Sous-titre : Voyages à la recherche d’un samouraï de légende. VO : Mishima’s Sword: Travels In Search Of A Samurai Legend. [traduction FR incorrecte alors ?] Biographie, autobiographie, essai philosophique ou voyage quasiment initiatique, le père Ross a posé plusieurs casquettes pour livrer un essai intéressant et multimodal. Un petit plaisir – hors de prix hélas eu égard le nombre de pages.
De quoi parle Mishima : Voyages à la recherche d’un samouraï de légende, et comment ?
Christopher Ross est un essayiste assez particulier. Incollable sur le Japon (il y a passé quelques années) et spécialiste d’arts martiaux, il a décidé de mélanger, dans cet ouvrage, deux niveaux de narration : sa quête dans l’Empire du Soleil Levant d’une part ; le déroulement du suicide, à 45 berges, d’un des plus grands écrivain japonais du XXème siècle. Car Mishima a longuement planifié ce départ en fanfare, et faut dire que prendre en otage le chef des forces d’autodéfense japonaises, prononcer un discours foiré et se faire seppuku devant la galerie mérite qu’on s’attarde sur son cas de l’écrivain japonais.
L’approche de Christopher Ross est plutôt originale, du moins intéressante : partant du suicide d’un auteur qui a vu le Nobel lui passer sous le nez, Ross s’est mis en tête de rester au Japon le temps qu’il faudra pour savoir ce qu’est devenu le sabre dont s’est servi l’aide de camp de Mishima – pour le décapiter après que l’écrivain de renom ait libéré une soixantaine de centimètres d’intestins.
Cette quête s’articule autour de deux parties, la seconde étant particulièrement édifiante sur la civilisation japonaise. La première partie, intitulée « Les mots », traitera de la biographie de l’auteur. La seconde partie, « Le sabre », est sur l’objet du désastre. L’écriture et l’arme, deux mains qui applaudissent la vie, et la mort, d’un Mishima intransigeant et encore subversif en Asie – même si ces plus grosses ventes sont des textes à destination de journaux dits « féminins ».
L’auteur alterne donc entre sa quête du sabre (souvent tarabiscotée et faite de rencontres trop heureuses à mon goût) et de descriptions de tel ou tel aspect de la civilisation nippone, avec le regard d’un Occidental alerte qui va au fond des choses. L’essai prend souvent la forme d’une ballade, et il faut avouer que la lecture est d’une fluidité assez bienvenue – rien à voir avec un discours de la méthode sur la littérature extrême-orientale voire extrême-droitiste d’après-guerre.
En guise de conclusion, voici un ouvrage à double tranchant – désolé du jeu de mots. Soit vous êtes réceptif et vous avez de quoi apprendre pas mal de choses ; soit Mishima et/ou le Japon ne vous parlent guère, et c’est sur le terrain de l’aventure personnelle que vous pourriez apprécier cet essai – en zappant quelques passages, par exemple les dix pages de résumé du roman Confession d’un masque.
Ce que Le Tigre a retenu :
Vous l’aurez deviné, le seppuku est à l’honneur. Le Tigre ne parle pas de la manière dont sont faits les katanas ou les descriptions (certes sanglantes) du geste, mais de la façon dont est pensé ce geste qui revêt plusieurs significations – à l’image des différents suicides de Durkheim. Ross entretient souvent le lecteur de considérations linguistiques, et l’explication des subtilités d’utiliser tel ou tel terme mérite de s’y attarder : si « seppuku » est destiné pour l’écrit, « hara-kiri » (qui semble plus barbare) s’utilise dans le cadre de l’oral et peut être traduit par « faire preuve de sincérité ».
Et oui, en s’ouvrant le ventre, le suicidé montre qu’il va au bout de ses idées. Soit il (entre autres) 1/ accompagne le décès de son supérieur 2/ reconnaît un échec 3/ proteste contre la politique du pays ou 4/ recherche sa beauté intérieure. Un peu de tout pour Mishima, subtilement surnommé le « kamikaze de la beauté ». A ceux qui souligneraient que ce genre d’acte est complètement barré, il faut savoir que l’auteur, baigné dans un univers chevaleresque (par la littérature seulement, n’ayant pas œuvré pendant la guerre) et à l’esprit contradictoire (la problématique de son homosexualité et du cloisonnement de ses relations notamment), est resté fidèle à ce qu’exigeait son monde.
Hélas, sans doute Mishima s’est trompé de monde. Affolé par l’emprise néfaste de la culture occidentale, il a versé dans un radicalisme dont la façade pouvait prêter à sourire. Le principal reproche est que seul le « versant féminin » du Japon a été maintenu après 1945 (arrangement floral, courtoisie, théâtre nô, etc.), et le pays a été privé de son Yin, à savoir l’art de la guerre et une discipline qui ont fait de l’archipel un État fort centré autour d’un Empereur et d’une armée non amputée – contrairement à ce que décrit la constitution du pays.
Plus généralement, j’ai beaucoup appris sur les samouraïs et leur code (le fameux Bushido) dont se réclame parfois Yukio Mishima. Sans donner de cours d’histoire (on n’est pas là pour ça merde), j’ai cru comprendre que dès la période Tokugawa, quand ce clan a pris le contrôle du pays, la nature des samouraïs a été grandement modifiée : le Bushido a plus ou moins été mis en place pour justifier de la condition du samurai (la plupart pointant au chomdu) qui ne combat plus et s’attache à de nouvelles missions. De serviteur d’un Daimyo à Ronin, le porteur d’un sabre a été grandement malmené au cours de l’Histoire, et son image est plus complexe que je ne l’imaginais.
Histoire, culture, littérature, politique, voyage dans un Japon onirique et réaliste, Ross a tapé sur tous les tableaux.
…à rapprocher de :
Puisqu’on parle de Mishima, voici ce que Le Tigre peut vous conseiller en connaissance de cause : l’essai Le Japon moderne et l’éthique samouraï (fort conservateur il est vrai) ; Le soleil et l’acier (où Mishi’ explique les raisons du seppuku à venir) ; Confession d’un masque (le premier, et sûrement meilleur de l’auteur), etc.
– Ensuite, les tribulations de Ross (notamment avec les gangsters qui lui posent, certes courtoisement, quelques questions) me rappellent vraiment celles du héros de La tétralogie de la Crucifixion en jaune , de Romain Slocombe. Pas mal du tout.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet essai en ligne ici. Ou via le site de l’éditeur.