Lorsqu’un homme alerte nous entretient de ce qui ne va guère dans notre civilisation, sans pour autant balayer comme un vieux con ce qui fait la modernité, ça promet d’être divertissant. Après un début délicat, Le Tigre s’est progressivement régalé de la prose d’un homme qui écrit comme on parle à un ami, sans chichis ni tournicotage effréné autour du pot de la langue de bois.
De quoi parle De chez nous, et comment ?
Le félin connaît peu Christian Authier, ce qui est plutôt désolant étant donné que l’écrivain-essayiste a un joli paquet de titres (notamment sur le cinéma) à son actif – mon inculture généralisée ne cesse de me ravir. Pour tout avouer, je me suis dit en parcourant l’ouvrage : « oh pinaise, encore un intello anarcho-poète qui va m’horripiler (ou, pire, m’endormir) avec ses 160 pages bien denses où tomber sur un saut de page fait l’effet de trouver une oasis lorsqu’on crève de soif ».
Et c’est ce qui a failli arriver dans les premières pages, l’essayiste démarrant sur les chapeaux de roue de la seconde guerre mondiale. Actes héroïques des premiers Français à dire non aux Nazis et à Pétain ; considérations sur la Résistance ; opposition, à la lettre de Guy Môquet, de celle plus « parlante » de Fernand Zalkinov, etc. : tout ceci m’a paru trop dense, sans compter qu’il me fut difficile de savoir où l’essayiste voulait en venir. Mais le fauve s’est trompé : je suis rapidement entré dans le bain de sa prose claire et agréable à parcourir. Même ses réflexions sur la guerre d’Algérie et l’utilisation de la torture, uniquement condamnée au sein de l’armée par Jacques Pâris de Bollardière (sujets que je maîtrise autant que la résistance des fluides), ont glissé dans mes mirettes.
La structure de l’essai est simple et bien imaginée : Christian part d’un évènement d’actualité (le débat sur l’identité nationale, le match catastrophique France-Algérie de 2001 par exemple) avant de développer une vision plus globale sur les raisons de tels désastres politiques. Au fil des pages, il appert qu’Authier se revendique de ce qu’on nomme « l’arrière-garde », pour ma part je parlerai de néo-gaullisme de bon aloi. Ce ne sont pas vraiment ceux qui sont hors de leur époque, mais plutôt des individus d’exception capables de se souvenir ce qu’il y avait de bon avant et savent se désoler, avec justesse, des nombreux grains de sable qui plombent une machine sociétale qui part en quenouille – les exemples ne manquent pas.
Alors certes, Le Tigre a un peu toussoter face à certaines de ses positions, mais rien qui justifie de faire un autodafé – la libéralisation de certaines professions, la commission Attali, l’Europe, la suppression des départements, l’utilisation de l’Anglais, voici quelques sujets où ma modeste opinion diffère quelque peu. En outre, le diagnostic, plutôt juste, manque cruellement de réponses concrètes, l’impression est tenace d’écouter un homme politique flamboyant mais intimiste.
Bref, Authier est le genre de gars avec qui boire un canon en discutant des choses de ce monde serait loin d’être désagréable. D’ailleurs, l’idée de cet essai trouve sa source dans les nombreuses soirées chargées faites avec ses amis. Enfin, si l’œuvre est relativement courte, c’est oublier sa densité qui fait qu’elle mérite certainement d’être relue.
Ce que Le Tigre a retenu
Déjà, les travers de la société sont analysés avec le consciencieux d’un individu qui sait raison garder. Et il faut dire que ses illustrations sont éloquentes, par exemple les fonctionnaires de La Poste qui s’agitent comme des harpies pour vous faire acheter n’importe quoi. Et les politiciens ne sont pas en reste, comme l’illustre cette phrase qui m’a fait marrer : « Les Français pensaient avoir élu une sorte de Cendrillon leur promettant de quitter leur tour les tâches ménagères, ils se réveillaient avec une citrouille narcissique et jet-setteuse« . Quelqu’un qui parle du début du mandat de Sarkozy en ces termes ne peut être foncièrement mauvais.
Plus généralement, Monsieur Authier déplore le démantèlement cynique (par des individus à la vue basse qui se fourvoient) du fameux programme du Conseil National de la Résistance, où la place de l’État permettait d’assurer une certaine égalité doublée d’un républicanisme fort. La déstructuration des services publics, la technicité outrancière, les extrémismes de tout poil (apéros saucisson-pinard ou antisémitisme banalisé), tout cela contribue à la perte d’un art de vivre, d’un vivre-ensemble mettant en danger l’idée même d’une nation.
Ainsi, l’efficacité à marche forcée avec ses résultats moribonds s’inscrit dans un contexte de mondialisation qui nivelle par le bas et taille tout ce qui dépasse le dogme de l’économie de marché – plutôt une globalisation aseptisée qui transforme les aéroports en hôpital, pour citer l’auteur. Dans le sillon de cet inquiétant appauvrissement, la langue française est une victime notoire, violée par la bêtise revendiquée de la novlangue moderne et d’un globish qui n’a plus rien à voir avec la riche langue anglaise.
En conclusion, Christian Authier est une voix cultivée plutôt originale, et son dernier chapitre annonce ce dont le lecteur se doute : c’est un texte éminemment personnel glorifiant l’amitié et les valeurs supposées inhérentes tout être humain normalement constitué – solidarité, fraternité. Un ouvrage également destiné aux individus qui pressentent que quelque chose cloche dans un système où l’instantanéité et l’argent sont roi, et à qui Authier déclare « tu n’es pas seul ». Merci à lui.
…à rapprocher de :
– Quelques auteurs, qu’à ma grande honte je ne connaissais guère, semblent avoir les faveurs de Chritian Authier, tels que Bernard Chapuis, Guillaume Clémentine, Eric Tellenne ou Jean Rolin. Promis je m’y mets.
– Sur la globalisation économique et l’économie capitaliste , une réponse possible est apportée par André Comte-Sponville dans Le capitalisme est-il moral ? Sa réponse : c’est une théorie économique, par définition a-morale, il faut donc que l’Homme établisse des gardes-fous.
– Lorsque l’essayiste présente la tendance française à se donner de vigoureux coups de fouets dans le dos en parlant de son pays, ça m’a rappelé le polémique Bruckner et sa Tyrannie de la pénitence.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet essai en ligne ici.
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