« Salut mon petit. Écoute, j’ai bien envie d’écrire un roman où je balance tout. Mais alors tout, de quoi plonger le pays et ses dépendances dans tel bordel que les historiens du siècle prochain parleront de moi comme du deuxième cavalier de l’Apocalypse – le premier étant Marc Levy. Tu aurais pas des précédents afin que je sois préparé à ce qui suivra ? Zoubis. Nicolas S. Ps : tu viens finalement à la conf’ à Dubaï ? »
Douze titres qui fallait mieux publier la veille de sa mort
Je vous avoue avoir gravement ramé pour trouver des ouvrages qui ont changé la vie des auteurs – en mal. J’ai même cru ne jamais y arriver, mon inculture dans ce domaine est flagrante. Tellement, d’ailleurs, que Le Tigre était à deux doigts d’inclure, dans ce billet, des titres qui n’ont rien de romans – notamment les recueils ou bandes dessinées. Mais le félin a tenu bon.
En outre, je me suis efforcé de ne pas évoquer les écrivains dont un ou plusieurs romans ont fait scandale (sans qu’il prenne particulièrement cher), car ça fait l’objet d’un autre DodécaTora (cf. dernière partie). Entre le scandale et les gros problèmes, la frontière est mince il est vrai. En outre, l’attention n’est pas ici seulement portée sur l’œuvre, mais certaines fois sur son créateur – cela peut expliquer courroux qui s’abat sur lui. S’il faut un titre en particulier, il n’en demeure pas moins que parfois un ensemble de romans ou le pedigree de l’écrivaillon (le genre à cramer un bifton de 500 boules devant nous) n’appelle pas à la clémence.
Voici donc une modeste liste d’auteurs qui, s’ils avaient su, auraient certainement choisi de garder leur manuscrit planqué dans leur commode de style Empire (si celui-ci existait à l’époque), ledit manuscrit étant susceptible d’être découvert et publié après une belle mort. Cependant, certains individus sont d’une autre trempe, je les soupçonne même de se réjouir de voir le monde se déchirer à cause d’eux. De là à parler de masochisme, il n’y a qu’un pas – rien que le premier roman abordé y fait référence.
Tora ! Tora ! Tora ! (x4)
1/ Marquis de Sade – L’Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice
Donation Alphonse trucmuche de Sade était certes sous étroite surveillance, mais ce second opus des histoires d’une jeune ingénue (qui découvre les plaisirs de la chair) a fait sauter tous les compteurs à censure de son époque. Le gros Napoléon en personne est allé jusqu’à ordonner son arrestation, sans doute pour temporiser la colère papale avec qui le Corse souhaitait une alliance. A partir de là, Sade a passé le reste de sa vie entre zonzon et hôpital de fou. Sacré marquis.
2/ Boris Vian – J’irai cracher sur vos tombes
Le racisme, la criminalité, la ségrégation, Boris a allègrement mis ses pieds dans le plat. Et pas mal de gens ont commencé à réclamer des poursuites contre ce roman soi-disant pornographique et son auteur, Vernon Sullivan. Boris Vian, qui devait correctement flipper, est même jusqu’à traduire son roman du français vers l’anglais pour prouver que Sullivan (qui n’a jamais existé) lui avait bien délivrer un manuscrit qu’il avait adapté dans la langue de Molière. Fin du fin, il meurt d’une crise cardiaque lors d’une projection de l’adaptation de son roman en film – qu’il désapprouvait.
3/ Salman Rushdie – Les Versets sataniques
C’est grâce à cet auteur que m’est venue l’idée de ce billet. On connaît tous l’histoire : un roman dense mettant notamment en scène le prophète de l’Islam qui déclame des versets reconnaissant le polythéisme ; des réactions outrées au travers le monde ; et l’apothéose par une fatwa (depuis levée) appelant les Mahométans à exécuter l’auteur indien. Tout cela n’a pas que posé problème à Rushdie, quelques éditeurs et traducteurs ayant connu certaines déconvenues – pléonasme, pour certains, car il s’agit d’assassinats.
4/ Hugo Bettauer – La Ville sans Juifs
Hugo, c’est un écrivain autrichien un poil en avance sur son temps. Le style d’auteur à publier, dès 1923, une fabuleuse satire sur une ville (Vienne la cosmopolite tant qu’à faire) qui décide, sur l’impulsion du parti dominant (qui a tout du NSDAP), de chasser les Juifs. Le résultat dans cette œuvre est catastrophique, l’économie s’écroule en moins de temps qu’il faut pour dire Heil ! C’est la goutte littéraire qui aurait fait déborder le vase antisémite : un dénommé Otto Rothstock, affilié au parti nazi, l’abat peu de temps après.
5/ Bret Easton Ellis – American Psycho
Le cas de l’auteur américain est doublement particulier. Si ce roman n’a pas été vraiment interdit, les thèmes abordés ont fait que Bret a reçu un nombre incalculable de menaces de mort, ce qui est étonnant par rapport aux thèmes traités dans ce titre. Il a choqué outre mesure, et l’Amérique puritaine a eu du mal à s’en remettre. Mais, à mon sens, ce premier roman a agi comme une mini-malédiction pour l’écrivain. Disons qu’après une telle claque et Moins que zéro, on attendait énormément de lui. Et, avec Glamorama, j’ai trouvé qu’Easton Ellis a été incapable de se renouveler, répétant ses antiennes dans un méli-mélo littéraire difficilement digérable.
6/ John Cleland – Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir
Nous sommes au beau milieu du 18ème siècle. Dans une Angleterre assez à cheval sur les conventions et la bienséance de surcroît – sauf erreur de ma part, ça n’a pas changé depuis. Dans ce pays maudit, un homme en prison pour dettes semble fermement décider d’aggraver son cas : John publie ce qui est sans doute le premier roman érotique (en laissant de côté le Cantique des Cantiques) jamais écrit. Le bouquin a beau être un succès underground, la libération de Cleland s’en est trouvée gravement compromise.
7/ Claude Gubler – Le grand secret
Huit jours après le décès de Mitterrand (il est vrai que c’est prématuré), son médecin raconte tout dans un bouquin passionnant – notamment comment François a caché sa maladie. Sauf que les puissants ne l’ont pas entendu pas de cette manière. Tout d’abord, le procès. Plus de 50 000 euros d’amende (à payer par lui et l’éditeur). Puis les sanctions pénales (notamment pour avoir porté atteinte à l’honneur de la profession…). Enfin, ultime insulte, le docteur se voit retirer toutes ses décorations – décret signé par Chirac, qui n’était plus à une connerie près. T’aurais dû laisser la populace dans l’ignorance, va.
8/ Maurice G. Dantec – Satellite Sisters
Dantec fut un temps la spécialité du Tigre. Comment dire…j’ai dévoré tous ses romans, sans remarquer qu’au fur et à mesure l’auteur versait dans un n’importe quoi de compétition. Du grand art. Et avec Satellite Sisters, j’ai eu la certitude qu’il se foutait de notre gueule. Quel dommage, après tant d’heures plaisantes de lecture. Non seulement le roman est une catastrophe, mais les conditions de sa publication ont été terribles. Un nouvel éditeur, un procès retentissant (il aurait signé dans un état de faiblesse), des rétro-pédalages de toutes part, bref cette œuvre a été le révélateur d’un certain mal-être chez l’auteur français.
9/ Daniel Defoe – La plus courte façon d’entrer en dissidence
Rien que le titre claironne « réservez-moi une geôle, j’arrive ! », alors il ne faut pas s’émouvoir quand ça arrive. Dany, écrivain multi-casquettes, faisait partie des fameux Dissidents anglais, une bande de joyeux lurons opposés à la mainmise de l’État anglais dans les affaires religieuses. Dès l’avènement de la reine Anne (un poil plus stricte), Defoe enfonce le clou (à croire qu’il le fait exprès) avec ce pamphlet qui a provoqué pas mal de remous. Résultat : 1703, annus horribilis pour l’auteur. Prison, banqueroute et pilori deviennent sa sainte trinité. Ça ne l’empêchera pas d’écrire par la suite Robinson Crusoé.
10/ Mathieu Lindon – Le Procès de Jean-Marie Le Pen
Déjà, il y a eu avant Prince et Léonardours, roman assez terrible (histoire de viols) qui a failli être interdit par le Ministre de l’Intérieur de l’époque (Pasqua, pour ne pas le nommer). Ensuite, le roman en question, qui narre la tentative, par un avocat qui a tout contre lui aux yeux du FN (juif et gay, fréquentant un Arabe), de mettre en cause Le Pen lors du procès d’un assassin. Jean-Mâaarie, fort contrit, l’attaque en diffamation. Lindon, malgré le soutien de beaucoup, est condamné par tous les échelons judiciaires. Du TGI à la Cour européenne des droits de l’homme, Vinc’ se prend tôle sur tôle.
11/ Claude Guillon & Yves Le Bonniec – Suicide, mode d’emploi
Difficile d’imaginer plus gros pavé à balancer dans une mare. Censuré en France à cause des « méthodes » délivrées par l’auteur sur le meilleur moyen d’en terminer. Incitation au suicide c/ liberté d’expression ; propagande néfaste c/ droit à la mort, Le Tigre ne tient pas ce blog pour discourir de sujets aussi sensibles. Pour ne rien arranger, Yves Le Bonniec a, par une correspondance épistolaire, donné quelques recettes à un pauvre homme qui voulait en finir – ce qu’il a fait. Pour l’avoir parcouru, peu de choses en fait, juste un chapitre à la fin sur les façons d’en finir.
12/ Jules César – La guerre des Gaules
Et une dernière plaisanterie pour finir ! Quoique… En lisant le glorieux bulletin de campagne du gros César pendant qu’il entrait comme dans du beurre chez nos ancêtres les Gaulois, il n’est pas difficile de noter que tous ces commentaires sont d’abord rédigés pour faire mousser le dictateur. Sans doute cela a échauffé certains patriciens qui voient, depuis leurs bancs, César accumuler les honneurs. Le genre de truc qui exaspère furieusement, et à cette époque ça se réglait souvent à l’arme blanche…Tu quoque, mi tigri.
Mais aussi :
– Les poèmes n’entrant pas dans la définition des « romans », j’ai décidé de mettre Théophile de Viau et ses écrits pour le compte du recueil Parnasse satyrique de côté. Au début du 17ème siècle, Théo y publie quelques poèmes (obscènes pour l’époque) et en prend plein la gueule. Je crois même qu’il en est mort. Quel déconneur celui-là.
Enfin, comme je le disais, ce DDC n’est pas à confondre avec le top 12 des romans qui ont fait scandale (en lien) – plus objectif peut-être.