Joël Houssin - Le Temps du TwistOuvrage original et passablement déjanté, bienvenue dans Le Temps du Twist ! Ce « temps » si particulier, c’est notre jeune héros plus ou moins paumé dans une uchronie londonienne tout en musique. Voyage dans le temps, monde apocalyptique glauquissime, références musicales à gogo, Houssin se fait (et nous fait) plaisir.

Il était une fois…

Antonin Hofa vient d’avoir seize ans. Dans le monde où il évolue, un terrible virus transforme en zombi toute personne qui ne fait pas montre d’un solide taux d’alcoolémie. Alors soit on devient mort-vivant, soit on finit alcoolique. Reste le suicide, comme le père d’Antonin. Heureusement, pour son anniv’, le jeune Hofa se voit offrir par ses amis (secondés par un loup-garou, rien que ça) une somptueuse voiture (une Buick si je me souviens bien) capable de voyager dans le temps. Retour dans le temps du twist, à savoir un Londres uchronique des années 70.

Critique du Temps du Twist

Quel excès, quelle délire pour un roman français qui tente un savant mélange de SF et de cyberpunk. Pas étonnant de la part de Joël, cerveau fécond qui a notamment eu l’idée du scénario de Doberman, le film de Jan Kounen.

Le scénario est réjouissant et malgré les apparences reste relativement linéaire : introduction tout d’abord avec le jeune protagoniste principal et sa petite famille, tous obligés de se pinter régulièrement la gueule afin de ne pas tourner en zombis. Je vous laisse imaginer leur état de santé. Ensuite, arrivée dans un Londres très seventies mais sous la coupe d’une théocratie assez flippante car « computer assisted », nos héros tentant de retrouver le groupe Led Zeppellin. Enfin, tout part en quenouille pour un final qui a hélas énormément déçu Le Tigre.

Véritable petit bijou d’originalité, ce titre fait fort dans la mesure où les connaissances rock & roll qu’on peut trouver y sont très poussées et rythment parfaitement sa lecture. Quant aux références scientifiques, celles-ci ne sont pas trop fantaisistes et abordent correctement le thème du paradoxe temporel (et ce grâce à la pirouette intellectuelle des univers parallèles).

Articulé autour du mythique groupe Led Zep, Le Temps du Twist possède en outre une forte charge cynique et humoristique qui néanmoins ne m’a pas plus ravi que cela. Trop « français » sans doute, il manque peut-être de l’envergure à tout ça. Mais pourquoi se plaindre lorsque ces 300 pages se lisent en moins de deux heures ? Intéressant donc pour ceux qui ne recherchent ni de la SF crédible ni de la fantasy à la Pratchett.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La culture des années 80 en délire. Une bagnole qui remonte dans le temps, ça nous dit forcément quelque chose non ? Les clins d’œil sont nombreux et Le Tigre a du en louper un joli paquet. Florilèges pour ceux repérés : un hacker nommé 42 Crew (chiffre magique), les zombis qui boufferaient les humains, un androïde qui n’en fait qu’à sa tête,… En général, la génération sex, drug et rock & roll dans ce qu’elle a de plus caricaturale.

Le roman d’apprentissage. Comme l’indique discrètement le quatrième de couverture, les pérégrinations du petit Antonin vont lui permettre de se rapprocher à vitesse grand V de la condition d’adulte : violence en tout genre ; univers nouveau où s’adapter rapidement est primordial ; premières sérieuses virées entre potes dans une voiture bien spéciale ; une esquisse d’histoire d’amour,…bref une aventure qui prend des tournures de point de passage vers la maturité.

…à rapprocher de :

– Dans ce que la France peut faire de cyberpunk assez déjanté, il y a Maurice G. Dantec (par exemple Babylon Babies) ou Pierre Bordage (ce dernier étant un peu plus « sérieux »).

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John Howard Griffin - Dans la peau d'un NoirVO : Black Like Me. Griffin, prenant l’apparence d’une personne de couleur noire, a vécu à la fin des années 50 pendant un mois et demi au sein de communautés afro-américaines dans des États du Sud. Et rend compte de son expérience. Témoignage puissant et édifiant, Le Tigre ne saurait trop le conseiller.

De quoi parle Dans la peau d’un Noir, et comment ?

Un roman publié chez Gallimard, pourquoi le classer dans les « essais » ? D’une part ça permet au Tigre de « renflouer » ladite catégorie, d’autre part cet ouvrage est un documentaire sur ce qu’a vécu l’auteur pendant environ six semaines.

J. H. griffin, c’est un journaliste et écrivain qui un beau jour a eu une idée fort astucieuse : à l’aide d’un médecin qui va lui prescrire des pilules pour assombrir la pigmentation de sa peau, puis grâce à quelques séances d’UV bien dosées, il va se fondre dans la population noire du pays et vivre six semaines comme eux.

Il en sort plus de 200 pages (le reste étant une préface sur la manière dont il a mis en œuvre son projet) de témoignage révélateur du cercle vicieux (cf. infra) de la ségrégation américaine des années cinquante et soixante. Avec la rigueur du journaliste et l’écriture plaisante de l’écrivain, Griffin nous emporte dans un univers peu connu, où être une de ses personnes semble être l’unique moyen de bien rendre compte de ce que peuvent vivre les Noirs aux States (et pas que dans ce pays hélas).

En conclusion, ce fut pour Le Tigre une excellente découverte littéraire qui n’est pas loin d’être un classique. Pour aussi peu de pages, en tenant compte de l’aération du livre et de la fluidité de lecture, il n’y a pas vraiment d’excuses à passer à côté.

Ce que Le Tigre a retenu

Ce qui m’a marqué, ce sont toutes les petites humiliations quotidiennes qui à la longue constituent un environnement terriblement hostile. Refus d’un verre d’eau, séparation constante, utilisations de termes stigmatisant, toujours l’impression d’être un citoyen (et encore le mot est gentil) de seconde zone. Alors imaginez-vous que l’auteur n’est resté que six semaines dans ce « déguisement » ! Ce qu’il sort de cette expérience, c’est la dure conclusion que les Afro-américains ne peuvent vivre une existence décente dans l’environnement ségrégationniste de l’époque.

Et à partir de là, un cercle vicieux est mis en place : répondre à certains besoins primaires (se nourrir convenablement, se laver, se loger, travailler ou être reconnus à leur juste valeur) étant plus difficile, ajoutant à la paupérisation de cette population, beaucoup de personnes de couleur blanche pensent que c’est du fait du noir s’il vit dans de telles conditions. Il se complairait même dans une existence flattant aussi vivement les bas instincts, justifiant la séparation entre les deux « races » alors que c’est cette scission qui entraîne un tel mode de vie.

Car ségrégation n’est pas séparation égalitaire, les services destinés aux noirs étant d’une infamie sans nom. Et c’est là que n’importe quel documentaire TV ou livres d’histoire n’arrive pas à la cheville de Dans la peau d’un Noir, écrit par une personne au vocabulaire et idées larges qui a eu l’intelligence de vivre personnellement cette aventure afin d’éveiller les esprits. Pari réussi.

Enfin, Le Tigre se souvient de la façon dont l’auteur aurait pu se retrouver marié à une personne de cette communauté. On lui fait comprendre qu’une telle n’est pas insensible à ses charmes, et à partir de ce moment l’espoir qu’une famille puisse être fondée illumine la petite communauté. Gêné aux entournures, je ne me souviens pas comment Griffin s’en sort, si ce n’est qu’il s’est débrouillé avec une certaine finesse.

…à rapprocher de :

– En plus poussé sociologiquement, Ralph Ellison a publié en 1952 Homme invisible, pour qui chantes-tu ?, sur les problématiques liées à l’appartenance à ce groupe ethnique.

– Dans la catégorie des essais à forte charge symbolique, il y a le très éclairant Demain, demain de Maffre sur le bidonville de Nanterre des années 60.

– Wikipedia me glisse dans l’oreillette qu’un Allemand a fait la même chose avec la minorité représentative de son pays, les Turcs. A voir sans doute.

– Pour terminer sur une note plus humoristique (à vous de voir), Le Tigre pense (inversement) à une blague de Coluche, illustrée par Les sales blagues des Échos. Celle du génie qui offre à une famille africaine un vœu, les parents décidant d’être blancs. A ce moment leurs enfants pleurent en voulant également avoir la même couleur de peau, le couple leur botte le cul en gueulant : « merde, pas blancs depuis une minute qu’on se fait déjà emmerder par des noirs ! ».

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Jonathan Coe - Bienvenue au clubVO : The Rotters’ Club. Jo Coe nous régale en général, Bienvenue au Club est un exemple parfait. Style fluide et histoire dense (plus de 500 pages, quoi de plus normal), voici un portrait de l’Angleterre des années 70 à 80 comme on en lit rarement. Presque un passage littéraire obligé.

Il était une fois…

Royaume-Uni, années 70. Études à la cool à Birmingham, premières histoires d’amoureuses, musiques nouvelles qui font leurs entrées, Londres qui n’est pas si loin, etc. Mais aussi les tensions sociales, victoires de Maggie Thatcher qui dépiaute tranquillement l’Etat-Providence, l’extrême-droite et les combattants de l’IRA. En suivant quelques protagonistes bien implantés dans cet environnement, c’est tout un pan de l’histoire du Royaume-Uni que le lecteur s’offrira.

Critique de Bienvenue au club

Un beau livre : émouvant et drôle, Le Tigre a été vite séduit. Lu en français certes, mais la traduction reste d’une qualité certaine. Le club en question, ça peut être le groupe de personnes dont le lecteur suivra les pérégrinations, ou alors le club un peu déjanté créé dans leur école.

L’histoire, le scénario, ce sont au moins trois histoires : Benjamin, Philip, Doug, ce sont leur jeunesse que nous suivrons grâce à de savants flash-backs (on oublie que c’en sont au demeurant). Trois points de vue de l’Angleterre des 70’s (et un peu les années 80), trois scenarii sans concessions où tout est progressivement dévoilé. Chapitres de taille raisonnable, aération agréable du texte, style plus que plaisant (cf. infra), on oublie vite la taille du pavé.

Car Coe est malin, et dans son arrière-pays qu’est Birmingham (lieu d’enfance de l’auteur, d’où un récit aux tournures parfois bibliographiques) un portrait général sera dressé avant de s’intéresser à une poignée de protagonistes qui évolueront dans les affres de l’adolescence. Le gros plus de l’auteur, c’est d’être parvenu à ne pas nous perdre dans toutes les péripéties (au moins dix-quinze personnages récurrents) et faire en sorte qu’on n’aie pas vraiment envie de lâcher l’ouvrage.

C’est d’autant plus vrai qu’il est arrivé au Tigre de rire plus d’une fois en parcourant la prose de l’écrivain. Particulièrement, les textes parodiques d’un des gus dans le journal de l’école sont d’un corrosif fort plaisant. Se moquant des codes et inquiétudes parentales du moment, j’attendais ses interventions avec un impatience à peine feinte. Dans l’ensemble, presque un titre incontournable, c’est du tout bon en tout cas.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le livre sociétal par excellence. L’écrivain aborde un maximum de sujets caractéristiques de son époque, mais surtout parvient à les incorporer dans son oeuvre de manière parfaitement naturelle : le déclin industriel de la région du nord du pays, le pouvoir grandissant des syndicats avant que ceux-ci se fassent botter le cul par la mère Thatcher, quelques sympathiques facéties étudiantes, le conflit irlandais, les bars enfumés aux arrières-goûts de Guiness (le truc qui ressemble à du chocolat mais en plus calorique), les premières expériences sexuelles sur fond de libération des mœurs, tout y est !

Le chaud et le froid. Pour l’instant, Le Tigre ne trouve pas d’autres termes. Je m’explique : Jonathan Coe est excellent conteur, pas de doute. Il nous sert de coquasses histoires, quelques passages qui font délicieusement ricaner, et hop ! au détour d’un chapitre, quelque chose de terrible survient. Un aspect horrible de l’Angleterre de cette période, par exemple un attentat irlandais en plein Londres, dans un pub. Basculer du plaisir insouciant, pour ne pas dire naïf, à la réalité des adultes (ou l’inverse) de la sorte, c’est assez fort de la part de Coe.

…à rapprocher de :

Le Cercle fermé, du même auteur. La bande habituelle, vingt ans plus tard…

– Dans la catégorie « bouquin sociétal britannique », il y a le très correct Eureka Street, de McLiam Wilson. J’y pense car il y a également un moment de pur terrorisme irlandais.

– Autre club, autre sujet, mais toujours l’apprentissage de la jeunesse, française aussi, c’est Le club des incorrigibles optimistes, de Jean-Michel Guenassia.

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Murakami Ryū - Bleu presque transparentVO : Kagirinaku Tōmei ni Chikai Burū. (Eu égard la longueur du tigre, Le Tigre subodore que la traduction FR est très libre). Oh la belle claque littéraire que je me suis prise. Glauque et dur, rapide à lire, ce livre raconte les pérégrinations de jeunes Japonais. Au menu : sexe, violence, drogues, etc. Glaçant.

Il était une fois…

Dans le Tokyo du milieu des années 70, Ryû, Okinawa (rien à voir avec l’atoll), Kei & Co représentent une bande de jeunes sans réelles frontières morales. Profiter, s’amuser, se détruire, la nuit et le jour, tout est bon à prendre.

Critique de Bleu presque transparent

Le Tigre a été soufflé par l’audace d’un tel roman, écrit en 1976. Pendant qu’on parle de dates, petit coup de gueule contre le monde français de l’édition, trop préoccupé à faire traduire du Mary Higgins Clark plutôt que s’occuper de cette pépite. Publié en français en 1997, c’est plus d’une génération qui a raté un grand moment de littérature.

Bleu presque transparent, c’est un peu Rebel without a cause version japonaise. Le quotidien de jeunes Japonais en perdition : drogues, sexe, délires, amitiés bizarres, tout est franchement excessif et jubilatoire. Le lecteur suivra leurs aventures de manière plutôt fluide grâce à un chapitrage court qui allège considérablement les quelques 200 pages de ce roman.

Sur le style, il faut hélas reconnaître que ça a un peu vieilli (à moins que ce soit l’âge du traducteur). Passages parfois confus, une narration complètement perchée à certains moments, Le Tigre n’a pas l’habitude de tels textes à la fois crus et empreints d’une certaine poésie. Mais l’enchantement est là, malgré tous ces noms japonais qui font que plus d’une fois j’ai eu du mal à savoir qui est qui.

Pour conclure, assez semblable à un premier roman de Bret Easton Ellis, mais en meilleur. Par exemple, une scène de partouze chez des GI’s a été pour Le Tigre (pourtant habitué à du hard) un savoureux choc, entre rires et stupéfaction. Une question se pose : l’écrivain l’a écrit à 24 ans, à quel point tout cela est autobiographique ?

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Bien évidemment il y a le thème de la jeunesse qui erre et fait n’importe quoi : drogues dures, sexe débridé, vaines discussions, personne ne prend la vie au sérieux. Murakami ne nous épargne pas grand chose, en si peu de pages je vous laisse imaginer le style concentré et allant droit au but. Toutefois, tout cela est conté avec une simplicité désarmante : comme le dit le quatrième de couverture, « la déchéance de nos héros possède la couleur du bleu presque transparent de la pureté ».

En outre, la violence est y tellement inouïe que j’avais le sentiment de son improbabilité : je pensais la société nippone très stricte concernant la criminalité et la sécurité en général, et l’absence de réponse forte de sa part m’a étonné.

L’auteur parle beaucoup de la présence américaine dans le pays. Les plus gros « délires » de nos sauvageons se font grâce (ou à cause) des GI’s stationnés dans leurs bases. Ceux-ci dealent à une partie de la population quelques menus plaisirs : alcools, héroïnes, pilules miracles, mais surtout de terribles orgies (de la prostitution, disons-le) où tous les ingrédients précédemment cités sont mélangés. Terrifiantes tournantes, petites overdoses en même temps, l’occupant outre-pacifique n’est pas présenté comme le pacificateur habituel, mais en tant que véhicule de la déchéance des forces vives du pays.

Enfin, Ryu se concentre pas mal sur les soldats métisse ou de couleur, objet d’intenses curiosités de la part de nos jeunes. Surtout leurs gros engins sur lesquels s’empalent leurs frêles culs nippons. Excusez du vocabulaire, c’est présenté bien pire dans ce roman. Femmes et hommes, tout le monde a le droit à sa girouette érotique.

…à rapprocher de :

– Plus contemporains, avec une jeunesse encore à la ramasse, Murakami Ryu a régalé Le Tigre avec ses Chansons populaires de l’ère Showa. Quant à un autre titre, Raffles Hotel, passez votre chemin.

Yakuza moon de Shoko Tendo, Tigre ayant lu la version manga par Wilson et Morikawa. Peu de choses sur les Yakuzas, plutôt l’histoire tragique d’une fille d’un boss déchu.

– Sur la jeunesse en crise, il y a le très mauvais Attrape-cœurs de Salinger, voire quelques titres de Bret Easton Ellis. Suite[s] Impériale[s] par exemple.

– Le noir comme source de curiosité et fantasmes chez les Japonais, Kenzaburo Oe en parle dans une de ses nouvelles, Gibier d’élevage.

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Les Sutras du TigreLecteur assidu, voici venir le temps, des rires et des chants, des petits auteurs qui t’obligent à sortir ton iPod… Mais de Casimir il ne sera point question, seulement des écrivains qui balancent ici et là des références musicales que tu te sens obliger d’écouter. Pourquoi donc ? Le Tigre a quelques théories…

Quoi ?

Dans un précédent Sutra, Le Tigre vous entretenait de la possibilité de lire en écoutant de la musique. Si vous ne l’avez pas lu, ce n’est pas bien du tout. Comment pourriez-vous en effet comprendre ce qui suivra, étant donné que l’axiome de ce post repose sur le fait que la lecture peut être liée à la musique ? Passons.

Ce Sutra aura grosso modo deux parties : d’une part je vais tenter de comprendre les intimes motivations de l’écrivain qui décide de faire péter quelques références dans ce domaine, d’autre part déblatérer sur ces individus qui parlent de musique dans leurs œuvres. Si ça ressemble à un texte de thésard, c’est que Le Tigre est, entre autre, docteur en musicologie littéraire. Du moins il en a rêvé.

Car la littérature et la musique sont deux arts majeurs (quoique ait pu dire Gainsbourg), et il est tout à fait légitime que de subtiles passerelles existent entre ces deux champs artistiques. Si les chanteurs sortent des textes qui mériteraient d’être édités par Gallimard, certains romans ont toutes leur place dans les essais relatifs à la musique.

Pourquoi ?

« Mais pourquoi avoir l’outrecuidance de saisir le mécanisme intellectuel de nos plus beaux cerveaux contemporains ? Se prend pas pour de la merde le félin ! ». Bonne question. Salopiaud. Pour se dédouaner, Le Tigre vous répondra tout de go que c’est la faute des auteurs. Ils n’avaient pas à ouvrir les hostilités aussi grossièrement.

En effet, l’écrivain souvent veut se rapprocher le plus possible de ses « clients ». A l’instar de l’Union européenne, son but est de constituer une coopération toujours plus étroite avec ses lecteurs. Lire mais surtout posséder un livre papier gratuitement étant plus retors que télécharger illégalement comme un fou furieux de la musique, notre auteur ne prend pas le risque de voir la pyramide de Maslow (concernant la partie « loisirs ») prendre une tournure qui lui serait défavorable. Comprenne qui voudra.

Moreover, montrer qu’on s’y connaît pas mal niveau albums éclectiques, c’est un peu annoncer à la cantonade : « oyez populace admirative ! Moi je suis un auteur complet, je parle de l’art musical mieux que n’importe quel vulgaire chansonnier parlerait de ma glorieuse personne ! ». Exercice d’ego certes, mais avant tout un moyen de créer un lien affectif supplémentaire avec le lecteur en stimulant d’autres zones de plaisirs. Et là, gare! Faut pas se planter de cible, quitte à viser large pour rassembler un maximum de générations. Bref, faire le Chirac.

Le prolétaire livresque qui parle dans son bouquin de musique, j’en repère trois sortes. Trois races, ai-je envie de dire. Car ils ne se mélangent quasiment pas. Je les livre non pas par ordre de préférence, quoique… Accrochez-vous.

Comment les auteurs en viennent à parler de musique ?

Comment une suite de mots nous amène-t-elle à poser quelques minutes son torchon afin d’écouter vite fait de quoi il parle ?

Premièrement, il y a l’élève propre sur lui, le gentil auteur qui veut te montrer que c’est un être humain avant tout. La première fois que cela m’est arrivé, c’était après un énième titre de Nanard Werber. Après les remerciements d’usage (ma bourgeoise, mon clébard, mon psy qui est maintenant riche), l’auteur nous indique une bibliographie musicale. Du classique, quelques bandes originales de blockbusters, rien de bien folichon. A l’inverse, Alastair Reynolds, dans Blue remembererd earth, parle à la fin du du musicien africain Geoffrey Oryema, ce qui la beaucoup inspiré dans son roman (le nom du héros notamment).

Qu’en penser ? Bah ça part d’une bonne intention, si seulement on nous donnait quelques titres ou musiciens surprenants. Du neuf. Savoir qu’un tel a écouté telle sonate en u mineur (allegro non troppo de surcroît) d’un compositeur contemporain d’un quelconque roi de France, franchement à part le club des lectrices sexagénaires des Hauts-de-Seine je ne vois pas qui pourrait frétiller de bonheur face à de telles révélations. Au moins l’écrivaillon garde ses lubies hors de son roman, et ne pas être d’accord avec les goûts de l’auteur n’empêche pas de le trouver génial.

Deuxièmement, il y a le « dealer de bons plans ». L’air de rien, pendant l’intrigue du roman, le héros ou un autre protagoniste fait état de ce qu’il écoute, voire interpelle directement le lecteur sur ce qu’il y a de bon à se mettre dans les oreilles. Un peu comme un San-Antonio non pas axé sur le cul ou l’action mais sur les mélodies. Le Tigre pense par exemple à Ken Bruen (bien sûr résumé sur ce blog), dont le héros des romans est fin mélomane de rock. De même, dans La Tour sombre de King, la gare où se trouve un train très spécial passe en boucle un son proche de Velcro Fly de ZZ Top. Ça met dans le blain (attention, jeu de mots très subtil)…

Bonne idée ou pas ? Tout dépend du style du pavé, il faut que les références sonores soient introduites de manière logique dans le texte. Que ça colle avec l’ambiance générale en fait. Imaginez un des héros d’Hunter S. Thompson qui entre un rail de coke et un bourbon mette en route un vinyle du premier boys band à la mode, vous conviendrez que ça fait désordre. A l’inverse, la dernière pétasse du livre de Guillaume Musso qui se concocte une playlist happy hardcore avec quelques titres de Prodigy en sus, et bah pour le coup Le Tigre achètera sûrement ce roman. Encore plus désordre me direz-vous.

Troisièmement, il y a la vocation ratée. Mes préférés, toujours ceux qui sont borderlines. A la limite de l’obsession, s’il faut traduire. C’est l’auteur qui articule une partie de son ouvrage avec de la musique. Joue avec celle-ci même. Vocation contrariée dans la mesure où souvent il aurait bien voulu être dans un groupe connu. Ou alors il sévit déjà avec des potes dans un garage, voire devant une poignée de pochetrons dans un bar louche en plein Texas. On le reconnaît par l’utilisation extensive d’un savant vocabulaire, et/ou une intrigue axée autour de la musique.

On valide ou pas ? Tant que c’est bien écrit, peu importe le sujet. Les arts martiaux, la cuisine, la pornographie, tout peut être couché sur papier ! Mais à vouloir pousser le vice, autant en faire un livre audio avec quelques échantillons sonores ici et là. Peut-être trop complexe d’un point de vue des droits d’auteurs, c’est pourquoi il ne faudrait pas aller au-delà de dix-quinze secondes, voire les passer en boucle. Et chaleureusement remercier le groupe de musique en postface. En gras. Et en lettre capitale. Avec un lien vers leur page myspace, FB, twitter et leur compte PayPal.

En ce qui concerne les modestes lectures du Tigre, il y a notamment le bon Maurice G. Dantec. Celui-là est un cas clinique d’exception : dans Satellite Sisters, il y a bien quatre pages sur un concert en 2029 de Muse en apesanteur dans une station orbitale servant de casino et administrée par Richard Bronson, le boss de Virgin. Non, je ne me fous pas de votre gueule. L’auteur, si. Dans Liber Mundi, un des héros fait des « riffs » magnifiques avec sa guitare et Dantec y passe des paragraphes entiers. On peut également évoquer Le Temps du Twist, de Joël Houssin et avec Led Zep en fond musical.

Concluson en chansion

Comme le dirait Sébastien Raizer dans le titre de son essai sur Noir Désir (Camion Noir), « tout est là ». Je n’évoque que des exemples personnels, et attends impatiemment vos retours d’expérience sur ce sujet.

Tout ? Hé hé… Pour les curieux, petite précision sur le pourquoi du #56 du présent sutra. Pas évident à choisir celui-ci : faut un rapport avec la musique, donc si possible un éminent saltimbanque. En outre, il ne fallait pas trop s’éloigner du Sutra #54 traitant d’un sujet proche. Le Tigre n’a pas cherché longtemps, la date de naissance du premier compositeur qui vient à l’esprit est 1756. Merci Wolfgang Amadeus. Momo(zart) pour les intimes. Fin du fin, le sutra #55 traite du type de musique à écouter selon l’écrivain.