Le Mur des Renonciations vaut bien deux articles. Après avoir compris le pourquoi d’une telle démarche, le meilleurs pour la fin : comment en vient-on à abandonner en cours de route un livre, et surtout quels ouvrages ont eu ce funeste destin auprès du Tigre ?
Comment ?
Comment construire ce mur ? En abandonnant. Les raisons sont nombreuses, et Le Tigre (qui est fin lettré) a l’audace de produire un raisonnement homothétique d’après Le Suicide d’Émile Durkheim. Mimile a en effet donné quatre grandes causes de suicide, qui me semblent applicable à la Renonciation. Car renoncer, c’est mourir un peu non ?
La Renonciation égoïste
…ou l’accident de parcours. Le Tigre achète beaucoup de livres, trop disent certains. Sur la petite quinzaine d’ouvrages lus chaque mois, il y statistiquement du gros déchet. Cet ignoble excrétat, c’est souvent l’œuvre dont un ami, un journal ou votre libraire ne vous a dit que du bien. Voire le truc pris en tête de gondole parce que le quatrième de couv’ paraît fort sexy et qu’il n’y a pas tant de pages que cela.
Hélas dès les premières pages vous sentez qu’il y a erreur sur la marchandise. Rien de personnel, juste vous n’avez rien à faire avec cette chose entre les mains. Impression tenace que l’écrivaillon, en planchant sur son MacBook, n’avait pas dans l’idée que quelqu’un comme vous achète son roman. L’erreur de casting basique, continuer à poursuivre relèverait à la fois du temps perdu et de l’acharnement thérapeutique.
Pas de remords surtout, c’est la roue littéraire qui tourne et vous a mis sous les yeux un ouvrage que vous n’êtes pas censé lire. Malgré votre plausible préparation psychologique à l’irgendwas, votre condition intellectuelle fait que ça ne passera jamais. L’islamiste qui lit les Versets sataniques de Rushdie, la petite nièce de 7 ans qui tombe sur Guerre et Paix de Tolstoï, ou encore un intellectuel rigoriste trouvant par hasard un roman de Guillaume Musso, même suicide.
La Renonciation altruiste
…ou comment rester sur une bonne impression. C’est peu ou prou la même chose que la Renonciation égoïste, à la différence près que l’auteur, vous le connaissez bien. Depuis des années que vous achetez et lisez méthodiquement ses parutions, celui-ci a glorieusement acquis le titre de « valeur sûre ». Je ne serai jamais déçu avec lui est votre leitmotiv.
Hélas, mille fois hélas, comme amant fougueux votre écrivain préféré peut avoir quelques pannes (d’inspiration). Voire s’essayer à chiner d’autres potentiels lecteurs qui sont bien différents de vous. Le saligaud. Et là, panique, au bout de deux chapitres vous vous surprenez à regarder plus que de raison le titre de l’œuvre, son année de parution. Vous allez même jusqu’à vérifier sur le net qu’il n’y a pas un écrivain homonyme qui se balade dans la nature et fait acte de parasitisme.
Bref, avec un auteur inconnu au bataillon, vous auriez lâché depuis belle lurette. Mais là vous vous plaisez à croire que, contrairement à un excellent Romeo y Julietta de classe Churchill, le divin viendrait après le purin. Sauf que ce ne sera pas le cas.
La renonciation altruiste, c’est faire acte de courage et ne pas attendre que l’intérêt du roman explose soudainement. Cela n’arrive que trop rarement. Altruisme car vous aimez cet auteur, celui-ci vous a apporté tellement de bonheur que vous ne pouvez pas le laisser vous donner une telle image de lui-même. Un peu comme Brigitte Bardot. Du coup vous décidez d’oublier jusqu’à l’existence même de l’œuvre, et ce afin de rester sur une bonne impression générale. Noble.
La Renonciation anomique
…ou le malheureux coup de tête. Cette renonciation, c’est quand l’environnement et les normes sont moins prégnantes. En effet, des circonstances exceptionnelles (stress, temps qui manque, sortie d’un livre particulièrement attendu) peuvent parfois justifier un abandon que je qualifierais volontiers de relativiste : l’ouvrage que vous êtes en train de lire n’est pas si mauvais ; néanmoins vient un moment où le temps que vous vous ingéniez à sauver pour lire mériterait d’être utilisé à meilleur escient. Ce sera d’autant plus facile que vous en êtes à moins de la moitié et que la « subjugation » tant promise n’a pas eu lieu.
Disons que vous êtes devenus un tant soit peu exigeant, et que vos lectures ont de plus en plus intérêt à être à la hauteur.
Typiquement, vous vous la collez sévèrement chez des amis. 1h30 du matin, dernier métro ou bus, 37 minutes de libre. Vous sortez le roman, que vous lisez depuis quelques jours sans grand enthousiasme, et là grande révélation : c’est trop compliqué, c’est long et cérébral. On tendrait vers le navet. Vous vous apercevez que si vous traînez ce truc depuis tant de jours sans vraiment avancer, c’est qu’il ne vaut pas la peine d’être fini. Allez hop, on le remise au fond de son sac et puis c’est tout. Ah si, vous pianotez sur votre mobile.
Cela est arrivé au Tigre avec Les mémoires d’Hadrien. Trajan..euh trajet de 25 minutes, 50 pages à finir. Celles-ci attendent encore.
La Renonciation fataliste
…ou la meilleure volonté du monde n’y ferait rien. Fataliste, de fatus, le destin. Comme le titre laisse le suggérer, c’est quand vient la fameuse phrase « à quoi bon ? ».
A quoi bon en effet terminer une énième biographie du Grand Charles offert par une vieille tante à qui vous avez eu le malheur de dire que vous étiez gaulliste, juste pour plaisanter ? En sus, il n’y a pas de ticket dans le cadeau pour échanger la chose ! Et puis si c’était possible, il y a fort à parier que la librairie où la bio a été achetée ne contienne que des merdes du même acabit.
A quoi bon finir un roman offert par une personne désireuse de vous faire partager sa passion ? La politesse et la décence dont vous faites montre veut qu’il faille lire au moins les trois cinquièmes de l’ouvrage, pour au moins ne pas avoir l’air d’un touriste de seconde zone lorsque vous en discuterez par la suite. Le finir, jamais. Savoir de quoi ça parle et préparer des anecdotes seules connues du lecteur, toujours. N’ajoutez pas à la Renonciation la goujaterie, ce serait fâcheux.
A quoi bon se coltiner l’intégralité d’une grande saga quand les films se défendent fort bien au demeurant ? Surtout que tout le monde l’a lue, et vous êtes loin d’être un mouton de panurge. Au final, on peut même tirer une petite fierté en étant le seul à ne pas avoir voulu se gaver de Millenium, Potter, Hunger Games ou autre elfes. Au pire vous les finirez dans votre maison de retraite, discrètement, quand ça sera largement passé de mode.
A quoi bon devoir absolument finir un soi-disant « classique » de la littérature quand ça ne veut tout simplement pas passer ? Des sites résumeront et fourniront de pétillantes analyses mieux qu’on pourrait le faire. Lire les 200 premières pages d’un Zola ou Dostoïevski et abandonner, ce n’est pas grave. Surtout si vous êtes jeunes, avec la maturité vient le goût du plaisir dit-on. Et si ça se trouve un texte plus court de l’auteur aura vos faveurs.
Conclusion finale : des noms, des noms !
Le Tigre n’est pas une donneuse, mais fera pour toi lecteur une petite entorse. Voici la liste constamment mise à jour, clique donc dessus et apprécie à leurs justes valeurs les pitoyables excuses qu’à chaque ouvrage j’ai pu fournir.
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