[VO : Welcome to Neo-Japan]. En l’an 4001, le lumineux Japon est en pleine tourmente : un meurtre a eu lieu ! L’enquête du protecteur du pays, être 99% humain, va amener ce dernier à s’interroger sur son pays, soi-même, le sens de son devoir. Comics sombre, fouillis, un peu glauque et dont l’intérêt s’éveille progressivement, il y a assez de matière pour avoir envie de poursuivre l’étonnante série.
Il était une fois…
Le Néo-Japon, c’est comme le Japon, mais nettement plus exagéré. Faut dire qu’on est au tout début du quatrième millénaire. La planète a l’air salement amochée, et l’Empire du Soleil levant consiste en un immense habitat qui s’élève jusqu’aux cieux. Le pays est régi par une I.A. toute puissante répondant au doux nom de « Père ». Le Néo-Japon est également protégé par Rai, sorte de Samurai du futur doté de pouvoirs phénoménaux et intimement lié au destin du Japon sur-millénaire. C’est évidemment à lui que Père fait appel pour découvrir quel est le fils de catin qui a bien pu commettre le premier meurtre depuis 1000 ans.
Critique de Bienvenue au Néo-Japon
Plantons rapidement la suite du décor. Imaginez un pays fait de milliers de niveaux où résident des millions de Japonais, certains niveaux étant suffisamment grands pour accueillir des répliques de grandes villes. Chaque citoyen est doté d’un positron, un humanoïde qui l’assiste dès sa majorité afin de moins se sentir seul. Les plus riches habitent dans les niveaux les plus élevés bien sûr – comme partout non ? Prenons ensuite Rai : humain à 1% (le reste étant de l’electrovie), capable de traverser le pays en mode haut-débit (littéralement il sort du réseau), faisant apparaître des sabres de ses mains et tuant sans état d’âme pour protéger son pays.
Protéger le Néo-Japon contre qui au juste ? Notamment contre les luddistes, terroristes détestant tout ce qui fonctionne à l’électricité, abhorrant Père et la puissance de la technologie. Et ce sont vers eux que les soupçons se portent. Le protagoniste, accompagné de Lula Lee, jeune femme qui l’aidera dans sa quête (grâce notamment à sa maîtrise de la chose papier), tâchera de connaître l’identité de la victime, puis les responsables de ce crime particulier. Question narration, le lecteur prendra tour à tour connaissance des pensées du guerrier surhumain (réflexions logiques et révélatrices d’un paradigme néo-japonais où le pays, parfait, ne peut qu’être défendu) et de Lula Lee – lesquelles demeurent plus intimistes et donnant une vision plus étendue de la situation du pays.
C’est ainsi que, trivialement il est vrai, l’intrigue se déroule sans accroc majeur, dérouler le fil se révélant plus délicat dès lors que l’ennemi (et la victime) n’est pas celui auquel Rai s’attendait. Ce dernier croisera quelques personnages dont la puissance semble être l’égale de Père (dont l’existence physique reste à démontrer) et sachant énormément de choses sur Rai, suffisamment pour lui retourner le cerveau – en particulier le mystérieux Silk, qui n’aurait pas détonné dans un décor à la Matrix. De là, les ultimes pages parviennent à apporter une dimension supplémentaire à l’ouvrage (notamment en ce qui concerne la pitoyable gestion des déchets du pays, le fameux rebut) en plus d’annoncer un second tome qui a le potentiel d’apporter un nouvel éclairage à ce monde cyberpunké.
En ce qui concerne les illustrations, il faut reconnaître que ce coquin de Clayton Crain a un sens inné du détail. Trop sans doute, le dessinateur paraît vouloir tellement en mettre dans les pages que les cases se ratatinent, gâchant parfois de sublimes tableaux comme le secteur 2007 de Manhattan (ou, tout NYC dans un étage de Néo-Japon) ou un Los Angeles dévasté par la guerre. Sans doute est-ce fait exprès, comme pour alimenter notre malaise. Fidèles à la représentation cyberpunk, les couleurs demeurent sombres, l’humidité omniprésente et la grandeur des installations techniques tend à donner aux individus l’apparence de fourmis dépourvues de maîtrise sur leur destin – il n’y a qu’à voir ce que devient la populace de la dernière page. Bref, c’est beau et bon à lire, et faudrait pas que la suite gâche cette première bonne surprise.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Bienvenue au Néo-Japon décrit ce à quoi pourrait ressembler une dictature soft gérée par une intelligence artificielle qui délivre ses instructions à une société parfaitement hiérarchisée. Une I.A. aussi froide que déterminée dont les priorités demeurent compréhensibles : sauver ses fesses, protéger autant ce faire que peut la population, encore sauver son cul, faire prospérer le pays – peu importe les dommages collatéraux, même humains. Résultat : le pays de Rai est un ensemble immense d’une rare stabilité, et aucun trouble ne semble être en mesure de dépasser les compétences de Père et de son bras armé. En théorie.
Ce bras armé est d’autant plus efficace qu’il a été créé pour ce seul but. Une obéissance aveugle découlant du sempiternel sentiment père/dieu, voilà pour Rai. A la différence du croyant de base, il arrive à Père de répondre aux questions du samouraï du futur, en faisant une sorte de prophète affublé d’une épée divine. Forcément, ça grippe. En effet, ce premier tome est l’histoire d’une émancipation : questionnements multiples, connaissance de vérités alternatives par d’autres sources, découverte de sa vraie nature, enfin refus de l’autorité de celui qui l’a créé. Tout cela à cause d’une femme, et pas n’importe laquelle – un unique dieu masculin, quelle idée aussi…
La désacralisation de Père par le héros prend ainsi une telle ampleur que le guerrier tatoué du drapeau du Japon en vient à prendre peur ; oui, une réelle frousse qui lui fait craindre son créateur, et questionner sa légitimité même. De là, Rai ose se détacher du réseau du Néo-Japon (celui qui lui permet de passer d’un secteur à un autre à la vitesse de la lumière) pour mieux appréhender la vérité. Or, la certitude acquise à force d’opiniâtreté n’est point bonne à entendre : Rai est une création imparfaite, et ce ne sera pas le premier modèle à échouer…
…à rapprocher de :
– Comme je l’évoquais rapidement, certains thèmes sont communs aux canons du cyberpunk : réalité virtuelle, interface homme-machine poussée à l’extrême, élite dirigeante intouchable, sans compter les troubles d’identité. Pour vous donner un exemple simple, y’a un peu de Matrix. Pour l’architecture en hauteur, évidemment on s’inspire des Monades urbaines, de Silverberg.
– Dans le genre du tueur méthodique qui doute de la mission assignée par les autorités, relisez Le travail du Furet, de Jean-Pierre Andrevon.
– La société ultra-hiérarchisée gérée par un ordinateur et où toute révolte est forcément suspecte, difficile d’ignorer La Zone du Dehors, de Jean-Pierre Andrevon.
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