La couverture et l’affiche, voilà qui est bien mystérieux. Digne du titre d’un Houellebecq même ! En fait Le Tigre s’intéresse ici à une inquiétante (pathétique même, tant qu’à désigner un des responsables par cet adjectif) tendance : celle de poutrer la couv’ d’un bouquin avec l’affiche d’un blockbuster dont il a été tiré. Pourquoi est-ce mal, et surtout comment l’éviter ?
Quoi ?
Ce coup de gueule m’est venu après avoir tenté d’offrir L’histoire de Pi à un proche. Je me baladais dans une librairie de masse aussi discrètement que Chirac au salon de l’agriculture. Traduisez : j’importunais tous les clients que je croisais avec mes douteux conseils littéraires (un peu comme cet inculte de Vizinczey) et faisait chier les vendeurs avec mes improbables demandes (juste pour tester leurs connaissances).
Et là ce fut le drame. Que vois-je (la deuxième édition, nouvelle, du titre par Folio), qu’entends-je (« elle est jolie l’affiche non ? » me dit une vieille dame empestant le chien mouillé), suis-je éveillé (le film n’était pourtant pas encore sorti dans les salles) ou dors-je (je rêve souvent être dans une librairie où les prix sont les mêmes, mais en Francs CFA) ?
En effet, la mignonne couverture (cf. infra) du livre a disparu au profit d’une photo certes onirique, mais qui ne laisse plus de place au doute : L’histoire de Pi, c’est L’odyssée de Pi, le truc qu’on a vu un peu partout affiché pendant un certain temps.
Si seulement c’était un cas isolé. Que nenni ! Le Tigre aime Paris, supporte les matchs de foot, et de temps à autre mélange allègrement les deux en reprenant Paris-Match et son choc des photos. Place au choc donc, avec ces quatre romans, version « avant film » puis « après navet ».
Pourquoi mettre un film sur la couverture d’un livre ?
Vous aussi, vos yeux vous piquent furieusement ? Audrey T., Vin D. (avec Kassowitz mentionné, nom de Zeus), Keanu Reeves, que de fins littéraires ! La réponse au pourquoi saute littéralement aux yeux.
Mais ce n’est pas pour des raisons essentiellement esthétiques qu’il faut sortir le bazooka contre les gondoles de supermarchés vendant des poches honteusement réédités. En plus ça ne sert à rien de canarder à tout va ces romans comme une vieille postillonne à son confesseur apostolique et romain : vos dégâts seront comptabilisés en tant que démarque du magasin, au même titre que les lames de rasoir piquées et autres bouteilles de Ricard entamées sur place.
Certes changer la couverture « historique » par une affiche (ou une capture-écran, bien plus économique) mérite une mention dans la section 1 du premier chapitre du Titre II du deuxième livre du code pénal. Mais c’est pour d’autres raisons. Le Tigre a tenté d’en dégager trois, qui sont autant de circonstances aggravantes :
Premièrement, c’est se foutre de la gueule du lecteur. Me présenter un livre ainsi nouvellement édité, c’est considéré que je vais acheter la chose parce que Jackson en a fait une saga aussi longue qu’un dimanche en Angleterre ou parce que la glorieuse plastique d’une quelconque radasse occupe 83% de la couverture. Pour ma part, c’est plutôt une arme de dissuasion massive d’achat, cette nouvelle édition. Serai prêt à payer l’ancienne le double d’occasion !
On me rétorquera qu’il est de nos jours difficile de faire acheter un livre, qu’il faut rassurer l’acheteur potentiel en lui assénant que c’est une valeur sûre, d’ailleurs un éminent producteur taïwanais (forcément inconnu au bataillon) s’est personnellement impliqué dans la sortie du film. Mais ça ne veut pas dire qu’il faille y mettre la bouille de Tom Cruise ! Et encore moins changer le titre d’un polar pour que ce dernier corresponde au film bien connu !
Deuxièmement, justement, ça émet une sorte de classification injuste entre deux arts. Foutre une référence au film me dérangerait moins si c’était réciproque. Quand vous avez vu Fight Club, l’affiche mentionnait que Chuck Palahniuk l’avait écrit ? Même question pour Transpotting, Entretien avec un vampire, Starship Troopers, etc. Et bah non, l’auteur on s’en bat les roubignolles. C’est plus important de savoir qui va jouer le rôle principal plutôt que de savoir l’idée du film (forcément original et génial) préalablement pensée par un individu, seul devant sa copie, il y a fort longtemps.
Bien sûr il y a les malins, comme John Grisham ou James Patterson, dont les romans semblent dire « hé ho, viens acheter mes droits, tu n’as même pas besoin de me scénariser, suffit juste d’aller chercher Morgan Freeman et lui faire lire les dialogues ! ». Là au moins ça joue franc jeu, et la référence à l’auteur est souvent plus visible. Peut-être aussi parce que ce dernier (qui est vieux et a le temps) est collé au plateau de réalisation et qu’un siège porte son nom.
Classification donc, mais pas sur des critères artistiques, sauf à considérer que quinze chiffres d’un compte en banque dépassent n’importe quel Picasso. En outre, je ne sais pas pour vous, mais j’estime que la littérature surpasse le cinéma dans la mesure où je peux ranger mon appart, repasser, bloguer, manger, démanger, baiser en regardant un film. Mais pas en lisant (enfin presque).
Troisièmement, ça créé une classification juste (mais infamante) entre deux types de lecteurs. Regardons ensemble ce match de boxe truqué par les bons soins du Tigre : côté bleu, may I introduce to you « Harry the mighty », lecteur averti qui a lu un excellent roman avant qu’un réalisateur « risk averse » ne l’adapte sur grand écran. Harry est heureux de posséder un livre de poche avec une couverture sobre, un quatrième de couverture (parfois) honnête et ne compte pas voir le film, de peur d’être déçu.
Côté rouge, here we have « Bob ze beauf », qui a pleuré d’émotions devant le film de dimanche dernier sur TF1. En achetant ses bières sans alcool (vantées dans la pub d’avant film bien sûr) chez Auchan, Bob a vu un livre avec la même affiche dudit film. Allez hop, la magie du neuro marketing a encore fait mouche, dans le caddie ! Mais Bobby n’est pas allé au-delà du quart du roman. Vous le supputez autant que moi, le côté rouge ne va pas tenir deux rounds.
Comment éviter les affiches de films ?
Comment ne pas passer pour un lecteur au rabais qui lit en fonction des critiques Allociné (ou Rotten Tomatoes, c’est mieux) aperçues sur son mobile ? Comment, en effet, montrer que vous avez la sagacité d’un découvreur de talents autrement qu’en se procurant sur Amazon l’édition précédente ?
Côté lecteur, ce n’est pas évident, pour ne pas dire impossible. Vous aurez beau être au taquet, rien ne vous préservera d’une précédente adaptation d’un titre que vous auriez aimé lire, et se procurer le roman vierge de toute mention dudit nanard relève du chemin de croix. Game over.
Sinon, vous pouvez compter sur la réactivité, assez proche d’un éléphanteau à peine né, des maisons d’édition : dès que vous apprenez qu’un film va prochainement sortir, checkez si celui-ci provient d’un roman, puis que ce roman est susceptible de vous plaire, et achetez-le vite avant que les commerciaux de chez Hachette ne commettent l’irréparable. Lecteur aux aguets, lecteur au taquet, lecteur point au rabais !
Côté éditeur, la solution est plus triviale : arrêter de faire de la merde. Le Tigre s’en cogne du film, je veux juste lire quelque chose de plaisant sans avoir l’impression de tenir une publicité éhontée pour une séance de ciné qui va en sus me coûter plus cher. A la rigueur si vous espérez vendre plus, installez une bannière amovible qui encadre le bouquin et annonce fièrement que les romans de Fleming avec 007 ont été de temps à autre adaptés à l’écran.
Au pire du pire, si ça vous démange tant que ça ou que votre boss vous pointe un Desert Eagle sur la tempe pour changer la couv’, choisissez en une pas trop dégueulasse (évitez donc de montrer un acteur). N’ajoutez ni en gros caractère le nom de film ni celui du réalisateur. Et demandez l’avis de l’auteur, peut-être que vous aurez quelques surprises.
Conclusion rageuse
Vous l’aurez compris, en invitant Le Tigre à prendre un verre chez vous, cachez (ou mettez dans vos WC) tout livre portant la jaquette d’un film, au risque de m’entendre sournoisement ricaner. Pour vous, éditeurs, ne vous accrochez pas au succès d’un film comme une moule à son rocher.
Conclusion de la conclusion. Pourquoi le Sutra #38 ? Parce que Le Tigre a souvent vu un film tiré d’un livre, puis transcrit en BD, enfin le roman est réédité avec le titre du film (ou de la BD), si bien que je me demandais quand tout ça allait finir…et je me suis souvenu du mythe d’Amphitryon, qui a eu son lot d’interprétations théâtrales.
Giraudoux, pour déconner, a du coup appelé sa pièce comique Amphitryon 38. Espérons ne pas en arriver au tiers de la moitié du 38 avec un Douglas Kennedy…
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J’adore toujours autant lire les Sutras su Tigre. Ce sutra en particulier, car il exprime parfaitement mes sentiments. Ouf, des 4 livres présentés, je n’en ai lu qu’un (Substance mort de Philipp K. Dick) et ouf, ce n’est pas l’édition avec l’affiche du film. Quant à vous inviter chez moi, on verra… C’est pas encore gagné !