Saint Epondyle - Cyberpunk RealityBref essai sans prétention, voilà de quoi mieux appréhender le cyberpunk dans tout ce que celui-ci a de plus sombre. Lorsqu’un sous-genre de la littérature devient un miroir grossissant de ce qu’il peut advenir de notre société, celui-ci doit être particulièrement étudié. Pari ici réussi même si c’est un peu court – et pas très fun, en même temps on n’est pas là pour ça.

De quoi parle Cyberpunk Reality, et comment ?

Il s’agit d’un texte, disponible en ligne, dont le félin a reçu un exemplaire papier en guise d’offrande. On m’a offert nettement pire dans ma longue et prospère carrière. Saint Epondyle est un petit jeune qui sévit sur la toile (lien au bas du billet) et s’intéresse à toutes les cultures imaginaires (SF, Fantasy…beurk) et trucs nettement plus geeks – jeux de rôles & compagnie.

Cyberpunk Reality est le fruit d’un esprit ordonné qui a eu l’idée de recenser les caractéristiques du genre littéraire du cyberpunk, tout en montrant ici et là en quoi notre société tend parfois à se diriger vers cette voie cauchemardesque. Cyber comme cybernétique (l’homme et la machine se rejoignant), punk dans l’esprit « no future ». Quatre parties, quatre thèmes, depuis la ville bordélique et sombre au mensonge (que ce soient les médias ou le virtuel), en passant par l’omniprésence de la technologie et l’exercice du pouvoir par un petit groupe de privilégiés (les multinationales en fait). Au milieu de ce bordel sans nom, un anti-héros bien implanté qui lutte, souvent en solitaire, contre (et avec) les forces irrépressibles qui l’entourent.

A l’aide d’exemples concrets et de références cinématographiques ou littéraires, Saint Epondyle trace son petit bonhomme de chemin dans ce qui ressemble à une dissertation digne d’un élève modèle. Trop peut-être, le félin a souvent eu l’impression de lire la copie d’un étudiant science-pôsard au garde-à-vous, le doigt sur la couture de son laptop. Ainsi, ne vous attendez à aucun trait d’humour ni un mot plus haut que l’autre, on reste entre gens courtois – pas le genre de la maison.

Enfin, l’auteur termine par quelques mots sur l’épineux sujet du transhumanisme auquel un certain regard (non inintéressant) est apporté. Première mise en bouche savoureuse, toutefois il appert que quelques aspects ont été (sciemment?) omis, notamment en quoi la « fabuleuse » technologie est en train de refaçonner notre circuit humain, à savoir notre cerveau qui a moins besoin de retenir par cœur et tend à exceller dans la recherche d’information et le multitâche (avec plus ou moins de succès).

Ce que Le Tigre a retenu

Le titre mérite quelques précisions. Le « Reality » semble ici utilisé avec un trait d’ironie pour souligner l’opposition à la prégnance des univers virtuels du cyberpunk. Que ce soit le maintien dans une bulle d’ignorance par les journaux ou les hommes politiques ou, plus radicalement, la plongée dans un monde faux à la Matrix, la perte de repères est totale pour le quidam qui n’effleurera que rarement la vérité du monde dans lequel il patauge. Réalité également dans le sens du réalisme le plus abouti, en l’espèce un capitalisme sauvage qui oublie toute morale pour se consacrer exclusivement sur la recherche (outre le pouvoir) d’espèces sonnantes et trébuchantes, comme si c’étaient les seules choses réelles qui vaillent la peine d’être acquises – et conservées. .

Plus important, ce titre tend à dire que la saloperie qu’est tout univers cyberpunk devient, progressivement, une réalité en ce début du XXIème siècle. Grosses multinationales surpuissantes ; villes polluées et passablement labyrinthiques ; fractures sociales (et numériques) grandissantes ; concentration du pouvoir (et du savoir utile) au sein d’une minorité ; technologies intrusives ; violence omniprésente ; dictatures entretenues par des médias aussi insipides qu’inféodés au pouvoir, etc. Oui, le genre « cyberpunk » a beau être excessif, il n’en demeure pas moins une inquiétante fenêtre vers un avenir que je ne souhaite pas à notre civilisation.

…à rapprocher de :

– La bibliographie fournie par l’auteur est assez complète, ça pourra vous occuper un moment. Ça me fait penser que je devrais un de ces quatre publier un Top des romans cyberpunks à ne pas louper.

Enfin, si ça vous intéresse, vous pouvez trouver ce court essai sur le blog de Saint Epondyle ici.

Anton LaVey - La Bible sataniqueVO : The Satanic Bible. Classique que tout luciférien qui se respecte range en évidence dans sa bibliothèque, hélas la moitié consiste en l’art de bien organiser une séance de magie noire. Violent (et éructant) pamphlet contre la morale dominante (donc chrétienne), une pincée d’idées intéressantes, le reste étant de la bouillie à peine digérable (donc digérée).

De quoi parle la Bible satanique, et comment ?

Qui es-tu Anton Szandor LaVey ? La photo du quatrième de couverture te montrent chauve, avec un inquiétant regard sous lequel une non moins flippante barbichette te donne des airs de gourou. Touché. Né en 1930, fondateur de l’Église de Satan, LaVey a pris quelques années (il avait environ 30 piges) pour rédiger sa bible. Oui. Il en a mis du temps eu égard le résultat final.

Cet essai relativement confus se divise en deux parties de taille égale (en termes de pages…) après les introduction, préface et autre prologue. Tout d’abord, la diatribe infernale, à savoir le Livre de Satan qui fait office de gueulante assez vulgaire en mode anti-10 commandements. Puis l’Illumination, ou Le Livre de Lucifer, où Anton expose ses idées – grosso merdo, ne pas brider l’ego et ne surtout pas s’en remettre à une puissance extérieure déresponsabilisante.

La seconde partie ? Un supplice. Ne suis pas parvenu à dépasser dix pages. Et lorsque je sautais quelques chapitres, ça ne devenait pas plus intéressant. Car il s’agit de la pratique de la magie satanique, de la liturgie du diable qui est, en comparaison d’autres religions, sacrément obscure. Franchement, entre la bonne vingtaine de clés énochiennes et les incantations dans une langue inconnue (sans parler de la liste des différents démons), le félin ne savait pas vraiment ce qu’il foutait dans ce joyeux merdier.

Toutefois, cet ouvrage mérite d’être lu pour le curieux qui veut savoir ce qui se cache derrière l’adjectif de « sataniste » trop souvent utilisé. Mais l’impression demeure que le méchant LaVey a scribouillé ça comme un furieux dans son bureau avec des saladiers remplis de coke à ses côtés. Le problème est qu’on sent qu’il plein de choses intéressantes à partager, mais sa pensée manque de structure et le peu d’exemples donnés ne sont guère accompagnés d’analyses satisfaisantes. Je l’ai donc plus lu comme un divertissement qu’un essai.

Ce que Le Tigre a retenu…

Le félidé va vous décevoir : j’ai lu cette chose sur la plage, l’esprit encore embrumé des vapeurs d’alcool de la veille. Et cette lecture ne m’a pas procuré le « kick existentiel » promis par le Mage Peter H. Gilmore dans son intro. La seule chose utile avec un pavé pareil est de s’afficher avec en marchant lourdement sur le sable, le bouquin coincé par le coude et le regard mauvais. Puis s’installer pas loin d’une bande de scouts en vacances. Enlever ses lunettes. Mettre discrètement des lentilles colorées (rouge de préférence). Les regarder en riant. Puis savourer le spectacle en lisant ça à voix haute (page 155)

Profitez pleinement des sortilèges et des charmes qui fonctionnent. Si vous êtes un homme, plongez en elle votre membre en érection avec un ravissement lascif. Si vous êtes une femme, ouvrez grand votre sexe dans une attitude lubrique.

Plus sérieusement, je me suis souvent dit que le terme « sataniste » n’était pas si adéquat. Je pensais que LaVey n’en voulait qu’aux enseignements du Christ, en fait il s’en prend à l’idéologie/morale dominante, l’Amérique puritaine d’après-guerre qui  ne cherche qu’à brider l’individu afin qu’il se sente dans un état de défaut perpétuel – le rendant plus docile. L’essayiste se complait à croire qu’il est un réel humaniste dans le sens où il comprend autant ses semblables qu’il veut les rendre heureux. De là, Anton L. dénonce en particulier l’hypocrisie de son époque, appelant à la rescousse (certes maladroitement et en vrac) quelques odieux faits d’armes de l’Homme – au nom de ses croyances.

D’ailleurs, pour la petite histoire que tous connaissent, le sceau de l’hypocrisie contemporaine a frappé le jeune LaVey qui, plutôt doué au piano, voyait les mêmes personnes le soir dans les bars (à se comporter comme des sagouins)…et le matin à la messe. Anecdote assez proche du génial Jerry Lee Lewis, vous ne trouvez pas ?

…à rapprocher de :

Les essais sur ce qui touche de près ou de loin à la face ne manquent pas chez cet éditeur, notamment sur le blog :

Le Livre de la loi, d’Aleister Crowley (dont LaVey s’est inspiré). Encore plus barré.

L’essor de Lucifer, de Baddeley. Assez long, mais les chapitres peuvent se lire indépendamment.

Black metal satanique, de Moynihan et Soderlind qui se dévore telle une horrible histoire.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet essai en ligne ici.

Cathy Jurado-Lecina - Nous sommes tous innocentsVoici l’histoire d’un homme coincé dans un environnement rude et hostile, et finira par en mourir de folie. Dans la France des trente glorieuses, les techniques évoluent plus vite que les mentalités et un fin esprit bloqué dans un carcan de monotonie peut vite perdre pied… Un texte magnifique qui touche à la constitution d’une folie pure. Un roman rare.

Il était une fois…

Jean Jehan, fils de Martin Jehan et de Joséphine, détonne un peu aux alentours du village de Maldict. Un être sensible, plein d’imagination et qui veut devenir instituteur. Or, dans les années 50, un fils de paysan est censé reprendre l’affaire familiale et trouver une bonne épouse avec qui vivre. Pas le genre de Jean, toutefois il ne peut qu’aider à faire vivre la ferme des Passereaux. Disons qu’on ne lui laisse pas vraiment le choix. Mais Jean vaut mieux que ça, et ce n’est pas en quittant temporairement sa famille pour aller faire la guerre d’Algérie que son cas s’arrangera. En fait, tout amène à ce que sa situation parte en couille. Une couille énorme.

Critique de Nous sommes tous innocents

Deux choses à savoir avant d’attaquer ce joli morcif de littérature :
1/ Ce roman est tiré d’un histoire vraie : celle d’un pauvre type qui a pété un câble et s’est escrimé, des jours durant, à écrire ses pensées sur le parquet de sa baraque avec une aiguille à tricoter – avant de crever gueule ouverte. Un texte incompréhensible, mais après avoir lu cette œuvre le lecteur aura une idée plus précise de quoi il retourne. Pour info, le « plancher de Jeannot » se situe à l’entrée de l’Hôpital Sainte-Anne, à Paris.
2/ Le félin a rencontré l’auteure, fort gentille au demeurant, qui a bien voulu lui dédicacer son ouvrage. Et je connais bien l’éditeur. Voilà, j’ai signalé tout conflit d’intérêt.

Nous sommes tous innocents frappe dès les premières pages. Outre le style (dont je parlerai plus tard) qui prend aux tripes, une superbe présentation des protagonistes (un par chapitre) met dans l’ambiance : celle d’un monde agricole rude et sans pitié où contraintes de la vie paysanne et méchanceté des habitants rivalisent d’ingéniosité pour foutre en l’air un être sensible qui, dans un autre milieu, aurait pu devenir un grand écrivain – spoil : ça n’arrive pas.

C’était pourtant bien parti grâce au maître de l’école communale qui a repéré le potentiel de notre héros. Sauf qu’on ne l’autorisera pas à partir en ville étudier. Pas plus qu’il ne pourra épouser la belle et gracile Odette. En rajoutant le décalage entre une sœur qui a un pet au casque et une autre se comportant comme un tyran (et face auquel la mère s’incline piteusement), tous les ingrédients pour un petit drame sont présents. Faut dire aussi que cette famille cache un vilain secret, quelque chose de pas net pendant l’Occupation et qui plane dans les contrées environnantes… Jean, qui chaque année se trouve davantage à la tête de la ferme, sera comme prisonnier et se réfugiera tel un âne de trait dans le boulot.

Cette terrible histoire (dont la fin est un tantinet frustrante) est délivrée avec des mots précis et enchanteurs où les métaphores dansent avec des répétitions (parfois lassantes) pour mieux enfoncer dans notre tête la tragédie qui prend forme. En optant pour une narration omnisciente avec un « nous » qui pourrait être celui d’un quidam du patelin, l’auteure semble prendre corps avec une certaine sagesse paysanne qui pressent que le pire, inéluctablement, s’invite dans la famille Jehan. Si le scénario était à construire avec quelques éléments de réalité pour l’aiguiller, c’est bien dans le rendu littéraire que cet ouvrage mérite d’être lu.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Il s’agit d’un livre qui réussit à rendre compte du cheminement vers la folie. Premièrement, un soupçon de génétique (quelques membres de la famille en tiennent une couche). Mais qui n’est pas potentiellement fou ? Deuxièmement, l’impossibilité de s’exprimer, de sublimer ce petit grain que tous ont dans une activité libératrice autre que le morne quotidien. Pauvre Jeannot, si créatif dans cet univers rustre. Troisièmement, quelques éléments déclencheurs pour faire péter la bouilloire. Chez Jean, ce sera un subtil mélange entre ses origines incertaines, un peu de religion et la télévision (artefact inconnu de lui) chez le psy qui s’occupe de sa sœur. Le voilà fin prêt.

La folie lancinante du protagoniste semble renforcée par l’absence de stimuli nouveaux extérieurs. Pour faire simple, Jeannot tourne furieusement en rond. Toujours plus solitaire et violent, il abandonne ce qui fait son quotidien…jusqu’à n’en avoir aucun. Bref, il fait une dépression maousse (comme son père avant lui) et la France agricole de cette époque ne peut rien pour lui – qui pourrait lui conseiller de prendre l’air, avoir de nouvelles expériences alors qu’il a des personnes et une ferme à charge. En outre, Jeannot aurait pu éviter ce destin peu enviable en misant ce sur quoi il était bon, à savoir conter des histoires. Notamment la sienne. A ce titre, les mots de Cathy J.-L. sont éclairants (page 134) :

En réalité, ce qui le fascinait plus encore que les mythes eux-mêmes et ce qu’ils étaient censés révéler, c’était leur pouvoir d’attraction sur ses camarades, leur capacité à les plonger tous dans une fascination où s’avalaient le temps et l’espace, entraînant les enfants qu’ils étaient dans un étonnement proche de l’hébétude. Jeannot, en fait, aurait tellement voulu savoir fabriquer des histoires ainsi ficelées, qui figent les hommes dans le silence, comme une arme subtile pour faire taire chacun et imposer ses propres images.

Elle a le sens de la formule non ? Au surplus, on est en droit de se demander (j’adore cette expression de pisse-froid) à quel point l’écrivaine parle autant de son héros que des « vrais » auteurs en général. Mission réussie, elle a imposé au Tigre son histoire et ses glauques images.

…à rapprocher de :

– En termes de littérature pure, Folie(s) des Artistes fous mérite de se lire. Quelques belles perles.

– Jeannot m’a souvent fait penser à l’artiste Henri Darger, dont un essai (en lien) avec quelques images en prime est sorti chez le même éditeur.

– Folie dans l’univers carcéral, c’est Longues peines de Jean Teulé.

– L’univers agricole productiviste et abrutissant se retrouve aussi dans L’autoroute, de Luc Lang. Même écriture brute et précise. Dans un autre siècle, c’est La palombe noire d’Alain Dubos (à forte teneur régionale).

– Plus sérieusement, je vous renvoie à Manfred Lütz et son bouquin Les plus fous ne sont pas ceux qu’on croit. Obligatoire.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman sur le site de l’éditeur ici.

Sokal - Marée noireSous-titre : une enquête de l’inspecteur Canardo. Canardo est dans tous les mauvais coups, c’est une constante. Le voici au centre d’un chantage où il est question de remettre un homme d’Etat mourant à des révolutionnaires, sinon des tonnes de pétrole se déverseront sur les plages. Personnages croqués avec humour, scénario maîtrisé de A à Z, la rigolade est totale.

Il était une fois…

Borniche Les Bains est en plein émoi. En plein milieu du mois d’aout, un pétrolier naviguant face à la plage est arraisonné par des pirates. Tout l’équipage est tué, sauf l’inénarrable Canardo qui va servir d’émissaire à l’attention des autorités françaises. Les terroristes demandent que la France mette fin au soutien médical du gouvernement d’Amerzone, à savoir le Président Colibarès soigné dans une clinique. Pourquoi Canardo a été épargné ? Que fait-il dans cette galère ?

Critique de Marée noire

Ce doit être le quatorzième tome mettant en scène Canardo, détective privé alcoolique, fumeur, jean-foutre mais terriblement efficace ; et, à titre personnel, un de ceux que je relis avec le plus de plaisir. Rien ne manque à cet opus qui mélange, non sans succès, action, et critique au vitriol de notre belle société.

La problématique, assez simple, tend à agréablement se complexifier. Les vacances pépères de l’inspecteur Garenni (le lapin) prennent une drôle de tournure quand il pêche le héros, engagé par l’assureur du navire pour vérifier que le commandant ne le saborde pas volontairement. Immédiatement une cellule de crise est mise en place et l’attention se concentre sur la destination touristique d’où opèrent les vilains d’Amerzone. Lesquels étant menés par…la belle Carmen, qu’on retrouve dans d’autres aventures.

Sokal a eu la main particulièrement lourde concernant les protagonistes qui rivalisent de caricatures : le militaire prêt à en découdre qui pense que « la négo, c’est pour les pédés », le simple flic dépassé par les évènements, les révolutionnaires qui défouraillent avec un certain entrain, le ministre de l’intérieur qui ressemble énormément à Pasqua (la décontraction qui va avec) ou un Président de la République débonnaire très chiraquien. Mention spéciale pour ces deux derniers, qui apparaissent particulièrement sympathiques. Tout comme l’impitoyable Carmen (la grue avec son porte cigarette de tasspé) qui, chose rare, aide les protagonistes à sa manière.

Comme beaucoup de BD qui ne dépassent pas les 50 pages, le dénouement est assez rapidement expédié, et la manière dont tout le monde trouve son compte est aussi amusante qu’irréaliste. Sauf qu’une seule personne en sort grandie. Canardo, comme toujours, a sauvé le monde. Qui, le temps des vacances, était pour le Français moyen la playa de Borniche Les Bains. Gloire à lui.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’auteur amène le lecteur au sein de la crise estivale et comment celle-ci est gérée par les différents protagonistes. Dialogues entre le Président et son ministre savoureux à souhait, terroristes qui préparent l’enlèvement de Colibarès (en phase terminale), les militaires préparant l’assaut depuis leur QG de campagne improvisé près de la buvette (ce qui arrange Canardo), tout est plus vrai que nature. Mais ce n’est rien face aux interventions des médias (TV notamment) qui filtrent et délivrent à la populace quelque chose de sensationnel et désespérément calibré.

Il ressort surtout de ce tome un cynisme qui atteint un niveau stratosphérique à se pisser dessus. Les hommes politiques font montre d’un réalisme et d’une bonhommie assez compréhensible, et voir leur mine consternée face aux déclarations tonitruantes du chef du GIGN local a provoqué chez votre serviteur quelques ricanements. Réalisme des pétroliers également qui décident de dégazer autour du navire occupé avec cette maxime pleine de bon sens : « quand les gros chient, on n’entend pas les petits péter ». Et il y a pire.

En effet, la dernière case résume parfaitement la dépravation morale habitant nos contemporains, avec l’illustration de « l’idéal » tel que promu par les joyeux drilles de l’Amerzone. A l’annonce du décès du dictateur Colibarès, des scènes de liesse ont lieu partout en Amerzonie. Manifestations réprimées par le pouvoir en place. Le principe d’une révolution : un tournant à 360°. Retour à la même situation.

…à rapprocher de :

Noces de brume, même héros, ouvrage plus sombre à lire si vous êtes habitué au protagoniste. La suite, L’Amerzone, est un classique. Puis La Cadillac blanche (pas mal du tout). Tigre mettra d’autres Canardo sur le blog, ça me botte bien. Patience.

Zaï zaï zaï zaï, de Fabcaro, tape également sur la danse ridicule du politique et du journaliste, sur fond d’un fait divers innocent – l’humour what the fuck en plus.

– La révolution qui ne change rien n’est pas sans rappeler le jeu de chaises tournantes auquel s’adonne les généraux Alcazar et Tapioca dans les albums de Tintin.

Gustave Flaubert - L’Éducation sentimentaleTitre complémentaire : histoire d’un jeune homme. En effet, voici les aventures du frais Frédéric qui, à l’instar d’un Rastignac, monte à la capitale pour s’élever socialement. Et accessoirement choper de la MILF. Classique littéraire où les phrases sont ciselées avec un travail d’orfèvre, toutefois la concentration tigresque a été rapidement émoussée.

Il était une fois…

Année 1840. Frédéric Moreau, tout juste majeur, est sur le point de faire ses études à Paris. Il y retrouve un ami (Deslauriers) et s’en fait de nouveaux (Hussonnet, Dussardier, etc.), mais surtout tombe sur le couple Arnoux dont il tombe éperdument amoureux de la femme. Cette rencontre lui permettra de frayer parmi différentes strates de la société parisienne. Laquelle réagit au quart de tour avec les troubles politiques du milieu de ce siècle.

Critique de L’éducation sentimentale

Depuis le temps que je voulais lire ce truc auquel je n’avais absolument rien compris au collège, me voilà pas plus avancé. Sans doute mon cerveau n’est plus habitué à ces nombreuses péripéties qui partent dans tous les sens sans vraie transition, mais ce fut globalement indigeste à lire. Sans parler de la troisième et dernière partie qui a achevé le peu de patience qui me restait – j’ai laissé les cinquante dernières pages en plan, je l’avoue.

En revanche, l’écriture de Gustave F. reste un enchantement. Des passages entiers méritent d’être lus à voix haute, j’ai cru lire de la poésie. Le style alterne même entre lapidaire sobriété et envolées qui sont une régalade pour les yeux. Au surplus, et je n’ai guère honte de l’annoncer, mais quelques expressions désuètes ont ravi le félin qui n’en attendait pas tant.

Exemple ici, page 17 de l’antédiluvienne édition que j’ai :

La petite fille jouait autour de lui. Frédéric voulut la baiser. Elle se cacha derrière la bonne ; sa mère la gronda de n’être pas aimable pour le monsieur qui avait sauvé son châle. Etait-ce une ouverture indirecte ?

Hu hu. Sérieusement, vous avez maintenant une idée du niveau intellectuel du félin dont la principale motivation pour poursuivre la lecture n’est pas de découvrir un classique, mais espérer capter ici et là quelques pépites à double degré de cet acabit (et aussi les engueulades, duels et tromperies qui parsèment l’œuvre).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Évidemment, Flaubert dresse un tableau d’un réalisme confondant d’une époque tiraillée entre le bon Roi Louis-Philippe, la République et l’Empire. J’avoue que, question connaissances historiques, la période 1815-1890 est celle que je maîtrise le moins. Du coup, les soubresauts de la France (révoltes de 1848, avènement du Second Empire, etc.) tels que contés par Flaubert m’ont semblé assez confus, sans compter que je ne m’étais pas totalement approprié l’existence et l’évolution des différents amis de Moreau – seules les déconvenues d’Arnoux me parlaient. Néanmoins, certains personnages sont si caricaturaux que se les représenter est fort facile.

Ce qui m’a surpris est la nonchalance de Frédéric qui m’a paru ne pas en glander une. Déjà qu’il manque de foirer son année de droit. On le voit plus passer son temps à rendre visite à Madame Arnoux, la Maréchale ou Dambreuse qu’à bosser pour gagner sa croûte (les héritages sont bien commodes il est vrai). Il n’empêche que, pour son âge, le jeune Moreau est bourré d’ambitions et calculateur, une telle facilité d’entregent donne l’impression qu’à cette époque gouverner le tout-Paris est à la portée du premier clampin qui descend de sa calèche.

…à rapprocher de :

– Trivialement, je vous signale un certain Madame Bovary du même auteur.

– Dans la catégorie jeune-niais-qui-monte-à-la-capitale, les titres ne manquent pas. Mes compétences hélas ne me permettent pas de vous joindre les bonnes références.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce classique en ligne ici.

Les Voyages du TigreLe Tigre est mille fois plus fort que le chat – au moins. Par conséquent, il a à peu près neuf mille vies. En voici une où j’étais, une fois de plus, à deux doigts de très mal tourner. Et dire que j’ai entraîné des amis dans cette spirale infernale, je m’en veux encore. Âmes sensibles s’abstenir.

Se foutre de son apparence…

Bonjour,

Je m’appelle Tigre,

[là, vous subvocalisez un « bonjour Tigre » avec le ton que vous donneriez à votre neveu sur le point d’avouer une belle connerie]

Je profite de cet espace de liberté numérique pour vous entretenir d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Il s’agit d’expériences à cause desquelles j’ai bien failli avoir de très gros problèmes en Asie. Si j’y étais resté quelques mois de plus, je ne sais pas ce qu’il serait advenu de ma fourrure.

Tout d’abord, tentez de comprendre à quel point je me fais ici violence en voulant vous raconter comment j’ai pu basculer vers le côté sombre de l’Asie du Sud-est millénaire et flamboyante – sans omettre le moindre détail gênant de surcroît. Les excuses que je fournissais en guise de dédouanement ne manquaient pas : l’impression d’être invincible, toutes ces couleurs et sensations nouvelles, ces prix..oh mon dieu…tellement imbattables, la famille à des milliers kilomètres (donc loin de ma déchéance à venir), etc. Tout cela n’a guère aidé à retenir le jeune félin que j’étais à l’époque.

Si bien que j’ai à quelques reprises touché le fond, et à chaque fois ce fut la même histoire : au lieu de rebondir pour reprendre de l’air, j’ai sorti ma pelle histoire de voir s’il n’y avait pas moyen de descendre un peu plus bas. Si je n’y ai pas trouvé de pétrole, un trésor plus fabuleux m’attendait : celui de mon essence profonde – pétrole, essence, vous avez saisi le jeu de mots ?

Ensuite, je pense que j’étais plus ou moins destiné à sombrer dans ce type d’addiction. Car il s’agit bien d’une drogue, n’en déplaise aux plus gourmets. Depuis que je suis gosse, je n’ai jamais développé d’appétence notable pour l’art vestimentaire et les différentes façons de marier les composantes qui nous habillent. Chaussettes blanches sur pantalon noir, jean bleu avec chemise rouge à moitié rentrée dans le futal, en fait j’avais un look qui était soit dépassé depuis le décès de Freddie Mercury, soit aurait pu correspondre aux standards d’une époque à venir – mais qui tardait vachement, la garce.

Peut-être une seule fois, vers mes 11 ans, lorsque Maman-Lynx m’avait offert un pull-over à l’effigie du Club Dorothée, j’avais décelé que quelque chose n’allait pas. Et poussé une tonitruante gueulante.

Sinon, j’acceptais sans broncher les « cadeaux » de la famille, qui le plus souvent consistaient à un recyclage des vêtements de mes trop nombreux cousins, et ce depuis des temps immémoriaux. Shorts reprisés trois fois, tee-shirts de quatrième main, chaussettes rapiécées qui avaient subi d’humides outrages (je ne tiens pas à savoir lesquels), j’avais été toujours finement fringué. Et m’étais donc habitué à l’informité de mon accoutrement, ce qui ne me dérangeait pas outre mesure.

Je me disais que les boutons et ma moustache naissante étaient les seuls responsables de mes déconvenues sentimentales, qu’à cet âge les petites tigresses ne portaient que peu d’attention au lustre vestimentaire de leurs contemporains.

Enfin, je voulais me tester. Oser des choses dont je n’avais pas le début d’un indice que celles-ci pouvaient exister. Sortir la grosse artillerie à n’importe nawak et ressentir ce doux moment où la frontière entre l’originalité et la folie était franchie. Savoir à quel point une apparence risquée était susceptible d’annihiler, tout du moins oblitérer, l’attraction naturelle exercée auprès de ces dames. C’est-à-dire lire dans leur regard interloqué ce déchirement entre un « ouais, il est plutôt baisable le félin » et le « mais putain qu’est-ce qu’il porte ».

Rencontre du troisième type de fringues

Me voilà donc à Singapour la Sublime. Les ennuis se sont matérialisés au bout d’un petit mois à peine. J’avais bien remarqué que toutes les indications gouvernementales (don’t smoke, don’t eat chewing-gum, low crime does not mean no crime, etc.) étaient délivrées dans quatre langues : Malais (quoi de plus normal), Anglais (lingua franca par défaut), Mandarin (je commençais à me débrouiller) et une écriture vaguement indienne assez jolie à contempler – du tamoul, ai-je appris par la suite. J’avais également spotté les différentes nationalités qui peuplaient la cité-Etat. Néanmoins, j’étais relativement déçu par le peu de représentants du sous-continent indien que je croisais.

Jusqu’à ce que j’eusse appris dans quel quartier certains étaient regroupés (émotion oblige, je ne réponds plus de la concordance des temps). A quelques stations de métro de mon domicile, touriste que j’étais.

J’y ai donc passé un samedi après-midi en solitaire. C’était l’idée du moins. Je ne suis retourné que dans mon pieu le dimanche vers sept heures du matin. Pour faire simple, le quartier indien ne dort jamais. Jamais. Musique à fond les ballons dans la rue, magasins à nans ouvertes toute la nuit, films Bollywood diffusés dans des cours intérieures, j’ai bien cru que mon détecteur de stimuli allait exploser.

Le plus dangereux reste le fameux Mustapha Center qui est au supermarché ce qu’un casino de Las Vegas est à une aimable partie de backgammon avec grand-père : un endroit immense sur plusieurs niveaux qui fait tout pour que vous perdiez toute notion du temps temps qui passe. Heureusement que je n’avais qu’une cinquantaine de dollars en poche et oublié ma carte bleue, sinon j’aurais pu finir comme la moitié des familles que je croisais, à savoir l’air hagard avec un caddie rempli de saloperies dont la moitié ne sera jamais utilisée : baume du tigre, tourniquet à épices, têtes de buddha et merlions en bois, roquefort en tube, intégrale de Buffy en DVD, cinquante kilogrammes de riz basmati, vraies fausses montres Patek, pomelos aussi gros que les seins de la daronne poussant le caddie, etc.

Je m’égare. Revenons à mon addiction. Mon premier kick fut, sans hésitation, un petit tailleur à quelques encablures du supermarché du diable. Je dégustais un lassi (à la rose, cela va de soi) en tentant de déchiffrer une devanture assez obscure (trois mètres de largeur au mieux). Le mec devant, qui me souriait avec toutes (ses quatorze) dents, me demandait alors ce que je glandais seul dans cette zone. M’expliquant ensuite à quel point il s’emmerdait, il m’a proposé, pour une quinzaine de dollars, une chemise sur mesure qu’il pourrait me faire en vingt minutes à peine.

A cet instant précis, je me suis dit qu’il y avait plus idiot comme manière de dépenser son argent. Je pense notamment à la douzaine de biddies que je m’étais procurée une heure avant. Je suivis donc Chetan (son p’tit nom) et optais pour une chemisette (manches courtes, désolé) tout ce qu’il y a de plus traditionnel, avec un matériau composite qui ne se froisse pas. Col simple, boutons en nacre (vu le prix payé, ce point reste en débat), bref j’ai fait dans la simplicité. A cet instant, je pensais que ça me ferait ni chaud ni froid.

Hélas, l’intérieur du magasin de Chetan m’avait scié : c’était certes étroit, mais l’échoppe courrait sur une quinzaine de mètres de profondeur. Sur les murs, des rouleaux de tissus qui ne demandaient qu’à être touchés. Non, ces textiles appelaient le client à les soupeser, à tester leur élasticité, à méticuleusement scruter la régularité des motifs, à les poser sur le bras nu et moite pour sentir l’alchimie avec la peau, à les humer, à brûler une fibre aux fins de savoir si c’est bien de la soie, à s’esbaudir face à des croisements de couleurs qui rendaient différemment selon la distance d’observation, à s’enrouler dedans en poussant un ronronnement pré-orgasmique. J’étais fasciné. Je voulais toutes les essayer, les porter, parader avec, les accrocher à mon cou et courir sur Orchard Road à l’instar d’un superman d’hypermarché, voire faire l’amour dessus.

Bref, j’ai promis à Chetan de revenir. Avec une poignée d’amis.

Le client est un roi sous ecstasy

[Interlude]

Je dois confesser que, à ma décharge, je ne suis pas tombé dans le pot de confitures par hasard. Avant de séjourner en Extrême-Orient, j’avais un business-plan plus ou moins bien établi. Le constat ? Ma penderie était, question bon goût et douce harmonie, située entre une manifestation menée par un leader d’extrême droite et l’état de vos toilettes un lendemain de repas de noël. La solution évidente ? Bazarder toutes ces merdes où les tee-shirts de listes BDE côtoyaient caleçons troués et jeans délavés. La solution intelligente ? Tout amener à Singapour, et se débarrasser progressivement de ces antiques vêtements à mesure de leur remplacement.

Le deal était alors simple : dès que je partais dans un pays de l’ASEAN, je laissais mes anciennes fripes aux associations ou directement à l’habitant. Je garde encore un souvenir ému de cette petite Philippine à qui j’ai laissé le tee-shirt que je portais ; surtout la voir repartir, guillerette, avec l’inscription « HEC Enculé » sur son nouveau vêtement. Puis me procurais des trucs pas trop vilains qui pourraient être portés en Europe. Si la balance était largement « excédentaire », je réexpédierais au pire le fruit de mes caprices dans un conteneur à destination du Havre, puis transbahuterais le tout dans ma voiture une fois de retour en France. Je n’avais jamais visité cette ville, et trouvais que c’était une bonne excuse pour y remédier.

[Fin de l’interlude]

Revenons à ce bon Chetan. On y est en effet retournés, à trois cette fois. Me sentant nettement plus à l’aise, je me fis plaisir avec un pantalon en coton léger, couleur blanc vanillé, qui donne l’impression de ne rien porter. D’ailleurs je l’ai mis avant d’écrire ces lignes, et j’ai toujours autant l’impression que mes glaouis prennent l’air, c’est dire comme c’est de la bonne came. De même, j’avais commandé deux chemises relativement sobres, manches longues, afin de d’être en mesure de dragouiller au Raffle’s Hotel sans immédiatement me prendre un vent.

La troisième fois fut la meilleure. Non pas parce que j’ai pu récupérer mes deux chemises commandées et me rendre compte qu’un polyester bien traité pouvait laisser passer l’air et que le bleu pétrole m’allait divinement lorsque cintré, mais parce que notre bon Chetan nous a donné l’adresse de son cousin, tailleur, à Johor Bahru.

Johor Bahru.

Rue des magasins de fringues, MalaisieLa première ville malaisienne à la frontière avec Singapour. A quelques heures du centre-ville de cette dernière en car. Un car au départ toutes les heures en moyenne. Des gens qui commutent et habitent en Malaisie. D’autres qui partent, les valises vides. Les mêmes qui reviennent, avec deux fois plus de valoches pleines à craquer – oui, y acheter des valises est une affaire en soi. Les mêmes échoppes et tailleurs à perte de vue, mais avec les prix malais. Pour une vingtaine d’euros les trois chemises taillées à Singapour, les prix de Johor Bahru faisaient qu’avec cette même somme vous pouvez espérer négocier une quatrième.

Mais attention, il convenait de marchander avec la plus extrême prudence et courtoisie. Ne surtout pas indisposer l’artisan qui, gavé par votre comportement de petit épicier du dimanche, mettra moins d’entrain et d’amour à vous conseiller les meilleurs tissus et à s’appliquer pour que ceux-ci retombent, avec le naturel le plus soyeux, sur vos épaules musclées. Personnellement, je préférerais avoir affaire à ma tigresse après qu’elle ait visionné un porno où je suis l’acteur principal (et sa meilleure amie en guest star) qu’un tailleur asiatique qui se sentirait floué.

Bref, notre premier voyage à Johor B. fut placé sous le sceau du tourisme vestimentaire. Un quart du weekend fut en effet consacré à rendre visite à de nombreux tailleurs, prendre leurs cartes de visite (et y inscrire leurs prénoms dessus), comparer les cotons, soieries, nylons et draperies, et se rencarder sur ce qui fera la mode. Si ça vous intéresse, le reste du séjour a consisté à boire de la Tiger Beer dans les salles d’arcade – je vous parlerai un autre jour de la technique pour faire péter le score au jeu du marteau au cas où votre copine est à vos côtés.

Cette ville frontalière est progressivement devenue notre point de ralliement du weekend lorsque nous ne partions pas dans une destination plus lointaine. A chaque nouvelle escale à J.B., le temps destiné à la visite des tailleurs grignotait celui dédié aux autres loisirs.

Oui, on commençait à présenter les premiers symptômes propres à tout junky en devenir. On en venait à oublier ce qui fait le charme de ces contrées dont les temples et musées restaient infoulés [cet adjectif n’existe pas] de nos pieds. Quand cinq potes préfèrent errer dans les rues à mater des fringues plutôt qu’aller en boîte de nuit, y’a comme une ébauche de malaise non ? Surtout lorsque :
1/ la boîte de nuit en question accueille à bras ouvert les Européens, trop rares ;
2/ le ratio femmes/hommes est de 3 à 1 ;
3/ La moitié des nanas y sont dans le cadre d’un enterrement de vie de jeune fille ;
4/ L’autre moitié veut seulement se dévergonder loin de leur famille ; et
5/ Le sol est jonché de tickets de consommation non utilisés.

Le problème n’était pas vraiment d’ordre pécuniaire, on n’était loin de se ruiner. Le plaisir ne venait pas tant dans l’acte d’achat que de parler de ce qu’on allait se faire couper. Quatre/cinq jeunes hommes discourant sur ce qu’ils avaient en tête de faire faire, la dopamine était allègrement libérée dans le cerveau lorsque l’un d’entre nous expliquait, par le menu, à quoi ressemblera sa prochaine chemise.

La comparaison avec l’attitude d’un addict ne s’arrêtait hélas pas là. Déjà, on aimait faire tourner les noms des tailleurs que l’on rencontrait. Un quidam écoutant discrètement nos conversations aurait juré qu’on échangeait les noms et bons plans de nos dealers respectifs. Acheter un porte carte (gros format) s’était alors naturellement imposé. J’avais des dizaines de références, des cartes de visite bariolées sur lesquelles j’écrivais les informations personnelles du tailleur et la teneur de nos dernières conversations. Je les triais par placement géographique : en premières pages, ceux qui sévissaient à Singapour, répartis selon la distance en métro depuis chez moi. En dernières pages, les commerçants de Johor Bahru regroupés par rue.

Johor BaruEnsuite, on terminait chaque pérégrination par ce mantra que tous connaissent : « punaise, c’est la dernière fois que je me fais couper une [chemise sans manche avec double poche] / [futal en soie coupe treillis] / [etc.] ». J’espérais que c’était une passade, une lubie passagère dont nous aurions ri plus tard. Cependant, cette parenthèse prenait le pas sur le récit de notre long séjour jusqu’à l’occulter. Chaque vendredi soir, au bar de l’université, nous ne mettions pas plus de dix minutes à savoir comment les deux prochains jours allaient être occupés.

Chaque dimanche soir, à la station de car de Singapour, nous avions des têtes de gueule de bois (sans alcool, un exploit) et un arc en ciel mettait nos cœurs sens dessus-dessous : la honte d’avoir perdu une vingtaine d’heures à mettre au point LE vêtement qui égaierait notre semaine, mais le plaisir de le savoir dans le sac à dos, prêt à être repassé et fièrement arboré.

Ensuite, nos conversations tournaient également autour de nos achats et leur articulation aves l’environnement singapourien. Car il ne s’agissait pas de discourir sur les mérites du nylon teinté par rapport à la soie de Peschawar, notamment le rapport qualité/prix. J’ai des souvenirs assez précis de débats enflammés sur la corrélation la plus adéquate entre le textile et la couleur eu égard le climat de Singapour. Un des participants s’improvisait alors juge de paix et notait scrupuleusement, sur la nappe du restaurant, les arguments de telle ou telle partie – visibilité de la transpiration, gestion par le tissu du choc thermique extérieur humide à 90%/intérieur sous climatisation, qualité de l’évaporation de la sueur, maintien ou non des odeurs, résistance à une lessive à 60°, résistance à une pression de six kilos (grossièrement, la force d’une japonaise sous MDMA tentant d’arracher la chemise), etc.

Il nous arrivait même de choisir nos cocktails en fonction de ce que nous portions, l’alcool étant totalement inféodé à l’habit. L’acmé de mon égarement fut de faire tailler une chemise rose foncé avec quelques discrets liserés verts afin qu’elle s’accommode avec le Singapore Sling, une de mes boissons préférées – j’invite le premier qui me dit que c’est une boisson de pédé à en boire une demi-douzaine d’affilée et arriver à bander deux heures après. Nous étions terriblement tristes à entendre, à peine si nous interrompions nos argumentaires pour donner une note à un petit boule qui passait au loin.

Au moins, nous étions beaux à voir. Évidemment, cela n’a pas duré.

L’engrenage : le tailleur qui ne sait pas dire non

Ce n’est qu’au bout du troisième mois que j’ai osé formuler des demandes peu conventionnelles. J’avais déjà fait de la merde en faisant confectionner des chemisettes avec des couleurs incertaines, toutefois la météo le justifiait amplement. J’ai mis un certain temps à déceler la profonde motivation lorsque j’ai entrepris de demander des habits plus que douteux. Je pensais vouloir faire marrer mes camarades, alors que j’étais simplement désireux d’être visuellement unique.

Au surplus, le tailleur à qui il est demandé de couper une tenue infâme a la mauvaise idée de fermer sa gueule. Il pourrait aviser l’Occidental en perte de repères, lui déconseiller de porter une chemise qui ne descend qu’au niveau du nombril, émettre des doutes (fermes mais courtois) sur un froc jaune canari couplé à des pattes d’ef’ ou dissuader de placer 6 poches à sa liquette (oui, SIX). Sauf qu’il n’en fait rien. Se contente de prendre la commande, sans sourciller, comme si le premier ministre singapourien lui avait fait, la veille, la même requête. Son client est roi, et le roi est ici un âne beurré qui viole les conventions vestimentaires les plus élémentaires.

Premièrement, j’étais fermement décidé à utiliser des motifs et des couleurs dont Mère Nature en personne n’a pas osé reproduire. Pantalon jaune moutarde ou vert fluo, jaquette crème avec intérieur rouge carmin, j’étais en mesure de vous refiler une migraine en un temps record. Le sacrosaint col mao assorti des manches longues à un seul bouton, avec moi celui-ci se transformait en ignoble chose pimpante qui aurait plus sa place dans une boîte gay à San-Francisco qu’à une réunion du parti communiste.

Je me gavais tellement de coloris improbables que j’ai même tenté de faire l’inverse. La couleur est-elle si nécessaire d’ailleurs ? Pourquoi ne pas tendre vers la transparence chère à nos démocraties occidentales ? De quoi aurais-je l’air avec une chemise au tissu si éthéré que mes poils du torse seraient discernables, et permettrait à mon interlocuteur de savoir, outre quand ils pointent, la couleur de mes tétons ? Je ne préfère pas vous donner la réponse.

Deuxièmement, j’ai poursuivi dans ma quête de l’horreur pure en sollicitant des coupes et des formes pour le moins originales, sinon franchement inappropriées. Il n’était alors question que de dosage et de perfection dans la dégueulasserie. Car il ne suffit pas de porter quelque chose de mal taillé ou franchement déplacé, il fallait que, dans un certain sens, la coupe soit personnalisée et parfaitement adaptée à ma morphologie. Que la difformité ne prenne toute sa mesure uniquement sur ma modeste personne.

Et je n’étais pas mécontent du résultat. Jugez plutôt : chemise serrée dotée de manches larges, coupe droite (limite arrondie) avec un col furieusement resserré, jean en flanelle de Bangalore en forme de V (petit mollet, grosses cuisses), j’étais à la pointe de l’irréalisme textilé. Certes je n’osais pas aller à la National University of Singapour ainsi vêtu, toutefois 19 heures passées le félin se transformait d’étudiant modèle en une incompréhensible apparition qui défiait les lois de la mode.

Troisièmement, et fin du fin, j’ai cherché à atteindre le nec plus ultra de la décadence visuelle en faisant en sorte que la forme et la couleur soient en parfaite inadaptation. Et faire montre de très mauvais goût n’est pas si aisé. Tout n’est que disharmonie, et concevoir un haut et un bas où absolument TOUT va de travers n’est pas donné à tout le monde. Je croyais naïvement que présenter un horrible mélange des genres (pantalon classieux vs. chemise de touriste australien ; chemise surcintrée sans manche fuchsia vs. braies bouffantes) suffisait. Ce n’est pas le cas. Il convient de trouver l’exquise alchimie qui transforme un « beurk ça ne va pas bien ensemble » en un puissant « stop ! ça ne peut pas être plus horrible !. Et, croyez-moi, c’est plus subtile que prévu.

Le dérapage fut complet dès que j’ai découvert qu’on pouvait placer ses initiales ou son nom sur le vêtement. Une douzaine de lettres au plus moyennant une modique somme. Brodées par un tailleur qui ne bite pas le français. Qui ne vous juge pas. Qui s’en bat les steaks de toute façon. Je vous laisse imaginer le genre de conneries que j’ai pu demander. Des chemises estampillées tigre, jesucepourunmars, embrassemoi, JacquesChirac2012, jesuistonpère, 06*** (le numéro de votre serviteur), etc. Ma plus belle réalisation fut de commander deux chemises identiques (noires, col italien et épaulettes rigides) avec escalope salade brodé sur l’une et escalade salope sur l’autre. Putain, qu’est-ce que j’ai pu me pisser dessus. Ne me jugez pas hâtivement. J’étais jeune.

Conclusion de l’expérimentation vestimentaire

Cette première partie m’a permis de prendre conscience de quelque chose de fondamental : l’Asie tend à révéler votre vraie nature. Et la mienne est naturellement féline : ne pas savoir s’arrêter, la curiosité m’incitant à expérimenter ad nauseam. Physiquement je commençais même à me comporter tel un chat, à savoir sursauter comme un con lorsque je m’apercevais dans un miroir – faut dire qu’ainsi habillé j’étais devenu méconnaissable.

Les psychologues parlent plutôt du désir refoulé de retourner dans un état enfantin primaire, à savoir l’époque bénie où mes parents m’habillaient comme le valet de pique (celui qui est moche) sans que je puisse m’y opposer. Conneries.

Quoiqu’il en soit, j’étais bien mal parti.

Je me disais que ça ne pouvait difficilement être pire.

Con que j’étais.

Car c’était sans compter un séjour prolongé à Hong-Kong. Une vraie boucherie. Le pote qui m’y a accueilli m’en parle encore avec des frissons dans la voix. D’ailleurs, il aimerait bien prendre le clavier et formuler, à sa manière, le déroulement de ce séjour. Je propose qu’on lui laisse la parole pour le prochain billet qui s’intitulera  « tournée des tailleurs à Hong-Kong ».

Je préfère vous prévenir, c’est un sino-américain. Son phrasé est sensiblement différent de celui du Tigre, il n’est pas exclu que ça pique légèrement la rétine. Voici son texte en lien.

Frank Miller - Daredevil Tome 2Daredevil #182-191, 219-220, 226 et Daredevil Love and War (que je n’ai pas terminé). Deuxième (et pour ma part dernier) tome des aventures du célèbre avocat aveugle, lequel s’enfonce dans sa douleur tandis qu’il devra faire face à des nouvelles menaces – et alliés avec qui ça se passe moyennement. 

Il était une fois…

Grosse envie de recopier la présentation de l’éditeur, sobre et couvrant l’essentiel :

« La mort d’Elektra a bouleversé Daredevil. Pour l’Homme sans Peur commence alors un sombre voyage. Il affronte de vieux ennemis, retrouve des alliées, Black Widow et le Punisher, et découvre enfin la vérité sur lui-même lors d’un dramatique face-à-face avec Bullseye »

Critique du premier tome de Daredevil

Voici l’issue du fameux « run » pondu par l’immense Miller, c’est grand, beau et généreux, on en prend plein la gueule. Et le félin doit confesser la chose suivante : j’en ai pris trop dans la crinière, et une bonne moitié des chapitres a échappé à ma proverbiale vigilance. Trop d’intrigues, trop de problématiques enchevêtrées, sans compter que mon attention s’est trop vite éclipsée face à la puissance (que je suppute) de cet arc.

D’après le peu que j’ai suivi, Daredevil/Matthew Murdock se remet difficilement du décès d’Elektra, son grand amour de toujours. Tellement que la façon dont il va traiter ses prochaines aventures laissent croire qu’il veut prématurément déposer son bilan. Au-delà des luttes contre le crime organisé de NYC (au premier rang duquel l’indéboulonnable Caïd), il y a une légère histoire d’amour avec la belle Heather – qui est sur le point de devenir son épouse. Sinon, le félin a repéré quelques ennemis du genre « mais-c’est-quoi-ce-machin », tel le surprenant Stilt-man, le gus perché sur des échasses en fer de 100 mètres de haut. Mouais.

Concernant les dessins, je dois reconnaître qu’il s’agit sûrement de ce que les années 80 peuvent offrir de plus abouti. Les planches présentent des situations plutôt variée, que ce soient des bastons athlétiques ou quelques moments d’un rare intensité dramatique. Et là, comme sorti de nulle part, le dernier chapitre change totalement de registre avec un trait et des couleurs plus éthérés, quelque chose d’onirique qui mérite d’être vu – à défaut d’être compris dans mon cas.

Bref, si je reconnais que ce tome est complet au possible et traite joyeusement (ou pas) le devenir du personnage d’Elektra et la menace rampante qu’est « La Main » ou autres ninjas qui se dissolvent, je n’ai pu m’empêcher de trouver le temps long. Alors soit ce type de comics est trop vieux et/ou ambitieux pour mes modestes goûts, soit je suis tout simplement infoutu de me concentrer sur une BD de cette qualité dès que ça dépasse les 300 pages – ce qui n’est pas exclure. Quoiqu’il en soit, ce héros n’est point mon genre de came, et j’arrête pour l’instant les frais.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

J’ai trouvé que ce tome faisait très fort dans le crescendo dramatique, à savoir le Daredevil qui n’est pas loin de tomber plus bas que terre. Limite too much. Déjà, il continue à s’arranger avec quelques criminels avec qui il a quelques fugaces intérêts en commun – Batman, ce con, préférerait en chier plutôt que s’associer, même brièvement, avec un méchant. En outre, le lecteur appréciera comment Matthew a du mal à gérer sa vie héroïque et la « normale », notamment sa relation avec une certaine rousse. Et que dire lorsqu’il délaisse son cabinet, au point de le faire planter au grand dam (j’adore cette expression qui ne veut rien dire) de son associé ?

Le caractère « aléatoire » de notre aveugle justicier créé également quelques difficultés avec ses alliés. Si la collaboration avec la belle Black Widow semble bien se passer, il en est différemment avec ce vilain garçon de Punisher. S’ils sont en principe du même bord, il y a comme une profonde mésentente entre les deux mâles, et Daredevil ne fait pas particulièrement montre de patience – pour tout vous avouer, c’est un gros chieur. L’homme en rouge apparaît alors sous un jour différent, un mec taciturne qui fait plus peur qu’espérer. Deux exemples : l’histoire avec le gosse qui idéalise Daredevil – déchirement insupportable avec l’amour paternel contrarié. Ou cet original chapitre où l’associé de Murdoch a la parole, avec les aventures du héros vues sous l’angle d’un quidam pas comme les autres plus proches du héros qu’il ne le sait.

…à rapprocher de :

– Préférable de commercer par le premier tome (en lien).

– Concernant Elektra, je vous renvoie vers le premier tome (en lien) par Blackman et El Mundo. Pas vraiment aimé.

– En revanche, Le Tigre aime le Punisher. Exemple avec ce superbe reboot, Au commencement (en lien), Kitchen irish (pas mal) ou Mère Russie (mon petit favori). Du très lourd.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

James LeMay - Norse #1VO : idem. Dans des temps reculés dans le Nord de l’Europe, une femme aux étranges pouvoirs sera sauvée d’une mort certaine. Mêlant fantasy et pornographie chic, doté de somptueux corps s’offrant aux coups de butoirs de guerriers sur-membrés, voici une belle surprise littéraire – car le scénario est plutôt bien léché.

Il était une fois…

10ème siècle après J.C. Les Vikings foutent leur habituel bordel en tuant et pillant les contrées environnantes. Le puissant Eirik Bloodoks, notamment, est connu pour ses sanglants raids. Et lorsqu’il s’introduit dans un monastère écossais dans les Highlands, il ne pensait pas y trouver la belle Brianna, attachée à poil dans une cellule prête à être tuée. Eirik se la tape (la gamine est consentante hein), et décide de l’emporter dans son Drakkar. Sauf que la frétillanteécossaise est pleine de surprises.

[Si vous êtes mineur, merci de NE PAS CLIQUER sur les images. Merci]

Critique du premier tome de Norse

james-lemay-norse-extrait2James LeMay est un auteur résolument moderne. Rien que la façon dont il écrit, à savoir des épisodes sortis d’abord sur le vaste internet avant publication sur papier, mérite des applaudissements. Lesquels sont encore plus nourris lorsqu’on apprend que le mecton fait participer, en ligne, ses lecteurs à qui il demande les choses à améliorer…voire la tournure que prendra l’histoire.

Modernité également sur les illustrations, qui ont un quelque chose de terriblement attractif. Trait fin, ligne claire, couleurs franches, c’est propre et net. Tout comme les visages et allures des protagonistes, beaux en diable. Et ce n’est rien par rapport aux subtilités des différents replis des chairs intimes de nos personnages, donnant aux cases un réalisme vertigineux. A croire que LeMay a passé des heures à contempler la foufoune de sa copine pour mieux rendre compte des petites imperfections d’un clito ou d’une lèvre gorgée de plaisir – voilà que je m’égare.

james-lemay-norse-extrait3Quant à l’histoire, la couverture est relativement trompeuse puisque l’apparition de ces méchantes bêtes, dans ce premier tome, reste anecdotique – mais marquante puisque ça prend la forme d’une double péné à tendance zoophile, avec décapitation et transpercement de glotte à la clé. Ces brefs passages prennent place dans une sorte de monde des rêves avec Walkyries et tutti quanti, alors que l’histoire principale est plus basique : Brianna est détenue dans un monastère écossais (un peu par sa faute, elle venait y chauffer un ex devenu moine), puis libérée par une horde de Vikings. Dont le chef, redouté dans les mers du Nord, s’entiche assez facilement.

Ramenée dans le bateau du puissant seigneur de guerre, Brianna relèvera nettement la température de l’endroit, entre plan à trois avec une guerrière noire (surprenant mais bon…la fantasy typée Xème siècle m’est assez inconnue…) et manifestations divines face à un mythique monstre. Oui, James LM pique un peu partout ses idées, et le félin avoue que c’est plus que passable. Lecture rapide et aisée, trame point compliquée, que demander de plus ? Une suite ? Bientôt.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

james-lemay-norse-extrait4La modernité n’est pas que dans le dessin, mais également dans la place des femmes dans l’ouvrage. Dans mon esprit étriqué, BD franchement porno = femme qui prend peu l’initiative et subit avec un relent de plaisir coupable dans la douleur (qui a parlé de Manara ? Pas moi). Sauf ici, puisque nos donzelles demandent à être sautées et excitent en premier lieu le rutilant mâle qui semble, parfois, ne rendre que service. Outre leur statut de fabuleuses guerrières, elles sont les seules à posséder des pouvoirs presque psychiques auxquels les hommes ne comprennent goutte. C’est également grâce à une de ses capacités fantastiques que l’héroïne suggère à une subordonnée d’Eirik de se joindre à leur 5 à 7 – cette dernière, au lieu de se jeter sur son boss comme la vérole sur le bas clergé, marque quand même dix secondes d’hésitation en se demandant si ça serait sage.

Puisque je vous dit que cette BD de cul est féministe.

james-lemay-norse-extrait1A tout hasard, le félin évoquera la composante mystique qui habite ce récit. Il n’y a pas que des sexes de toute sorte dans Norse, mais d’inquiétantes créatures aussi bien dans les rêves que dans notre univers tangible. Certains passages éthérés parviennent à mélanger cauchemar et sexualité, en particulier lorsque Brianna rencontre la fille d’Eiirik (qui au passage lui lèche furieusement la cramouille) avant que ça ne se transforme en viol par des loup-garous.

Plus prosaïquement, il est question de l’antagonisme entre le christianisme, représenté par les moines torturant et niant la féminité, et le paganisme nordique qui apparaît tout de suite plus sympathique. L’auteur offre une pierre supplémentaire à la réhabilitation des soi-disant « barbares » vikings dont la morale et les actions sont en accord, sans hypocrisie aucune. Par exemple, Eirik qui dit tout de go qu’une femme l’attend au bercail – je ne vois guère un chevalier en croisade balancer ça à la première paysanne qu’il tronchera en passant la méditerranée. Comme pour démontrer (si besoin était) la suprématie de leurs croyances, l’intervention du dieu du tonnerre (un certain Thor) en dernière page. Avec cette brillante phrase prononcée par le Viking : « Et toi Brianna, en quoi crois-tu ce soir ? » – nul prosélytisme, juste la suggestion d’une douce remise en question.

…à rapprocher de :

Je vous avoue que question fantasy pornographique, à part les aventures de Druuna (par Paolo Eleuteri Serpieri), je ne vois pas trop de quoi vous parler.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette bande dessinée érotique en ligne ici.