aussi résumé (par ordre de publication) : Hygiène de l’assassin (mouais), Les Combustibles (sans plus, heureusement c’est court) ; Attentat (interminable), Cosmétique de l’ennemi (bof), Tuer le pèreLe Fait du prince (le pire, je crois bien) ; Biographie de la faim (à lire) ; Acide sulfurique (lourdaud) ; Une forme de vie (très moyen).

– Les romans à forte charge biographique se passant au Japon sont légion dans la modeste bibliothèque tigresque. Mishima avec le Le soleil et l’acier mais surtout son édifiant Le Japon moderne et l’éthique samouraï (si ça peut vous aider à comprendre le monde des affaires là bas).

– A noter qu’un film est sorti à la fin des années 2000, avec une certaine Testud dans le rôle d’Amélie.

Enfin, si vous ne trouvez personne qui est disposé à vous prêter ce titre et que votre libraire est fermé, vous pouvez le trouver en ligne ici.

Les Sutras du TigreLe Tigre ne parlera pas d’une organisation secrète que je rejoins tous les mardis soir en vue de traiter de mon problème d’addiction à la rédaction de billets aussi instructifs qu’hilarants. D’ailleurs je n’ai pas eu de réponses de quelques auteurs « populaires » à qui j’ai donné des invitations. Je m’apprête ici à comprendre le pourquoi de l’anonymat littéraire.

Qui est un auteur anonyme ?

Comme souvent Le Tigre va poser quelques bases de définition, que vous soyez d’accord ou non. D’emblée je prends le terme « écrivain » dans ce qu’il peut avoir de plus extensif. Roman de gare, bandes dessinées pornos mal illustrées et dépourvues de scénario, recueil des bons mots de Nadine Morano (un bottin j’imagine), il y a un auteur derrière qui a un tant soit peu buché !

« Anonymat » vient du grec (dès qu’il y a un « Y » vous vous ne tromperez que rarement) et signifie « sans nom ». En fait, le dico précise « dont on ignore le nom ». Nom réel, ai-je envie d’ajouter. Et il ne faut pas confondre avec le pseudonymat, qui à mon sens indique une séparation des activités. L’auteur anonyme peut certes utiliser un nom d’emprunt, toutefois il sera l’unique à le savoir. Vous l’aurez compris, Le Tigre parle du parfait planqué.

Et comment fait notre inconnu pour rester anonyme ? Hors sujet. J’en parlerai sans doute un autre jour.

Décider de ne pas révéler son nom ?

Tigre a décelé une petite dizaine de raisons de l’anonymat, plus ou moins valables néanmoins. N’y voyez aucun ordre de préférence ni d’importance (sauf le petit dernier). Cependant, conformément à ma propension à classer et faire tout « carré », je me suis permis de pondre quatre parties abordant chacune un modèle de comportement :

I. Le timide

1/ Le timide maladif tendance agoraphobe. Je ne pense pas devoir vous fournir ici plus d’explications. Un moine cloîtré dans son espace de créativité, un homme simple qui ne supporterait pas qu’on parle de lui, que les filles soient nues, qu’elles se jettent sur lui, qu’elles l’admirent, qu’elles le tuent, qu’elles s’arrachent sa [bip]…

2/ Mais il est des explications qui sont nettement moins nobles. Par exemple, le timide vis-à-vis du service des impôts. Le genre qui envoie ses manuscrits depuis l’Argentine, prélève son courrier via une boîte aux lettres sise à Genève et récolte ses droits d’auteurs directement sur un compte domicilié à Singapour. Un anonymous intéressé qui a rapidement pesé le pour et le contre avant de conclure que renommée ne pèse pas autant que ceinture dorée.

II. Le cachotier

3/ Le petit cachotier est différent du timide dans la mesure où il pourrait parfaitement assumer son statut d’écrivain reconnu, les foudres de la nature ne s’abattront pas sur lui. Sauf qu’il préfère se planquer pour mieux satisfaire son égo. Y’en a qui aiment faire l’amour, d’autres préfèrent avant tout regarder leurs congénères s’y adonner. Même topo pour le gus qui n’en peut plus de mouiller à force d’entendre parler de son travail, un petit sourire en coin. Fin du fin, repérer des conversations ou articles où on se demande qui peut bien être ce John Smith semble lui procurer de réguliers orgasmes. Il y a des gens comme ça. Le Tigre en fait presque parti.

4/ Toutefois, furieusement donner dans le secret peut être justifié. Je l’appelle le « cachotier altruiste ». Le personnage public qui pour ne pas placer ses proches dans une position qu’il imagine indélicate souhaite écrire sous un nom d’emprunt. Car il ne veut pas que sa femme, ses enfants, ses amis aient à pâtir de cette célébrité qui rejaillirait forcément autour de lui aussi sûrement qu’un geyser islandais arrose les touristes aux alentours. Le Batman littéraire en quelque sorte. Sans Alfred, personne ne sait qui est derrière la plume. Peut-être l’a-t-il avoué en dormant à sa maîtresse, mais elle ne n’en souvient pas.

III. Le dangereux

5/ Le premier type est celui qui a tout simplement peur des représailles si son identité venait à être révélée. Le repenti, l’ancien gangster qui balance à tout-va, le journaleux qui décide de dire qui couche avec qui (ce serait un joyeux bordel), l’adversaire politique dans un pays peu démocratique, en considérant ces cas l’anonymat ne choque pas Le Tigre. Moins dramatique, c’est aussi l’histoire d’une personne travaillant dans un service où il est d’usage de ne rien foutre (La brigade des feuilles des Chevaliers du Fiel en pire) et qui sort un essai sur son expérience. Et qui se fait démasquer. Suspendre. Muter.

6/ Le second est plus inquiétant. En effet, ce qu’il est décrit dans ses bouquins est souvent trop horrible et précis, et pour une fois le lecteur est très content de ne pas savoir qui est derrière cette écriture. Membre d’une Mara ultraviolente, flic à la retraite, psychopathe qui tape sur sa machine à écrire depuis le couloir de la mort ? On ne tient pas à le savoir, publier incognito évite de rajouter au malaise d’avoir terminé son œuvre. Le Tigre pense en premier lieu à Boston Teran et son Satan dans le désert, qui m’a fait profondément douter de la nature humaine. Quelle imagination malsaine, il y a forcément une part de réalité.

IV. Le complexé

7/ Pour une raison ou une autre, l’écrivain n’a pas envie de montrer sa bobine qu’il juge fort sévèrement. Un accident de voiture qui l’a défiguré ; un excès de musculation ; un corps ravagé par les drogues ; une mère qui a un peu trop levé le coude pendant la grossesse, bref notre ami est plutôt mal à l’aise avec son physique. Et pense (souvent à tort) qu’il faut mieux laisser au lecteur la vision de la couverture de ses titres qu’un souvenir de Quasimodo. Alors que souvent une « gueule » serait remarquée et doterait l’auteur d’un petit plus qui serait fort sympathique.

8/ Après la honte physique, la honte stylistique. Comme un prof de droit du Tigre qui écrivait des romans érotiques sous un autre nom (je n’oublierai jamais sa tête lorsque je lui ai demandé de m’en dédicacer un). En fait notre bonhomme sait pertinemment qu’il publie de la merde préformatée et ne souhaite pas attirer sur son vrai nom les incantations de malédiction des lecteurs exigeants. Il n’assume pas, contrairement à certains écrivains à succès dont la coïncidence entre publication de leurs daubes et tiers payant qui s’abat sur le contribuable frappe toujours Le Tigre.

A titre d’exemple final, Le Tigre a mille théories concernant Musso ou Lévy. L’une d’elle est qu’un illustre écrivain, n’osant pas avouer qu’il écrit de telles horreurs, a payé un homme de paille qui récoltera les infâmes lauriers. Un acteur qui a, de préférence, une bonne bouille (s’il n’est pas rasé, c’est encore mieux) et va faire les séances de dédicaces à sa place. Tout cela moyennant un pourcentage sur les ventes. Rigolez, mais dans 100 ans le « contrat de partenariat » sera mis en lumière, et là Le Tigre passera pour un Nostradamus livresque admiré de tous.

Conclusion qui ne dit pas son nom

Il est sûrement d’autres justifications à l’anonymat, mais à bien réfléchir je suis sûr qu’en forçant bien on peut toutes les faire entrer dans les cases du présent Sutra. Peu de liens vers des auteurs, Le Tigre ne préfère pas se faire si vite des ennemis. Même si dans les chapitres 2, 5 et 7 ce fut plus que tentant.

Enfin, il arrive parfois que le numéro de cet article ait un rapport avec le sujet traité. Le Tigre aime utiliser le verbe « pondre » au lieu de « écrire ». Ou accoucher. Maman-tigre, écrivain, même combat. Ils m’ont nourri.

Or, le célèbre adage Mater semper certa (l’identité de la mère est toujours certaine) était incontestable jusqu’à la fécondation in vitro. A partir de 1978 en France, mère naturelle et mère génétique n’étaient pas forcément la même personne. Et on rejoint la théorie de la dernière partie sur les écrivains du dimanche…

Christopher Moore - L'agneauVO : Lamb: The Gospel According to Biff, Christ’s Childhood Pal. Somptueuse surprise de la part d’un auteur qui m’est plus ou moins inconnu, Le Tigre a bu du petit lait. La vie de Jésus comme si on y était, c’est à la fois drôle et empreint d’un profond humanisme. Et malgré les 700 pages (avec les bonus) on ne les voit pas défiler.

Il était une fois…

Le quatrième de couv’ rend bien compte du délire généralisé du titre, donc le voici :

« L’ange Gabriel était bien tranquille dans ses nuages à faire le ménage de ses fourreaux d’éclairs et de ses traînées de joie lorsque la tuile lui est tombée dessus. Le Fils lui-même le désigne pour redescendre incognito chez les humains remplir une mission de confiance : retrouver le meilleur pote du Christ qui, deux mille ans plus tôt, faisait les quatre cents coups avec lui. Ce dénommé Biff est une terreur qui a expérimenté pour son pote tous les péchés. Il sait tout. Gabriel va tomber des nues. Lui qui devait lui faire raconter son histoire dans la plus grande discrétion va bien involontairement orchestrer le chaos. Comme le dit Biff lui-même : Vous pensez connaître la fin de cette histoire, mais vous vous trompez. Je sais de quoi je parle : j’y étais. »

Critique de L’agneau

Quelle joie d’avoir lu ce gros roman, Le Tigre a encore une fois pris une agréable claque littéraire dont, plusieurs années, je me souviens encore. Christopher Moore n’est pas un auteur comme les autres et a su aborder un thème sensible sans faire de dégâts. Comprenez : même le Chrétien le plus intégriste ne se sentira pas offusqué par ce bouquin.

Je me dis souvent : mais pourquoi personne n’a eu l’idée d’un tel scénario ? En effet, on sait de la Bible que Jésus a commencé à vraiment faire parler de lui lorsqu’il a eu la vingtaine bien tassée. Mais de ses douze piges à ses petits miracles, qu’a-t-il bien pu glander dans le vaste monde ? L’auteur américain propose sa fantaisiste (quoique…) vision de toutes ces années grâce à un individu légèrement « borderline » qui a accompagné le Fils du très haut dans ses pérégrinations de jeune garçon.

Le style et l’entame du roman peuvent dérouter (mais pas bien longtemps) puisque c’est l’archange Gab’ en personne qui est chargé de retrouver un vieil ami de Joshua (le nom du Christ), Biff, pour vérifier sa version pré évangélistique. Les chapitres sont plutôt longs, heureusement que Folio sort des polices d’écriture assez grosses. Et surtout, merci à Moore d’avoir pondu un style accessible et rempli d’humour touchant et de descriptions souvent enivrantes.

Au final, voilà presque un titre qui ferait croire en n’importe quoi. Les voyages et nombreux apprentissages des héros donnent une version logique (pour notre époque) et humoristique de ce à quoi peuvent ressembler les chapitres manquants du deuxième testament.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

« Le testament du pote ». Biff a vécu de belles choses avec son ami, et ce n’est pas forcément digne de figurer dans le Livre. C’est comme si, derrière un mariage raconté dans un conte de fée, le témoin du marié vous décrivait par le menu son enterrement de vie de garçon. On y voit un Jésus prenant son baluchon et découvrant le vaste monde. Un homme dont on sent qu’il est exceptionnel mais a un caractère bien à lui et sait faire preuve de camaraderie autrement qu’en mode « apôtres & Co ». Des protagonistes « humains », ai-je envie de dire.

Le métier de messie. Le lecteur attentif et bon enfant apprendra comment Jésus a pu accomplir certains « miracles ». Maîtrise du pouls en vue de simuler la mort, ascétisme rigoureux (pendant que Biff apprend le Kama-sutra avec une jolie jeune femme…), tours de magie (multiplier les aliments notamment), etc. On en profite également pour revisiter l’histoire des trois rois mages qui représenteraient les grands courants de pensée (bouddhisme, hindouisme, etc.) qui auraient guidé notre futur crucifié.

…à rapprocher de :

– De Moore, il y a aussi Un blues de coyote ou Le lézard lubrique de Melancholy Cove (pas mal).

– Paul Verhoeven s’est intéressé à la vie de J.C. de manière très docte dans Jésus de Nazareth. Long mais complet.

– Concernant la « religion dans tous ses états », je vous conseille sur-le-champ La lamentation du prépuce, de Shalom Auslander.

– En film; l’histoire de Jésus vue simplement peut être découverte avec The Man from Earth. Personnellement j’ai été bluffé. C’est à voir la nuit avec un esprit aussi largement ouvert que les portes de Babylone.

Si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver en ligne ici.

Christopher Moore - Le lézard lubrique de Melancholy CoveVO : The Lust Lizard of Melancholy Cove. Premier ouvrage lu de Moore, et ce fut tout à fait délicieux. Le Tigre s’est rarement autant marré tellement l’audace de l’auteur et l’aspect « déjanté » de ce titre sont surprenants. Lubricité en effet, mais surtout gros n’importe quoi, mélange de fresque burlesque et de fantastique qui devrait plaire à tout lecteur curieux.

Il était une fois…

C’est un joli bordel dans la ville de Pine Cove. Toutes les malédictions semblent s’abattre sur cette petite bourgade : en premier lieu, le psy local (Val, de son prénom) qui traitait ses patients à coup de pilules (au lieu de mieux les aider) vient de décider de remplacer tous les médocs qu’il distribue par des placebos. Ensuite, l’adjoint du shérif doit enquêter sur un meurtre dérangeant qui implique plus ou moins les hautes sphères du pouvoir qui régulièrement planent sous hachich. Enfin, et cerise sur le gâteau, la pollution du coin a fait se « réveiller » un monstre préhistorique à la libido débordante. A un tel point que les habitants de Pine Cove sont tous atteints de baisoïte aiguë…

Critique du Lézard lubrique de Melancholy Cove

Le Tigre a lu ce roman il y a un certain laps de temps déjà, pourtant les souvenirs de cet OVNI littéraire sont encore vivaces. Ce qui fait que certains pourraient avoir du mal avec Le lézard lubrique de Melancholy Cove est l’illogisme latent du scénario en général.

En effet, comme vous avez pu le remarquer dans la partie précédente, ça part rapidement dans tous les sens dès que le « Godzilla » s’installe dans un coin du village. A ce moment on comprend pourquoi les médias ont étiqueté l’auteur de « fantasy » ou « fantastique ». Car il convient de laisser de côté tout réalisme et s’abandonner aux délires de l’écrivain américain. Ce qui n’est pas vraiment dur vu comment ça démarre au quart de tour.

Fin du fin, pour 400 pages le style est globalement fluide (si on accepte quelques passages d’un onirisme certain). La bonne idée a été d’impliquer une dizaine de protagonistes (on s’y fait), et les chapitres sont sous-divisés par parties ayant pour titres leurs noms. Pratique parce que pour chaque individu il n’y a pas pas différences vocabulaire ou autres artifices signalant un changement de narrateur. En conclusion, si la note n’est pas maximale malgré les éclats de rire provoqués par ce roman, c’est à cause d’un autre titre de Moore qui a soufflé Le Tigre (cf. infra).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La sexualité débridée. Le lézard lubrique entraîne les gens de Melancholy dans une frénésie sexuelle à peine croyable. Déjà une femme a des rapports charnels avec la bête (qu’elle nomme Steve au passage), non sans quelques difficultés premières. En rajoutant par exemple un homme qui s’efforce de baiser avec un dauphin (ce que certains savent), je vous laisse imaginer les situations compromettantes que Christopher Moore peut décrire. Et ça envoie du très lourd.

Le fantastique déluré. L’auteur est plus fin qu’il n’y paraît : il profite d’un scénario abracadabradantesque pour taper consciencieusement sur la bêtise humaine (les religieux de tout poil et autres charlatans médicaux). Et faut avouer que le tableau dressé n’a jamais été aussi déluré et déconnant, un vrai plaisir ! Les protagonistes ont tous un sévère grain (pharmacien, pseudo-actrice, shérif marron, etc.) et s’emploient à faire de leur ville un bordel sans autre nom que celui du Lézard lubrique.

…à rapprocher de :

– De Moore, il y a Un blues de Coyote et L’agneau (ce dernier étant tout bonnement génial).

– Une communauté déjantée où les habitants font n’importe quoi, il y a 1275 âmes de Thompson (plus « vieux polar ») ou Choke, de Palahniuk.

Si votre librairie est fermée, vous pourrez le trouver sur Amazon ici. 

Lemire & Foreman - Animal Man, Tome 2 : Contre-natureVO : Animal Vs. Man. Animal Man #7-11 Annual #1 + #0. Deuxième opus d’une série qui avait plutôt bien démarré, celui-ci est hélas un peu en deçà pour un scénario qui m’a semblé traîner en longueur. Nouveaux héros (Constantine notamment) qui apparaissent, d’autres (Swamp Thing) qui se font désirer, c’est frustrant.

Il était une fois…

En fait Animal Man n’est que peu de chose par rapport à sa fille Maxine, réelle avatar du sang qui est censé protéger le règne animal. A quatre ans quand même… Et à cause d’une belle connerie de notre héros (il a relâché la Nécrose dans la nature cet idiot) l’ennemi monte en puissance et envahit progressivement le territoire. Du coup, Buddy Baker (Animal Man pour les touristes) est happé par une force gigantesque hors du monde terrestre. Le reste de sa famille (femme, grand-mère, enfants) pourra-t-elle survivre avec l’aide de Constantine et la Ligue des Ombres ?

Critique de Contre-nature

Légère double déception sur cet opus dont j’attendais beaucoup : d’emblée il y a moins cette ambiance de terreur (à part sur une histoire racontée ayant lieu au XIXème siècle), le scénario se concentre sur le voyage ésotérique du héros au cours duquel on apprend comment il a été choisi (par défaut hélas).

D’autre part, au second épisode de Swamp Thing il est annoncé que la suite se trouve dès le troisième tome d’Animal Man. Cependant à la fin du présent tome Le Tigre n’a toujours pas vu le rapport se mettre en place !  Comment se peut-ce ? On comprend certes que l’équilibre est cassé depuis quelque temps déjà entre les trois forces, et la Nécrose dépote gravement dans le monde des humains. Mais la Chose du Marais n’est qu’évoquée, jamais rencontrée. Et l’attention se déplace vers la très jeune fille de Baker, Maxine. Celle-ci jouit d’un pouvoir impressionnant et fait déjà quelques merveilles.

Avant de parler des illustrations, Le Tigre tient à signaler qu’il n’a pas bien compris le bordel de la couverture. Avant on avant juste Foreman, maintenant Steve Pugh et Timothy Green II sont crédités…seulement ça n’a pas changé grand chose, mis à part les dernières pages qui m’ont paru moins bien léchées. Faut dire que la barre a été, auparavant, placée très haut : horreurs dignes d’un labo génétique géré par un savant fou, décapitations de toute part, têtes qui marchent comme des araignées, mer de sang nécrosée,… Les nouveaux personnages (Constantine et sa bande de pépées par exemple) sont, comme les protagonistes habituels, bien rendus même si je préfère les bobines dans les comics Batman.

Au final, une continuation correcte mais l’histoire semble tarder à prendre son envol. Du coup je vais en profiter pour, dans la partie suivante, vous entretenir avec quelques sujets « sérieux » qui me sont magiquement venus à l’esprit en lisant autant Animal Man que Swamp Thing.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

J’ai cru comprendre que ce qu’il arrive à la Terre, un désastre écologique où la mort prend le pas sur le reste, peut être interprété comme une subtile allégorie du corps humain : la sève est le rapport que l’Homme entretient avec la nature qui le nourrit tandis que le sang. Or la nécrose est aussi nécessaire que les autres. Elle permet de « nettoyer » et épurer le corps en supprimant peaux mortes et autres renouvellements cellulaires. Sauf que cette dernière rompt l’équilibre et, tel un cancer se développant chez quelqu’un, tente de prendre le contrôle de la planète.

Le problème est que les avatars du sang et de la sève font n’importe quoi. Déjà ce sont des humains (ne jamais mettre les œufs dans le même panier, tu parles…), en sus ces boulets ne sont définitivement pas à la hauteur. Animal Man a été « improvisé » après le décès subit de l’avatar du sang, tandis que la Chose du Marais se fait prier pour subir la transformation finale. Face à ces deux couillons qui ne remplissent pas correctement leurs rôles, l’avatar de la nécrose (qu’on voit dans Swamp Thing) en profite pour tisser sa néfaste influence. L’Homme responsable de la corruption de la planète, voilà un message écologique pur jus.

…à rapprocher de :

Le tome 1, La chasse, n’est pas mal du tout.

– Même si on ne le rencontre pas encore, il est peut être utile de regarder du côté de Swamp Thing, tome 1 et tome 2.

– De Jeff Lemire seul, Trillium ne m’a pas vraiment enchantè (de la SF avec des passages entiers à l’envers).

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Lemire & Foreman - Animal Man, Tome 1 : La chasseVO : The hunt. Animal Man #1-6. Encore un héros inconnu au bataillon. C’est fou le nombre de justiciers masqués qui roulent du cul dans les rues incognito ! Et cette reprise d’Animal Man, homme intimement connecté au règne animal, est de bonne facture. Scénario bien ficelé avec des passages flippants, et des illustrations qui ne sont pas à laisser à portée des enfants.

Il était une fois…

Buddy Baker est un superhéros un peu « nobody » sur les bords. C’est-à-dire que son pouvoir semble un peu pâlot face à Superman et autres Hulk… Ancien justicier, militant écolo, père de famille posé, sur le point d’embrasser une carrière d’acteur, sa vie qui prenait une tournure assez « pépère » est sur le point de basculer. Un grave danger menace le monde animal, aussi Animal Man et sa famille vont être sollicités pour sauver l’équilibre planétaire.

Critique de La chasse

Animal Man, encore un héros dont Le Tigre n’avait jamais entendu parler. Zut, un inconnu imaginé au milieu des années 60 disposant d’un pouvoir à la dimension écologique prononcée, pourquoi s’acharner à démarrer un nouveau comics ? Parce qu’on (enfin un ami) m’a promis qu’il y aurait très peu de tomes. Et ce premier opus est réussi.

Ayant d’abord lu Swamp Thing (cf. infra), je savais peu ou prou à quoi m’attendre. Et ça a dépassé mes espérances en terme d’expérience d’horreur (tant visuelle que scénaristique). En effet, la terrible « Nécrose » vient rapidement foutre le bordel dans l’entourage du papa héros et les moyens pour toucher ce dernier sont proprement dégueulasses. Transformations, destruction systématique, corruption choquante du vivant, c’est presque un film d’horreur de Cronenberg.

Travel Foreman (et quelques autres) a fait un boulot dessinatoire fort que correct qui m’a plus d’une fois donné un délicieux frisson de dégout. Les illustrations font souvent peu « comics », on croirait contempler une BD franco-belge un peu « plan-plan », avec des cases régulières (enfin la plupart des cas) et des couleurs ternes. Jusqu’à ce que la Nécrose débarque en transformant ses hôtes en machines cannibales assoiffées de sang, et là c’est peu ragoutant à voir : têtes humaines déformées avec un ignoble sourire de ravi de la crèche qui ne s’oublie pas, infâmes excroissances qu’on ne souhaiterais pas à son pire ennemi, pour une fois Le Tigre salue ces résultats malsains.

Pour conclure, une jolie découverte qui a vite effacé la déception du premier tome de Swamp Thing. Car ces deux comics sont liés, il est vite question de la Chose du marais dans Animal Man, personnage qui seul serait capable d’aider notre héros dans sa noble quête.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’antagonisme héros / vie de famille est de mise dans La chasse : déjà il faut savoir qu’Animal Man ne se cache pas, tous savent qui il est et c’est aussi pourquoi il donne des gages de « tranquillité » à sa femme (même si elle voit bien qu’il était plus heureux en costume moulant). Ensuite il effectue une courte mission de sauvetage (prise d’otage) face à un pauvre homme qui a perdu sa petite fille, comme un signe avant-coureur de ce qui pourra lui advenir.

Et lorsqu’il décide de revêtir à nouveau ses habits, le résultat est plus que décevant (il se fait correctement savater la gueule) pour sa femme et son fils qui s’inquiètent. Tout aurait pu aller pour le mieux si la fille de notre héros n’avait pas ce pouvoir si énorme qui la placera rapidement au centre de toutes les attentions.

Il y a quelques procédés de mise en abime qui sont plutôt surprenants de la part d’un comics. L’œuvre démarre en effet par une interview du héros. Et Le Tigre a failli zapper cette partie en croyant que c’était un dialogue entre un journaliste et l’auteur. En fait non, il s’agit de la présentation du film qui s’apprête à sortir avec Buddy en haut de l’affiche. Il a « raccroché ses crampons » d’homme extraordinaire pour se faire une place dans le monde dit « normal », ce qui est au final vain. Vers la fin de cet opus, le lecteur aura un aperçu dudit film. Une scène cinématographique dans une BD, voilà un mélange des genres bienvenu.

…à rapprocher de :

– Le tome 2, Contre-nature, est aussi sur QLTL. Un tantinet décevant.

– Puisqu’il est rapidement question du mystérieux Alec Holland (nommé « La chose du marais »), autant regarder du côté de Swamp Thing, tome 1 et tome 2.

– De Jeff Lemire seul, Trillium ne m’a pas vraiment enchantè (de la SF avec des passages entiers à l’envers).

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

DodécaTora« Titi, peux-tu l’éclairer sur la définition du mot Uchronie, car je patauge avec la définition du dico : mot créé par néologisme par rapport à utopie. Préfixe privatif ; suffixe « chronos » : temps. Fiction ayant lieu dans un temps qui n’existe pas, et ce à cause d’un évènement fondateur qui diffère de l’Histoire telle qu’on la connaît. Merci de ton aide ! Toto. »

Douze histoires qui n’ont jamais existé

Les uchronies sont un genre littéraire relativement nouveau et peu utilisé à mon sens. A un moment donné l’Histoire ne se passe pas vraiment comme on l’apprend à l’école, et à partir de là le monde prend une tournure différente. Pour cela, l’auteur met généralement en place ce qu’on appelle un « évènement divergent ». Il décide d’en parler rapidement au début, et s’attache à décrire les conséquences ; ou, plus subtilement, le point de divergence arrive au cours du roman. Ce qui est plus coton selon moi, car il faut montrer à quel moment tout a pu partir en quenouille.

Pour ce que j’en sais, l’Allemagne nazie remportant la guerre semble être le fond de commerce des auteurs en panne d’inspiration. Et pour ces derniers comme les autres, la nouvelle situation décrite est souvent pire que la réalité. Il ne semble pas exister d’uchronie heureuse (à part Spinrad), comme si le syndicat des écrivains avait pour consigne de montrer comment notre existence aurait pu être encore plus malheureuse. Imaginer qu’il n’y ait pas eu de première guerre mondiale et montrer qu’une Europe unie aurait pu dominer le 20ème siècle, que nenni !

En ce qui concerne Le Tigre, je suis toujours ravi de lire une expérience de pensée où on est plongé dans un environnement presque familier (pas comme la fantasy) avec quelques différences surtout d’ordre politique. Hélas les bons titres d’uchronie me semblent aussi rares que les films corrects de science-fiction. Soit il s’agit d’un petit accessoire et la frustration est immense de ne pas en savoir plus sur le « nouveau monde », soit il y a un manque d’ambition flagrant (ou d’imagination) de la part de l’auteur qui semble comme dépassé par une idée aux possibilités intimidantes.

Tora ! Tora ! Tora ! (x 4)

1/ Philip K. Dick – Le Maître du Haut Château

Le Tigre se sent obligé de commencer par celui-ci. Dès qu’on parle d’uchronie, c’est un peu le seul bouquin qui vient à l’esprit du lecteur dit « moyen ». Car c’est un classique que j’ai trouvé assez âpre malgré un univers correctement immersif. Les pays de l’Axe ont remporté la seconde guerre mondiale et les EUA sont partagés entre le Reich et le Japon (qui occupe l’Ouest, théâtre du roman). Le fameux maître du château est un individu qui aurait écrit un roman correspondant à l’Histoire telle qu’elle existe réellement. Du K. Dick en somme.

2/ Robert Harris – Fatherland

Toujours l’Allemagne nazie triomphante qui est sur le point de conclure un traité de paix avec les États-Unis. Nous somme dans les années 60 et de mystérieux meurtres d’anciens dignitaires nazis ont lieu. Le héros (un flic) va mener l’enquête et tâcher de comprendre ce qui relie ces individus assassinés. Bon roman, sans gros suspense néanmoins, où la description de la capitale du Reich millénaire (Germania) est formidable.

3/ Hugo Bellagamba – Tancrède : Une uchronie

C’est français monsieur ! Et ce n’est pas si mal. On suivra le sieur Tancrède en pleine croisade. Hugo B. fait dans le subtil dans la mesure où le point de divergence n’est pas immédiat. Le lecteur peut même se demander à quel instant l’écrivain sort des clous historiques. Le style est un peu gavant mais l’aventure devient progressivement passionnante.

4/ Éric-Emmanuel Schmitt – La Part de l’autre

Roman français par un auteur assez « populaire », la part de l’autre est celle d’Hitler s’il avait pu entrer à l’académie des beaux-arts. Pas de seconde guerre mondiale (juste quelques crises dans les Sudètes, etc.), un artiste médiocre sur les bords, ça se lit bien mais l’auteur n’a vraiment pas pris de risque sur le traitement de l’uchronie.

5/ Greg Keyes – Les démons du Roi-Soleil

Le premier tome du la saga « L’âge de la déraison » n’a pas donné envie au Tigre de poursuivre. Newton et d’autres scientifiques de l’époque ont fait de fabuleuses (dans le sens « fantastiques ») découvertes. Aussi la guerre qui fait rage entre la France (Louis XIV, rajeuni, est toujours aux manettes au 18ème) et l’Angleterre ressemble à un Star-Wars de troisième zone, et ça part dans tous les sens. Pas mon genre du tout.

6/ Norman Spinrad – Rêve de fer

Un de mes préférés eu égard l’originalité de l’idée principale : le père Hitler (encore lui), écoeuré par sa non admission à l’académie, se fait la malle outre atlantique et publie un roman de fantasy à succès. Après une fausse préface le « roman » est livré au lecteur, et on sent la douce folie du personnage poindre : un héros surpuissant un peu gay sur les bords qui sauve son pays des vilains vampires psychiques (les juifs) avant de s’attaquer à tous les pays orientaux.

7/ Poul Anderson – La patrouille du temps

La fameuse patrouille est une institution atemporelle qui s’assure que des vilains ne s’amusent pas à changer le cours de l’histoire. Et il y en a régulièrement. Poul a publié pas mal de nouvelles (dont une fondatrice avec la présentation du héros) où l’Américain Everard sauve régulièrement le monde. C’est assez crédible (apprentissage sous hypnose de la langue, description des époques visitées) pour des titres sortis dans les sixties.

8/ Brugeas & Toulhoat – Block 109

Un peu de bande dessinée dans ce DodécaTora ! Ces deux auteurs français ont imaginé l’assassinat d’Hitler par une clique de fous furieux (l’Ordre teutonique). La bombe A est inventée avant les Alliés qui se font naturellement atomiser. Seule l’URSS continue le combat, et les armes utilisées dépassent l’imagination. A noter que d’autres BDs se déroulant pendant l’histoire de Block 109 ont été publiées ensuite.

9/ Christopher Priest – La séparation

Priest aime bien l’alambiqué, et avec cette histoire le mélange entre « ce qui aurait pu arriver » (l’uchronie) et la réalité est confondant mais passionnant. Deux jumeaux qui, chacun de leur côté (un traducteur diplomate et un militaire), vont contribuer à « racourcir » le conflit entre l’Allemagne nazie et les Anglais. Le lecteur sera au cœur du point de divergence.

10/ Neal Stephenson – Cryptonomicon

Je n’ai pas su terminer ce roman qui s’avérait trop « onirique » et complexe au fil des chapitres. Il faut retenir que la guerre du Pacifique, par les talents de cryptologue d’un des héros, diffère légèrement. Et les conséquences dans l’avenir (autre partie du roman) sont subtiless mais déterminantes. Notamment la géopolitique et certaines technologies qui ne sont plus les mêmes.

11/ Alastair Reynolds – Century Rain

La hard SF sait faire péter quelques textes émouvants. La Terre est condamnée, l’Humanité divisée en deux camps…et là un mystérieux trou de ver amène vers une nouvelle planète, plus précisément au cœur d’un Paris uchronique de la fin des années 50. Mélange de science fiction et de roman noir, c’est autant déroutant que satisfaisant.

12/ Christophe Lambert – La brèche

La petite rigolade pour la fin. La plaisanterie littéraire d’un auteur qui, sur la fin, imagine que les Nazis (idée éculée non ?) ont brièvement accès à la machine à remonter dans le temps utilisée par des journalistes qui font un docu sur le débarquement allié. Sauf qu’il n’y a rien dans ce roman, c’est écrit par un publicitaire qui se concentre donc sur les dérives de la « télé-réalité historique ». Cri-cri, retourne s’il te plaît à tes pdf.

…mais aussi :

– J’ai d’autres titres en tête, et hésite à en virer quelques uns dans ce DodecaTora. Le Temps du Twist, de Houssin, profite d’une machine à remonter dans le temps pour revisiter un Londres des années 70 bien différent de ce qu’on connaît. Cinacitta, de Tommaso Pincio, s’occupe de la prise de Rome par les Chinois (hum…). Roma Æterna, de Silverberg (l’empire romain perdure plus de 1.000 ans). Chroniques des années noires, de Kim Robinson (il ne reste quasiment plus d’Européens après la peste du milieu du 14ème siècle). Pavane de Keith Roberts (point divergent au 16ème siècle). Le roman graphique Watchmen, grâce aux bons soins du Dr. Manhattan, part en uchronie assez rapidement (la Guerre froide est à jamais modifiée, les USA ayant remporté la guerre du Viet-Nam).

Parlons un peu cinéma. Mais pas trop. Sur les uchronies, au débotté je pense à :

– La saga des Retour vers le futur, bien évidemment. Ou Inglorious Bastard (Tarantino), avec la mort des dignitaires nazis et une paix prématurée avec les EUA.

Iron Sky, pour la déconne. Une partie des Nazis est parvenue à créer une base sur la lune, et lorsqu’un Américain (noir de surcroît) y débarque c’est un peu le bordel.

Leandro Ávalos Blacha - Côté courVO : Medianera. Encore une bonne surprise de l’éditeur Asphalte, avec une œuvre mystérieuse et sombre où règnent la violence et le fantastique. Une poignée de textes qui peuvent se lire indépendamment, voici l’inquiétant avenir vu par quelques habitants, côté cour. On n’ose imaginer ce qu’il peut se tramer plus loin.

Il était une fois…

Dans un futur pas si lointain, dans un pays d’Amérique latine, une entreprise toute puissante tient sous sa coupe l’intégralité des habitants de plusieurs quartiers. Et il s’en passe de belles dans ce voisinage déjanté. Combats clandestins, histoire d’amour entre prisonnier et geôlière, transformations oniriques qui se produisent près d’une antenne relais, maladies inquiétantes, bref cinq histoires illustrant ce que peut être une cour des miracles.

Critique de Côté cour

Publié en 2011 en Argentine, intelligemment récupéré par les éditions Asphalte, Le Tigre n’a pas vu arriver cet auteur qui m’attendait en embuscade avec un tel titre. Car à part la palette rouge/jaunâtre, la couverture (une sympathique maquette de maisons à l’américaine) et le dos du bouquin ne rendent que peu compte de la violence de Coté cour.

Cinq chapitres d’une petite trentaine de pages chacun, cinq nouvelles qui forment un tout cohérent et terriblement dérangeant. Car l’écrivain sud-américain a produit quelques chose qui est délicat à classer : il y a indubitablement de l’anticipation sociale, avec des péripéties (et un tableau général) qui sont autant de saynètes satiriques. Du fantastique aussi, car les lois de la physique sont maltraitées crescendo par Leandro, ce qui permet de créer d’installer les protagonistes dans des situations qui les dépassent. Et qui dépasse parfois Le Tigre qui n’a rien bité au dernier texte (à part que la fin est belle mais terrible).

Le style est précis, l’écrivain ne s’embarrasse ni de termes ni de tournures de phrases compliquées Ajoutez une traduction d’une qualité indéniable depuis l’espagnol (par Hélène Serrano), pour obtenir deux à trois heures de bonne littérature. Pour ma part, j’ai une solide préférence pour les deuxième partie qui offre un dénouement des plus réjouissant. Hélas le premier chapitre m’a semblé long au démarrage, et le dernier n’a pas la clarté ni la sobriété (beaucoup de personnages que j’ai confondus) attendue.

Fin du fin, encore une fois dans la collection de cet éditeur, le dernier rabat offre la playlist spécialement concoctée par l’auteur. Un répertoire éclectique (rock, folk, new wave) auquel Le Tigre y aurait volontiers rajouté quelques morceaux de Roberto y Gabriela : un groupe américain (Mexique) qui produisait du métal et s’est tourné vers des mélodies envoutantes, et ce seulement avec deux guitares. Écoutez juste Diablo Rojo à l’occasion.

Pour conclure, Le Tigre le recommande chaudement, sur cinq textes au moins deux devraient avoir les faveurs de tout lecteur. Une œuvre profondément pessimiste qui s’attache à montrer, en exagérant bien sûr, le monde contemporain malade de sa modernité.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le capitalisme sauvage. Blacha a créé un contexte à la limite du concentrationnaire où l’État n’est plus. Car l’entreprise Phonemark paraît concentrer tous les pouvoirs régaliens : monopole économique extensif, quand Magda régularise son affaire (qui prend auprès de l’entreprise notamment ; ou monopole de la violence, puisque insinuer qu’on va balancer quelqu’un auprès de la firme calme tout de suite la personne visée. Toutefois le plus beau reste le « Plan », qui autorise les habitants à héberger un prisonnier pour mettre du beurre dans les épinards (on en sait plus dans le dernier texte).

Résultat ou énième conséquence, la maladie est omniprésente. Corruption des esprits d’abord lorsque Elmer et sa femme organisent, sans vergogne, des combats inhumains. Ou Lidia qui vend des places (quitte à déranger ses jeunes enfants) chez elle afin d’admirer les incontrôlables transformations d’essence presque divines. Alors que dire du protagoniste de la dernière histoire, qui n’a plus le droit de se voir dans un miroir ? Beaucoup de questions, des réponses qu’on ne souhaiterais pas connaître.

Putréfaction des corps enfin, ça m’a fait plus d’une fois penser à 1984 d’Orwell. Et là l’auteur distille quelques éléments inquiétants : les femmes qui cachent leurs calvities sous des foulards, la couleur verdâtre de leurs peaux, etc. Et puis il sort l’artillerie, avec le docteur Braille et ses expériences « humanistes » avec une Clara qui n’est pas sans ressembler à un vampire. Les gens, souvent maladifs, semblent l’être à cause des émissions de l’antenne relais. La boucle est bouclée.

…à rapprocher de :

Berazachussetts est à éviter. Point barre.

– Chez le même éditeur, Le Tigre a adoré Block Party, de Richard Milward. De la vraie anticipation sociale comme j’aime en lire.

– Toujours dans le noble genre de l’anticipation sociale, Chuck Palahniuk avec Peste a fait plus long (et meilleur au passage) : une maladie terrible, un monde coupé en deux, une aventure passionnante.

– La putréfaction des corps, c’est aussi Sales Bêtes !, des Artistes fous.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.