Ouvrage presque unique en son genre, il est ici question de prostitution d’un point de vue d’un jeune client qu’il est difficile de haïr. Misère sexuelle, considérations sur une société qui provoque un tel commerce, petites morts dans des hôtels de passe ou à domicile, tout y est. Voici l’histoire d’un ex-micheton, vivant chez sa maman dans le Val-de-Marne, devenu fervent abolitionniste.
De quoi parle La tentation du lundi, et comment ?
Avant de démarrer la présente critique (du moins l’appréciation tigresque de ce particulier objet littéraire), il faut savoir que Blanchard en personne est allé pleurer (Tigre exagère) sur ma boite mail pour me parler de son essai. Il faut convenir qu’il l’a plutôt bien vendu dans la mesure où il est question d’un long épisode de la vie de l’essayiste qui, il faut le souligner, a pris des risques conséquents en étant publié sous son vrai nom. Et je ne regrette aucunement d’avoir lu ce petit bijou
Déjà, l’histoire de Jean-Marie Blanchard (JMB par la suite) est surprenante au possible : homme de frêle constitution qui se complait à se comparer à un loser ; individu triste qui en vient à faire des heures sup’ (du mardi au dimanche) pour avoir deux à trois cents euros de plus en vue de son plaisir du lundi ; une bonne dizaine d’expériences de relations sexuelles tarifées ; puis, d’un coup, le dégoût pour la prostitution, quelle que soit sa forme. Un cas sans doute pas unique en France, mais l’écrire, c’est moins courant.
Ensuite, le style. Il faut reconnaître à JMB une prose directe, sans tournicotage autour du pot ni pincettes stylistiques – tout en s’exprimant avec un vocabulaire étonnamment riche, souvent drôle. Non seulement l’auteur délivre des faits bruts qui le concernent sans verser dans le sensationnalisme ou à l’auto-apitoiement, mais en plus il ressort une certaine tendresse d’une œuvre dont il assume le statut d’anti-héros. Au surplus, une vingtaine de pages en guise de conclusion plus « sociétale » terminent le roman, ce qui m’a paru un poil juste par rapport aux enjeux – au moins on n’a pas le temps de s’ennuyer.
En conclusion, un mini coup de cœur sur un sujet difficile, et sur lequel avoir un avis de la part d’un « consommateur repenti » est plutôt rare. Du haut de ses actes répréhensibles, Jean-Marie ne se cache pas et ne cherche ni à mentir au lecteur, et encore moins à enjoliver une glauque réalité. Un homme honnête qui, parce que ce qu’il dit n’entre dans aucune case idéologique, a dû en prendre plein la gueule.
Ce que Le Tigre a retenu
Avant d’arpenter rue Saint-Denis avec ses cinquante boules en poche, JMB en est venu à un constat assez terrible : la vingtaine, toujours puceau, son apparence lui semble être à des années-lumières des mecs qui exercent une attirance chez les femelles, à savoir bruns ténébreux qui dépassent le mètre quatre-vingt – une erreur à mon sens. S’il est commun de lire l’expérience de quelqu’un qui veut se faire, pour la première fois, dégorger le poireau par une pro, il devient terrifiant de découvrir les motivations d’un individu qui ne peut que commettre la chose de cette manière.
Ensuite, Le Tigre a alterné entre tristesse et rictus lors du déroulement des pérégrinations de notre ami. La différence entre aller chez la catin et l’outcall (quand la coureuse de remparts se déplace jusqu’à chez lui, alors que sa mère est dans les parages…), les déceptions face à des prestations mécaniquement exécutées, l’arrivée du glorieux internet pour rechercher et comparer ce qui s’offre à proximité, l’appétence progressive pour les femmes replètes avec des nibards à faire bander un moinillon castré,…en fait Jean-Marie se livre, sans pudeur, mais sans mettre pour autant son lecteur mal à l’aise.
JMB ne met pas longtemps, grâce à quelques échanges post (voire pré) coïtaux, à repérer ce qui lie les prostituées – escort girls, putes, les termes ne changent rien. Il appert que toutes sont polytraumatisées : incestes, attouchements, viols, accidents de la vie, chacune des personnes croisées a une histoire. Pire, elles n’ont pas d’autre recours que vendre leurs corps au mieux offrant, et inventent de belles histoires autant à destination des clients que pour elles. Assez dur au demeurant.
A la suite d’amitiés naissantes (Delphine en premier lieu) et de discussions plus sérieuses sur la condition de travailleuses du sexe, l’essayiste en est venu à abhorrer ce commerce qu’il a pratiqué plus d’une fois. Déjà, l’activité des prostituées leur déglingue l’esprit (ou entretient leurs traumatismes), il s’opère une dangereuse dichotomie entre la tête (où le désir est absent) et le corps qui subit les outrages d’autrui. Ensuite, entre les mecs qui recherchent moins cher pour des prestations toujours plus vastes et ces femmes qui côtoient des mâles dont elles ne supportent pas les attouchements, les relations entre les deux sexes ne vont pas en s’améliorant – et je ne parle pas des positions extrémistes de quelques groupes féministes qui associent, au mâle, le mal (désolé du jeu de mots foireux). Une des solutions de JMB serait de pénaliser le client, puisque le responsabiliser semble bien vain.
…à rapprocher de :
– Comme lui-même me l’a dit, cet auteur possède un jumeau maléfique en la personne de Chester Brown (qui a fait particulièrement fort avec ses 23 prostituées).
– Sur les polytraumatismes et l’univers glauque de la prostitution, Pour toi Sandra (de Derib) est à signaler dans la catégorie des BD.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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