Bilal & Christin - Les Phalanges de l'Ordre noirUne lutte à mort entre deux groupes que tout oppose, un combat hors du temps entre vieux grabataires désabusés, Pierre Christin maîtrise son sujet. Et les illustrations d’Enki Bilal renforcent l’aspect croulant de l’univers abordé. Comme le dit Goya, rappelé en exergue avant la première page de cette excellente BD : « le sommeil de la raison engendre des monstres ».

Il était une fois…

Au beau milieu des années 70, un carnage a lieu dans un petit village en Espagne. L’endroit est cramé et ses habitants sont consciencieusement exécutés. Cet acte immonde, en pleine période de paix, est revendiqué par les Phalanges de l’Ordre noir, groupuscule issu de la Guerre d’Espagne (celle avant la secondes guerre mondiale). Ses membres sont composés et Jefferson B. Pritchard, journaliste en Angleterre, reconnaît chacun des participants. Ancien des Brigades internationales, il va faire appel à tous ses anciens camarades d’armes pour en finir une bonne fois pour toute.

Critique des Phalanges de l’Ordre noir

Encore une BD par hasard trouvée dans le grenier tigresque et, malgré un sujet qui ne me parle guère, tout ceci a eu l’heur de me plaire. Lorsque la sanglante lutte entre Nationalistes et Républicains s’invite, des décennies plus tard, en Europe, les autorités ont de quoi être dépassées. Et le lecteur aura l’occasion de pas mal voyager.

Des destinations, il y en aura pas mal en effet. Tout d’abord, le journaliste (Pritchard) rameute une dizaine de vieux potes dont je ne vais pas vous faire l’offense d’égrainer la liste. Ensuite, la recherche active des Phalanges, depuis Sud de la France, en passant par Barcelone, l’Italie, la Suisse, l’Allemagne, les Pays-Bas. Enfin, l’affrontement final au beau milieu de la France pour clore le chapitre. Les méchants, animés par un esprit nihiliste, commettront attentats sur attentats, et seule la Brigade reconstituée les connaît intimement.

Concernant les illustrations, Enki Bilal a encore fait montre de son immense talent. Le lecteur habitué reconnaîtra au premier coup d’œil la « gueule » de ses héros (ils accusent le même faciès, pourrait-on rajouter), et les lieux visités sont plus vrais que nature. Les couleurs, ternes, assurent une atmosphère lugubre, une sorte de fin de monde à l’échelle de nos héros.

Le duo Bilal/Christin fonctionne du feu de dieu, il y a de quoi être pleinement satisfait. Pleinement ? Quitte à leurs chercher des poux, on pourrait regretter un rythme parfois lent et l’impression que la poursuite n’en finit pas, comme si l’âge honorable des protagonistes contaminait le scénario. Une chouette bande dessinée qui aurait presque mérité un format plus « roman graphique ».

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La décrépitude m’a particulièrement frappée dans ce titre, et il faut dire que Christin comme Bilal y sont allés fort. Décrépitude des corps d’une part, avec la présentation d’une bande de bras cassés à qui il ne reste plus beaucoup de temps à vivre. La poursuite des phalangistes est éprouvante, chacun y va de ses petits problèmes de santé (rhumatisme, pneumonie), jusqu’à la crise cardiaque en plein effort pour certains. Décrépitude des esprits, d’autre part : nos héros sont intellectuellement fatigués et ne se font guère d’illusion sur le devenir de leurs combats. Les Soviétiques qui envahissent leurs pays « amis », les menus arrangements avec la morale, c’est triste à voir.

A ce sujet, la question de l’usage de la violence revient souvent. Certes nos socialistes camarades ne font que réagir face aux odieuses provocations des fascistes (anciens nazis, collabos, rexistes, mussoliniens, etc.), mais ils font également usage d’une violence facilement qualifiable d’aveugle – ce que quelques uns de la bande n’apprécient que peu, par exemple occire dans la foulée de malheureux marins. Le monde dans lequel ils évoluent n’est ni complètement noir, et surtout pas blanc. La scène finale, qui laisse que peu de survivants, répond de façon tragique (et cynique) à toutes ces interrogations.

…à rapprocher de :

– Il faut savoir qu’Enki Bilal et Pierre Christin n’en sont pas à leur première collaboration. Avant Les Phalanges de l’Ordre noir, il y a eu La Croisière des oubliés (1975), Le Vaisseau de pierre (1976) et La Ville qui n’existait pas (1977)

– De Bilal, Le Tigre ne saurait trop vous conseiller la trilogie Nikopol (dont le film est pas mal) ou la tétralogie Monstres.

– C’est marrant, mais le dessin et les barbouzeries me rappellent Rhapsodie hongroise, de Giardino. En moins bien évidemment.

Chat jeté dans l'eauAttention : ce billet n’est pas une proposition et/ou sollicitation de l’auteur du blog à échanger des liens. Ce n’est pas le genre de la maison. Mais comme ce site commence à être énormément (sic) connu, il m’arrive de recevoir d’étonnantes propositions. Voici les cinq premiers (et instructifs) échanges de cet acabit, accrochez-vous.

Une proposition d’échange fort alléchante

Parfois, le train souterrain que je prends quotidiennement a de sérieux ratés. Je ne parle pas de grèves, mais des loupiotes qui s’éteignent sans prévenir. Je me retrouve alors comme un con, un bouquin papier qui ne sert à rien entre les mains. C’est dans ce genre de moments que je sors mon téléphone pour regarder, rapidement, si un mail d’importance ne serait pas tombé dans la catégorie des spams.

Bingo. Mon anti-virus s’égare autant que la régie des transports de ma ville. Il a signalé comme spam un courriel dont les termes en objet ne peuvent que m’être profitables. Car il est question de :

  • proposition : donc rien qui ne m’engage (j’aime être libre)
  • échange : j’adoooore échanger, enfin surtout disperser mon savoir (cf. ce blog)
  • liens : on en manque tous, n’est-ce pas ?
  • gratuit : ça, c’est pour mon aspect kiasu (plus d’explications sur ce terme en lien)

Je ne pouvais laisser passer telle offre, ne pas répondre aurait été autant criminel que désastreux pour la réputation de QLTL. Pour des raisons de visibilité, j’ai mis en bleu foncé les mails et ai dégraissé la police de caractère qui me piquait les mirettes. Voici l’offre en question :

de:agnes.fortin@iseosem.com
à: Le Tigre
date: 20 juin 2014 11:28
objet: Proposition d’échange de liens gratuits

Bonjour,
J’aimerai me présenter. Mon nom est  Agnes Fortin ,

Étant donné que je dispose d’un nombre important de sites de jeux et de casino, j’aimerais vous proposer un échange gratuit de liens avec quandletigrelit.fr ou avec l’un des divers sites que vous possédez.

Vous serez sûrement heureux de savoir que j’ai beaucoup d’idées pour des échanges de liens, qui, j’en suis sûr, nous seront à la fois profitables et parfaitement appropriés pour notre classement dans Google.

Merci de me faire savoir si vous êtes intéressé par plus de détails ou si vous avez d’autres questions à ce sujet.

Dans cette attente je reste à votre entière disposition,

Agnes Fortin
http://www.iseosem.com/

Agnès, Agnès, c’est Virūḍhaka en personne qui vous envoie ! [saint patron de la croissance, celui qui agrandit, si vous vous demandez]. Je peux vous tutoyer pour les besoins du blog ? Une propal pour échanger des liens qui vont booster mon classement sur un célèbre moteur de recherche, franchement qui cracherait dessus ? Sûrement pas moi. C’est trop beau pour être vrai.

Par acquit de conscience, je suis allé vérifier qui est cette fameuse Agnès Fortin. Bon, je dois être une quiche en recherche sur le net, parce que je ne sais pas grand chose d’elle. A croire qu’elle a été très récemment accouchée – numériquement parlant, j’entends. En revanche, sur la « boîte » qu’elle représente, faut pas trop chercher sur le web parce que ce n’est pas joli joli. En allant sur le site (qui consiste en une page unique), j’ai cru être sur le résultat de ce qu’un parti politique et un DJ de banlieue pourraient faire ensemble. Une vraie saloperie – et je m’y connais, fréquentant mon blog tous les jours.

Il y a enfin un dernier léger (mais alors léger) bémol dans cette proposition. Mais le naturel avec lequel cet aspect a été abordé, rien qui serait de nature à m’inquiéter – hum. La présentation de Miss Fortin commence par la révélation suivante : elle possède nombre de sites de jeux et autres loteries communales en lignes. Je n’ai rien contre les casinos, à chaque fois que j’y vais je gagne à tous les coups les jeux de hasard – commander au pif un verre, très souvent je me retrouve avec un Irish coffee ou un cosmo entre les pognes.

Néanmoins, il me fallait dissiper ce qui pourrait constituer, à l’avenir, un malentendu. Voici donc ma réponse [pour mes mails, je dégage les indications heure/date/destinataires, sinon ça prend trop de place] :

Bonjour Madame Fortin,

Je vous remercie de votre proposition, néanmoins je ne comprends pas vraiment quel serait l’intérêt pour mon blog de procéder à un tel échange.

En effet, mes nombreux sites internet n’ont trait qu’à la littérature et ses accessoires, et pour l’instant je n’ai pas encore fait de chroniques sur des livres abordant les jeux ou les casinos.

Sans doute me trompé-je.

Félinement votre,

Le Tigre

Je tenais à lui montrer quand même que le félin est un peu sceptique, être tout de suite emballé aurait été louche non ? D’où la réponse relativement classique, courtoise et invitant ma nouvelle copine à me livrer le fond de sa pensée.

Sa pensée est comme un pinard acheté à bas pris dans la supérette en bas de chez vous, j’ai hélas eu la lie. Jugez plutôt :

De: agnes.fortin@iseosem.com
à: Le Tigre
Date: 26 juin 2014 13:28
Objet: Re: Proposition d’échange de liens gratuits

Bonjour,

J’ai sites liés à des livres et de l’éducation …
je peux vous assurer que les sites … et en retour, je vais avoir des liens de casino à partir de votre site ..
De cette façon, nous serions à la fois bénéficié … et toute la procédure est gratuite ..

Cordialement,
Agnes

Agnès, ma chérie, tu as oublié un mot sur deux il me semble. A moins que ce soit la manière dont tu t’exprimes, et je t’avoue que cela ne fait guère sérieux. Tu as l’air de particulièrement tenir à des liens vers des casinos, mais va falloir que tu m’en dises un peu plus là. Allez, je te laisse une semaine pour te rattraper. Aaaah, ça vient :

De: agnes.fortin@iseosem.com
à: Le Tigre
Date: 30 juin 2014 09:01
Objet: Re: Proposition d’échange de liens gratuits

Bonjour,

Comment allez-vous ? J’espère que vous allez bien.

Il n’y a pas si longtemps, je vous ai envoyé une proposition d’échange de liens entre nos sites, et j’aimerais savoir ce que vous en pensez.

J’apprécierais énormément d’avoir de vos nouvelles et savoir si nous allons ou non pouvoir collaborer.

Merci beaucoup,

Agnes Fortin

Hé hé, je savais que tu as Le Tigre dans la peau. Tu n’es pas la seule, rassure-toi. Hélas, mille fois hélas, Le félin n’a pas avancé d’un iota au sujet de l’objectif final de tout ça, et des modalités d’échanges de liens – le plus important. Je n’ai pas dit ne pas être intéressé, cependant j’aimerais avoir quelques exemples concrets sur la manière dont nos pageranks respectifs (un des indices du power d’un blog) vont salement crever le plafond. Comment dois-je m’y prendre ?

Pour être sûr de mon coup, j’ai toutefois demandé à une sommité en matière de « network street credibility » ce qu’il pense de tout ça. A savoir mon grand-père, béni soit-il. Et figurez vous que l’utilisation du terme « collaborer » lui rappelle de mauvais souvenirs, et il me conseille de me méfier. Les vieux sont tous pareils, ils ne laissent pas leurs chances aux entrepreneurs du web. Je ne suis heureusement pas de cette trempe :

Bonjour,

veuillez m’excuser de mon retard, j’ai beaucoup de travail ces temps-ci.

Comme je vous l’indiquais précédemment, je ne vois pas comment mon site (qui ne parle que de livres) pourrait valablement faire des liens vers des sites de casinos. Ces liens arriveraient comme autant de cheveux dans la soupe littéraire.

Sinon, je ne suis pas sûr de votre phrase « je peux vous assurer que les sites … ».

Bien à vous

J’ai profité de ce mail pour tout reposer à plat. Me suis même permis d’être un peu plus insistant, voire plaisantin (mais je ne sais si elle appréciera l’expression), et ce afin qu’elle m’explique, une bonne fois pour toute, en quoi foutre des hypertextes vers des sites de jeux en ligne entrerait dans mon business-plan.

J’aimerais sincèrement repartir sur de bonnes bases avec ma frétillante Agnès afin que, ensemble, nous puissions jouir de nombreux liens menant vers nos sites respectifs. Mais pas n’importe lesquels.

Dans le billet en lien, la suite des opérations.

Post-scriptum : certaines personnes, fort gentiment, me contactent pour me dire qu’ils foutent ces mails directement à la poubelle, que c’est une arnaque, etc. Je vous remercie de votre aide. Vraiment. Toutefois, relisez ce billet. Tigre se doute que c’est du n’importe quoi, seul compte ici la littérature, à savoir raconter une histoire en alternant phrases à l’attention du spammeur et celles à l’attention du lecteur.

Iseosem, FREFERENCEMENT, même combat. Et si vous voulez bien m’aider à compléter la liste des noms empruntés :
– Agnès FORTIN
– Pierre FLORIN (que j’ai bien fait tourner en bourrique en lui demandant de me produire l’accréditation de l’ARJEL pour ses jeux de casinos en ligne)
– Lucille BOLDUC
– Céline FOURNIER

Robert Harris - FatherlandVO : idem. Classique du noble genre littéraire qu’est l’uchronie, encore une fois l’Allemagne nazie est sortie (quasiment) victorieuse du dernier conflit mondial. Le lecteur, en suivant les pas d’un policier tout ce qu’il y a de plus normal (problèmes familiaux compris), sera au cœur d’une terrible machination. Le Reich aurait commis des choses pas catholiques dans le passé – vraiment ?

Il était une fois…

Sauf erreur de ma part, les quatrièmes de couv’ des différentes éditions spoilent gravement – même si on se doute du fin mot de l’histoire. Voilà la version tigresque, naturellement expurgée :

Nous sommes au beau milieu des années 60, et le troisième Reich se porte plutôt bien. La capitale millénaire, Berlin, se prépare à fêter l’anniv’ de ce bon vieux Hitler (plus de 70 berges au compteur, avec les amphèt’ prises depuis les années 30 c’est peu crédible…), et le führer aimerait bien conclure un traité de paix significatif avec Kennedy (pas celui qu’on connaît). Les Juifs ont été dégagés vers l’Est, et la résistance soviétique ne consiste qu’en quelques actes de guérilla. A côté de ça, il y a le subalterne Xavier March, inspecteur de la police chargé d’enquêter sur les meurtres de deux grosses huiles SS de la période de la guerre. Xav’ sent qu’il met le doigt (puis le reste) dans un bourbier pas possible, mais il est loin d’être au bout de ses surprises…

Critique de Fatherland

Voici l’archétype parfait d’un roman uchronique teinté d’une correcte intrigue policière, tout ça dans un environnement suffisamment oppressif pour donner quelques sueurs froides. Tellement classique, d’ailleurs, que Le Tigre s’autorisera à survoler l’intrigue pour livrer une analyse plus personnelle – cf. partie suivante.

Le héros est tout ce qu’il y a de plus normal, jusqu’à ce qu’on lui confie une mission en apparence banale : savoir qui a occis deux officiers nazis ayant eu des postes à responsabilités pendant la seconde guerre mondiale. Sauf que ce vers quoi se dirige notre ami est en parfaite contradiction avec les visées géopolitiques du grand Reich dédiabolisé : Kennedy s’apprête à rendre visite à Hitler en vue de conclure une paix honorable, toutefois les actes que s’apprête à lever l’enquêteur sont de nature à horrifier le monde – si j’évoque de la conférence de Wannsee, vous voyez ce que je veux dire ?

Quoiqu’il en soit, Xavier March, malgré les diverses pressions qu’il subit, remonte tranquillement le fil d’une partie infâme de l’Histoire, jusqu’à partir du grand Berlin (reconstruit par les bons soins de Speer) pour visiter la Suisse (qui est restée neutre). La fin, prévisible et qui aurait mérité un traitement moins « happy ending », n’empêche pas de trouver ce roman globalement bien foutu – aidé par un chapitrage savamment dosé. Peu de risque à se le procurer donc.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

On sent que l’auteur britannique a suivi ses cours d’Histoire et est parvenu à bien cibler la culture nazie et ses nombreuses manifestations. Politique, culture, société, Harris a pensé à presque tout les aspects de ce que pourrait être un monde gouverné par une des pires (la pire, même) idéologies fascistes qui a, pour l’instant, jamais existé. Ce serait presque un livre d’histoire.

De manière plutôt intelligente (je m’en suis rendu compte après), l’auteur a laissé quelques zones d’ombres à l’attention du lecteur. Qu’est-il advenu de Staline ? Qu’en est-il avec l’Afrique ? Comment est gérée la résistance russe à l’Est du pays ? A quoi sert l’Amérique du Sud ? Ces questions en suspense, et bien d’autres, ont laissé au Tigre une marge d’imagination, ce qui a finalement constitué un léger plus – en outre, je me doute que ça a grandement arrangé l’auteur.

Le dernier thème concerne la crédibilité générale du présent titre. Deux remarques, notamment, sur ce qui peu faire une uchronie à laquelle il est difficile de croire. D’une part, comment l’Allemagne peut-elle réussi à cacher l’holocauste ? Je ne dis pas que c’est impossible, le négationnisme possède des ressources presque infinies. Mais de là à supprimer la rumeur de l’exécution en masse (pour la remplacer par une déportation), à peine vingt ans après les faits, Tigre n’y croit guère. Il ne suffit pas de décapiter les officiers généraux pour taire cela, cacher la shoah aurait (à mon sens) nécessité de tuer des milliers d’Allemands – et ça se serait remarqué.

D’autre part, il fut difficile au félin de saisir l’acharnement du héros à vouloir, coûte que coûte, trouver le fin mot de l’histoire. La SS, les politiques, tous lui font comprendre qu’il devrait rebrousser le chemin de son enquête. Que dalle, il continue à ses risques et périls (et ceux de sa famille). Sans vouloir passer pour un lâche, je ne peux m’empêcher de penser que March, s’il était sain d’esprit (il en a tout l’air pourtant), aurait dû gentiment  fermer sa gueule et chasser le criminel de droit commun plutôt que des assassins engagés par Hitler.

…à rapprocher de :

– Ze référence en la matière reste Le Maître du Haut Château, de Philip K. Dick. Point barre.

– L’Allemagne nazie en passe de gagner la guerre, et en BD, c’est Block 109 (de Brugeas & Toulhoat) et ses suites.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

William Lashner - Rage de dentsVO : Falls the Shadow. On prend le même héros, éternel avocat cynique défendant parfois la veuve et l’orphelin, une sombre histoire de meurtre en apparence résolue, quelques cas sociaux dans les mêmes, et on recommence le tout ! Toujours aussi bien construit, avec de nombreuses surprises qui émaillent la narration, ça se laisse lire.

Il était une fois…

Victor Carl, avocat un poil borderline à Philly, décide d’accepter un client déjà condamné à perpétuité. Le prisonnier, beau parleur qui plaît énormément à l’associée de Carl, veut faire réviser son procès alors qu’il ne semble n’y avoir aucun nouvel élément – sans compter que Victor C. ne pense pas une seconde à son innocence. L’enquête peut (re)commencer. [pour ceux qui se demandent ce qu’un mal de dentiche vient foutre dans le titre, c’est juste que Carl, atteint de ce côté-ci, va voir un dentiste qui aurait toute sa place dans la pire cour des miracles que la Terre ait connue.

Critique de Dette de sang

Lashner n’est pas loin de la valeur sûre, et cela en grande partie grâce à son héros, baveux à la répartie cinglante, autant cynique qu’ingénu dans la manière de gérer son business. Le genre de gars qui, souvent par culot, parvient à se sortir de situations bien merdiques.

Le scénario est plutôt original car prend « à l’envers » une enquête classique, ce qui est intéressant d’un point de vue dont la procédure américaine fonctionne concernant les révisions de procès. Et pas n’importe quel procès, puisque le condamné est François Dubré, célèbre cuisinier français (french bashing, here we go) dont l’épouse a été salement zigouillée. Cette histoire principale sollicitera les compétences (intelligence, ruse, curiosité) de notre héros dont l’appréciation des faits sera différente de Beth, son amie/associée.

Quant au style, c’est plutôt bon : la fluidité de lecture est aisée et les dialogues sont pleinement savoureux. Le Tigre a d’autant plus ressenti cette facilité qu’il semble que l’auteur américain s’est fait plaisir, à savoir que l’aspect purement thriller (mâtiné de noires considérations sociétales) est secondaire par rapport à l’omniprésence de l’humour et de situations souvent improbables. En revanche, le rythme est loin d’être optimal, quelques longueurs sont à déplorer. Il arrive même à Lashner de laisser en embuscade, à l’issue d’un paragraphe ennuyeux (et en apparence inutile), une scène d’action qui dépote.

Pour conclure, encore un énième polar  qui dépasse allègrement les 600 pages qui, parfois, se font un peu longues. Toutefois, Rage de dents, parce que basculant plus franchement dans la gaudriole, me paraît plus agréable que Dette de sang, son prédécesseur (en lien en dernière partie).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Dans cet ouvrage, il appert que lorsque Carl s’intéresse à une affaire, alors celle-ci empire gravement – il remue souvent la merde. Si la robe d’un avocat rappelle celle d’un prêtre, c’est que les deux sont les confidents nécessaires des justiciables. Certaines questions se posent alors (et Carl y répond non sans une certaine finesse) : jusqu’où puis-je aller pour défendre quelqu’un ?  Ai-je le droit de fouiller dans sa vie personnelle à la recherche de ce qu’il pourrait le sauver ? Où commence la blâmable ingérence ?

Et c’est notamment là que le personnage principal (dont la psychologie est bien plus travaillée que les autres protagonistes) devient réellement sympathique : Carl n’a, « déontologiquement » parlant, aucune obligation particulière de continuer ses investigations/actions. A plus forte raison s’il sait qu’il ne touchera aucun émolument. Pourtant, et pour des raisons tenant à la moralité, il se décarcassera pour son client.

C’est un peu le cas avec la seconde histoire. Le félin a failli oublier de vous en parler : Carl est également le conseil, à titre gratos (on dit pro bono dans ce milieu), d’un gosse dont on soupçonne qu’il fait l’objet de maltraitance de la part de ses vieux. Outre l’ingérence (ici nécessaire) au sein d’une famille, cette intrigue serait de nature à tirer quelques larmes aux lecteurs les plus émotifs. Cela tend à légèrement diminuer l’aspect grand comique du livre en général, ce truc de gamin qui est trop tôt mis en contact avec des problématiques d’adultes.

…à rapprocher de :

– De Lashner, Le Tigre a dévoré toute la petite famille. Ça démarre (du moins chez cet éditeur, sauf erreur de ma part) par Vice de forme, puis Dette de sang, le présent titre, L’homme marqué (un des plus mieux) ou encore Le baiser du tueur.

– En plus violent et moins « juridique » sur les bords, vous pourrez prendre un malin plaisir à lire les aventures de Joe Kurtz, par Dan Simmons.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Gillian Flynn - Les ApparencesVO : Gone Girl [autant pour la traduction]. Une femme disparaît subitement, son mari sur la sellette, des révélation en veux-tu en-voilà, et la surprise finale du chef assez décevante. Gillian Flynn a un certain talent, voui. Suspense relativement bien entretenu, un poil long sur les bords, ça aurait pu être pire.

Il était une fois…

Amy et Nick Dunne sont apparemment heureux ensemble, toutefois quelques craquelures se font entendre dans le couple. Disons que Madame n’est pas heureuse depuis qu’ils ont emménagé loin de New-York et que Nick a monté un business à l’aide des fonds de son épouse – un bar, chouette. Lors de leur cinquième anniversaire de mariage, Amy disparaît mystérieusement. Et Nick est le premier suspect…

Critique des Apparences

On m’a tellllllement parlé de ce thriller que je m’attendais à être sévèrement traumatisé, grelottant au fond de ma douche et jurant ne plus lire pareille littérature. Ce ne fut pas vraiment le cas. Le plus dur, à rédiger une telle critique, est de ne pas trop spoiler comme un salopiaud. Je ne sais pas si j’y parviendrais.

En effet, le roman accuse une structure narrative particulière qui aurait pu être séduisante si le premier tiers n’était pas aussi chiant. Le lecteur aura droit aux deux protagonistes livrant leurs états d’âmes : Nick y raconte sa quête pour retrouver sa poule disparue tandis qu’Amy, par le biais de son journal intime, explique à quel point elle est malheureuse. Passez cette partie un peu gnan-gnan, on attaque le gros œuvre grâce à une narration omnisciente qui remet les pendules à l’heure – je n’en dirai pas plus.

Les idées de la mère Flynn sont certes séduisantes, toutefois elle s’épanche trop longuement sur certains détails fort dispensables, plus d’une description a failli me noyer. Et je ne parle pas du dénouement, qui est aussi capillotracté qu’intellectuellement bancale – savant mélange de syndrome de Stockholm et d’infection sociopathique. Bref, un ouvrage à lire sur la plage, et à ne surtout pas offrir à sa tendre moitié.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Tout d’abord, il faut avouer que Gillian F. se joue facilement du lecteur en ayant recours aux faux indices et cachotteries des protagonistes. Celui qui boit les phrases de nos deux héros en sera pour ses frais, chacun ayant soit quelque chose à cacher, soit une histoire à construire ex nihilo. Il est question de machinations de toute part, et de violence sourde qui n’épargnera que peu de monde. Indices, contre-indices, faux-fuyants, illusions, ces éléments font qu’il faut mieux lire Les Apparences en moins de dix jours – au risque d’être indifférent sinon.

Ensuite (et enfin), même si Le Tigre déteste sortir ce genre de lieux-communs, ce bouquin est un bel exemple d’un puissant amour capable de défier la raison la plus élémentaire. [Attention SPOIL] Pour faire rapide, Nick cherche activement sa donzelle, sachant qu’elle fait exprès de jouer la fille de l’air pour le mettre en difficulté. Parallèlement, Amy tente tant bien que mal de se camoufler, mais sera prématurément rattrapée par son époux. Lequel, qui logiquement devrait lui faire sa fête, tombe encore plus amoureux d’elle (sachant qu’elle est enceinte, ce qui aide) [Fin SPOIL]. Love is blind, mais à ce point…

…à rapprocher de :

– Dans le style « couples-qui-en-prennent-plein-la-gueule », vous pourrez lire au choix Un sur deux, de Steve Mosby (les amoureux sont gentillets) ou Aide-moi, de Nicci French (ah, les femmes !).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Les Voyages du TigreComme expliqué dans un précédent billet, une vile quête planait lors du long séjour du Tigre en Asie. Provoquer un employé, afin que celui-ci soit contraint que de vous introduire auprès de son supérieur, est loin d’être si aisé. Pour toi, cher lecteur, voici deux illustrations sur la manière de jouer au I Want To See Your Manager. En piste.

Être chiant, mais avec classe (ou comment être blogueuse mode)

Rappelons grosso merdo le but de jeu : il faut faire en sorte qu’un employé doive faire appel à son n+1, si possible en ayant recours la phrase magique I want to see your manager. Lequel manager doit être incité à faire de même. Et ainsi de suite. Le joueur qui monte le plus loin dans la hiérarchie sans se faire tuer gagne.

Non, ce divertissement ne se fait pas au détriment des employés sur lesquels j’ai décidé de jeter mon dévolu. Bien au contraire, grâce au Tigre ces personnes se sont retrouvées face à de nouvelles configurations que leur formation n’avait point prévues. Et, comme vous le savez, les nouvelles expériences, particulièrement inoculées sans crier gare, augmentent considérablement la vivacité de l’esprit, donc l’espérance de vie. Toutes les personnes à qui j’ai facilité le transit intestinal ont donc gagné 5 ans. CQFD.

Voici donc les deux exploits (sur une petite dizaine) du Tigre dûment assermentés. Mon ami Le Buffle a aussi brillé, mais je n’en parlerai pas – tu m’entends bien, connard : arrête de me tanner pour que je t’ouvre une tribune sur mon blog et sort toi les doigts du fion pour créer le tien.

Pour faire simple, j’ai traduit de l’anglais vers le français les discussions qui ont eu lieu. Tant pis pour les idiomatiques du style cannot cannot, dear patron, sure sure, et autres ataviques glapissements que mon vocabulaire personnel a failli adopter.

Négociation dans un fast food

Le taxi nous a vraiment déposé n'importe où

Le taxi nous a vraiment déposé n’importe où

Introduction : Singapour, pas loin de minuit. Le Tigre et Le Buffle sortent d’un bar bredouille, ce qui est plutôt rare. Je ne sais pas comment mon pote a géré le tacos, mais ce con nous dépose sur Balestier Road, à plus de 400 mètre de notre condom. Ça tombe bien, c’est une rue commerçante et nous sommes famine. Nos culs sont largement bordés de nouilles puisque nous avisons un fast food de facture américaine pas loin. Presque personne dans le magasin, j’entre en scène…

− Bonjour, je voudrais un maxi best of big burger avec lait au soja et supplément de frites.
− Oui Monsieur. Ce sera 12 dollars.
− Tenez, j’ai une réduction. Carte d’étudiant. Cela fait bien -10% ?
− Oui. 10 dollars et 80 cents alors. Vous chanceux.
− Vous ne pensez pas si bien dire. J’ai une autre réduction. Voici ma carte de résident permanent. Cela fait bien -20% en plus des 10 ?
− Ce n’est pas prévu comme ça, c’est la première fois qu’on me le demande.
− On fait donc comme j’ai dit ?
− Sais pas. Il faut que je demande à mon supérieur.
[Il faut savoir que les Singapouriens ont un niveau d’initiatives (disons une marge de manœuvre) assez proche du bébé kangourou dans la poche de sa mère. C’est pourquoi le premier niveau est souvent facile. Faut la jouer fine. Le supérieur arrive, il traînait dans la cuisine. Je lui explique mon cas. Sa réponse :]
− Ah non, Monsieur Tigre. Ces offres ne sont pas cumulables.
− Ce ne sont pas des promotions, mais des réductions qui s’appliquent automatiquement.
− Euh…
− Écoutez, cher Jin [les employés ont un badge autour du cou avec leurs noms et leurs photos qui généralement les représentent avec vingt kilos de moins], il me semble avoir légitimement droit à ces deux remises en même temps : je ne vois aucun document contractuel spécifiant le contraire.
− Ce n’est hélas pas possible. Il existe d’autres cartes donnant lieu à des réductions. Imaginez que vous soyez un étudiant étranger handicapé et atteint du syndrome de Tourette, avec votre logique on devrait le payer pour qu’il mange chez nous.
[Le salaud a des arguments, je n’avais pas prévu une telle répartie. Je ne suis guère très fier de ce qui a suivi]
− Si j’étais atteint d’un Tourette, jamais votre État eugéniste ne m’aurait laisser dépasser la douane de l’aéroport. Maintenant, je vous propose la chose suivante : au lieu de cumuler (donc multiplier) les réductions comme il est d’usage, ce qui donnerait environ 32% (1,2 x 1,3, suis un peu Jin !), je propose de simplement les additionner les réductions pour atteindre seulement 30%. Elle n’est pas belle la vie ?
− Non, vous devez choisir une seule des réductions.
[Il vient un moment où je sens que ça va prendre une tournure de dialogue de sourds. Je crache alors mon ultime cartouche :]
− Dans ce cas, je souhaiterais en parler à votre manager.
− Je l’appelle de ce pas.

Voilà comment j’ai atteint le niveau 2, et ce grâce à une question existentielle qui me travaillait depuis des mois. Classique. Net. Sans faute.

Un autre fast food, mais avec une législation sanitaire plus légèrement respectée

Un autre fast food, mais avec une législation sanitaire plus légèrement respectée

Épilogue : pour la petite histoire, le manager en chef n’était pas commode du tout, et pour dix misérables dollars il m’a rapidement envoyé chier. Je lui ai dit que d’où je viens, à Zurich, ça ne se passerait pas comme ça.

J’en ai même profité pour balancer la plus belle insulte qu’il est possible de donner à un Singapourien, à savoir que je l’ai traité de banane : jaune à l’extérieur, blanc à l’intérieur. La courtoisie suisse.

Finalement on a bouffé dans un food court (en photo ci-dessus).

La consultation dans un bar thaïlandais

Introduction : quelques mois après mon échec (relatif) au Mac (que) dalle, je me trouvais à Bankgok avec quelques camarades de fac qui venaient faire du promène couillon. Comme je suis peu porté sur les pingpong show et autres infamies dont sont friands les Australiens, je proposais à la troupe (dont le Buffle, bien évidemment) de savourez quelques bons vins dans un bar.

Un wine bar dans cette rue, j'aurais dû me méfier

Un wine bar dans cette rue, j’aurais dû me méfier

Sauf que je les ai dirigé vers le premier rade de la rue qui, avouons-le, inspirait autant confiance qu’un agent immobilier de la couronne parisienne. Immanquablement, le premier vin servi à la va-vite (un truc provenant de Nouvelle-Zélande) était bouchonné. Après avoir vérifié la traduction de ma requête à venir (bouchonné = corked, en Anglais), je sifflais la serveuse.

− Excusez-moi miss, mais votre vinasse est bouchonné.
− ça veut dire quoi « bouchonné » ?
− Allez demander à votre supérieur.
[Le premier niveau fut presque trop facile à atteindre. C’était définitivement bien parti. Arrive le chef de rang à qui je répète ma phrase].
− Vous voulez dire que votre vin n’est pas à votre goût ?
− Non, il est intrinsèquement imbuvable. Bouchonné.
[Slurrrp]
− Pourtant, c’est bien du vin, et je le finirais volontiers.
− Vous n’avez jamais bu de vin dans votre vie alors. Normalement, vous m’apportez le même vin.
− Sauf votre respect, ce n’est pas la question. Ce vin ne vous plaît pas. Je suis prêt à le changer et à vous laisser commander une autre bouteille. Mais il faut payer pour le verre bu. Que choisissez-vous ?
− Ouvre grand tes écoutilles mon coco. Ce n’est pas comme ça qu’on procède dans un bar. Alors soit tu me changes ce vin par un autre exactement semblable, et ce jusqu’à ce que je décide souverainement qu’il est potable, soit j’appelle Rama IX en personne pour qu’il vienne fermer ton odieux boui-boui.
− Ah bah non, ça c’est vous qui le dites. Et, vu de mon côté, je remarque qu’il n’y a personne d’autre que vous pour trouver ce vin bouchonné.

[Heureusement qu’à part mes camarades, une touriste américaine neutre n’était pas loin. Je lui ai demandé de venir renifler la vinasse. Son air dégouté fut éloquent. La réponse du chef de rang :]

− Je n’ai pas le droit de changer comme ça la bouteille par une autre, je vais demander au barman en charge des consommations.
[pour moi, c’est un n+2. Le bartender, adipeux personnage truculent comme il faut, m’avait l’air un peu plus ouvert et jovial que les autres].
− Voyons voir ce qui ne va pas…huuummm…mais c’est notre bon produit importé de Welligton, il arrache bien n’est-ce pas ?
− Un peu trop d’ailleurs. Mais sentez-le avant de le boire, c’est évident que ça n’a rien à faire sur la table. Pour faire une sauce, et encore…
− Oui…il y a un petit fumet boisé [ce fils de catin se fout de ma gueule, je le savais]…mais ils sont tous comme ça, c’est ce qui fait notre réputation.
− Réputation ?! Toutes les autres bouteilles sont bouchonnées ici ? Mais comment c’est putainement possible ? C’est qui le gérant ici !? Menez-moi à lui !

[Admirez le passage en force pour avoir le n+3. Chance ultime, le petit homme sec qui comptait ses biftons au fond de la salle était responsable de tout ce bordel. Je lui demande alors comment il arrive à consciencieusement fusiller les bouteilles qu’il fait servir. Dès qu’il me montre où le stock se trouve, je comprends tout : des dizaines de bouteilles entreposées contre un mur instable près des chiottes (nombreuses secousses) ; le tout à température ambiante (27° au moins) ; les flacons tous inclinés vers l’avant ; et aucune aération à proximité.

Je m’en veux de ne pas avoir pris de photo, mais le gérant me regardait d’un œil torve dès que je décapuchonnais mon appareil. Ce bar à la noix, croyant faire chic et sophistiqué, s’était procuré des cartons de vins de table et dont l’origine n’était pas assurée. Ça ne me dérange point. En revanche, ce breuvage déjà fragile était automatiquement salopé par les horribles conditions de conservation. En tant que commercial aguerri doublé d’un esprit vindicatif propre à tout agent de la DGCCRF, je ne pouvais fermer les yeux face à tel gâchis.]

− Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais avec un tel ajustement de votre « cave », vous êtes bon pour mettre la clé sous la porte d’ici six mois. Cinq mois et 27 jours si je publie un billet sur votre établissement.
− Mais où est le problème ? On ne va pas garder le vin à côté des sodas, à 6 degrés celsius. Si ?
− Entre votre frigo japonais et un hammam turc, il y a un monde ! Vous n’avez pas un endroit assez frais et sec où foutre votre vinasse de paysan du bush ? Créez une pièce à cet effet au moins !
− Je ne peux pas faire des travaux comme ça sur un coup de tête, il faut que j’en parle d’abord à mon associé.
− Votre associé ? Quel associé ? Je veux, non, j’exige de m’entretenir avec lui !
[ha ha, un potentiel n+4 est en vue…]
− C’est un ami avec qui j’ai monté l’affaire. Il m’a apporté les financements, et est japonais. Il habite à Sapporo, ce sera difficile de le voir.
− Et c’est donc lui qui possède la majorité de cette société ?
[si la réponse est positive, c’est juridiquement le supérieur du gérant]
− Oui. [bingo].
− Dans ce cas, laissez-moi au moins parler. Je suppose que vous avez son numéro non ? C’est dans votre intérêt, je lui expliquerai, en tant que consultant viticole en France [oui, bon, un tel mensonge n’a jamais tué personne], pourquoi il devrait lâcher quelques yens pour mettre en place une réserve à vins digne de ce nom. Si vous avez envie que le « wine bar » à l’entrée de la devanture signifie quelque chose.

Croyez moi ou non, mais le gérant local a pu appeler et me passer son associé majoritaire pour lui expliquer son souci. Avec un décalage horaire de deux heures, Monsieur Nakamura était encore au boulot. Et j’ai eu l’immense honneur de lui toucher quelques mots sur la gestion de son bar. Nakamura, individu que j’ai deviné autant affable que soucieux de la bonne santé de sa joint-venture thaïlandaise, a bu mes paroles comme du petit lait. Non, c’est Buddha même qui lui dictait, par téléphone, la manière de stocker son vin.

Ma mission était remplie.

C'est avec le sentiment du devoir accompli que je suis parti

C’est avec le sentiment du devoir accompli que je suis parti

Néanmoins, à faire ainsi chier mon monde, je crois bien que les serveurs se sont passés le mot et que j’étais grillé sur le territoire thaï. C’est pour ça que j’ai pris, assez précipitamment, le chemin de l’aéroport.

Épilogue : le félin a atteint le n+4, et avec les honneurs. Sur ce coup, j’ai dû exciper de ma qualité de Français pour justifier mes intenses connaissances en matière viticole. Mais ne vous alarmez pas, j’ai laissé un trac d’une huile du FN pour faire bonne mesure.

Conclusion de l’odieux félin

I Want To See Your Manager a un gagnant, et ce devrait être moi, tout simplement. Cependant, l’autre joueur, Le Buffle, ne l’avait pas ainsi entendu. Soyons clair : il a voulu chier dans mes bottes. Avec ce dernier exploit réalisé en sa présence, j’étais persuadé qu’il s’inclinerait bien bas face à ma grandiose gouaille. Sauf qu’il en fût différemment : ce petit chipoteur du dimanche a refusé de valider ma conversation téléphonique avec Monsieur Nakamura sous prétexte que je ne l’avais pas rencontré « IRL ».

Vous voulez ma morale de cette histoire ? Celle-ci est simple : être créateur de jeux ne s’improvise pas. En créer un nécessite de nombreuses qualités, dont une en particulier nous a fait défaut : l’imagination. On a été suffisamment curieux pour réfléchir à certaines situations qui auraient pu survenir – intervention de l’autre joueur pour faire capoter une opération par exemple. Mais pas toutes.

Non seulement les règles d’un jeu ne s’écrivent pas sur un coin de nappes après six bières Tiger derrière le gosier, mais ceux qui les dictent ne peuvent pas être à la fois joueurs et arbitres. Sinon, et dès que les enjeux deviennent sérieux (le niveau 4, rendez-vous compte), les réclamations arrivent telles des nuées d’insectes – j’en ai bouffé des kilos, mais ça fera l’objet d’un autre article.

Tibet - Le témoin du Rio GrandeSur-titre : Les aventures de Chick Bill. De la bonne vieille bande dessinée à l’ancienne, avec le non moins bon Tibet – alias Gilbert Gascard. Disons tout de suite que les deux histoires présentées sont mignonnes tout plein, néanmoins ça ne dépasse pas des montages. Le lecteur majeur et vacciné sera certainement déçu.

Il était une fois…

Deux histoires, deux sucreries :

Dans Le témoin du Rio Grande, Kid Ordinn se retrouve, malgré lui, être le seul individu à avoir vu El Peso, grand bandit qui sévit au Mexique, pas loin de la frontière U.S. Kid, aidé de ses amis, décidera de se rendre au tribunal pour confondre le méchant qui aurait déjà été arrêté. Le trajet promet d’être mouvementé.

Dans Schnot-Le-Bel à Wood-City, le méconnu roi de Biture (Tigre s’est visiblement fait usurpé son trône, mais où va-t-on ?) s’invite par mégarde dans la ville de nos compères. Sauf qu’à cause de malheureuses coïncidences, Sa Majesté Schnot n’est pas reconnue à sa juste valeur par les autorités locales. Sauf Kid joue le jeu du roitelet d’apparence, et il sera la risée de la ville…jusqu’à ce que…[nul besoin de développer : le shérif se fait botter le derrière parce qu’il a sévèrement molesté celui qu’il prenait pour un marginal].

Critique du Témoin du Rio Grande

Alors là, je n’ai aucune idée de ce que vient foutre cette BD dans ma bibliothèque. Il y a des dizaines d’albums des aventures de Chick Bill, gentil cow-boy accompagné de Kid Ordinn, du shérif Dog Bull et d’un petit Indien dont j’ai déjà oublié le nom – on me glisse à l’oreille que c’est Petit Caniche, toutefois j’ai du mal à y croire. Mais il a fallu que ça tombe sur celui-ci.

Le personnage principal n’est pas le blond Bill mais l’adjoint un peu con-con du Shérif, à savoir Kid. Dans la première histoire, il fait l’objet de toutes les attentions dans la mesure où il sait à quoi ressemble un grand brigand aussi craint aux États-Unis qu’au Mexique. Intimidations, attentats manqués, et heureux dénouement (forcément) avec un retournement final assez attendu hélas. Pas de morts, quelques blessures seulement, le far-west reste bien aseptisé, avec quelques gags et situations plus ou moins comiques.

Curieusement, et à la manière de certains opus des Schtroumph, une seconde histoire occupe une dizaine de pages sur la fin, et curieusement c’est celle-ci qui est la plus fendarde. Sinon, Le Tigre a rapidement remarqué que le dessin est plutôt pauvre. Le texte occupe une place importante, comme pour cacher la misère des illustrations assez chiches – personnages peu travaillés et paysages quasiment inexistants. En rajoutant des couleurs assez vives, le tout trahit la date de publication.

Tout ça pour dire que Tibet, qui a sévi entre les années 50 et l’apparition de la new-wave, ne fait pas vraiment partie de ma génération. J’imagine qu’à l’époque ce devait être très agréable à lire, toutefois ça n’a ni la beauté, ni l’intemporalité d’un Hergé (exemple un peu trop fort, j’en consens). Mais rien de catastrophique, loin de là.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Pour ce genre de bandes dessinées, je vous avoue avoir sué sang et eau pour trouver un thème adéquat – d’ailleurs, chose rare, y’en a qu’un.

Les apparences. Je ne spoilerai point en évoquant Le témoin du Rio Grande, mais parlerai plutôt de Monsieur Schnot, presque héros de la dernière histoire. Ce gus ne ressemble à rien, enfin si : à mi-chemin entre un savant fou et un clodo au phrasé précieux, ce personnage envoie du lourd. Et y’a que le simplet du groupe pour jouer le jeu du souverain sans royaume…jusqu’à ce qu’il s’avère que Schnot est vraiment une grosse huile (il ne fallait pas se fier à ses pauvres oripeaux), et là c’est le carnage pour les sceptiques.

…à rapprocher de :

– Je vais encore dire une connerie aussi grosse que moi, mais le cow-boy beau-gosse affublé d’un autochtone un peu rude, c’est…mais…oui…ce blondinet d’Alix et sa pédale d’Enak ! Nom de Zeus, c’est un vrai complot d’homosexuels refoulés portés sur les jeunes garçons – que dis-je, des sauvages dont la moralité ne permet pas de distinguer ce qui se trame.

Marcus Malte - La part des chiensHistoire déroutante et confuse, style envoutant quoiqu’un peu excessif, il est difficile de ne pas être insensible au style de l’auteur français – en bien ou en mal. Lorsque la beauté la plus complète côtoie la fange de la société, il en ressort un roman qui ne ressemble à aucun autre. Déception en ce qui me concerne hélas.

Il était une fois…

Deux hommes sont sur la route en France. Deux individus à la recherche de quelqu’un. Le premier se nomme Zodiak, et est un grand connaisseur des étoiles en plus de lire l’avenir. Le second, Roman Wojtyla (surnommé le polac), suit Zodiak comme un clébard, prêt à mordre. Deux mecs qui détonnent. En fait, ils tentent de trouver la fabuleuse Sonia, épouse de Zodiak et sœur du polac. Leur voyage les amènera au plus profond de la noirceur de l’homme, d’où s’élever vers les astres reste toutefois possible.

Critique de La part des chiens

Je ne sais pas vraiment comment qualifier cette œuvre. Disons que j’ai eu plus d’une fois l’impression que Marcus Malte en avait rien à foutre de l’intrigue principale, à savoir la descente dans les bas fonds de l’Humanité pour récupérer une femme somptueuse dont les atours envoient du rêve.

Non, ce qui compte à mon sens dans La part des chiens, ce sont les phrases fracassantes et envolées lyriques de l’auteur qui se fait avant tout plaisir. Certes le lecteur touchera plus d’une fois au sublime (la lecture de la ligne des mains d’une pute, le tatouage du personnage principal), mais il n’en reste pas moins que ça va trop loin : des passages entiers sont autant de répétitions d’une même situation, ça finit par lasser.

A l’instar de ce que fait l’auteur, Le Tigre va rapidement vous expliquer de quoi il est question dans le roman : Zodiak et Roman sont à la poursuite de Sonia qui a disparu – elle est coutumière d’absences nocturnes, mais pas aussi longtemps. Ils parcourront le pays, interrogeront la populace, jusqu’à parvenir auprès de Monsieur Victor, organisateur de parties fines. Parallèlement, quelques flashbacks seront livrés sur la jeunesse de nos deux héros : issus du monde du cirque et de la magie entourant les saltimbanques, les deux compères ont plus d’une corde à leurs arcs et évoquent des coutumes et une existence que Le Tigre ne connaît guère. Exotique.

Sauf que l’auteur en fait trop, il m’est arrivé de perdre le fil de l’histoire au milieu du marécage de descriptions souvent stériles. En conclusion, voici un des moins bons romans du sieur Malte. Et, eu égard le niveau de l’auteur, ça reste de belle facture. Toutefois, ne commencez pas à aborder cet auteur par le présent titre, le risque que ça vous gave sévèrement existe.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le titre peut interpeller, heureusement que l’auteur livre quelques clés de compréhension. D’abord, il y a la part des anges, à savoir la beauté intrinsèque de certains, appuyée par un vocabulaire chatoyant et précieux. Ensuite, la fameuse part des chiens (les canidés ayant un rôle d’ailleurs), qui est l’exact opposé de celle des anges : des comportements horribles qui font douter de l’Homme, à l’instar de cette ville corrompue jusqu’à la moelle où se déroulent d’immondes orgies – mettant notamment en scène des gosses apeurés. Enfin, et au milieu de tout ça, le lecteur pourra trouver la part de rien, le vide sidéral laissé par le verbalisme de l’auteur, conforté par un dénouement qui se termine presque en eau de boudin.

En fait, Le Tigre aime Malte parce qu’il délivre ses mots comme j’aime le faire : le langage soutenu côtoie l’insoutenable livré à base de termes choquants, sinon orduriers. Et, contrairement à ma prose merdique, le changement de niveau de langage passe bien chez cet écrivain.

Le dernier thème, assez classique, est la manière dont Marcus M. s’est approprié le road trip à l’américaine. Ici, point de voitures, seulement de longues marches soulignant la laborieuse avancée de la quête. A l’image des chapitres assez longs, on prend sont temps pour aller au but, et le chemin est parsemé d’étonnantes rencontres : le félin pense particulièrement au nain qui habite dans un cinéma désaffecté. On ne sait pas totalement dans quelle case ranger monsieur Pécou (antagoniste ou non ?), faut dire qu’il brouille sacrément les cartes – sans spoiler, y’a même de la levrette incestueuse dans l’air.

…à rapprocher de :

– De Marcus Malte, Le Tigre avait commencé par Le lac des singes (belle claque). S’en sont suivies Carnage, constellation (un putain de chef d’œuvre) puis Les harmoniques (ça passe). Je ne compte pas m’arrêter là.

– Sinon, le road trip à la recherche d’un proche aimé dans un univers immonde est exactement le sujet de Satan dans le désert, de Boston Teran. Glaçant.

– Enfin, les délires « magiques » de l’auteur et l’univers mystérieux me rappellent la série Pigalle, la nuit. Me suis bien aéré l’esprit à la regarder.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Robert Silverberg - L'Homme dans le labyrintheVO : The Man in the Maze. Un homme maudit que nul ne peut approcher, une équipe qui doit venir le chercher au milieu d’un labyrinthe imaginé par des E.T. un peu fous fous, il y a de quoi se régaler. Silverberg est un auteur incontournable de la SF du 20ème siècle, et ce court roman fait l’effet d’un coup de poing dans le plexus.

Il était une fois…

Dans un futur indéterminé, Richard Muller avait été envoyé sur la planète des Hydras pour nouer un contact entre l’Homme et l’espèce locale – sans succès. Hélas, après cette mission, Richard devient littéralement infréquentable. A chaque fois que quelqu’un l’approche, l’écœurement est insupportable. Face à cette malédiction inconnue, Muller est plus ou moins contraint de s’exiler sur Lemnos, au beau milieu d’un terrible labyrinthe d’où l’extraire relèverait du parfait suicide. Sauf que l’espèce humaine va à nouveau avoir besoin de lui…

Critique de L’Homme dans le labyrinthe

Voilà de la belle littérature, de la SF presque indémodable car présentant des idées aussi bizarres que malsaines. Le plus beau est que malgré la densité du texte (et des chapitres peu nombreux), ces quelques 200 pages se liront à une vitesse déconcertante.

L’intrigue démarre tranquillement, et il faudra attendre un peu pour mesurer l’étendue du génie de Silverberg. On commence avec le diplomate Charles Boardmann, individu puissant qui a la tâche peu enviable de ramener sur terre le Robinson Crusoé de l’espace. Car l’Humanité est en fâcheuse posture contre de nouveaux extra-terrestres qui transforment les populations attaquées en chatoyants zombies. La Terre et ses colonies sont tellement dans la mouise que leur dernière idée est de recourir au héros dans son labyrinthe, imaginez le désastre qui se profile.

Sauf que trouver Muller dans sa « prison » est plus que dangereux, et le diplomate aura un mal de chien à évoluer dans un labyrinthe conçu par une espèce inconnue qui devait avoir de sacrés problèmes mentaux. Parallèlement à cette quête, le lecteur évoluera dans l’univers de souffrance résignée d’un homme qui s’est fait à la solitude et n’attend plus rien de l’Humanité. Glaçant à souhait.

Tout ça pour dire que l’univers glauque et sombre de l’auteur américain fait merveille, on a aucunement envie d’être à la place des protagonistes cloîtrés dans un environnement méchamment hostile. Le style de l’œuvre, qui vieillit certes, n’en reste pas moins efficace car concis, c’est le genre de romans qu’on se plairait à relire – rien que pour les descriptions de l’aura maléfique qui ressort du prisonnier du labyrinthe. Néanmoins, et car il faut un « mais », j’ai trouvé le final intensément frustrant : mais qu’a bien pu faire le héros aux envahisseurs venus de l’espace ?

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le labyrinthe est au centre du roman, et il faut avouer que les caractéristiques d’un tel lieu sont exploitées de manière optimale. Car il ne s’agit pas de vulgaires jeux de miroirs ou autres petits pièges à l’attention d’enfants gâtés. Nous parlons ici de technologies supérieures au service d’illusions efficaces capables de mettre en péril n’importe quel cerveau humain. Boardmann, assisté d’une autre personne et de nombreux robots pour ouvrir la voie (la plupart étant détruits), se rend rapidement compte que la planète-labyrinthe est entièrement conçue pour empêcher toute tentative de balade – rien que le champ de force autour de cette dernière est un sérieux avertissement.

Concomitamment, notre héros paraît ne pas trop mal s’en sortir dans cet enfer. Il a presque appris à le dompter, et ne souffre presque plus de l’absence de contacts humains. Et oui : de façon plus insidieuse, Robert Silverberg amène le lecteur à s’interroger sur la qualification de l’être humain. Muller fait-il encore partie de l’Humanité, sachant que celle-ci souffre intensément de sa présence ? Cette question est d’autant plus troublante que le protagoniste principal semble être l’ultime rempart, le dernier recours de l’Homme. Il y a un savant mélange de culpabilité et de rejet épidermique vis-à-vis de Muller, ce serait presque un délicieux paradoxe.

…à rapprocher de :

– De Silverberg, je ne saurais trop vous conseiller Les Monades urbaines. Un classique.

– Dans ce qui est les délires labyrinthiques, Amelith Deslandes et son Chair et tendre vaut la peine d’être lu.

– La planète-labyrinthe se retrouve dans une des planches des Idées noires de Franquin. C’est tout à propos.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.