VO :Song Masters. Dans un empire futuriste où la paix semble encore fragile, une vénérable institution forme des Chanteurs, personnes dont la voix parvient à reproduire tout le spectre des sentiments humains. Décalé, original, mais presque universel grâce à l’intemporalité de la narration Scott Cardienne. En un mot, beau.
Il était une fois…
Les Maîtres Chanteurs est l’histoire d’Ansset, de sa tendre jeunesse jusqu’à sa sereine disparition. Le héros a un don particulier pour le chant, ainsi il sera intégré dans la prestigieuse Manécanterie, une école de chants sur une planète esseulée. Ses talents feront que très jeune il sera envoyé en tant qu’Oiseau Chanteur à Mikal, empereur qui à force de conquêtes est parvenu à placer l’Humanité sous son égide. Parallèlement, nous aborderons l’existence d’Esste, qui a formé Ansset, ainsi que Kya-Kya, jeune Sourde (entendez, sans don suffisant pour le chant) qui découvrira l’amour dans de très singulières conditions.
Critique des Maîtres Chanteurs
Encore un somptueux roman de la part d’un auteur qui sait faire une histoire complète autour d’un unique personnage et quelques uns de ses proches. Ici, point vraiment de SF : certes on se trouve dans un futur très éloigné (plus de 20 siècles, si j’ai bien saisi), mais cela passe inaperçu. Point de fantasy (ou fantastique) non plus, car les aptitudes des protagonistes sont crédibles et les implications de leurs talents logiques.
Cette aptitude occupe une place prépondérante dans le monde décrit. En effet, être capable de retourner les cœurs (ou l’esprit) de quiconque en poussant la chansonnette (jusqu’à des heures durant) est une belle idée de part d’Orson S.C., et ce dernier maîtrise le vocabulaire adéquat. L’empereur Mikal attendra des décennies avant de « recevoir » Ansset, une pépite sonore qui bouleverse son entourage. La formation du jeune homme, ses années avec l’empereur (puis son successeur), son retour à la Manécanterie, c’est exhaustif et souvent triste. Notamment les drogues qu’on fait prendre aux Chanteurs (retarder la puberté et les rendre stérile) qui transforment un orgasme en une terrible torture.
En outre, nous suivrons les pérégrinations de Kya et son petit ami Josil, ces deux personnages tirant rapidement leur épingle du jeu alors qu’on les a placés dans un « placard » sur Terre. Quant au style, ces presque 500 pages sont un enchantement, bien que Tigre soit plus porté sur la « pure » SF. Des passages pas joyeux du tout, beaucoup d’introspections des héros, peu de dialogues (souvent chantés), et quelques références à l’amour homosexuel ou « à la grecque » entre un puissant et un enfant, sans que cela ne verse dans la pédophilie la plus infâme.
Si Tigre ne donne pas la meilleure note, c’est que l’odyssée m’a paru un peu longue par rapport au condensé de génie du premier roman d’Ender et de ceux avec Bean. L’écrivain a réussi à créer un monde puissant et poétique, et en laissant tout l’aspect SF de côté (les technologies ne sont quasiment pas abordées).
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La jeunesse du héros, mais surtout son arrivée auprès du terrible Mikal est l’occasion d’avoir un antagonisme prononcé entre la magnificence des chants et ce que ceux-ci provoquent (amour, gloire et beauté) et la part sombre de l’humain (les meurtres, la jalousie). Rien n’est noir ou blanc, car par le chant Ansset bascule aussi dans la cruauté, tandis que Mikal (ou Riktors, son successeur) doivent se montrer impitoyable afin de préserver la paix dans les systèmes (après des millénaires de guerres). Face à cela, il y a le fameux Contrôle d’Ansset et ses pairs, permettant de garder raison et ne rien laisser transparaître. Mais lorsque ce dernier lâche…
Comme souvent chez Scott Card, nous avons donc affaire à un jeune homme qui rapidement se retrouvera au centre de l’attention humaine. L’auteur montre que, pour en arriver là, la route est douloureuse et le résultat peut s’apparenter à une malédiction. Un roman d’apprentissage dur puisque le héros est, à certains côtés, monstrueux. Si Ender (cf. infra pour le bouquin) est un être supra intelligent à la froide stratégie, Ansset est vu comme un monstre dénué de sentiments et dont le talent réside à faire entendre aux autres leurs propres histoires, espérances ou craintes. Ansset est presque inhumain, ne possédant pas « son » chant propre, du moins jusqu’à sa fin où le but de la vie lui apparaît.
…à rapprocher de :
– De cet auteur, la saga Ender m’a laissé sur le cul (surtout le premier et Ender : Préludes qui est loin d’être inutile). Parallèlement, la saga de l’ombre (avec Bean) est excellente : La Stratégie de L’ombre puis les suites.
– En revanche, évitez Robota, roman graphique incompréhensible.
– Sinon, sur le parcours initiatique de jeunes enfants dans un monde qui évolue bien trop vite pour eux, j’ai souvent pensé à Spin, de Robert Charles Wilson. Un délice.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman de SF en ligne ici.