Une mignonne exposition en mode pin-ups. Trois visions de l’art, autant histoires qui s’affrontent et se renvoient la balle non sans humour. Chouette. Si le lecteur prend le temps de gratter les illustrations et les sous-entendus, il pourra reconnaître un travail intemporel et évident. A lire au moins pour les dessins léchés et dialogues improbables attachés. Miam.
Il était une fois…
Le monde de l’art est en pleine ébullition : une immense rétrospective de Gil Spam, illustrateur de talent, est organisée par sa petite-fille. Dans la foule, un jeune homme se fraie un passage et vient clamer son amour au vieux dessinateur – qui est dans un fauteuil roulant. Le trio (le vioque, la petite-fille et le fan) parcourt alors les différentes œuvres de Gil, chacun expliquant, à sa façon, ce que celles-ci représentent pour eux.
Critique du premier tome de L’accordeur
[ATTENTION : si vous avez moins de 18 ans, je vous prie de NE PAS REGARDER NI CLIQUER sur les images illustrant le billet. Sérieusement.]
On avait susurré à l’oreille féline qu’il s’agissait d’un des meilleurs ouvrages de l’auteur Argentin. « On » ne s’est point foutu de ma gueule, j’ai dévoré cette pépite d’humour coquine en moins de temps qu’il n’en faut à un homme politique pour sortir une connerie lors du journal de 20 heures. Ignacio Noé a un double talent qui a ravi Le Tigre :
D’abord, le scénar’. Si l’histoire se lit d’une traite et garde une globalité satisfaisante, il semble surtout s’agir de petites péripéties qui accusent le même format : premièrement, le jeune Martin s’extasie face à un tableau du vieux – à juste titre – et déblatère, avec une écœurante candeur, ce que ça lui évoque. Deuxième acte : Ana abonde dans son sens (tout en le draguant/se faisant draguer de plus en plus ouvertement) et apporte une touche résolument féminine. Sauf que son discours éthéré et pseudo féministe jure avec les illustrations qui la montrent (et la démontent) dans des situations d’un érotisme débridé qui va crescendo.
Troisièmement, et sans doute le meilleur, le vieux Girolamo Spampinatto méprise tout ce petit monde et livre son expérience et circonstances qui l’ont amené à peindre telle ou telle femme en tenue légère. Or, l’histoire « réelle » est désopilante au possible, et derrière le sourire de ses modèles se cache des évènements peu glorieux (s’apercevoir que sa compagne a une bite), la plupart violents, mais toujours hilarants – est-ce vrai dans la mesure où l’artiste semble sénile ?
Ensuite, Les illustrations ont quelque chose d’à la fois délicieusement suranné et cru. Le décalage est prégnant entre l’art des pin-up américaines des années 50 à la Gil Elvgren et les scènes de baises torrides entre Gil Spam jeune et ses muses du moment – séance dans une cuisine, un bordel, voire un hosto avec une infirmière bien spéciale. Tout ça avec des couleurs suaves et vives qui rendent le tout un peu plus cartoonesque. En prenant en compte la propension de Noé à placer un peu partout de bruyantes onomatopées rendant compte des corps en mouvement, je vous laisse imaginer le délire ambiant.
Voici donc le genre de bande dessinée qui vide facilement l’esprit (peu les couilles à mon humble avis) et qu’il convient de prendre au second degré. L’humour y est tellement misogyne et l’improbable… En outre, la structure ternaire pourra ennuyer plus d’un lecteur qui aura l’impression de tourner en rond…jusqu’au fin mot de l’histoire, lequel est terriblement mélancolique et invite à relire l’ouvrage.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Toutes ces illustrations de pin-up font, au premier abord, penser à une forme d’hommage au rêve américain avec ces femmes coquines mais sages qui ne se laissent dénuder que du regard. Néanmoins, l’American Dream ne fonctionne que dans l’esprit de Martin qui n’en peut plus à force de baver sa consensuelle guimauve. A l’inverse, l’artisan de ces dessins présente une interprétation plus terre-à-terre et saccageant tout esprit bon enfant et idyllique. Et cette confrontation des trois visions n’est pas sans rappeler que, outre les artifices d’une belle image, le travail d’interprétation est souvent plus important que l’Histoire telle qu’elle s’est réellement déroulée. Très humain en fait.
Le Tigre a d’autant plus apprécié Exposition que les dernières pages sont sublimes. Sans spoiler, il est notamment question de ce qui anime Gil Spam. Ce dernier se met à faire un curieux songe au sujet d’un tableau (le seul où des seins sont visibles) représentant sa mère. Laquelle, déesse aquatique insaisissable, est sollicitée par un Spam enfant désireux de lui montrer son travail. A mon sens, cette ultime péripétie tend à montrer non seulement que le modèle seins nus est l’incarnation même de la féminité, mais que celle-ci concentre tous les aspects des femmes rencontrées dans l’existence de Gil – la castratrice, la cuisinière/nourricière, l’être qui révèle, etc.
C’est d’autant plus triste que le héros se réveille abandonné et ayant mouillé son futal dans un cagibi attenant l’exposition. Personne n’a remarqué son absence. Le pauvre. On a plus besoin de lui pour exposer ses dessins dont l’interprétation n’a rien à voir avec ses souvenirs. Un artiste incompris qui a comme un complexe d’œdipe à résoudre et dont, à quatre-vingt piges bien tassées, les proches n’ont pas une seule fois imaginé le rôle de la mère – seule destinataire de l’amour (du besoin de reconnaissance plutôt) qui se dégage des tableaux.
…à rapprocher de :
– De cet auteur, Le Tigre a également aimé L’accordeur. Le tome 1 (lien) et le tome 2 (lien aussi) sont sur le blog, joie.
– L’esprit pin-up se retrouve complètement dans le tome 3 de Giovannissima !, par Giovanna Casotto. Ou, dans une moindre mesure, chez Nicky et son peu lisible New Rodeo Girls. et dans Le journal d’une soubrette de Duvet.
– Dans l’esprit grand n’importe nawak peu réaliste, je ne peux m’empêcher de penser à Chambre 121, de Boccère – même topo, sauf que l’employé est payé entre autre pour ça.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.
Ping : Xavier Duvet – Le journal d’une soubrette | Quand Le Tigre Lit
Ping : Nicky – New Rodeo Girls | Quand Le Tigre Lit
Ping : Giovanna Casotto – Giovannissima ! Tome 3 | Quand Le Tigre Lit
Ping : Noé – L’accordeur, Tome 2 | Quand Le Tigre Lit
Ping : Noé – L’accordeur, Tome 1 | Quand Le Tigre Lit
Ping : Igor Boccère – Chambre 121 : L’intégrale | Quand Le Tigre Lit