Sous-titre : 18 textes échappés de l’asile. Encore une fois, Le Tigre s’est fait plaisir à lire un recueil sur un sujet mille fois abordé. Beaucoup de textes très courts, des nouveaux auteurs prometteurs, d’autres que j’ai retrouvés non sans plaisir, il faut convenir que la folie sied bien à cette maison d’édition indépendante dont certains artistes mériteraient une existence d’hospitalisations sans consentement.
Il était une fois
Dans cette puissante anthologie, il y a presque une vingtaine de textes par autant de différents auteurs. Si c’était une compilation de nouvelles d’un même écrivain, j’aurais pu les traiter globalement. Mais là, les histoires et les styles sont tellement différents (sans que cela nuise à la cohérence du bouquin) que Le Tigre se sent obligé de les commenter une par une – surtout que je suis crédité à la fin de l’ouvrage. Attention, ceci n’est ni une cérémonie de remise de prix à certains, ni une distribution de coups de pied dans les derrière à l’encontre des autres. Et venez pas chialer dans ma tanière, parce qu’exceptionnellement je fais péter pour vous ma féline limite – qui est de 1.000 mots par billet.
Critique de Folie(s)
Nuit Blanche (Sylvie Chaussée, illustré par Cham)
J’avoue au début avoir peur face à de longues descriptions un poil maladroites à mon sens, cependant cela permet de renforcer le suspense relatif à une tempête qui s’annonce alors qu’une femme poursuit son road trip. L’auteure aurait pu faire un texte plus touffu, mais la fin aurait été encore plus attendue.
La couleur de la folie (Éric Udéka Noël, illustré par cAmille)
Une idée originale teintée de mysticisme et de traumatismes en tout genre. Sinon, voici sûrement la plus séduisante hypothèse de l’affaire du pain maudit, mystérieux mal qui a frappé un village français dans les années 50.
Cauchemars (Maniak, illustré par Xavier Deiber)
Court et efficace, la glauquerie atteint des cimes notamment grâce à un final de pure beauté. Les descriptions des bêtes cauchemardesques provoquent un rejet épidermique, chapeau. Toutefois, je n’ai pas bien saisi où se nichait la folie dans tout ça. Mais comme c’est Maniak, je préfère fermer ma gueule.
Coccinelles (Émilie Querbalec, illustré par Merrion)
Un dérangeant baby blues de quelques pages, le mal-être est organique et contamine facilement le lecteur. Ce texte m’a laissé sur ma faim, j’aurais aimé en savoir plus sur ce qui peut ronger le protagoniste – sûrement un effet voulu. Joli dessin aussi.
Le même sang coule dans mes veines (NokomisM, illustré par Ana Minski)
Trop court et incomplet, la folie meurtrière mâtinée de malédiction familiale (d’où le protagoniste tente de s’extraire) m’a hélas laissé de marbre. Dommage.
Marie-Calice, Missionnaire de l’extrême (Nelly Chadour, illustré par ARZH)
Une sœur un poil exaltée se rend à un festival de métalleux en Vendée pour christianiser les festivaliers qui s’égarent du chemin biblique. La maîtrise du vocable religieux est parfaite, l’auteur se fait (et nous fait) plaisir dans les pérégrinations de Marie-Calice. Hélas, les dernières pages n’ont pas la puissance attendue et laisse un arrière-goût d’inachevé – malgré la surprenante dépêche journalistique finale.
La nuit où le sommeil s’en est allé (Cyril Amourette, illustré par NikoEko)
Une chouette idée, expliquer comment en une semaine l’Homme peut se déconstruire en l’absence de sommeil – responsable de notre équilibre en général. Le style est fluide et progressivement devient comme alangui et profondément poétique, même si j’ai eu l’impression que Cyril s’écoutait un peu trop écrire. Un peu comme moi en fait, c’est pour ça que je ne lui jette pas la pierre.
Entre-deux (Louise Revoyre, illustré par Maniak)
Quelque chose de terrible est arrivé à Charlotte, Estelle et un homme un peu bizarre. Misérabilisme bretonnant (avec un léger syndrome Peter Pan) auquel je n’ai pas bité grand chose, je suppute qu’il existe de nombreux niveaux de lecture. Vu la taille de la nouvelle, ça reste encore lisable.
La convenance de la bête (Leith, illustré par Corvis et FloatinG)
La bête, c’est une menace sourde qui fait écho à une catastrophe sur le point de survenir, seulement le danger ne vient pas forcément d’où on pense. Coincé dans les chiottes, un homme attend la fin du monde. Tout cela est un poil diffus, peu engageant et trop éclectique, ça aurait même pu figurer dans les autres recueils.
C15 (Herr Mad Doktor, illustré par Stabeor Basanescu, Cooke et Martin Lopez)
Le Crazy 15, c’est l’aboutissement de la liberté, un droit constitutionnel dans une Amérique d’un univers pas si parallèle. L’auteur a tenté de traiter tous les aspects de la quinzaine de minutes où tout est permis, et ça tient bien la route. Il y a peu à reprocher si ce n’est un tableau caricatural des États-Unis – malgré le narrateur, journaliste de son état.
Jour gras (Southeast Jones, illustré par StanleyGrieves et Kenzo Merabet)
Southeast a ressorti de ses placards une vieille nouvelle assez brève et dont la conclusion est attendue. Double narration entre des flics surpassés par d’inquiétants meurtres et une famille endeuillée qui pète définitivement une durite. Une mignonne sucrerie littéraire. Sans plus.
Le maître des bélougas (Julie Conseil, illustré par Sophie Clair)
Une femme internée fait la rencontre d’un nouveau pensionnaire, Niels. Celui-ci serait le suzerain d’un somptueux royaume qu’il a construit grâce à l’électricité – je ne parle pas de minecraft. Un texte enlevé, triste (mais avec le sourire) et intelligent où la couleur a son importance – le monde blanc et simple, en opposition avec l’extérieur, coloré et agressif.
La maman de Martin (Morgane Caussarieu, illustré par Venom et Nelly Chadour)
La relation mère-fils ici contée est éprouvante et renvoie à des peurs primaires, évidentes. Le lecteur sera tour à tour dans la tête du jeune garçon fort peu joli et sujet à de monumentaux maux de tête, et de la maman parfaite d’extérieur mais intérieurement rongée. A signaler, le dessin final, autant dérangeant que le reste.
Europe (Pénélope Labruyère, illustré par Deadstar)
Mêlant SF et horreur, l’auteure nous conte, à l’aide de comptes-rendus et journaux personnels, une expédition scientifique qui tourne à l’aigre. Dans l’espace infini, personne ne vous entend halluciner, et la claustrophobie des lieux avec quelques E.T. est bien rendue. Dommage que ça se termine si vite, le champ des possibles à l’issue de la nouvelle est hélas trop vaste. Ça se lit plus facilement que le film Europa Report, décevante bouse.
Sanguines (Adam Roy, illustré par Fred Wullsch)
Il y a un peu de Y, le dernier homme dans ce texte qui, à mon sens, aborde moins la folie que l’inexultable (ce terme existe ?) fin d’un monde. Un peu trop scolaire à mon goût.
Transfert (Julien Heylbroeck)
Dispensable discussion entre un patient d’un asile et un docteur. Ai pas vraiment compris l’intérêt de ce court texte dont j’attendais énormément question retournement final. Avec dix pages de plus ça aurait pu ressembler à du Nothomb – ce qui n’est pas une insulte chez Le Tigre.
Les soupirs du voyeur (Corvis, illustré par Margaux Coste et Corvis)
Excellent texte rondement mené de bout en bout (sic) – sauf la fin, un tantinet abrupte. Chaque nuit, un homme impuissant vit l’existence sexuellement débridée d’un chaud lapin, du genre Being John Malcovich Meets. Marc Dorcel. Si ça prend aux tripes et le vocabulaire est riche, c’est sans doute trop froid et halluciné pour avoir un début de trique, tout comme le pauvre protagoniste d’ailleurs.
Le décalage (Ludovic Klein, illustré par Kinglizard)
Après 3 années en HP, un homme se frotte à nouveau à la vie « normale » et son premier test grandeur nature est un dîner d’anciens étudiants. A croire que Ludovic Klein sait de quoi il parle (notamment le déracinement de soi), c’en est inquiétant tellement les mots sont justes. Parfait pour terminer l’anthologie – mention spéciale à la touchante visite d’un zoo dans les dernières pages.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le Tigre ne va pas s’emmerder à redire ce que la préface annonce, en effet la folie est presque une condition sine qua non de l’artiste, et celle-ci revêt de multiples aspects – c’est là toute sa beauté.
A la place, je préfère vous signaler l’autre effet bénéfique de ce recueil : lorsque je me pointe dans le métro parisien bondé, à peine si les effluves de mon corps gênent les passagers – après le foot je ne me lave pas dans les douches communes, parce que je bande et ça met mal à l’aise mes coéquipiers. En revanche, dès que je sors le bouquin avec cette terrifiante couverture, et bah les usagers changent de wagon. Je les effraie plus qu’un clochard édenté vomissant ses tripes sur les sièges. Merci à Cham (l’illustrateur), qui est parvenu à faire croire à mes contemporains que la folie est contagieuse.
…à rapprocher de :
– De cet éditeur doux-dingue, les hostilités ont été ouvertes avec Fin(s) du monde. La suite intitulée Sales Bêtes ! est d’une rare qualité, et les Contes marron (premier volume), sont un réjouissant appetizer (tout comme le premier opus des Contes Rouges). Quant aux Contes roses, petite déception hélas. Même topo avec L’Homme de demain, mitigé.
– Un autre beau cas dans Nous sommes tous innocents, de Cathy Jurado-Lecina. Un roman que le félin conseille vivement.
– En parcourant les pages, Le Tigre a constamment eu en tête l’essai de Manfred Lütz intitulé Les plus fous ne sont pas ceux qu’on croit, ouvrage salvateur et édifiant.
Enfin, si vous souhaitez juger de la chose par vous-même, c’est disponible en téléchargement (gratos bien évidemment) sur le site de l’asso (en lien).