Le Glorieux Tampon Protecteur (ci après le « GTP » ) est, avec le livre bien sûr, l’objet le plus important de l’intimité du Tigre. Apportant une sécurité optimale en tout cas, sans cet objet le félin lecteur ne serait sûrement pas. Marque indélébile signalant au chaland l’appartenance à une race d’exception, le GTP est simplement au Tigre ce qu’un logo est à une marque populaire.
Un bon tampon ne s’improvise point
Le GTP fut extrêmement difficile à concevoir. Destiné à être utilisé des milliers de fois, il ne fallait vraiment pas se planter. Surtout que le changer en cours de route était hors de question. Trop douloureux pour mes livres.
D’abord sa forme. Armé d’un logiciel de design, j’ai planché de nombreuses heures pour trouver la subtile alchimie, équilibre précaire entre simplicité et nécessaire information de la personne qui tombe dessus. Je me suis fortement inspiré des logos d’universités américaines et ai opté pour une forme arrondie : mes initiales et nom de famille (police Garamond) entourant amoureusement un logo de ma confection, rappelant à la fois lesdites initiales et un livre.
L’image de ce site est partiellement tiré de mon logo by the way.
Ensuite sa taille. Trop gros, je n’aurai pas été foutu de trouver de la place dans les pages d’un bouquin pour imprimer ma marque. Trop petit, ça aurait ressemblé à une artistique fiente d’étourneau un peu chétif. Quelque chose de pas sérieux qui aurait fait rigoler, à mon grand regret. Après de nombreux essais d’impression, Le Tigre s’est dévolu sur un format de 27 mm de diamètre, qui est d’ailleurs le format du fameux canon revolver Mauser BK-27, notamment utilisé par la royal air force thaïlandaise. Il y a des signes qui ne trompent pas.
Enfin la matière première. J’avais deux choix, chacun ayant son petit attrait :
Je pouvais opter pour un tampon en relief, qui « surimpressionne » une page. Avantage : le livre n’est pas abîmé, aucun risque d’encre qui coule, bref discret et élégant. Désavantage : un individu mal intentionné muni d’un fer à repasser pourra effacer votre logo et s’approprier indument votre précieux ouvrage.
Plus classiquement, il y a le tampon à encre. Notamment le modèle avec une encre bleu foncé, celui que Le Tigre a finalement choisi. Avantage : permanence, visibilité, professionnalisme qui n’est pas sans rappeler les plus grandes bibliothèques de ce monde. Désavantage : le tamponneur pressé risque d’en foutre un peu partout. En outre, sur du papier verglacé type manga, et bah j’ai le temps de prendre deux cafés le temps que ça sèche. Enfin, livre difficilement vendable.
Comment se servir d’un tampon
Où tamponner ? Éternelle question. Primordiale aussi, car la façon dont la marque est apposée peut faire la différence entre Le Tigre et n’importe quel clampin qui aurait subrepticement emprunté le GTP à des fins délictuelles. Escroquerie, voire faux et usage de faux, au cas où la marque prend de la valeur. Le collectionneur de mes livres tamponnés doit avoir en tête quelques notions :
Premièrement, le tampon est par défaut à l’endroit. A l’envers, c’est qu’il a été offert. Pour les illustrés, la pétillante marque peut être présente dans les rabats des couvertures, tout dépend en fait de la date d’acquisition. Plus le temps passe, plus l’audace du Tigre en terme de tamponnage systématique d’un espace vide s’est renforcée.
Deuxièmement, le GTP peut indiquer l’état de lecture de l’œuvre. La première marque inscrite par défaut est avant l’incipit, entre le titre et le nom de l’éditeur. Il y a toujours de la place. C’est le premier indice de l’appartenance à la grande famille qu’est ma bibliothèque. Lorsque le livre a été lu, un tampon près du nom de l’imprimeur (donc dans les dernières pages) est présent. Si pas de GTP, c’est que je n’ai pas fini le truc. L’information, toujours l’information.
Troisièmement, j’ai développé un système que n’importe quel banque centrale m’envie. Faut que je pense à le breveter d’ailleurs. Afin d’éviter le vol, suivi de la dégradation qui consiste à arracher les pages tamponnées, j’ai apposé le royal tampon sur des pages nécessaires à la compréhension de l’ouvrage.
Certains aiment déposer leur marque sur la même page, signe distinctif s’il en est. Pour ma part je n’adhère pas à ce principe : imaginez que le livre que vous lisez n’ait même pas assez de pages, ou qu’il n’y ait pas de place à cet endroit. Fatalitas. Le Tigre a trouvé bien plus fin : tamponner, lorsque c’est possible, les numéros de page multiples de 12. Statistiquement, il y aura toujours un chapitre qui commencera sur une telle page. Voire plus, et là Le Tigre se lâche.
Pourquoi tamponner ses livres ?
Parce queue. Selon Freud, certes aidé d’Heidegger mâtiné de quelques éléments tirés du paradigme lacanien, il y aurait une volonté d’appropriation, de réappropriation même, résultant d’un certain vide affectif qui à certains égards peut confiner à une instabilité émotionnelle due à une angoisse transitoire et justifiant l’utilisation de signes distinctifs à outrance sur des artefacts à forte charge sentimentale, tel l’enfant lançant la toupie qu’il récupère en un laps de temps excessivement court, allégorie de la mère qui progressivement se détache de lui.
Il y a un peu de ça. Mais c’est bien plus simple.
Il fut un temps où j’étais le bibliothécaire en chef d’un petit village en Birmanie, pas loin de la frontière avec le Laos. Je prêtais à tout va, et n’avais à l’époque aucun logiciel de gestion de ces prêts. Il n’y avait pas d’électricité de toute façon. Les livres, que j’achetais à des missionnaires qui prêchaient dans le coin, étaient destinés à l’éducation du village et transcrivaient principalement, par écrit, les savoir-faire nécessaires à la survie d’une petite communauté.
Hélas, les missionnaires en question s’ingéniaient à donner directement leurs ouvrages surnuméraires à mes ouailles, et ce à l’encontre de mes directives les plus claires. Dans mon esprit, le savoir passait par Le Tigre, point final. L’intermédiaire odieux qui monopolisait les flux intellectuels, c’était enfin moi.
Et c’est à partir de ce moment que mon rêve est parti en quenouille : je n’avais plus aucun livre dans ma majestueuse bibliothèque, tous étaient dispatchés dans les cases birmanes. J’irruptionnais alors chez les habitants, rouge de colère, tentant de me faire comprendre par des signes qu’il était temps de me ramener les ouvrages. Leurs réponses, par signes également, étaient sans appel : majeur tendu, barré par l’index. Le doigt d’honneur dépaganisé.
Selon eux, ces livres étaient tous offerts par ces grenouilles de bénitiers. Aucun moyen de leur prouver qu’ils avaient tort. J’étais dans une situation que certains auteurs, dont les livres font la tête de gondole de magasins de gare, qualifieraient de fâcheuse.
Je me suis enfin réveillé de ce cauchemar, le cœur battant. Puis me suis très vite mis au travail.
Glorieuse Conclusion
Comme Le Tigre se plaît à le répéter, le GTP, c’est avant tout une trilogie :
Au début, c’est fun. Ensuite, c’est gênant. Enfin, c’est la tradition.
Au fait, voici le fameux GTP. C’est cadeau. J’ai viré les lettres qui auraient fait voler en éclats mon anonymat déjà bien fragile. Certes le résultat est loin d’être propre. Utiliser le logiciel par défaut de Windows, c’est un peu avancer un chantier avec du matériel de bac à sable.
Le lecteur affuté saura reconnaître, dans le logo du milieu, l’esquisse de certaines lettres (le M ou le E) constituant des initiales chères au Tigre.
Bref, don’t mess with GTP.
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