VO : El jardín de las peculiaridades. Titre original et porteur d’un message humaniste et radical, Le Tigre qui n’en est pas à son premier essai « subversif » reconnaît qu’il y a matière à réflexion dans ce fameux jardin. Texte dense et à la logique sibylline, faut brancher son cerveau sur le gros voltage avant de commencer cet essai.
De quoi ça parle, et comment ?
Publié au début du XXIème siècle en espagnol, bien servi par une traduction de qualité (par Monsieur Fragata), Jesus (avec un accent sur le « u ») a fait court et puissant. Attention, si sur internet vous cherchez cet illustre anarchiste (en sus psychonaute et poète selon l’éditeur), ne le confondez pas avec Jesús Sepúlveda (Recio), homme politique espagnol du Parti populaire (celui où sévissait le très vilain Aznar). Parce que c’est plutôt son contraire dans notre cas.
En effet, l’essayiste est tout ce qu’il y a de plus provocateur. L’idée principale de son quasi brûlot est que la situation actuelle fait montre d’une standardisation (et un dualisme) à un point qui met autant en danger l’homme que les autres espèces. Pour aller à l’encontre des codes que l’État (par les médias, l’éducation, la police, etc.) injecte aux populations maintenues dans un état de frustration, il faut que l’individu se désolidarise de tout ce qui fait la civilisation et laisse place à l’imagination, l’art et le respect de ce qui peuple notre bonne Terre.
L’auteur doit prendre un pied certain à s’occuper de son potager, car il file comme un joli poète la métaphore filée autour du jardinage : faire éclore la singularité de chacun, laisser les plantes pousser dans leurs différences et ne pas les « cadrer », la syntaxe écologique y est plus que prégnante. Derrière ce vocable, le style est savant (des tournures de phrases complexes) en plus des nombreuses références à d’autres auteurs. Par exemple, Guy Debord (pour sa Société du spectacle), Nietzche, John Zerzan, Barbara Ehrenreich ou John Trudell (les trois derniers, aucune idée de leurs gueules).
Hélas, comme tout individu qui fait son maximum pour expliquer (car il ne me paraît pas être une vraie force de proposition) ce qui ne va désespérément pas dans notre monde globalisé et normalisé, son style sort aussi des clous : Le Tigre est sans doute trop cartésien et aurait aimé, au lieu d’une cinquantaine de chapitres (de tailles variées) qui se suivent à toute allure, quelque chose de plus « construit ». Mais ce n’est pas le genre du sieur Sepúlveda d’organiser son texte en plusieurs parties, il m’a paru balancer ses idées en vrac sans qu’un fil d’Ariane ne daigne se montrer. Ou alors beaucoup m’a échappé.
Pour conclure, on peut ne pas être d’accord avec certains dires de cet artiste complet, toutefois il donne quelques explications éclairantes sur la condition humaine. Un humaniste exigeant et sans concession, quitte à balancer trop de parpaings dans la marre des convictions du lecteur occidentalisé. Du coup, la partie suivante représente surtout, à mon sens, quelques anecdotes qui m’ont marqué.
Ce que Le Tigre a retenu
L’auteur évoque (entendez, il tire à boulets rougeoyants) plus d’une fois le désastre de la colonisation sur le territoire américain : destruction d’espèces, immenses pertes de variétés de légumes et fruits (200 races de patates andines dégagées quand même),…l’occidentalisation de ce continent serait une des plus déplorables illustrations de standardisation et de déperdition en termes écologiques. Tout ça sous la bénédiction de l’Église (qui prend quelques claques dans l’essai) et des Lumières.
Il s’ensuivra une classification à outrance de la nature, acte contre nature s’il en est. En outre, cela inclut la taxinomie de la nature, la création de dictionnaires, etc. Tout cela en vue d’inoculer une pensée unique par le biais d’encyclopédies et de livres d’histoire conçus par les gouvernements (ce qui fait l’État est son territoire, selon le Chilien), ouvrages réducteurs qui vont dans le sens de l’idéologie dominante. En faisant fi de ce que peut apporter la nature à force de domestication on va droit dans le mur. Un exemple peut être l’utilisation des drogues chimiques à la place de celles dites « naturelles » utilisées depuis la nuit des temps (d’où le tag « ésotérisme »).
Le dernier point intéressant est lorsque Jesús Sepúlveda « bascule » dans le végétarisme en affirmant que l’Homme ne serait point carnivore : incapable de manger la viande sans être cuite et/ou accompagnée d’épices ; canines peu prononcées et molaires plates peu dignes d’un canin ou d’un félin ; système digestif représentant 10 fois sa taille à l’instar des espèces brouteuses d’herbes (je ne parle pas d’homosexualité), contre 3 pour les carnivores. Pour le blogueur tigresque que je suis, comprenez que ça m’a passablement inquiété.
…à rapprocher de :
– Vers la fin de l’essai il est question des mini révoltes contre le système mis en place : FMI, G7 (émeutes à Gênes par exemple), ça rappelle les zones d’autonomie temporaire théorisées par Hakim Bey dans TAZ. Un bel essai d’anarchie au passage.
– Certains aspects de la philosophie prônée par Jésus n’est pas si éloignée de celle d’Albino, le héros des Technopères de Jodorowski.
– A un moment l’essayiste fait une longue digression sur la structure hiérarchisée et strictement rigide des fourmis, miroir déformé de la civilisation humaine. Et anti-miroir à la fois car ces insectes, à la différence de l’homo sapiens, respectent leur environnement en plus d’être nécessaires à la survie de la planète. Tout cela m’a rappelé le bon Bernard Werber. Désolé.
– Si vous souhaitez faire péter la culture dans tous les sens avec ce même éditeur, Noam Chomsky, activiste de Jean Bricmont ; le classique de Thomas Paine (Le Sens commun) ou Métaphysique et fiction des mondes hors-science de Quentin Meillassoux peuvent être signalés.
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