VO : idem. Une décennie s’est passée depuis que Tyler Durden est mort. Mais le double maléfique du héros est resté tapi dans l’ombre, avec un nouveau projet… Narration décousue mais efficace, dessin simple et percutant, quatrième mur régulièrement brisé, cette suite aurait pu être nettement pire. Palahniuk garde encore la forme.
Il était une fois…
Dix ans après les évènements du premier opus, Sebastian est un middle-class-worker terne et docile sous médocs. Marié à Marla. Père d’un gosse débrouillard (Junior, puisque son prénom ne semble pas être dévoilé). Marla s’emmerde et, pour retrouver la flamme d’antan, remplace les substances actives des médicaments de son époux par de l’aspirine. Il n’en fallait pas moins pour réveiller, de temps à autre, un Tyler Durden frétillant et plein de projets macabres pour l’Humanité. Cela commence par faire flamber la maison familiale et capturer Junior…
Critique de Fight Club 2
A titre liminaire, saluons l’audace de Chuck Palahniuk, grand écrivain s’il en est, qui ose imaginer un prolongement à son roman le plus connu, œuvre que se sont attribués des milliers de lecteurs qui ont tous leur mot à dire sur cette sequel – avec plus ou moins de discernement, à l’image d’une femme découvrant qu’il y a un roman « Fight Club » derrière le film éponyme.
En effet, la particularité première de cette BD demeure son caractère « méta », c’est-à-dire que les auteurs s’adressent directement aux lecteurs, lesquels prennent vie sous le trait de Cameron Stewart. Dès le tiers du comics (début du 4ème chapitre sur les 9 composant l’ouvrage), le félin a eu la surprise de voir Chuck Palahniuk en personne donner des instructions à un comité d’écriture chargé de veiller au bon déroulement de l’intrigue. Le vrai auteur apparaît ainsi à plusieurs reprises, tant pour veiller à la crédibilité de ce qu’il écrit que répondre aux critiques (qui confinent progressivement à l’émeute) de ses lecteurs. Et, passé l’effet d’étrangeté, on s’y fait plutôt bien.
Concernant l’histoire même, y’a du bon et du malvenu. La course poursuite pour retrouver Junior, avec l’armée de Marla en guise d’aide (des gosses atteints de progéria qui parcourent les plus sanglants théâtres d’opérations de ce monde), est autant décousue qu’incohérente. Idem pour le fameux « gambit de la quiétude », grandiose projet de Durden pour détruire la civilisation (on y croit guère, et à raison d’ailleurs). Digne d’un vilain des années 80 du genre Hugo Drax dans le film Moonracker, avec 007. Heureusement, Palahniuk révèle, à son rythme, le mal qui ronge Sebastian et les raisons de l’apparition de Tyler Durden, assimilé ici à un virus décimant sa famille et jouant avec les vices offerts par chaque époque.
Quant aux illustrations, c’est net et sans bavures, à l’exception de quelques effets de style rendant compte de la démence du héros, dont la vue est littéralement obscurcie tantôt par des cachetons, tantôt le bruit et le sang faisant fureur autour de lui. La ligne est claire, à l’image du style de l’écrivain, et les personnages correspondent davantage à l’esprit de Fight Club (le premier opus) qu’à la représentation du film – qu’il faut avoir vu pour saisir les nombreuses allusions émaillant le récit. Notamment Marla, aussi bandante dans la BD que Sebastian est sans éclat (félines excuses au passage à Helena Bonham Carter).
Pour conclure, concocter cette bande dessinée est une riche idée qui permet de clore (même si une porte est laissée entrouverte), avec le concours des lecteurs, une histoire vis-à-vis de laquelle Le Tigre pensait qu’une suite aurait été forcément décevante. Nonobstant l’auteur, c’est très bon. Connaissant Chuck, il aurait pu néanmoins aller bien plus loin. Peu de sagas offrent une telle profondeur dimensionnelle (roman/film/bd) et d’interprétation, sans compter que Palahniuk nous fait grâce des questionnements qui ont pu traverser son esprit (le félin en parle dans la partie suivante).
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Une fois n’est pas coutume, Palahniuk s’attache au sujet de prédilection du roman d’anticipation sociale, à savoir la place déclinante de l’homme moderne. L’existence de Sebastian, peu envieuse (voiture-boulot-dodo sans sexe), est comprimée par la prise de cachets et la peur de sortir des clous. Il en résulte une triste résilience vis-à-vis des petits (le voisin qui fait chier) comme des grands tracas. Dès que la camisole chimique est désactivée, Durden débarque et montre ce qu’un homme sans limites et doté d’une terrible vision (purger la planète sans le consentement de ses habitants) peut réaliser – avec, comme idée sous-jacente, la mort du père.
Sinon, revenons au « méta ». L’écrivain américain profite largement du bouquin pour s’entretenir, avec nous, de la création artistique et de ses conséquences. Notamment du devenir des personnages qui, selon certains, ont pris trop d’importance pour être laissés à la seule merci de leur auteur. Ce dernier rappelle, à juste titre, que tout ceci n’est qu’une fiction et qu’il reste maître de leur destin, dont il consent à partager les rouages via un Club d’écriture plus vrai que nature. Chuck P. insiste sur l’aspect fictionnel de ces histoires, à l’instar de la Bible dont une lecture trop « premier degré » influence de façon excessive la vie de millions d’individus. Au surplus, il n’y a aucun honneur à suivre les idées véhiculées par Tyler Durden, quand bien même celles-ci correspondraient à l’air du temps, suivre sa propre voie sans appui d’une quelconque figure d’autorité (à l’exception de ses parents ?) étant bien plus gratifiant.
Bref, l’écrivain répond en bloc aux commentaires qui ont pu être produits sur le premier Fight Club, et suggère, avec la plus grande courtoisie, que près de 20 ans après il reste le seul maître à bord.
…à rapprocher de :
Vous vous en doutez, le félin a pas mal bourlingué autour de Chuck Palahniuk. Florilèges (dans le désordre le plus complet) :
A l’estomac (grandiose) ; Choke (loin d’être le meilleur) ; Fight Club (faudrait que je le résume au fait) ; Berceuse (original en diable) ; Damned (très décevant) ; Snuff (marrant mais sans plus) ; Monstres invisibles (bluffant) ; Tell All (pas pu le finir) ; Peste (à lire absolument) ; Pygmy (bof, sauf en VO) ; Journal intime (imbitable) ; Survivant (grandiose) ; Le festival de la couille et autres histoires (du pur journalisme), etc.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.