L’esprit ilotier (certes égoïste) a le vent en poupe, chacun cherchant son endroit de bonheur loin des autres et des affres de ce monde. Savant mix entre la science-fiction la plus extrême (pour l’être humain) et la satire sociale, voilà de quoi être dérouté en trouvant que l’auteur en fait trop. Moi qui pensais que Houellebecq pourrait être difficilement plus pessimiste, bah j’en ai eu pour mon argent.
Il était une fois…
En ce début de XXIème siècle, Daniel est un humoriste particulièrement provocateur qui commence à se faire des couilles en or. Hélas, sa recherche de l’amour et du plaisir se heurte à ses proches inadaptés et à son cynisme désabusé. Parallèlement, Daniel24 et Daniel25, deux de ses clones dans le futur (oui oui), découvrent le journal de Daniel – qui sera appelé Daniel1. Errant sur une terre post-nucléaire hantée par des anciens Hommes, les clones commenteront ce curieux témoignage d’une époque révolue.
Critique de La possibilité d’une île
Voilà un long roman de Michel H. Après ses titres moins prolixes j’avoue avoir été agréablement surpris par ce texte complet, lourd, excessif et, quelque part, plus personnel vis-à-vis de l’écrivain. En effet, le protagoniste, Daniel1 (car d’autres suivront), a tout des attributs d’un Houellebecq en tant que Cassandre des temps modernes et passablement désabusé.
L’œuvre, qui se décompose en trois parties, est plutôt bien aérée question chapitrage et paragraphes, ce qui donne l’impression de survoler une aventure humaine et sociétale avec la vitesse (voire le recul) d’une vieille race qui considère ses semblables. Daniel1, personnage lucide et odieux par la manière dont il s’est élevé (en crachant sur tout sans respect aucun), livre dans son carnet de bord l’ensemble de sa vie – de ses débuts aux raisons de son adhésion à une secte délirante, en passant par Esther et Isabelle, deux femmes qui chacune l’ont terriblement déçu.
Dans un lointain futur, l’histoire de Daniel est accompagnée de la vision qu’en ont ses clones, individus asexués (des zombies ayant perdu toute volonté de vivre) et évoluant à un niveau de conscience presque différent du nôtre. Pour tout vous dire, les passages avec ces deux êtres éthérés m’ont laissé sur ma faim, l’écrivain français a tellement bien fait son boulot que les phrases sont parfois vides – à l’instar de l’avenir stérile qui est décrit. Heureusement que le pourquoi du comment de ce bordel de clones est donné dans les derniers chapitres, avec des explications finales satisfaisantes et vite expédiées.
Quant au style de l’auteur, son observation (ou sa connaissance presque encyclopédique) de ses contemporains, mâtinée d’une écriture claire et fluide, sied parfaitement à une lecture de plage – faut qu’il fasse beau, car cela peut être déprimant à souhait. A son âge, décrire aussi bien une soirée/orgie en Espagne qui dure plus de 36 heures (avec les drogues, la musique, la baise totale), chapeau.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La futilité du monde occidental (entre autres, l’Islam en prend régulièrement pour son grade, Houellebecq oblige) atteint ici un niveau fort élevé, Le Tigre a rarement lu plus nihiliste chez l’auteur qui traite sans ménagement la nature humaine. Le personnage de Daniel, monstre de bon/mauvais goût qui a l’heur de plaire, est ce que la société peut produire de meilleur dans le pire : un homme à l’humour excessivement corrosif, quelqu’un qui tape sur tellement de notions (droit des femmes, religions, sexe, argent) et au succès si immense qu’il devra forcément laisser sa marque dans l’Histoire.
Au risque de verser dans le trivial, le nom du héros renvoie évidemment au prophète Daniel, qui dans la Bible est un individu sage qui a su annoncer, avec précision, la venue du messie. Le Daniel du roman, à sa manière, sera le précurseur d’une nouvelle espèce d’homo sapiens, un annonciateur qui, tel le personnage hébraïque, sera entouré de lions et parviendra, par miracle, à en réchapper.
Quant à la « nouvelle » espèce et le clonage, l’auteur livre une vision intéressante du transhumanisme, entre le mysticisme fougueux d’une secte tendance Raël (pas difficile de décerner de tels clins d’œil) et la rigueur scientifique plus ou moins exigée d’un roman de SF. C’est peut-être là que le bât blesse : les explications sur l’immortalité telles que la photosynthèse et l’absorption automatique de nutriment, ou le clonage automatique avec la transmission du savoir (assez rustre il est vrai), tout cela se marie difficilement aux élucubrations d’un gourou et d’un groupe sectaire auquel Daniel1 fera partie.
Pour terminer, la possibilité d’une (fameuse) île (de bonheur) est la quête centrale de l’ouvrage, îlot activement recherché par le héros. Une zone de félicité où être heureux n’est plus aussi précaire, un endroit qui, bien sûr, n’existe pas. Que ce soient les rares moments où Daniel1 pense entrapercevoir cette île, ou encore Daniel24 et 25 gambadant seuls immortels (mais déshumanisés par des siècles de mitoses), cette possibilité n’est qu’une chimère. L’Homme n’a pas d’avenir, Houellebecq a pris son plus beau marteau pour nous enfoncer cette terrible idée.
…à rapprocher de :
– A toutes fins utiles, quelqu’un a essayé de tirer un film de ce roman. Le résultat n’est pas vraiment fameux – euphémisme. La seule chose bandante est d’y voir Patrick Bauchau, qui avait fait une courte apparition dans le film Emmanuelle.
– Tigre a lu tout Houellebecq, dans l’ordre : Extension du domaine de la lutte, Les Particules élémentaires, Lanzarote, Plateforme, La carte et le territoire.
– Le souhait du repli, de ne plus avoir affaire à ses semblables se retrouve dans En bas les nuages, de Dugain. Pas mal d’ailleurs.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Marc Dugain – En bas, les nuages | Quand Le Tigre Lit
Ping : Michel Houellebecq – La carte et le territoire | Quand Le Tigre Lit
Voilà un livre qui m’avait profondément bouleversé pour sa sensibilité ( oui ) et son humanisme désabusé. Le Tigre savait il qu’Iggy Pop en avait signé une adaptation discographique nommée Préliminaires ?
Quant à l’adaptation ciné signée Houelebecq c’est une catastrophe même pas drôle qui a dû être signée par son clone….
Ping : DodécaTora, Chap.AS : 12 spécimens d’anticipation sociale | Quand Le Tigre Lit
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