Les Voyages du TigrePendant les nombreuses espac..extap..merde, excursions du Tigre, un jeu s’est progressivement mis en place. Ce divertissement, à mi-chemin entre sport de haut niveau et quête infinie, fut également l’occasion d’apprendre l’art de la négociation. Tout ça en se comportant comme un parfait connard. Franchement, que demander de plus ?

Je veux parler à votre supérieur !

Il y a une phrase que j’ai toujours été incapable de prononcer. Adolescent, Le Tigre était de nature plutôt timide et très peu porté sur la lecture – si si. Lorsque quelque chose n’allait pas, j’adoptais la posture dite passive-agressive : je fermais ma gueule mais allais ensuite à contre-courant de mon interlocuteur. Juste pour l’emmerder. Mon steak arrivait trop cuit dans mon assiette, je n’osais rien dire, mais pissais à côté de la lunette des chiottes du restaurant. La grande classe.

Et puis je me suis épanoui – tu es devenu chiant, corrige maman-lynx. De manière générale, je parvenais à formuler mes griefs, mais sans m’imposer et avec une désarmante affabilité. Il y avait toujours cette phrase que je ne parvenais pas à expurger de mes cordes vocales. Jusqu’à cette soirée dans un dancing miteux en plein milieu d’une île indonésienne.

De jour, l'île bien fréquentée. Mais de nuit...

De jour, l’île bien fréquentée. Mais de nuit…

Avec un ami (que je nommerai Le Buffle), nous avions organisé un petit voyage le temps d’un weekend. Pour faire simple, une accumulation de paramètres m’avait presque fait sortir de mes gonds : une musique à chier avec les mêmes morceaux qui tournaient en boucle ; la dizaine de bières tièdes avalées ; l’arrivée en force d’une quinzaine de ladyboys qui roulaient sans vergogne du derche autour de nous ; la vitre d’un podium qui s’était brisé sous les pieds d’un pote (qui n’a rien eu, un vrai veinard) ; et ma tong droite qui avait été volée (en fait, celle-ci baignait dans un cocktail). Au milieu de ce fatras, j’avisais le serveur et lui gueulait un tonitruant « I fucking want to talk to your manager. Right now. »

Le Buffle, peu habitué à ce que le félin s’énerve, était épaté. Surtout qu’un petit gros est arrivé trente secondes après ma gueulante pour s’excuser et proposer de menues indemnisations. Une fois le manager parti, nous avons eu cette fabuleuse conversation avec mon ami :

− Bravo, Tigre. Efficace le coup du passez-moi-votre-supérieur. Ça fait méchant businessman américain bien gras sous tous rapports.
− Moins 20% sur la note d’hôtel, c’est un sacré bon début.
− Tu penses que si tu lui avais demandé, à son tour, de parler à son supérieur, on aurait eu quelque chose en plus ?
− Sais pas trop. Ce serait marrant de monter de la sorte les échelons et voir si on peut atteindre le gouverneur de l’île.
− De toute façon, tu serais incapable d’aller plus haut qu’un n+2.
Game is on.

[un n+1, c’est le supérieur de premier niveau de quelqu’un. Le n+2, le deuxième. Etc.] Voilà comment est né le bien dénommé passetemps I Want To See Your Manager. Abrégé en IWTSYM, contracté en WSM (les termes les plus importants).

Les règles du jeu du IWTSYM

Avec Le Buffle, nous avions passé le reste du weekend à peaufiner les règles de ce jeu. Fallait absolument éviter les contestations et offrir à nos comportements une justification presque sociale. Voici le livret des règles :

1/ Le but du WSM est de remonter la ligne de hiérarchie d’une institution le plus haut possible. Peu importe que le joueur demande expressément à parler au n+1 d’un individu ou que ce dernier propose, spontanément, d’appeler son supérieur.

Commentaires : comme je l’explique plus bas, parvenir à ce qu’un péquin appelle, de sa propre initiative, son boss, est le nec plus ultra.

2/ Les joueurs du WSM ne sont que Le Tigre et Le Buffle. Tout autre participant doit être agréé par ces deux joueurs – ce qui n’arriva jamais au passage.

3/ Le WSM ne peut se jouer que par un joueur à la fois et en présence de l’autre joueur. Ce dernier n’a, sous aucun prétexte, le droit d’intervenir.

Commentaires : cette règle obéit à un besoin évident de preuve de ses réalisations. En outre, cela évite la tentation de filmer ses exploits, pratique aussi mal vue que discourtoise. Quant au principe non-ingérence, celui-ci fut tardivement promulgué : j’avais partiellement (complètement, même) fait capoter une performance du Buffle en plein milieu de son speech – il était furax. Pour tout vous dire, on s’était fait passer pour deux Australiens gays à la recherche d’une gourmette chez Chaumet, et sous l’impulsion du pote c’était bien parti pour parler au n+2. J’expulsai alors un rot tonitruant pour saborder son opération, et depuis y’a un drapeau australien barré à l’entrée du magasin.

4/ Le WSM ne se pratique que contre des sociétés. Les entreprises dont l’État est actionnaire majoritaire sont acceptées.

En moyenne, voici le n+12 de n'importe quel Chinois

En moyenne, voici le n+12 de n’importe quel Chinois

Commentaires : cette dernière phrase est justifiée par l’économie singapourienne (et d’autres pays aux alentours). Il faut savoir qu’il existe dans ce petit Etat un fonds souverain (Temasek) qui contrôle pas mal de boîtes. Les ports, l’aéroport, le métro local, etc. Même la seule compagnie téléphonique ! Imaginez, c’est comme si l’Etat français possédait une majorité de parts de France Telecom – oh, wait.

Plus généralement, il serait aussi vain que dangereux de vouloir jouer au WSM face à un fonctionnaire asiatique. En effet, il y a une chance sur deux que ce soit un employé d’un Etat plus ou moins totalitaire, et là c’est doublement risqué : déjà, certaines réclamations des administrés sont souvent enregistrées dans la base de données de la bureaucratie. A force de faire le con, il est probable qu’en passant la douane d’un aéroport on vous dirige vers un autre file. Celle qu’empruntent des gens louches. Dont vous dorénavant.

Ensuite, si votre demande fonctionne trois fois d’affilée, la structure pyramidale de l’administration fait que très vite vous aurez affaire à une huile du parti. Et, croyez-moi, vous n’avez en aucun cas envie de vous frotter à celle-ci.

5/ Tout exploit contrevenant au principe du Mianzi n’est pas pris en compte.

Faut que je vous explique particulièrement cette dernière règle, en particulier ce qu’est ce foutu « mianzi », qui signifie le visage. Peu importe les arguments développés ou ce qu’on demande en fin de compte, il ne faut en aucun cas faire perdre la face à quelqu’un ou, pire, perdre la face soi-même. Car cette conduite comportementale, issue des Chinois, s’est rapidement imposée en Asie du Sud-Est.

Tigre a négocié le prix du billet. Train est parti. Pleurs. Perdu la face.

Tigre a négocié le prix du billet. Train est parti. Pleurs. Perdu la face.

Perdre la face, c’est quand vous pétez un câble et montrez que vous êtes colère. Or, les échanges entre individus ne peuvent être qu’harmonieux, et chacun doit repartir victorieux d’une négociation. Du moins en apparence, et avant tout vis-à-vis des autres. Ainsi, lorsque quelque chose ne va pas, il convient de ne pas élever la voix et rester tout sourire. Faut prendre l’air du mec en train de se faire sodomiser avec du gravier, mais qui n’est pas totalement mécontent de découvrir cette nouvelle sensation.

Inversement, il ne faut en aucun cas faire perdre son mianzi à son l’interlocuteur. Pas bien. Ne pas le placer le dos au mur, incapable de réagir comme un lapin aveuglé par des feux d’une bagnole. Toujours lui laisser une porte de sortie honorable, et faire en sorte qu’il l’a trouvée lui-même comme un grand – ici, fin du fin. L’être humain est attaché à préserver son honneur, et la sphère professionnelle en Asie se mélange allègrement avec la personnelle, aussi n’entachez pas la première.

Pour cela, il est quelques codes à respecter, comme ne jamais sévèrement chapitrer l’employé devant ses collègues ou son supérieur – même s’il le mérite. En outre, se moquer ouvertement du pauvre hère et lui faire comprendre, par une gestuelle offensante, qu’il n’est pas de taille à affronter la négociation qui se déroule, reste le meilleur moyen de violer les coutumes asiatiques. Préférez plutôt l’attitude bienveillante mais ferme accompagnée de la fameuse phrase…mais sur le ton du « vraiment désolé, je n’ai pas envie de te faire prendre une décision qui ne serait pas validée par ton chef, donc va le sortir de l’arrière salle d’où il pionce. Il t’en sera reconnaissant. »

Respect du Mianzi : ils ont perdu, mais avec le sourire.

Respect du Mianzi : j’ai eu leurs stocks à très bas pris, mais ça les fait rire.

Conclusion de consommateur joueur

Le jeu du Je veux parler à votre manager fut le fil d’Ariane de mes joyeuses pérégrinations, et à chaque fois que j’achetais une connerie (et que ça devenait un tantinet compliqué) une petite voix me chantonnait, telle Carla, « serait-ce possible alors ? ». Des règles simples, un but d’une rare noblesse, l’occasion de rencontrer des nouveaux profils, avouez que j’aurais dû breveter cette activité et demander son inscription aux Jeux Olympiques.

Pour ceux qui estiment que ce jeu est infâme et indigne du Tigre, ne vous inquiétez pas : une sixième (et ultime) règle a rapidement vu le jour. La voici :

6/ Lorsqu’un des joueurs fait de la merde, il doit absolument éviter de dire qu’il est français, et, dans la mesure du possible, européen.
Pour ma part, j’utilisais un accent américain ou québécois assez prononcé, selon le niveau d’anglais de l’individu en face de moi.

Voilà pour la théorie les amis. Quant à la pratique, la suite est en lien.

Jean-Paul Bourre - Sexe, sang et rock 'n' rollNe vous laissez pas distraire par un Brian Jones rigolard sur la couverture, la bonne vingtaine d’histoires traitées se termine toujours mal. Tout comme le guitariste des Rolling Stones. L’essayiste, bien introduit dans l’univers déconnant du rock, livre quelques savoureux épisodes qui feront briller aux dîners en ville. Ça sent délicieusement le soufre.

De quoi parle Sexe, sang et rock ‘n’ roll, et comment ?

Tout d’abord, il faut savoir que JP Bourre est un enfant de la balle, à savoir un individu bien introduit dans ce que la culture rock (et underground) a pu produire de plus bizarre, sinon criminel. Nombreux essais sur les sciences occultes publiés, animateur radio objet de polémiques, Bourre connaît définitivement bien son sujet – aidé par ses contacts dans cet univers.

Telle une offrande au lecteur en quête de sensationnel, l’essayiste a lâché pas mal de croustillantes (et sanglantes) anecdotes relatives à l’univers du rock depuis les années 20. Ces historiettes sont presque livrées par ordre chronologique et peuvent se lire indépendamment les unes des autres. C’est à la fois une qualité de ce titre (zapper est plus aisé) mais également une tare : les liens entre le sexe, le sang et le rock paraissent parfois bien ténus, et souvent l’impression de lire la rubrique people des chiens écrasés est prégnante.

Sinon, voici les titres des chapitres, avec après le tiret mon rapide commentaire sur le sujet. Attention c’est long :

– Leadbelly, l’homme au revolver – Un auteur blues de talent d’une extrême violence.
– La ballade sauvage de Charles Starkweather, le premier des tueurs-nés – un fou furieux qui aimait se prendre pour James Dean.
– Les desperados du rock – Jerry Lee Lewis et Johnny Ace, deux têtes brulées de génie.
– La mort du colonel Kurtz – Le colonel n’est rien d’autre qu’Elvis Presley.
– Les tueurs « Mods » – Ian Brady et Mira, tueurs et violeurs de jeunes filles.
– Brian Jones et le bleu profond des piscines – Suicide ou acte malveillant ?
– L’Evangile selon Manson – Le tueur le plus connu des années 70.
– Le diable à Altamont – Après Woodstock, un concert des Rolling Stones qui tourne mal.
– La traversée des portes – La rapide déchéance de Jim Morrison.
– Les soleils noirs d’Highgate – Led Zep’ qui prend racine dans la baraque d’Aleister Crowley.
– Vivre vite – Ou la propension des grands à prématurément se terminer.
– Michael Jackson, dans la peau d’un serial killer – bad trip chez le roi de la pop.
– « Le traqueur nocturne » – Richard Ramirez, flippant tueur en série.
– Florence Rey, la madone électrique. Tuerie française à la Nikita au bois de Vincennes.
– La descente aux enfers de Sid Vicious – Le bassiste des Sex Pistols en plein délire.
– Sang et censure. Derrière ce jeu de mots, pas grand chose hélas.
– Un conte de Noël – Quelques souvenirs délirants de l’auteur.
– Dans la spirale du chaos – Comment le métal influence (ou pas) les pulsions meurtrières.
– Björk, une passion amoureuse – Un fou dingue de Björk se suicide pour elle.
– Les derniers jours de Kurt Kobain – Un gosse capricieux à l’éternel bras d’honneur.
– Les anonymes et les sans-grades – Histoire de parler de Jean-Paul Bourre et ses proches. .
– Satanistes contre nouveaux vikings – Black métal satanique à la sauce norvégienne.
– A l’intérieur d’un manga – .Manga nerveux genre Akira vs. Disney qui effleure la réalité
– Nico et le cadavre de Jim Morrison – Rencontre entre l’auteur et l’égérie des Velvet Underground.
– La chute des anges – Les tueries d’établissements scolaires et l’influence du rock.
– L’enfer d’une nuit, à Vilnius – Le groupe Noir Désir qui, grâce à Cantat, change de nom en Supertramp.

Le lecteur ne mettra pas longtemps à remarquer que Jean-Paul, l’auteur, avait une connexion relativement personnelle avec ces individus. Le style est alors très personnel, voire emphatique (certains passages sont de la poésie pur jus), et même révolté – les détracteurs de Cantat traités de « salopards » par exemple. Quoiqu’il en soit, un ouvrage qui se lit avec plaisir tel un bonbon acidulé.

Ce que Le Tigre a retenu

La première chose qui m’a frappé est le décalage dolosif entre le titre et les sujets abordés par l’ouvrage. Le sexe, le sang et le rock, c’est à la fois réducteur et excessif. Voici mes humbles explications :

Premièrement, il conviendrait d’ajouter à la trilogie de l’auteur les drogues. Que ce soient des substances de hippies (hallucinogènes, cannabis, alcool en quantité phénoménale) ou des drogues plus hardcores (héro, coke, dures, méth), les musiciens vieillissent prématurément. Les Led Zep complètement cassés, Jerry Lee Lewis qui fracassait son monde dans les bars, Elvis Presley qui se prend pour un Dieu, Kobain qui se soignait comme il pouvait, en fait l’aspect sanguin de l’ouvrage ne semble en grande partie possible que grâce à des états qui ont sérieusement altéré le jugement de ces anges déchus.

Deuxièmement, plus on avance dans l’essai, plus les sciences occultes se fraient un passage dans le cerveau déglingué des protagonistes – normal, me direz-vous si vous connaissez la bibliographie de JP Bourre. Les motivations des artistes sont nombreuses, mais tous ont mis en place (ou réinstallé) un univers cohérent qui relève soit du paganisme, soit du satanisme, voire de la magie noire avec ce que ça comporte comme mauvais sorts – auxquels beaucoup croyaient. Heureusement, au 20ème siècle les tribunaux ne prenaient pas en compte les meurtres par sorcellerie.

Troisièmement, et c’est là qu’à mon avis l’essai montre sa plus grande faiblesse, je ne sais pas trop ce que vient faire le sexe dans le titre. Que l’essayiste rattache à tout prix le rock & roll au sang, quitte à théoriser sur l’absence d’influence de cette musique sur d’éventuelles pulsions meurtrières, je comprends. Toutefois, avec le sexe, Le Tigre était en droit d’attendre des histoires de monstrueuses partouzes (qui tournent mal ou non), et pas seulement des chroniques à la Roméo et Juliette (cf. Sid Vicious). Mais, si c’est pour le clin d’œil au Sex, drugs & rock ‘n’ roll de Ian Dury, Le Tigre s’incline.

Sinon, et à tout hasard, quelques passages sont plus qu’instructifs, même si ça prend une tournure de voyeurisme (pas désagréable, certes). Florilèges : Michael Jackson en plein délire qui file à Jacksonville sur les pas d’un tueur (ça se passe mal pour Bambi qui se cloître encore plus à Neverland)  ; Sid Vicious qui insulte à de nombreuses reprises les « pédés de Texans » lors d’un concert ; Charles Manson le magicien qui soumet les esprits (et traîne avec les Beach Boys) ; ou (plus glauque) le pauvre gus qui enregistre son suicide et demande que seule Björk regarde la vidéo.

…à rapprocher de :

Il faut savoir qu’énormément de sujets traités par Jean-Paul Bourre sont plus longuement développés dans quelques essais publiés par l’éditeur Camion Noir/Blanc : le black metal satanique, Sid Vicious, Björk, Alesteir Crowley, etc.

– Lors du concert d’Altamont des Rolling Stones, le groupe avait fait appel aux Hell’s Angels pour assurer l’ordre. Le concert fut une tragédie et a signé la mort du hippisme. Faut dire que les motards, payés en binouzes et en cocaïne (à volonté), n’étaient pas en état de calmer les gens. D’ailleurs, on y retrouve Hunter S. Thompson, le journaliste gonzo qui suivait les bikers en vue de produire un roman – il en garde un souvenir mitigé.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce titre en ligne ici. Ou, mieux, sur le site de l’éditeur.

DodécaTora« Bien le bonjour, é-lecteur félin. Écoute, mon parti politique et moi-même sommes dans la mouise. On ne peut plus vraiment parler de scandales qui nous éclaboussent, on nage dedans désormais. Si tu peux rappeler qu’il arrive à la littérature de foutre autant la merde que nous, ça permettrait à mes pigeo..euh administrés de passer à autre chose. Vive la république, vive ton site. Signé : [écriture illisible] »

Douze titres qui ont provoqué la polémique

Des ouvrages qui ont fait scandale, il y en a trop pour s’arrêter à une petite douzaine. C’est pourquoi le fauve a décidé (entre autre) de poser quelques frontières : je n’évoquerai que les romans, aussi des recueils comme Les Fleurs du mal, qui ont à l’époque plutôt bien émoustillé la populace, seront écartés. Ensuite, je tâcherai d’éviter les écrivains qui ont particulièrement pris cher à cause du scandale – ça fait l’objet d’un autre billet intitulé « 12 écrits qui ont posé problème à leur auteurs », en lien.

Enfin, je ne m’intéresserai qu’au scandale provoqué par un auteur uniquement à cause d’un ouvrage particulier. D’une part, il existe quelques gus, à l’instar de Maurice G. Dantec, qui remplissent lentement mais sûrement le vase qui débordera sur un énième titre provocateur. D’autre part, l’écrivaillon qui fout un indescriptible daroi en raison d’activités « connexes », j’en fait fi. L’écrivain maudit qui se balade la queue à l’air ou assassine quelqu’un (voire, plus modestement, un Beigbeder qui s’encanaille) ne seront pas ici abordés.

Tout ça pour monter que chaque siècle et chaque décennie dressent quelques tabous plus ou moins moraux qu’un indélicat peut (plus ou moins sciemment) sauvagement violer. Sans verser dans une philosophie de bas étage, la mesure du scandale est un bon indicateur sur l’état d’une société – quelle qu’elle soit.

Comme je le répète à mon chat : « après le Code pénal, ce sont les livres jugés scandaleux qui représentent le curseur moral d’une civilisation ». A ce moment, mon matou cligne des yeux en signe d’assentiment. Un vrai sage. Place à la littérature.

Tora ! Tora ! Tora ! (x4)

1/ Gustave Flaubert – Madame Bovary

Difficile de commencer ce DDC sans le sieur Flaubert – et Le Tigre le fait avec d’autant plus d’aisance qu’il n’a jamais lu un de ses romans. Premièrement publié sous forme de feuilletons jusqu’au milieu du 19ème siècle, il n’a pas fallu longtemps pour que l’opinion s’étrangle en lisant les aventures de la cocufieuse Bovary qui finit par commettre un suicide. D’ailleurs, Flaubert et son éditeur n’ont pas eu le temps de dire ouf qu’ils se sont retrouvés face à un juge mécontent. Well done, boys.

2/ Vladimir Nabokov – Lolita

Un siècle après, un Russo-américain publiait les odieuses pérégrinations d’un héros qui entretien une relation avec Dolores Haze. Ça aurait pu figurer dans une énième bibliothèque rose si miss Haze n’affichait pas douze ans au compteur. Nombreuses censures, mais gros succès au rendez-vous, le genre que j’appelle le « succès de curiosité ». C’est le même principe que l’embouteillage de curiosité : pédophilie et inceste, pouvoirs publics qui paniquent, franchement ça donne envie de se le procurer.

3/ James Frey – En mille morceaux

Raconter des choses terribles et extrêmement dures sur la condition de drogué (alcoolo depuis ses treize ans, crack addict), à la rigueur ça passe au début du 21ème siècle. En revanche, vendre ça en tant qu’autobiographie alors que la fiction dépasse largement la réalité, ça le fait moins. Surtout quand James F. est passé dans les plus grands talks shows américains avant que la supercherie ne soit découverte. Il aura beau se justifier maladroitement, la polémique n’a pas dégonflé pour tant. N’est pas Christiane F. qui veut.

4/ David Herbert Lawrence – L’Amant de lady Chatterley

Le mari d’une aristo (Lady Chatterley, si vous ne l’avez pas deviné) est impuissant car paralysé. La miss s’envoie donc en l’air avec le jardinier – nombreux détails croustillants à l’appui. Bah, dans les années 20, curieusement le Royaume-Uni et les États-Unis n’en voulaient pas sur leurs territoires (pendant plus de 30 piges quand même). Trop obscène (notamment le f** word), le roman sera diffusé dans ces pays après le décès de son auteur.

5/ Arthur Schnitzler – La Ronde

Je franchis presque les frontières posées pour parler d’une pièce de théâtre qui peut toutefois se lire comme un roman. L’auteur autrichien se plaît à décrire la capitale cosmopolite de son pays en mettant en scène deux individus tapant la discute en plein ébat sexuel. Or, en ce début de 20ème siècle, faire coha-biter (hu-hu) les différentes classes sociales, c’est mal. Si on rajoute les vociférations de certains parce que l’auteur est juif, je vous laisse imaginer les proportions que cela a pris.

6/ Henri Miller – Tropique du Cancer

Dans cette autobiographie, le bon Miller raconte, par le menu, sa condition de wanabee écrivain dans le Paris des années 20 et 30. Tropique du Cancer, sorti rapidement en France, a été interdit dans plusieurs Etats fédérés de l’Amérique jusqu’en 1964 (pour une publication en 1961), avec des luttes doctrinales assez savoureuses. Globalement, il fut progressivement jugé que ce bouquin n’était pas obscène – et pour avoir lu quelques passages, il n’y avait en effet pas quoi fouetter un chaton à peine né.

7/ Victor Kravtchenko – J’ai choisi la liberté

Le sous-titre vous dit de quoi il retourne : La vie publique et privée d’un haut fonctionnaire soviétique. Deux ans après la fin de la Seconde guerre mondiale, le commissaire politique (qui a fait défection au pays de l’Oncle Sam) voit son ouvrage traduit en France. Dans un pays où le P.C. local, appuyé par de nombreux intellectuels, fait péter d’indécents scores électoraux. Très logiquement, la polémique devient éminemment politique, puis l’affaire prend une tournure judiciaire impressionnante avec un procès fleuve.

8/ Catherine Millet – La Vie sexuelle de Catherine M.

Le 3ème millénaire a démarré sur les chapeaux de roue, et ce en partie grâce aux aventures sexuelles de Catherine : partouzes avec plus de 100 personnes, échangisme au bois de Boubou,…une telle liberté sexuelle affichée (et également théorisée) avait de quoi en choquer quelques uns. Énorme succès littéraire de 2001, les descriptions sans fards ont provoqué chez Le Tigre plus d’un émoi.

9/ James Joyce – Ulysse

Publié par Olympia Press, l’éditeur qui a bien voulu sortir Lolita, on sent bien que certains individus le font exprès. Sanction du roman de Joyce : plus de dix années de censure. Tout cela à cause de quelques scènes de sexe ou de considérations assez dures contre la religion. En relatant une journée de l’existence des Irlandais Leopold Bloom et Stephen Dedalus, James Joyce a pondu un impressionnant pavé qui me fout une trouille pas permise dès que je l’ai entre les mains – donc pas lu jusque là.

10/ JT LeRoy – Le Livre de Jérémy

Il s’agit d’une polémique assez complexe, et j’avoue ni avoir lu le bouquin incriminé, ni avoir tout saisi à ce joyeux charivari. Grosso merdo, Jeremiah « Terminator » LeRoy a publié une biographie très crue sur sa condition de (accrochez-vous) enfant abusé, drogué, prostitué et transsexuel. Quelques journalistes (sur la base d’incohérences sur l’histoire) ont enquêté sur cet auteur qui s’est avéré être Laura Albert, écrivaine qui a peu de chose à voir avec le héros du roman. Le scandale a été monté en béarnaise dès lors que des contrats ont été annulés à cause de ce dol.

11/ Gabriel Matzneff – Mes amours décomposés

Cet ouvrage a beau être une biographie, sa publication au début des années 90 a achevé la réputation sulfureuse de son auteur. Gab’ avait déjà ouvert les hostilités en 1974 avec Les Moins de seize ans, où le vilain coquin s’épanchait sur sa passion des jeunes garçons. Rien à voir avec un Frédéric M. (à part la même destination dans un pays d’Asie du Sud-Est) ou un Daniel C.B., la pédophilie de Matazneff est autant assumée qu’il tente de la justifier. Une belle dégueulasserie qui a fait couler beaucoup d’encre.

12/ Dominique de Villepin – Le soleil noir de la puissance, 1796-1807

Finissons par une énième plaisanterie. Le bouquin, en soi, je m’en tamponne. Tout comme ses autres essais et poèmes publiés dans la même période. Il faut juste remarquer que l’ouvrage sur Napoléon fait plus de 500 pages, et que Galouzeau était aux commandes du gouvernement français. Donc, on a un ministre (puis PM) qui, en plus de bosser comme un exalté, se bat contre un rival pour être le prochain président. Magie du personnage, il parvient à écrire un roman, sûrement entre deux réunions vitales pour le pays. A moins que Domi soit un négrier en puissance, avoir autant de temps m’interpelle grandement.

Mais aussi :

Le Tigre sait qu’il existe des centaines de romans à scandale, toutefois j’ai préféré parler de ceux dont j’avais (vaguement, pour certains) entendu parler. Sinon, vous l’aurez remarqué, c’est à cause du sexe que le scandale pointe le bout de son museau. Il est alors possible de donner comme exemple contemporain Michel Houellebecq et son Plateforme : le tourisme sexuel dans ce qu’il a de plus cynique et nihiliste, les méchants islamistes qui y vont de leurs violentes réactions, pour un résultat troublant et violent.

Les Protocoles des Sages de Sion, de Matveï Golovinski, est particulier : le scandale, ici, tient au fait que ce texte créant de toute pièce un complot juif de grande ampleur et rédigé par un agent secret de l’Empire russe (tout début du 20ème siècle), a été invoqué et cité par des dingues de tout bord à l’appui de leurs théories délirantes.

En conclusion, et comme je le signalais, ce Dodéca ne doit pas être confondu avec la liste tigresque des romans qui ont posé problème à leur auteur (en lien).

Michel Houellebecq - PlateformeTroisième roman de Houellebecq, il faut convenir qu’il aime lâcher de gros pavés dans la mare. Et cette œuvre mi-érotique mi-politique en est un parfait exemple. Tourisme sexuel à outrance, point de vue « occidento-centré » d’un auteur qui n’hésite pas à taper sur l’Islam, style presque pornographique, ça ne laisse pas indifférent.

Il était une fois…

Michel, fonctionnaire au ministère de la culture, est un trentenaire bien sonné qui n’est pas vraiment heureux. Après le décès de son daron (qu’il ne portait pas du tout en haute estime), Mich’ décide d’aller visiter le monde. C’est parti pour l’Asie du Sud-Est avec un grand tour opérateur et en compagnie de Français moyens. Il y rencontre la belle Valérie, avec qui une grande aventure va pouvoir commencer.

Critique de Plateforme

Le Tigre a lu (presque) tous les romans de Houellebecq, et mon appréciation de cet auteur est plutôt mitigée. Il peut tantôt verser dans le trash limite gratuit mais avec quelques pistes de réflexions intéressantes, tantôt dans de longues considérations néo-déprimées capables de gaver n’importe quel lecteur normalement constitué.

Le début de l’œuvre démarre assez doucement, avec le voyage du protagoniste en Thaïlande. Les comportements des Européens sont écœurants, sur fond de destinations paradisiaques avec des noms à faire rêver  – attention, ça balance en plus de glorieuses références géographiques, comme Surat Thani ou Patong Beach. Puis l’histoire prend une tournure bien plus sympathique dès lors que débarque la blonde Valérie. Et entre le héros et cette dernière, l’amour naissant permet de belles expériences sexuelles qui, je le reconnais, m’ont plus d’une fois foutu une fort correcte trique.

Le rythme continue à s’accélère jusqu’à ce que le héros s’engage dans une nouvelle carrière avec sa petite amie et un de ses collègues. Michel H. en profite alors pour balancer quelques idées de son cru, que ce soit la décadence de notre civilisation (toujours en recherche de plaisirs immédiats) ou le conservatisme outrancier de certains individus, les musulmans en particulier. Le lecteur peut décider de ne pas être d’accord avec les propos tenus par l’auteur, il faut convenir toutefois que c’est relativement fluide à lire, et ce malgré la narration néo déprimée du héros.

En conclusion, Plateforme est un peu plus qu’un banal roman avec quelques scènes plutôt hot, c’est également une expérience de pensée sur ce que peut être un libéralisme total, un monde globalisé au service des plus aisés.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le sexe, et surtout la prostitution, sont au cœur du livre, si ça peut expliquer la polémique autour de Plateforme. Si le héros est témoin (et consommateur) de l’offre économique consistant à vendre son petit cul, il devient dans le dernier tiers un acteur à part entière. Consultant auprès du groupe Aurore, Michel (le protagoniste) propose un type de tourisme pour Occidentaux centré sur la baise. La prostitution assumée, les avantages comparatifs de Ricardo poussés à leur comble, voilà qui est révolutionnaire. Sans spoiler, disons que ça ne plaît pas à tout le monde – la fin est plutôt sanglante.

Brièvement, il faut savoir que la prostitution apparaît telle une zone grise, avec des frontières étanches. Entre l’acte froidement tarifé et l’innocente baisouille accessoirement rémunérée, il y a des situations intermédiaires sur lesquelles joue le tour opérateur de l’intrigue – en présentant cette activité version gagnant-gagnant. Le Tigre pense notamment à la femme de chambre cubaine qui rejoint notre petit couple en plein ébats.

Néanmoins, l’écrivain français ne reste pas cantonné à de glauques péripéties puisque l’amour semble progressivement s’inviter. L’histoire d’amour avec Valérie,  c’est un peu l’oasis de bons sentiments qui reste sur cette terre. Si Michel n’était pas préparé (il n’y croyait pas en fait) à faire face à une telle complicité (sensuelle de surcroît), les sentiments s’imposent naturellement, jusqu’à la constitution d’un couple accompli et serein. Comme souvent chez cet auteur, une telle félicité ne saurait durer…

…à rapprocher de :

– Houellebecq, c’est aussi (dans l’ordre) : Extension du domaine de la lutte, Les Particules élémentaires, Lanzarote, La possibilité d’une île et La Carte et le Territoire.

– Sur le recours à la prostitution revendiqué, lisez donc le roman graphique 23 prostituées, de Chester Brown.

– Quant à l’aspect purement « politique », le point de vue d’Houellebecq rappelle celui de Pascal Bruckner (La tyrannie de la pénitence) ou Le perdant radical de Hans-Magnus Enzensberger.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Tom Sharpe - Le gang des mégères inaprivoisées Sous-titre : ou Comment kidnapper un mari quand on n’a rien pour plaire. VO : The Gropes [en toute simplicité]. Dernier roman du grand Sharpe, il est question ici d’une famille aux discutables mœurs ancestrales et de situations plus cocasses les unes que les autres. Du moins sur le papier, car l’écrivain vieillissant n’avait plus la verve d’antan, et on s’emmerde sec. Infiniment dommage.

Il était une fois…

Après les attentats du 11 septembre 2001 (la menace d’Al-Qaïda est vive dans l’esprit des protagonistes), il existe dans le Northumberland (trou du cul de l’Angleterre) la famille Gropes dont les filles mènent de main de maître la maisonnée – soyons clair : elles séquestrent leurs époux. Parallèlement, la clique des Burnes (qui habite peu loin de là) n’est pas à la fête depuis qu’Horace pète un câble par rapport à son fils Esmond, qui lui ressemblerait trop. Ce pauvre adolescent va se retrouver au centre des désirs des Gropes.

Critique du gang des mégères inapprivoisées

Deux choses m’ont sérieusement alerté en lisant cet ouvrage. Déjà, grossière erreur, les premières publications de ce titre faisaient état d’une impressionnante faute d’orthographe : il était question du gang des mégères inaprivoisées…voui, avec un seul « p ». Ensuite, le quatrième de couverture est un ânerie écrite par un stagiaire qui n’a pas vraiment saisi de quoi il était question.

En effet, ce roman semble se décomposer en trois parties. Il est d’abord rapidement question de l’Histoire des Vikings, notamment un Nordique un peu fiotte qui a déserté à Grope Hall et a donné naissance à une lignée d’individus (des femmes exclusivement) aussi repoussantes que violentes. Celles-ci, pendant des générations, tentent de se reproduire tant bien que mal. Ensuite, et à notre époque, le lecteur sera introduit auprès de la famille Burnes, avec les parents Vera (abreuvée aux romans à l’eau de rose) et Horace (un peu coincé, mais ça s’arrangera) qui ont mis au monde le petit Esmond, individu qui n’a pas grand chose pour lui.

Ce n’est pas avant 60% de l’œuvre qu’on comprend comment les choses vont s’enchevêtrer. C’est la dernière partie. Il appert que la tante du jeune héros, Belinda Ponson, est une Grope. Et son petit neveu, fort mignon au demeurant, pourrait relancer la machine à procréer de son infâme famille. Pendant ce temps, Horace Burnes décide de se barrer de la maisonnée tandis que le mari de Belinda est plongé, à la suite d’un malentendu tout sharpien, dans une mouise pas possible et se retrouve en garde à vue prolongée. Vous suivez ? Moi non plus.

Plus d’une fois je me suis dit que, eu égard le nombre de pages qu’il reste, jamais le bon Sharpe ne parviendra à correctement terminer son roman. Ce fut le cas avec un dénouement aussi insignifiant que bâclé. Même si Le Tigre s’y attendait, il fut étonnant de constater pareil naufrage.

Je fus infiniment déçu : en principe, l’auteur anglais a un humour tout british, entre quiproquos savamment développés et situations franchement marrantes faites d’incompréhension totale. Néanmoins, et malgré des chapitres extrêmement courts (plus de 40 pour 220 pages), c’est volontiers poussif et peu amusant. Non seulement des passages perdront le lecteur peu attentif, mais certaines scènes sont tellement attendues (l’excursion d’Horace notamment) que j’ai zappé quelques paragraphes. A éviter donc, Sharpe fut meilleur avant les années 2000.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’idée originale est franchement bonne et repose sur un principe assez basique : imaginez une famille qui vit en vase clos, protégeant sa richesse et capturant ici et là quelques mâles paumés pour assurer la descendance. Les femmes, moches au possible, sont agréablement castratrices et mettent tout en œuvre pour avoir des filles, et ainsi reproduire un schéma matriarcal efficace et intransigeant. Inversement des valeurs telles qu’on les connaît en Occident, c’est assez rafraîchissant. Sauf que cet aspect occupe une place somme toute minime dans l’ouvrage.

Chose courante avec Tom S., la bêtise et les bassesses de l’être humain sont mises en avant afin de produire toute une série de péripéties supposément fandardes. Je pense notamment au mari de Belinda, « entrepreneur » garagiste qui ne fait que revendre des voitures de seconde main (entendez : volées) en plus de frauder massivement le fisc. Quant aux policiers, ces derniers sont toujours, sous la plume de l’écrivain, décrits comme une bande de branquignoles aussi demeurés que dangereux. Peu respectueux des procédures déontologiques de la police, les flics se révèlent encore plus destructeurs que des terroristes islamistes. Encore une inversion des valeurs…

…à rapprocher de :

– De Sharpe, Tigre a lu beaucoup, à l’instar de Mêlée ouverte au Zoulouland (exceptionnel) ou Le bâtard récalcitrant (sans plus).

– C’est terrible, mais le sujet rappelle le dernier Wilt (cinquième il me semble), dont le titre est Comment enseigner l’histoire à un ado dégénéré en repoussant les assauts d’une nymphomane alcoolique. Sharpe devait être hélas à court d’idées.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Les Sutras du TigreDans un autre billet (en lien ici), Le Tigre s’insurgeait contre la fâcheuse tendance de foutre une rentrée littéraire en septembre. A tout bien réfléchir, le problème ne vient pas pas de la date. C’est plus basique : l’erreur vient de l’idée même d’un moment au cours duquel les éditeurs ont décidé de sortir leurs titres phares. C’est du gros n’importe quoi, il est grand temps d’y mettre un terme.

Pourquoi une rentrée littéraire ?

Il est toujours délicat d’évoquer la saloperie qu’est l’idée d’une rentrée littéraire (ci-après « RL« , également initiales de Résidu de Livres) lorsque Le Tigre reçoit une caisse de titres gracieusement envoyés par de nombreuses maisons d’édition. Sachez seulement que je n’écris pas ce billet pour le plaisir de les faire rager – ce serait autant trivial qu’indélicat. De surcroît, je vais tâcher de ne pas répéter mes arguments au sujet du déplacement de la RL en juin, même si la démarche intellectuelle est à peu près la même.

C’est parti. Chaque année, il y a quelque chose qui immanquablement me perturbe lors de la rentrée : les médias, comme pour éluder la gravité d’un mois de septembre moribond, s’excitent comme des pucelles lors d’un bal de village pour commenter ce qui vient de sortir dans les librairies. Pire, ces braillants individus agressent les oreilles (et yeux) du Tigre dès le milieu du mois d’aout, presque en même temps que le JT qui explique comment telle surface commerciale prépare ses têtes de gondoles pour la nouvelle année des écoliers. Bande de sournois bâtards.

Vous pensez que c’est fini ? Il y a bien plus débile de la part des éditeurs : une seconde rentrée littéraire a également lieu début janvier. Oui, lorsque l’année commence. A peine quatre mois pour se remettre d’une orgie de bouquins plus ou moins inutiles que ces couillons du service marketing décident de balancer dans le commerce une flopée à peine croyable de nouveaux titres. L’année fiscale se termine, et voilà une nouvelle couche ! Y’en a qui ne doutent de rien.

En effet, les deux rentrées littéraires arrivent au moment le plus inopportun qui existe en ce bas monde. Comme je l’expliquais ailleurs (Sutra.21), foutre le premier happening culturel après les vacances est d’une bêtise sans nom : cerveau accaparé par le job, aucune envie de se détendre (malgré les efforts des pouvoirs publics), ce n’est pas le moment d’acheter des bouquins. Et début janvier, encore moins. Franchement, on s’est tous ruiné, autant d’un point de vue financier que neuronal (si si, notre QI a gravement baissé le 31 décembre), et là on veut nous faire acheter des livres ? Et pourquoi pas passez des concours pendant qu’on y est (qui n’ont pas lieu avant février en général) ?

Mais il y a plus grave. Voici quelques arguments pour dégager définitivement la rentrée littéraire du spectre culturel français.

Pourquoi faut-il supprimer la rentrée littéraire ?

Tentons d’être bref, et extrayons trois gros défauts d’une régulière rentrée littéraire :

Premièrement, l’habitude. Le félin est un éternel casanier qui règle sa journée comme un moine ses prières, aussi je sais de quoi il est question. Toutefois, lorsqu’il s’agit de me tendre la main pour acheter un bouquin, je me dis qu’un tel passage obligé, c’est mal. Et j’espère ne pas être le seul à me prêter de très mauvaise grâce à cette tradition livresque. La littérature, c’est inattendu, ce sont des découvertes sensuelles avec des titres capables de nous transporter – somptueux cliché, désolé.

Or, une sortie organisée n’a rien à voir avec quelque chose de spontané, c’est aussi automatique qu’un roman de Musso. Nous sommes à la rentrée littéraire ce que Jacky est, le soir du 14 février, vis-à-vis de sa nouvelle copine : quoiqu’il affirme, Jacky (l’éditeur) sait pertinemment qu’il va se faire pourrir s’il n’organise pas quelque chose. Du coup, notre ami fera comme tout le monde (en particulier ses lovers de potes), à savoir faire la queue dans un restaurant qui aura multiplié par 1,42 le prix de sa carte des vins. Non seulement ça va lui coûter bonbon, mais en plus il a fait péter sa carte bleue pour rien – la petite amie aurait aimé quelque chose de plus original.

Deuxièmement, une rentrée, ce sont toujours les mêmes choses qui, au final, reviennent. Réfléchissez-y mes amis. En septembre, l’écolier / collégien / lycéen / étudiant que nous étions (ou sommes) croit pertinemment que tout va changer, que le début du mois ne sera que découvertes et autres nouvelles réjouissances qui feront de lui un homme nouveau. Un emploi du temps neuf, des intitulés de cours alléchants, quelques belles radasses dans la classe, c’est la joie. Que dalle. A peine une semaine se passe que la monotonie s’installe, et l’esprit se tourne déjà vers les vacances de la Toussaint. Toute rentrée n’est qu’un cache-misère qui, sous couvert du passage vers un statut « supérieur », nous fait avaler les mêmes merdes. Idem pour la RL.

Concernant la rentrée de janvier, c’est encore plus flagrant : le soir du 31, peu avant minuit, la nouvelle année présente des atours décidément bien aguicheurs. Le bisou coquin sous le gui (enfin l’occasion de galocher discrétos sa cousine), les bonnes résolutions pour les douze mois qui suivent, les vœux numériques envoyés à des individus que vous ne verrez pas de toute façon, rien n’y fera. En effet, la gueule de bois passée, on se réveille avec les mêmes travers (plus quelques uns en prime, pour les plus chanceux) et la même vie déprimante. Idem pour la rentrée littéraire : si vous ne tenez pas vos bonnes résolutions, il n’y a pas de raison pour que les éditeurs le fassent de leur côté.

Troisièmement, comme je l’annonçais ci-dessus, le nombre indécent de nouveaux titres à lire est une supercherie intellectuelle comme on en voit rarement. Franchement, il est matériellement impossible de s’enfiler les récentes sorties littéraires et les apprécier. En annonçant que telle ou telle bouse sera LE fait marquant de la RL, les éditeurs nous contraignent à faire un « sprint reading » aussi consumériste que vain.

Je ne sais pas pour vous, mais Le Tigre n’aime guère être secoué, et préfère infiniment attendre la sortie en format poche – si cette dernière n’a pas eu lieu, c’est qu’il y a une raison. Du coup, je me dis que, si même un lecteur compulsif tel que moi n’en a rien à taper des romans de la RL, alors à part les trois pèlerins dans le monde de l’édition et les quatre connards en manque d’idées de cadeaux, je ne vois pas qui achèterait lesdites œuvres. On ne serait pas loin du suicide économique alors.

Au surplus, le lecteur lambda aura autre chose à faire qu’aborder les purges sorties des rotatives en ces temps troublés. En septembre, la reprise du boulot occupe suffisamment l’esprit pour qu’on se farcisse une dizaine de romans gros formats. Pour ma part, j’ai beau aimer m’aérer l’esprit, cela reste du gâchis surtout quand je vois les badauds lire les mêmes livres. En janvier, je stresse déjà pour boucler ma comptabilité et calculer combien l’État va me prendre. Sans compter le demi-million de neurones perdu dans la bataille de Champagne.

Quel type d’évènement littéraire imaginer ?

Maintenant que Le Tigre a furieusement tapé dans la fourmilière, il est légitime de demander ce qu’est proposé à la place de ces évènements. [J’aime bien utiliser le terme d’évènements, que ce soit mai 68 ou la chute du mur de Berlin, on se jamais s’il faut parler de crise ou de simple bordel.]

Je sais que ma réponse est nullissime, mais à la place de la rentrée littéraire, je propose tout simplement la chose suivante : ne RIEN faire. Parce que dès qu’on décrète qu’une période est propice à célébrer quelque chose, c’est que cette institution est plus ou moins en danger – à part la journée de l’internet et la fête des morts peut-être.

Plus sérieusement, lorsque j’annonce vouloir supprimer quelque chose, ce n’est pas pour construire une autre daube à côté. Chaque journée devant être une fête du livre (second cliché, Tigre est en forme), nul besoin de se foutre une plume dans le fion et parader avec ses derniers romans conformément à un atavisme littéraire aussi décadent qu’inutile.

Conclusion du tigrinator

Pour une fois, j’ai l’impression de m’être tenu au titre : supprimons la rentrée littéraire, et basta. Il y a suffisamment d’happenings dans le domaine des livres, se contenter de la douce période des prix littéraires – oh…wait – ou des salons à thèmes plus ou moins livresques doit suffire.

Conclusion de la conclusion, pourquoi le numéro 22 du présent billet ? Sur ce coup je ne me suis guère foulé : cet article est la suite du Sutra 21 (cf. supra) qui proposait de décaler la rentrée littéraire en juin. Tout simplement.

Mais il y a mieux : 1922, c’est aux yeux du félin une délectable année qui a vu de somptueuses choses arriver en littérature. Pendant que Jack Kérouac naissait (12 mars), Marcel Proust décidait de clamser – 18 novembre.

Hergé - Le Lotus bleuSous-titre : Les Aventures de Tintin et Milou. Un inquiétant poison qui rend fou, une fumerie d’opium qui abrite des activités encore moins reluisantes, les Japonais qui créent des incidents de toute pièce pour envahir la Chine, et surtout la fameuse rencontre avec Chang – rhââaa lovely. Pour ma modeste part, c’est loin d’être mon préféré.

Il était une fois…

Après la balade de Tintin au cours duquel il a fumé quelques cigarillos égyptiens, le héros à la houpette se repose chez un maharadja. Lors d’une démonstration avec le fakir Cipaçalouvishni (oui, j’ai la BD sur les genoux en ce moment), ce dernier conte la bonne aventure au blondinet. En fait, il le spoile comme un vieil empafé : un homme redoutable qui n’a pas été mort (Rasta…) cherche sa perte, et un jaune à lunettes lui en veut également. Tintin décide alors de partir vers Shanghai se jeter dans la gueule du loup.

Critique du Lotus bleu

Le fauve le dit de go : j’ai connu bien mieux question aventures de Tintin & Milou Inc., même si le lieu de l’action (la Chine, majestueux pays où j’ai résidé) m’a ravi, sans compter des illustrations particulièrement soignées. Les tableaux de quelques rues de Shanghaï (dès qu’on sort des concessions occidentales) sont somptueux, le niveau de détail et la patte de l’auteur en terme de calligraphie méritent d’être applaudis. Mais ça part souvent un peu dans tous les sens.

Je vais maintenant vous bâcler l’histoire comme il se doit : Tintin et son clébard (qui est ici discret) débarquent donc sur le territoire chinois, il rencontre en très peu de temps les huiles, en particulier Mitsuhirato, qui prend ses ordres d’un vilain gus qui ressemble fort à un Himmler japonisé – celui qui gueule tout le temps scronyonyo. Contre ces vilains Japs, il y a une société secrète menée par Wang JenGhié, le vieux sage dont le fils (didi) atteint par un poison veut décapiter tout ce qui bouge. Après des situations incommodantes dont Tintin se tire de façon fort scandaleuse (en plus d’y sauter à pied joint parce qu’il veut trouver l’antidote), tout ramène au fameux Lotus bleu, fumerie d’opium qui sert de repaire aux bandits.

Les actions se passent tellement vite que pas une seule fois quelques incohérences sont parvenues à mon esprit pourtant fécond. Notamment la rencontre nettement trop fortuite avec le petit Tchang, avec qui Tintin sympathise à une allure folle. Soit le journaliste parle le dialecte du jeune Chinois (il y a fort à parier que ce ne soit pas du mandarin académique), auquel cas ses compétences de sinologue sont épatantes ; soit Tchang maîtrise le français, c’est donc un agent secret. Mais rien de trop fâcheux sinon, il reste surprenant de remarquer à quel point tout ceci vieillit globalement bien.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le conflit sino-japonais est la pierre angulaire de l’intrigue de cet opus, avec les groses chamailleries de l’Empire du Soleil Levant qui apprend vite des Occidentaux – armée moderne, création d’incidents diplomatiques de toute pièce, cynisme et petits arrangements entre nations. Écrit en même temps que le Japon éructait à tout va sur le continent asiatique, Le Lotus Bleu est un savoureux instantané d’une certaine période. Les hauts de forme, la SDN, les baïonnettes, que du bonheur.

Les idées préconçues sur les différentes « civilisations » sont légion, et l’échange de points de vues entre Tchang et Tintin à ce sujet est mignon comme tout – ça fait franche camaraderie. Sauf que les comportements d’autres protagonistes tendent à valider ces préjugés, que ce soient les fourbes Japonais ou ces salopiauds d’Anglo-Saxons dans la concession internationale de Shanghaï. En outre, il demeure quelques facilités scénaristiques et vestimentaires, à l’image de la tunique bleue du Chinois moyen – un poil facile.

Dernier petit point avant de vous laisser : vers le deuxième tiers de l’intrigue, Tintin subtilise un uniforme de la rayonnante armée nippone et subjugue une garnison entière. Il se paye même le luxe de distribuer des jours d’arrêts comme des confettis au carnaval de Tapiocapolis. Et là, Le Tigre se demande si Hergé ne s’est pas inspiré de Wilhelm Voigt, artisan qui s’est habillé en officier de la garde prussienne au début du 20ème siècle. Pendant une journée, le gars a littéralement pris possession de la ville de Köpernick (dans Berlin, maintenant) et de son administration. Il était même parvenu à foutre le maire en prison.

…à rapprocher de :

– Quelques Tintin sont à signaler sur le pétillant blog, par exemple Les Cigares du pharaon ; L’île noire, Le Sceptre d’Ottokar ; Les Sept Boules de cristal ; Le Temple du Soleil ; Tintin au pays de l’or noir ; Les Bijoux de la Castafiore. Dans l’ordre s’il vous plaît.

– Si vous avez envie de vous bidonner avec un grave humour sur Tintin, je vous rappelle l’existence de Tintin en Thaïlande (en lien, avec un pdf de la BD censurée).

Romain Puértolas - L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea[ça pourrait être aussi une garde-robe de star ou un montgolfière] Extraordinaire, en effet. Pas crédible pour un sou, l’histoire du fakir voyageur malgré lui est placée sous le signe de la franche déconne. Avec des personnages truculents et des situations autant rocambolesques que délurées, Romain Puértolas s’est fait plaisir. C’est son droit. Mais de là à dire qu’il a fait plaisir au Tigre, non.

Il était une fois…

Ajatashatru est un Indien, tiers magicien, tiers fakir, tiers escroc à la petite semaine. On lui a payé un voyage vers la France afin qu’il puisse aller chez IKEA acheter un lit clouté (si si). Dans le magasin de facture scandinave, Ajatash’ fait la rencontre de la triste Marie, femme en manque flagrant d’amour. Or, souhaitant passer la nuit dans l’établissement, notre ami se trouve bloqué dans une armoire qui n’a pas vocation à rester sur place.

Critique de L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea

Une connaissance fort influençable m’a prêté ce roman dont elle ne tarissait pas d’éloges. Pour être honnête, j’avais déjà repéré ce truc un peu partout (médias, librairies) et supputait que je n’y échapperai pas. La dernière page refermée, Le Tigre a rapidement calculé le rapport qualité/renommée, et le résultat est loin d’être fameux.

Pour faire bref, le héros va visiter du pays, à savoir : l’armoire dans laquelle il est caché est transportée jusqu’à Londres (il se fait choper avant) ; puis les douaniers vont le renvoyer à Barcelone ; il prendra un avion vers Rome (planqué dans la valise de Sophie Morceaux, célèbre actrice) ; enfin choppera un aller sans retour vers la méditerranée, d’où un navire le récupérera avant de se diriger dans la Libye post khaddhafiste. Si le gus voyage autant, c’est autant par malchance que pour échapper à Gustave Palourde, taxi gitan qu’il a arnaqué avec un faux biffeton de 100 euros.

Les pérégrinations du fakir se suivent à un rythme enchaîné, aidé en ce sens par des chapitres extrêmement courts. Néanmoins, et pour finir, j’ai été plus qu’hermétique au style de l’auteur français. Déjà, un frisson m’a envahi dans les premiers chapitres : le nom du héros est phonétiquement renommé à toutes les sauces. Une fois, certes. Mais pas dix fois putain. Ensuite, quelques remarques franchissent allègrement le quatrième mur, et cette proximité affichée et catapultée par de gras clins d’œil tombe à l’eau. Enfin, le vocabulaire utilisé est plutôt pauvre, fait de nombreux lieux communs et clichés littéraires.

Soit Le Tigre commence à éprouver le besoin de lire de la prose chiadée et cet ouvrage qui verse dans la facilité n’est pas fait pour moi ; soit l’écrivain a constamment versé dans le second degré, auquel cas il aurait pu aller plus loin dans la déconne. La fin, en particulier, dégouline un peu trop le happy ending en plus d’effectuer des auto référencements assez criards.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le premier sujet qui m’a marqué tient en ces quelques mots : l’Europe dans tous ses états – c’est joliment dit, avouez. Il faut signaler qu’à chaque fois qu’Ajatrucmuche franchit une nouvelle frontière, les chapitres qui suivent sont annoncés par l’indicatif du pays tel qu’on le retrouve sur les plaques de voiture. Voilà pour l’aspect « road trip ». En tant que personne de couleur maîtrisant mal la langue, notre héros est plus qu’à son tour assimilé aux clandestins qui tentent leur chance sur le vieux continent. C’est alors l’occasion, pour le lecteur, de « goûter » l’hospitalité des institutions locales qui se repassent les clandestins comme on s’offre les mêmes boîtes de chocolats (dixit l’auteur) – la Libye à la dérive en prend tout autant pour son grade.

L’Europe est également une grande famille où il est possible de se déplacer (sauf pour les immigrés), comme en témoignent les relations de la famille tape-à-l’œil Palourde à travers le continent – et la facilité à tisser de nouveaux liens. Face à ces protagonistes qui peuvent voyager librement, il y a la famille des exclus, ceux qui n’ont pas d’autre choix que de fuir leurs pays et errent, encore optimistes, dans les gares ou près des ports afin de rejoindre un eldorado qui n’en est pas un.

Le dernier point qui mérite d’être souligné est la mise en abîme, à savoir que le héros trouve le temps d’écrire un court roman lors d’un inconfortable déplacement. Grâce à l’aide de Sophie Morceaux, il est mis en contact avec une maison d’édition enchantée par son texte – et qui lui fournit une improbable avance. Si la condition de l’écrivain en devenir est rapidement traitée, j’avoue ne pas avoir très bien saisi l’intérêt de cette sous-intrigue. Voire pas du tout.

…à rapprocher de :

– Sans être méchant, ce titre me rappelle un autre succès que Le Tigre n’a pas apprécié à sa juste valeur. Il s’agit Du vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, de Jonas Jonasson. Même titre à rallonge, même histoire mignonne comme tout, même ennui généralisé.

– Pour la condition d’immigré en Europe, lisez plutôt Dans la mer il y a des crocodiles, de Fabio Geda. Émouvant à souhait.

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Jirô Taniguchi - Sky HawkVO : Ten no taka (Le Faucon du ciel, pour tout vous traduire). Un auteur japonais qui se met à écrire un western, fallait oser. L’immense Jirô a franchi le pas en introduisant deux de ses compatriotes dans l’Amérique des années 1870, et chez les Amérindiens. Aventure, bons sentiments (trop sans doute). Pas mal, mais sans l’émotion dont Taniguchi peut nous habituer.

Il était une fois…

Hikosaburō Sōma et Manzō Shiotsu sont deux samouraïs d’un fief quelconque (Aizu, si ça vous parle) qui ont émigré aux États-Unis à cause d’une révolte qui a mal tourné dans leur pays lors de la restauration dite Meiji (vers 1868). Ils vivent, presque en mode Retour à Brokeback Mountain, dans les montagnes du « Big Horn » et vivent d’amour platonique et d’eau fraiche. En secourant une jeune femme indienne qui vient de mettre bas (pauvre choix de mots, désolé) contre des vilains Blancs, nos deux péd..euh amis sont progressivement adoptés par la tribu locale. L’échange de bons procédés peut commencer, et ça ne sera pas de trop contre le nouvel État américain avide de terres.

Critique de Sky Hawk

D’habitude, Le Tigre n’est jamais déçu en lisant du Taniguchi. C’est en général frais, émouvant et sacrément bien dessiné. Sauf dans Sky Hawk, j’ai été plutôt désappointé par une histoire plutôt ennuyeuse et, surtout, politiquement très orientée. Je ne dis pas que les Américains se sont comportés comme des enfoirés finis vis-à-vis des Amérindiens (sans pour autant utiliser le terme génocide), mais l’insistance avec laquelle l’auteur le rappelle a commencé à me gonfler au milieu de l’ouvrage.

Car les deux protagonistes se retrouvent au beau milieu de ce qui va rapidement devenir une guerre. Ils sont tombés au sein de la tribu Oglala dont le chef n’est rien d’autre que Crazy Horse – rien à voir avec un cabaret miteux où Le Tigre a sa table attitrée.  Hikosaburō et Manzō (baptisés Sky Hawk et Winds Wolf pour l’occasion), impressionnent évidemment les autochtones qui ne crachent pas sur leurs compétences pour lutter contre les méchants. Un en particulier en la personne du terrible Custer, militaire U.S. déterminé à foutre les Indiens dans des réserves. Point culminant de cet affrontement, la grande bataille de Little Big Horn.

On connaît tous la suite, à savoir que peaux-rouges se font correctement botter le derrière, supériorité démographique et technologique (la mitrailleuse Gatling, le train) obligent. Concernant les illustrations en noir et blanc, il faut reconnaître que la maîtrise des paysages et des personnages (putain, matez juste leurs magnifiques corps) force le respect. Néanmoins, il manque une certaine crédibilité lors des phases de combat, et quelques prises de vue d’ensemble (pour renforcer l’aspect stratégique du conflit) n’aurait pas été de trop.

En conclusion, peu de surprises. Le fauve (je parle de ma petite personne là) a eu l’impression que le mangaka, face au genre littéraire de la BD européenne agrémentée d’une touche de western (dans la droite lignée des Blueberry), a foutu son gros doigt sur la couture de son kimono et s’est attaché à faire un pastiche (pas nul au demeurant). L’hommage rendu est certes correct, mais j’attendais nettement mieux.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Comme je le disais, notre ami japonais a utilisé la plupart des caractéristiques d’un bon western, sur ce point il n’y a rien à dire. La cavalerie américaine contre les Indiens, les fusils contre les arcs, l’organisation contre l’intuition. Sauf que, pour une fois, le lecteur sera immergé côté indien. Et la prise de position (justifiée il est vrai) vis-à-vis de ces derniers est totale, la volonté des Blancs de s’accaparer un territoire qu’ils s’imaginent leur appartenant produit des effets dévastateurs. Destruction de la faune locale (pauvres bisons…), violation répétée des traités, le visage pâle n’a décidément pas d’honneur – à l’exception sans doute de quelques militaires gradés, et encore.

Cette œuvre est surtout une belle fable sur la nature et la manière dont « l’esprit japonais » est proche de celui de la plupart des Amérindiens. Pendant que Sōma et Shiotsu (avouez, je pourrais balancer un nom au pif, vous ne ferez pas attention) enseignent les arts martiaux et le maniement de l’arc aux peaux-rouges, ces derniers leur montrent l’amour de la nature bienfaitrice et qui a besoin d’équilibre – sans compter l’importance des lieux sacrés. Une dernière similitude entre ces samouraïs et les Indiens ? : refusant d’embrasser la modernité occidentale (pour des raisons que je ne développerai pas ici), ces deux types d’individus ne peuvent rien face à un expansionnisme occidental arrogant et sûr de son bon droit – droit qui va ici à l’encontre de la nature.

…à rapprocher de :

– De Taniguchi, Le Tigre a lu beaucoup. J’ai pour l’instant résumé Quartier lointain et Le journal de mon père. Les deux, même s’ils se ressemblent, restent excellents.

– Côté japonais, si vous voulez lire de la littérature d’un rageux qui n’a pas digéré la situation post-WWII, lisez donc Le Japon moderne l’esprit samouraï de Mishima.

– Puisque Jirô y fait référence en préface, regardons à nouveau Danse avec les loups, avec le grand Kevin Costner (A part Waterworld, ce mec devient quoi depuis ?)

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce manga en ligne ici.

Les Voyages du TigreEt pas n’importe où en Chine : à Chengdu, la ville principale de la région du Sichuan, au centre-ouest du pays – donc pas très loin de la frontière tibétaine. Pendant quelques semaines, j’ai officié en tant que professeur de langues dans une école élémentaire. Voici quelques éléments sur l’expérience tigresque.

Quand j’étais professeur en Chine…

Après avoir « travaillé » quelques mois à Singapour, Le Tigre ne savait pas vraiment ce qu’il allait faire jusqu’au printemps suivant. Magie de mon indicible beauté, je savais qu’une amie de mon voisin de condominium n’était pas insensible à mon poil soyeux. Cette personne, de nationalité chinoise, ne pouvait se résoudre à me laisser retourner en Europe. Son plan diabolique était le suivant : pourquoi ne pas donner des cours dans son école ? Logé-nourri-blanchi (mais pas plus). Après avoir étudié deux minutes l’emplacement de sa ville sur une carte de la Chine, j’acceptais.

Ni une ni deux, j’ai pris un billet aller simple vers une cité dont je n’avais jamais entendu gazouiller avant le deal proposé. Muni du sésame me menant à 成都, j’avais fait signer un pseudo-contrat de partenariat avec mon université. Je ne me souviens plus trop des autres formalités légales, l’essentiel étant d’avoir le visa valable sur 72 jours, le temps qui m’était accordé pour délivrer la bonne parole française au fin fond du pays.

Je ne vous évoquerai pas dans ce billet les conditions de séjour dans Chengdu ni les qualités de cette ville, ça fait l’objet d’un autre article. Faut juste savoir que c’est une métropole…immense, rien à voir avec le chef lieu d’une région française.

Premier jour, voilà où Tigre passera plus de deux mois

Premier jour : voilà où Tigre passera plus de deux mois

Pour tout vous dire, l’atterrissage à Chendu s’était passé sans problème. Tout comme le tacos vers mon logement trouvé à la va-vite grâce à mon contact local. En revanche, j’ai méchamment balisé en arrivant dans l’établissement scolaire. Heureusement que j’avais un point de chute où poser mes pénates, parce qu’en débarquant à l’adresse de l’école j’étais à deux doigts de la dépression. En général, c’est tout le problème d’arriver en plein hiver.

Comme une buse finie, je m’étais correctement planté de bus pour arriver à bon port. A de nombreuses reprises, pour faire bonne mesure. Si si bien que j’en ai eu pour près de deux heures à faire le trajet maison (façon de parler)/école. Par la suite, c’était théoriquement faisable en 25 minutes. Cela dépendait du nombre d’accidents de la route et de l’état de la pollution, voire du conducteur qui décidait, souverainement, de prendre un autre chemin – une fois même, ce malandrin à casquette nous avait déposé au zoo.

L’accueil sur place avait été plus que chaleureux, et rapidement je m’étais vu expliquer ce qu’on attendait de moi : une classe de « wannabee-francophones » a été mise en place, et j’étais censé assurer quelques heures par semaine de cours de renforcement (du lundi au jeudi) en plus d’assister les professeurs de langues – français, anglais et même allemand. Tout ça pour une poignée de Yuans, juste ce qu’il faut pour être logé et manger quotidiennement avec l’équivalent d’un euro en poche.

C'est ce tableau qui me disait où aller, et quand...

C’est ce tableau qui me disait où aller, et quand…

L’administration scolaire, dans son infinie mansuétude, m’a tenu la main chaque jour que le gros Bouddha faisait : en effet, le tableau ci-dessus représentait l’agenda des professeurs et assistants. C’est ce truc immonde que je devais, chaque matin, décortiquer pour savoir où retrouver tel ou tel professeur. J’ai dû perdre 3 de dioptries à chaque œil à checker le numéro et le nom du cours tout en croisant cette foutue ligne avec la colonne de mon nom.

A l'heure actuelle, je me demande encore à quoi servait ce tableau

A l’heure actuelle, je me demande encore à quoi servait ce tableau

J’allais oublier cette seconde fresque que Mme LiuShang étudiait avec un soin méticuleux. Le Tigre, naturellement curieux, avait du poser cent fois la question sur le pourquoi du comment de ce tableau. Cent questions à autant d’interlocuteurs différents, cent réponses différentes, dont soixante carrément évasives – à la limite de l’agacement. C’était rapidement devenu mon schmilblick, un artefact auquel je prêtais de puissants pouvoirs : organigramme du futur Bureau Politique du PCC, état des frais de corruption des barons locaux, ou encore liste des orgies inter-professorales à venir – et auxquelles je n’étais pas convié, ce n’est pas faute d’avoir essayé.

Quant à la classe à proprement parler, je profitais de l’absence de ses élèves pour sortir son appareil photo et mitrailler à tout va. Voici un aperçu d’un des endroits où je répandais mes glorieux enseignements :

Le bureau du Tigre

Le bureau du Tigre

Ne me demandez pas ce qu’il y a écrit au-dessus du tableau noir, je n’ai toujours rien bité à ces sinogrammes – ou alors, je ne m’en souviens guère.

Autant vous avouer, avec les weekends de trois jours qui s’annonçaient – et ce pendant plus de 2 mois – Le Tigre a bien profité du temps imparti pour prendre son baluchon et filer à l’anglaise dans les alentours.

Le système scolaire sichuanais

Plus je livre mes souvenirs, plus je sais que je n’aurai jamais la place de coucher l’intégralité de cette rieuse expérience. Brièvement, je dirais que deux choses m’ont interpellé pendant ce séjour linguistico-professoral.

Premièrement, les élèves font montre d’une discipline à peine croyable. Ils sont pourtant dans l’âge d’or pour foutre un daroi de grande ampleur dans une salle de classe. Mais à Chengdu, lorsque ça bavarde et ricane sous barbe, c’est toujours avec courtoisie et la saine crainte du grand instituteur félin qui les interpellait tant. Mes élèves avaient beau suivre un cours non sanctionné par un examen (c’était bonus pour eux), je les soupçonnais de réviser le soir, voire, pire, de s’entraîner entre eux.

Voilà qui change de la devise de la France

Voilà qui change de la devise de la France

Voici la vision que j’avais en leur enseignant le français. Au bout de quelques semaines, inutile de vous rappeler que je ne pouvais voir ces foutus sinogrammes (que je pouvais reproduire les yeux fermées), même en photo. Sachez seulement que les devises, aussi nombreuses que mes talents (Confiance en soi, Respect, Intelligence du Parti, Société harmonieuse, Vamos a la playa, et tutti quanti), ornaient tout mur qui dépassait quatre mètres de longueur. Peut-être que de tels bons mots affichés partout expliquaient le comportement de mes élèves. Mais je m’étais demandé plus d’une fois à qui cela était vraiment adressé – pourquoi une traduction en anglais ?

Deuxièmement, cette discipline qui ferait baver n’importe quel prof’ européen de banlieue semblait s’appliquer aux professeurs eux-même – tiens, il bave nettement moins l’instituteur français. Tous les matins, l’ensemble des maîtres et maîtresses se précipitait dans la cour pour écouter le speech de la directrice. Je n’avais pas le droit d’être présent, aussi j’avais pris des risques inconséquents pour prendre cette photo en catimini.

Mystérieuse réunion du corps professoral

Mystérieuse réunion du corps professoral

Bien que la dirlo gueulait comme pas permis dans un micro pendant un bon quart d’heure, je n’entravais que pouic à ce qu’elle disait. A peine si je distinguais une ribambelle de chiffres assénés dans un style me rappelant, à ma grande honte, les interventions les plus exaltées du Lider Maximo. Et le discours se clôturait par une salve d’applaudissements. Chaque matin, la Chine remportait la Coupe du Monde de foot et le Sichuan produisait plus de brevets que la Californie et l’Allemagne réunies. Géniallissime.

Mes élèves chinois

Au menu culturel du Tigre, il y avait une bonne vingtaine de gosses à qui apprendre les bases de l’écriture romane – en plus de la langue. Je les ai « récupérés » avec de solides notions de conversation, toutefois ils n’avaient jamais eu l’occasion d’écrire le français. Le programme, tout tracé il est vrai, consistait à leur apprendre l’alphabet (qu’ils connaissaient déjà) et notamment le fonctionnement des syllabes. De mon côté, j’ai pu réviser le pinyin (écriture romanisée du mandarin), mais surtout j’ai réappris à calligraphier correctement les majuscules. Ce fut plus douloureux pour moi que pour eux.

J’en ai profité pour leur apprendre quelques hymnes de mon cru, du genre HEC Encu** et autres chansons paillardes. J’ai même découvert que la mélodie de « Frère Jacques » leur était connu, mais avec des paroles sensiblement différentes. Je les avais marquées dans un calepin, ça donne à peu près ça :

两只老虎, 两只老虎
跑得快, 跑得快
一只没有耳朵
一只没有尾巴
真奇怪, 真 奇怪

Pour faire simple, ça parle de deux frères tigres qui cavalent à toute allure et à qui il manque les oreilles à l’un et la queue à l’autre. Je préfère cette version à celle du gros Jacquot qui glandouille dans son clocher.

La bande de galopins qui, je l'espère, parlent mieux français que moi mandarin

La bande de galopins qui, je l’espère, parlent mieux français que moi mandarin

Comme dans toute classe de langue, l’instituteur fainéant (dont je fais partie) propose à ses ouailles d’adopter des noms locaux afin de renforcer l’immersion dans le nouvel environnement linguistique. Malédiction, les prénoms choisis ont été extrêmement difficiles à prononcer sans avoir un rictus au coin de la gueule. Florilèges :
– Le petit gros au milieu de la photo souhaitait être nommé Napoléon. Soit.
– Les deux filles en haut à gauche s’appelaient Dior et Coco – comme Coco Chanel, je n’ai pas osé lui expliquer toute la saveur de son choix.
– Quatre garçons répondaient au nom d’Alain Premier, Alain Deux-lon, Alain Ter et Alain Quater. Je vous jure, ils se disputaient le nom du vioque.
– L’élève aux cheveux courts (je vous laisse la trouver) avait choisi Shalimar.
– Le petiot à gauche qui se fait tirer les bajoues voulait s’appeler Louis ch’eev. Du moins il l’avait prononcé tel quel. Louis Chiv ? Shi [oui], Louis x’iv. Ahhh, Louis XIV : Louis shísì [14, en mandarin]. Compris.

Le reste des prénoms, que des marques de luxe (sauf Renault, mais il n’avait pas l’air d’être au courant). Voilà pour l’image de la France.

Conclusion de Professeur Tigre

Soixante-douze jours de bonheur, j’ai bien failli ne jamais retourner en Europe.

Comme j’en ai marre d’écrire, je préfère vous montrer la seconde meilleure image prise, celle qui concentre tout ce qu’il y a d’étonnant dans ces dix semaines :

Moi-même, sous les grands penseurs du XXème siècle

Moi-même, sous les grands penseurs du XXème siècle

C’est bien votre serviteur, sévèrement jaugé par le gratin soviétique à gauche (Marx, Engels, Vladimir Vladimirovitch et Joseph Djougachvili) et leurs homologues chinois.

J’avais cru comprendre que prendre un telle photo était plus ou moins interdite, aussi j’ai offert une mèche de mes cheveux à un écolier pour qu’il me tire le portrait. Autant vous dire que le petit faisait grave dans son froc et qu’il tremblait comme une feuille. C’est pour cela que l’image est de traviole.

A très vite pour de nouvelles aventures.

Giardino - Rhapsodie hongroiseSur-titre: Les Aventures de Max Fridman, tome 1. Polar d’espionnage se situant en Hongrie, il y a du réalisme dans les pérégrinations d’un homme engagé malgré lui dans la tourmente européenne – moins crédible hélas, ce personnage. Longuet, action limitée, fin décevante. Bref, les années 80 ont produit nettement mieux question littérature dessinée.

Il était une fois…

A la fin des années 30, quelques mois avant la Seconde Guerrière mondiale, le foutoir s’installe en Europe de l’Est, notamment pour les services secrets européens. Rhapsodie, c’est le nom du réseau français sis à Budapest. En peu de temps, la plupart de ses agents a été zigouillée, et ça balise sévère à Paname. Tellement que le Deuxième Bureau (ancienne SDECE, puis DGSE) décide de tout faire pour dépêcher un homme sur place. Au lieu d’envoyer un barbouze de chez eux, les Français parviennent à « inciter » Max Friedman – qui est juif au passage. Saura-t-il dénouer une intrigue aussi complexe que dangereuse ?

Critique de Rhapsodie hongroise

Voilà sans doute l’unique bande dessinée que je possède de Vittorio Giardino, et très honnêtement je pense que ça s’arrêtera là. Car ce n’est pas mon genre d’histoire (et je ne parle pas des illustrations), même si dire que je me suis ennuyé serait excessif.

Le scénario, en effet, tend à trop vouloir rendre compte des luttes (j’allais dire des jeux) clandestines de cette époque troublée. Or, étant donnée que Rhapsodie Hongroise accuse près de 100 pages au compteur, l’auteur italien a pu ficeler une intrigue complète et, il est vrai, bien menée. Mais il y a trop d’intervenants : Herr Schminck, avec sa bonne gueule de nazi pervers et affilié à Himmler ; l’Abwehr, renseignement militaire de l’armée allemande ; les espions français qui, depuis Paris, assistent impuissants au désastre ; le NKVD, forcément ; et même quelques freelanceurs plus ou moins accrochés à/par un État – le mystérieux Zadig, l’extravagant Baron Von Kluberg, une tenancière d’un bordel, etc. Enough is enough, comme disent les Anglais (étonnamment absents).

Le héros, Friedman, parvient progressivement à tirer son épingle de la meute de foin européenne. S’il n’était pas un peu limité question physique et un poil amateur, le gars aurait tout d’un James Bond franchouillard : chance insolente, intuition, et quelques éclairs de débrouillardise. Il réussit même (étant marié) à se faire la miss Möget, survivante de l’hécatombe hongroise. Quant au dessin, disons que l’environnement admirablement reproduit (architecture, paysage) est rapidement gâché par des personnages qui ont peu d’envergure et présentant toujours la même gueule. Sauf que Giardino aime les gros plans sur ceux-ci, ça fout bien en l’air le plaisir de la lecture.

En conclusion, Le Tigre a lu et relu l’ouvrage, et jamais s’est dit « zut alors, c’est pas mal finalement ». A la décharge de Giardino, son style autant que le sujet de cette BD ne sont point de nature à me transporter. C’est donc avec l’œil morne du poisson pêché depuis fort longtemps que j’ai parcouru ces pages.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Comme je l’expliquais, les barbouzeries sont prégnantes, sans doute trop. Outre le nombre de protagonistes (dont certains présentent le même faciès, histoire de corser la compréhension), leurs motivations et ce qu’ils savent (ou ignorent) sont difficiles à suivre malgré une narration quasiment omnisciente. Les péripéties se suivent à un rythme soutenu (peu de coups d’éclat toutefois), et quelques unes se ressemblent tellement que j’ai bien cru que l’auteur/illustrateur souhaitait attirer notre attention sur la monotonie du métier d’agent secret.

A mon sens, l’œuvre est également utile pour dresser le tableau d’une Europe centrale en tourmente. Coincée entre l’ogre russe et un Führer fou furieux, la région est un champ de bataille autant diplomatique que, plus tard, militaire. Sans spoiler (aucun lecteur du blog ne lira cette foutue BD de toute façon), les aventures de Max Friedman sont l’occasion de se balader dans les grandes réceptions, les rafiots coulants et de rencontrer des personnages-types des années 30. Tout ça pour une sombre histoire d’approvisionnement d’armes à destination de l’Espagne en pleine guerre civile…opération en cachant une autre plus vitale pour l’Allemagne – genre, l’annexion de l’Autriche.

…à rapprocher de :

– Pour l’instant, Le Tigre ne voit que Les fantômes de Breslau, de Marek Krajewski, pour rendre compte de l’ambiance de l’Europe centrale. Mais en mieux, et avant/pendant la première guerre mondiale.

Ian Kershaw - La finSous-titre : Allemagne 1944-1945. VO : The end. C’est parti pour un joli pavé de 500 pages sur les dix derniers mois du Reich, période de furieuse escalade vis-à-vis de laquelle il est légitime de se demander pourquoi l’Axe n’a pas capitulé. Complet, documenté, passionnant certes, mais plus d’un lecteur se perdra dans les détails.

De quoi parle La fin, et comment ?

A la manœuvre, qui est-ce ?…encore un Anglais, Ian Kershaw, encore une tête (une référence), professeur d’histoire contemporaine à l’université de Seffield et auteur d’une monumentale biographie de Hitler publiée au début du XXIème siècle. C’est peu dire que le rosbif connaît son histoire. Il nous rajoute même, à la fin de son livre qui se lit comme un polar dont on connaît la fin, 150 pages de notes et d’ouvrages cités, que le Tigre s’est dispensé de lire – au moins les canons de l’article scientifique sont respectés.

La question que tous ont sur le bout des lèvres, un officier de l’Ouest, dans son journal, l’exprimait plutôt bien (en avril 1945) :

N’y a-t-il donc personne là-bas pour maîtriser le fou et réclamer un arrêt ? Sont-ils encore des généraux ? Non, ce sont des merdeux, des poules mouillées. Ce sont des lâches ! Pas le soldat ordinaire.

En effet, de l’attentat manqué contre Hitler, le 20 juillet 1944, à la capitulation du 8 mai 1945, l’Allemagne a continué de sombrer dans une folie meurtrière – la moitié des près de 6 millions de morts allemands l’a été au cours de ces dix mois apocalyptiques.

C’est pour tenter de répondre à la première question que l’historien britannique a rédigé son ouvrage, comme il le rappelle en ces mots :

J’ai commencé ce livre en faisant valoir qu’il est extrêmement rare qu’un pays soit à la fois capable de livrer une guerre jusqu’à la destruction totale et prêt à le faire. Il est tout aussi rare que les puissantes élites d’un pays, à commencer par les militaires, ne puissent ou ne veuillent pas déposer un chef qui les conduit manifestement à la catastrophe la plus totale… défaite militaire écrasante, ruine matérielle, occupation ennemie et, au-delà, faillite morale.

Mais, pour l’auteur, c’est bien le père Hitler, avec son charisme reconnu par tous ceux qui l’approchaient, qui est à l’origine de cet invraisemblable acharnement à poursuivre un combat que de plus en plus d’Allemands pressentaient perdu d’avance. La promesse des armes nouvelles, la rupture entre les alliés de l’Ouest et de l’Est n’ont rien changé à l’état d’esprit teuton guerroyant.

En revanche, affronter Adolf, dans quelque instance organisée que ce fût, politique ou militaire, était totalement impossible – peu ont essayé, à y bien réfléchir. Venger l’humiliation nationale de 1918 a été sa marque de fabrique qu’il portera jusqu’à son suicide du 30 avril 1945.

Quant au style, l’aspect « polar » s’efface souvent face à des remarques plus doctes, et franchement le découpage quasiment inexistant (peu de chapitres en effet) m’ont parfois fait l’impression d’être en présence d’une thèse d’Histoire. Cependant, cela ne m’a pas empêché de trouver le bouquin globalement épatant, qui raconte une histoire inouïe et peuplée de souffrances terribles. Le Tigre est fana d’histoire contemporaine, que rajouter ?

Ce que Le Tigre a retenu

Même si on se doute des réponses apportées par l’essayiste, ça devient comme plus limpide sous sa plume. Essayons de rendre compte de quelques idées principales. Pourquoi donc vouloir continuer une telle guerre ?

Certes, l’exigence alliée de « capitulation sans condition » ouvre un boulevard à la propagande allemande qui ne voit d’autre solution que de combattre jusqu’au bout. Mais l’explication est un peu courte quand on se rappelle les déclarations publiques de Churchill et Roosevelt, indiquant que le peuple allemand ne serait « ni asservi ni détruit » et les conditions des prisonniers de l’Ouest. Question de propagande.

Certes, des erreurs stratégiques (grossières de temps à autre) commises par les Alliés aussi bien à l’Ouest (désastreuse contre-offensive des Ardennes) qu’à l’Est (Poméranie non affectée en objectif principal) prolongèrent le conflit. Mais les menus égarements militaires du Troisième Reich, nombreux, auraient quand même pu « annuler » ceux des nations dites libres – non, non, je ne fais pas référence au gros Staline.

Certes, la terreur délivrée par un régime à l’agonie existe, par exemple des cours martiales mobiles prononcèrent des sentences de mises à mort immédiatement exécutées même après la capitulation. Mais cela n’explique pas tout cet acharnement, teinté de fatalisme, à se battre. Après moi, le déluge, en quelque sorte.

Car le Führer n’était point seul dans son délire. Plus de 500 généraux, commandant à près 200 000 officiers (eux-même encadrant la soldatesque) ont mis un empressement extrême à obtempérer aux ordres du chef suprême par une conception dévoyée du devoir. Derrière la personnalité énorme d’Adolf (ou plus exactement monstrueuse), il y a en outre un quarteron de dirigeants nazis fermement attaché au Führer : Martin Bormann, servile bras droit en charge de l’administration du parti ; Heinrich Himmler, chef redouté de la SS, de la police allemande et ministre de l’intérieur ; Joseph Goebbels, ministre de la propagande qui se suicida le 1er mai avec son épouse Magda après avoir empoissonné leurs six enfants ; et enfin Albert Speer, l’armurier en chef du Troisième Reich sans qui l’effort de guerre totale n’aurait pu se prolonger aussi longtemps. La fine équipe.

Enfin, l’auteur n’oublie pas la quarantaine de Gauleiter fanatiques, vice-rois de provinces inféodées qui ont exercé un pouvoir civil énorme sur les populations dont ils avaient la charge. Tout cela avant, pour la plupart d’entre eux, de décamper comme des poulets décapités au son des chenilles des chars russes.

…à rapprocher de :

– Sur cette guerre en général, Le Tigre a surtout souffert (dans le bon sens du terme) avec Antony Beevor et son La Seconde guerre mondiale (en toute simplicité).

– A un échelon plus « micro », essayez donc de terminer Les Bienveillantes (derniers tiers sur la fin de l’Allemagne), de Littell.

– 1944, le débarquement allié, l’Allemagne nazie qui ne se rend pas, la libération de l’Europe, c’est aussi dans une BD de Dupuis intitulée Overlord. Au moins ça se lit vite.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver en ligne ici.