Le 27 octobre 1949, l’avion Constellation décolle de Paris-Orly un peu après 20 heures. A son bord, 11 membres d’équipage et 37 passagers dont le boxeur Marcel Cerdan et la violoniste émérite Ginette Neveu. Atterrissage prévu aux Açores avant de filer vers les States. Sauf que le destin en a décidé autrement. C’est leur histoire qu’Adrien Bosc se propose de conter, non sans une certaine fluidité – mais guère plus.
De quoi parle Constellation, et comment ?
Adrien Bosc, c’est le gendre idéal qui a l’heur d’horripiler Le Tigre tellement il semble parfait : éditeur à succès de plusieurs revues, premier roman extrêmement documenté, belle gueule pour ne rien arranger, plus jeune que votre serviteur, bref c’est la classe. Si en plus il écrit plutôt bien, alors que dire de plus ?
Le titre, certes évident, renvoie néanmoins à plusieurs niveaux de lecture – ici bien expliqués. Le Constellation, c’est trivialement le nom du coucou (conçu par le doux dingue Howard Hugues) qui va prématurément mener tout ce petit monde au paradis. Une constellation, c’est aussi un ensemble d’étoiles suffisamment rapprochées pour que l’observateur averti puisse les relier par des points imaginaires. Et voilà, si cet ouvrage fait la part belle à l’imagination, je n’ai pu m’empêcher de le classer parmi les essais – malgré l’indication « roman » en couverture. Parce que ce qui relie nos protagonistes est tellement fort, violent, que la constellation s’impose d’elle-même.
Nous allons donc suivre, sur moins de 200 pages (plus de 30 chapitres judicieusement aérés), quelques tranches de vie de ses 37 passagers, sans compter la bonne dizaine de membres d’équipage. L’essayiste-écrivain, par courtoisie et curiosité, ne fait pas que relater le pedigree des VIP – il y en a beaucoup, prendre un tel zinc n’était pas à l’époque réservé au quidam de base. Il est alors question de la paire de bergers basques qui ont un contrat de ranching de l’autre côté de l’Atlantique ; Ernest Lowenstein, sur le point de se réconcilier avec son ex-femme ; ou encore quelques menus commerciaux faisant la navette Amérique-Europe-Afrique du Nord.
Quant au style d’Adrien (tu permets ?), il y a ce petit quelque chose qui rend la lecture complète, mais sans la limpidité ni le rendu d’un Dugain – ce dernier étant moins poétique sans doute. Si l’écrivain prend presque le lecteur par la main pour lui faire parcourir la surprenante mosaïque de ces individus unis dans la tragédie, il n’hésite pas non plus à faire montre d’un certain lyrisme qui va croissant – et à mon sens non forcément nécessaire. Au surplus, j’avoue avoir lu d’un œil torve le post-scriptum, intitulé « Le voyage des deux amants », qui déblatère sur Blaise Cendras, auteur que je ne connais guère – bel euphémisme. 200 pages instructives, le lecteur ne se sentira guère floué.
Ce que Le Tigre a retenu
Comme tout bon élève qui a fait sa prépa scientifique, le félin n’a pu s’empêcher de se souvenir des spécificités d’un avion assez particulier. Le Lockheed Constellation est à l’image de son créateur : une quasi malédiction. Il arrivait au quadrimoteur de tomber tellement en rade que certains le nommaient le « meilleur » trimoteur du monde (hu hu). Et puis faut avouer que les causes et conditions (météorologiques et techniques) ayant amené à un tel désastre sur le mont Redondo ont coulé dans les mirettes tigresques, c’est comme lire un rapport du BEA rédigé par un littéraire – sans compter le « vol témoin » pour retracer ce qui a bien pu se passer.
Ensuite, il y a les femmes et les hommes de cet « écrasement d’avion » (traduction américaine) qui n’a laissé aucun survivant. Et grâce à deux personnages en acier trempé, il y a matière à intéresser le lecteur : Marcel Cerdan, bien sûr, le champion du monde de boxe maqué avec la Piaf et qui a une revanche à prendre contre LaMotta – il a été, il est vrai, mis K.O. par un vilain concours de circonstances. Ginette Neveu, également, musicienne précoce qui a ébloui ses contemporains. N’oublions pas non plus Kay Kamen, commercial de génie sur le point de se faire entuber par Disney. Mais tous avaient une solide raison pour prendre l’avion (qui n’en a pas une), et sous la plume de Bosc ça prend une tournure douce-amère – sans verser dans le glurge.
Enfin, quelques anecdotes découlant du crash, sans être putassières, sont savoureuses au possible – oui, le fauve a l’esprit mal tourné. Par exemple, la populace portugaise environnante des lieux du clash qui pille les restes de l’avion – un archer appartenant à Neveu découvert chez un habitant, et le mystère entourant le violon. Et que dire de cette Autrichienne qui, apprenant la nouvelle du décès de Neveu, mettra fin à ses jours ? – la fameuse quarante-neuvième victime. Quant à la mère de Ginette Neveu, celle-ci a refusé de reconnaître le corps de sa fille, à juste titre. Il fallait un cran incroyable pour persister.
…à rapprocher de :
– Pour vous donner une idée de la difficulté à piloter de tels engins à cette époque, n’hésitez pas à lire Vol de nuit, de Saint-Exupéry.
– Dans un tout autre registre, il y a un roman qui reprend le terme du présent. Il s’agit de Carnage, Constellation, de l’immense Marcus Malte.
– Dans un tout autre registre encore, une anthologie de trois romans de Piers Anthony a été publiée…et porte le nom de Constellations – Clusters en VO. Au pluriel, oui. Jamais lu.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Cher Tigre,
Merci d’abord pour cet article au ton reconnaissable entre mille – blogs-!
Bien d’accord avec vous, pas vraiment sûre qu’il s’agisse d’un « roman » … Pour autant, il y a du vrai, du pur romanesque dans ce truc -là… « Du romanesque sans roman » pourrait-on dire…et ça marche, rien à dire.
Je n’ai pas été tellement été convaincue non plus par les dernières pages, mais peut-on peut-être y voir un défaut… de jeunesse? (Tout dire, trop en dire…?)
Ne soyons pas trop tâtillons, cela reste un très bon roman, vraiment enthousiasmant.
Bien à vous,
Marie Anna.
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