« Titi, peux-tu l’éclairer sur la définition du mot Uchronie, car je patauge avec la définition du dico : mot créé par néologisme par rapport à utopie. Préfixe privatif ; suffixe « chronos » : temps. Fiction ayant lieu dans un temps qui n’existe pas, et ce à cause d’un évènement fondateur qui diffère de l’Histoire telle qu’on la connaît. Merci de ton aide ! Toto. »
Douze histoires qui n’ont jamais existé
Les uchronies sont un genre littéraire relativement nouveau et peu utilisé à mon sens. A un moment donné l’Histoire ne se passe pas vraiment comme on l’apprend à l’école, et à partir de là le monde prend une tournure différente. Pour cela, l’auteur met généralement en place ce qu’on appelle un « évènement divergent ». Il décide d’en parler rapidement au début, et s’attache à décrire les conséquences ; ou, plus subtilement, le point de divergence arrive au cours du roman. Ce qui est plus coton selon moi, car il faut montrer à quel moment tout a pu partir en quenouille.
Pour ce que j’en sais, l’Allemagne nazie remportant la guerre semble être le fond de commerce des auteurs en panne d’inspiration. Et pour ces derniers comme les autres, la nouvelle situation décrite est souvent pire que la réalité. Il ne semble pas exister d’uchronie heureuse (à part Spinrad), comme si le syndicat des écrivains avait pour consigne de montrer comment notre existence aurait pu être encore plus malheureuse. Imaginer qu’il n’y ait pas eu de première guerre mondiale et montrer qu’une Europe unie aurait pu dominer le 20ème siècle, que nenni !
En ce qui concerne Le Tigre, je suis toujours ravi de lire une expérience de pensée où on est plongé dans un environnement presque familier (pas comme la fantasy) avec quelques différences surtout d’ordre politique. Hélas les bons titres d’uchronie me semblent aussi rares que les films corrects de science-fiction. Soit il s’agit d’un petit accessoire et la frustration est immense de ne pas en savoir plus sur le « nouveau monde », soit il y a un manque d’ambition flagrant (ou d’imagination) de la part de l’auteur qui semble comme dépassé par une idée aux possibilités intimidantes.
Tora ! Tora ! Tora ! (x 4)
1/ Philip K. Dick – Le Maître du Haut Château
Le Tigre se sent obligé de commencer par celui-ci. Dès qu’on parle d’uchronie, c’est un peu le seul bouquin qui vient à l’esprit du lecteur dit « moyen ». Car c’est un classique que j’ai trouvé assez âpre malgré un univers correctement immersif. Les pays de l’Axe ont remporté la seconde guerre mondiale et les EUA sont partagés entre le Reich et le Japon (qui occupe l’Ouest, théâtre du roman). Le fameux maître du château est un individu qui aurait écrit un roman correspondant à l’Histoire telle qu’elle existe réellement. Du K. Dick en somme.
Toujours l’Allemagne nazie triomphante qui est sur le point de conclure un traité de paix avec les États-Unis. Nous somme dans les années 60 et de mystérieux meurtres d’anciens dignitaires nazis ont lieu. Le héros (un flic) va mener l’enquête et tâcher de comprendre ce qui relie ces individus assassinés. Bon roman, sans gros suspense néanmoins, où la description de la capitale du Reich millénaire (Germania) est formidable.
3/ Hugo Bellagamba – Tancrède : Une uchronie
C’est français monsieur ! Et ce n’est pas si mal. On suivra le sieur Tancrède en pleine croisade. Hugo B. fait dans le subtil dans la mesure où le point de divergence n’est pas immédiat. Le lecteur peut même se demander à quel instant l’écrivain sort des clous historiques. Le style est un peu gavant mais l’aventure devient progressivement passionnante.
4/ Éric-Emmanuel Schmitt – La Part de l’autre
Roman français par un auteur assez « populaire », la part de l’autre est celle d’Hitler s’il avait pu entrer à l’académie des beaux-arts. Pas de seconde guerre mondiale (juste quelques crises dans les Sudètes, etc.), un artiste médiocre sur les bords, ça se lit bien mais l’auteur n’a vraiment pas pris de risque sur le traitement de l’uchronie.
5/ Greg Keyes – Les démons du Roi-Soleil
Le premier tome du la saga « L’âge de la déraison » n’a pas donné envie au Tigre de poursuivre. Newton et d’autres scientifiques de l’époque ont fait de fabuleuses (dans le sens « fantastiques ») découvertes. Aussi la guerre qui fait rage entre la France (Louis XIV, rajeuni, est toujours aux manettes au 18ème) et l’Angleterre ressemble à un Star-Wars de troisième zone, et ça part dans tous les sens. Pas mon genre du tout.
6/ Norman Spinrad – Rêve de fer
Un de mes préférés eu égard l’originalité de l’idée principale : le père Hitler (encore lui), écoeuré par sa non admission à l’académie, se fait la malle outre atlantique et publie un roman de fantasy à succès. Après une fausse préface le « roman » est livré au lecteur, et on sent la douce folie du personnage poindre : un héros surpuissant un peu gay sur les bords qui sauve son pays des vilains vampires psychiques (les juifs) avant de s’attaquer à tous les pays orientaux.
7/ Poul Anderson – La patrouille du temps
La fameuse patrouille est une institution atemporelle qui s’assure que des vilains ne s’amusent pas à changer le cours de l’histoire. Et il y en a régulièrement. Poul a publié pas mal de nouvelles (dont une fondatrice avec la présentation du héros) où l’Américain Everard sauve régulièrement le monde. C’est assez crédible (apprentissage sous hypnose de la langue, description des époques visitées) pour des titres sortis dans les sixties.
8/ Brugeas & Toulhoat – Block 109
Un peu de bande dessinée dans ce DodécaTora ! Ces deux auteurs français ont imaginé l’assassinat d’Hitler par une clique de fous furieux (l’Ordre teutonique). La bombe A est inventée avant les Alliés qui se font naturellement atomiser. Seule l’URSS continue le combat, et les armes utilisées dépassent l’imagination. A noter que d’autres BDs se déroulant pendant l’histoire de Block 109 ont été publiées ensuite.
9/ Christopher Priest – La séparation
Priest aime bien l’alambiqué, et avec cette histoire le mélange entre « ce qui aurait pu arriver » (l’uchronie) et la réalité est confondant mais passionnant. Deux jumeaux qui, chacun de leur côté (un traducteur diplomate et un militaire), vont contribuer à « racourcir » le conflit entre l’Allemagne nazie et les Anglais. Le lecteur sera au cœur du point de divergence.
10/ Neal Stephenson – Cryptonomicon
Je n’ai pas su terminer ce roman qui s’avérait trop « onirique » et complexe au fil des chapitres. Il faut retenir que la guerre du Pacifique, par les talents de cryptologue d’un des héros, diffère légèrement. Et les conséquences dans l’avenir (autre partie du roman) sont subtiless mais déterminantes. Notamment la géopolitique et certaines technologies qui ne sont plus les mêmes.
11/ Alastair Reynolds – Century Rain
La hard SF sait faire péter quelques textes émouvants. La Terre est condamnée, l’Humanité divisée en deux camps…et là un mystérieux trou de ver amène vers une nouvelle planète, plus précisément au cœur d’un Paris uchronique de la fin des années 50. Mélange de science fiction et de roman noir, c’est autant déroutant que satisfaisant.
12/ Christophe Lambert – La brèche
La petite rigolade pour la fin. La plaisanterie littéraire d’un auteur qui, sur la fin, imagine que les Nazis (idée éculée non ?) ont brièvement accès à la machine à remonter dans le temps utilisée par des journalistes qui font un docu sur le débarquement allié. Sauf qu’il n’y a rien dans ce roman, c’est écrit par un publicitaire qui se concentre donc sur les dérives de la « télé-réalité historique ». Cri-cri, retourne s’il te plaît à tes pdf.
…mais aussi :
– J’ai d’autres titres en tête, et hésite à en virer quelques uns dans ce DodecaTora. Le Temps du Twist, de Houssin, profite d’une machine à remonter dans le temps pour revisiter un Londres des années 70 bien différent de ce qu’on connaît. Cinacitta, de Tommaso Pincio, s’occupe de la prise de Rome par les Chinois (hum…). Roma Æterna, de Silverberg (l’empire romain perdure plus de 1.000 ans). Chroniques des années noires, de Kim Robinson (il ne reste quasiment plus d’Européens après la peste du milieu du 14ème siècle). Pavane de Keith Roberts (point divergent au 16ème siècle). Le roman graphique Watchmen, grâce aux bons soins du Dr. Manhattan, part en uchronie assez rapidement (la Guerre froide est à jamais modifiée, les USA ayant remporté la guerre du Viet-Nam).
Parlons un peu cinéma. Mais pas trop. Sur les uchronies, au débotté je pense à :
– La saga des Retour vers le futur, bien évidemment. Ou Inglorious Bastard (Tarantino), avec la mort des dignitaires nazis et une paix prématurée avec les EUA.
– Iron Sky, pour la déconne. Une partie des Nazis est parvenue à créer une base sur la lune, et lorsqu’un Américain (noir de surcroît) y débarque c’est un peu le bordel.
« Les Oranges de Yalta », de Nicolas Saudray, remarquablement bien écrit et crédible: Richard Sorge se trompe, les Japonais ne vont pas à Pear Harbour mais attaquent la Sibérie en 1941…
« Making History » (le faiseur d’histoire) de Stephen Fry, qui évoque un histoire alternative, où Hitler n’existe pas, mais ça ne va pas mieux pour autant, puisqu’il a un remplaçant pire, plus charmeur, plus intelligent, et les Nazis sont les vainqueurs.Très divertissant et surprenant.
L’acteur ? C’est amusant comme tout ça, voilà un artiste complet. Merci pour l’info, j’intègrerai tout ça avant la rentrée.
Merci pour cet article! dans le même esprit, il y a aussi « la porte des mondes », de Silverberg, et dans une moindre mesure, « l’arbre des possibles »,de Werber…
Je note Silverberg, mais laisserai Werber de côté ^^
Ping : DodécaTora, Chap.CU : 12 contre-utopies en littérature | Quand Le Tigre Lit
On peut aussi rajouter Pavane de Keith Roberts, la Séparation de Christopher Priest.
Merci pour Roberts ! Quant à Priest, cf. numéro 9 🙂
Il ne faut bien sûr pas oublier « Le complot contre l’Amérique » de Philip Roth.
Roosevelt a été battu par Lindbergh aux élections de 1940 ; Lindbergh signe un pacte de non-agression avec l’Allemagne nazie.
Les Juifs américains ont de bonnes raisons de craindre le pire.
Encore une divergence sur la WWII, merci pour la contribution !
Un blog qui a joué en 2013 sur l’uchronie : microéphéméride. http://microphemeride.nootilus.com/2013/
Concept génial, merci du lien ! Dommage qu’on ne puisse pas sélectionner une journée au hasard.
L’excellent roman graphique « Watchmen » d’Alan Moore !
Bien vu Ada, merci ! Rajouté.
« La Fin de l’Eternité », d’Isaac Asimov a le mérite d’être une belle uchronie tordue. C’est même un roman créateur d’ucrhonies !
Sinon, « Le Déchronologue » de Stéphane Beauverger, a pour originalité de ne pas faire référence aux nazis. Il se passe en Mer des Caraïbes pendant l’époque des conquêtes européennes, et présente l’autre originalité de présenter une chronologie narrative déconstruite.
Bien à toi,
Z.
Merci Z ! [près de 600 pages, on attendra début 2014:) ]
Ping : Norman Spinrad – Rêve de fer | Quand Le Tigre Lit
Dans un de ces derniers livres, « 22/11/63 » (qui figure sur ma liste de lecture à venir), Stephen King raconte comment son personnage principal empêche l’assassinat de Kennedy. Connaissant le talent de narration de Mr King, cette uchronie vaut certainement qu’on s’y intéresse. En tout cas, je serai curieuse de connaître votre avis si vous venez à le lire.
Je ne compte le lire que quand il sortira en poche. Sauf si entre temps un proche me le prête (et me conseille de le lire) ! Entre Dome et ce dernier roman, la productivité de King me semble exacerbée.
La série BD « EMPIRE » de Pecau et Kordey présente également une jolie Uchronie puisque Napoléon n’est pas mort, ne s’est pas fait laminer la tronche et a réussit a conquérir l’Europe jusqu’aux Indes.
L’utilisation de la vapeur comme « source » principale d’énergie donne l’occasion de créer toutes formes de véhicules et de machines aux formes rétro-modernes assez loufoques.
Parfait, ça fait une uchronie de plus, merci ! Le terme « rétro-moderne » que vous cherchez ne serait pas « steampunk » ?
Ah oui tiens, steampunk c’est ca. En plein dedans.
Merci.
Et puisqu’il est question d’uchronies napoléoniennes, sachez qu’une d’entre elles, «La victoire de la grande armée», a été écrite par… Valéry Giscard d’Estaing ! Je n’ai pas eu l’occasion de faire plus que le feuilleter, mais je doute que ce soit un monument de SF, hélas…
Ha ha ! Je vois d’ici la prose précieuse et emphatique, quelque chose qui me fera gerber la viande humaine mal digérée. Avec le peu que j’ai lu de Lady Di fricotant avec un Président français, la SF a de quoi baliser sévère.