Dans un futur plus ou moins proche, un artiste fait furieusement parler de lui par son audace. Et un écrivain meurt dans d’atroces conditions. L’art, l’enquête policière, l’amour (sans le cul ici malgré la pétillante Olga), l’avenir d’un pays qui a perdu son élan vital, Michel H. a écrit quelque chose d’extrêmement fluide qui a ravi Le Tigre.
Il était une fois…
Voici l’histoire de Jed Martin, artiste français qui deviendra l’étoile montante de ce qui se fait de mieux question art contemporain. Photographe, peinte, théoricien, le mec subjugue les ouailles qui gueulent au génie. Jed fréquentera les plus grands, notamment un certain Michel Houellebecq. Le même écrivain qui se fera sauvagement assassiner, ouvrant une enquête que l’inspecteur Jasselin devra résoudre.
Critique de La carte et le territoire
Au début des glorieuses années 2010, je vous avoue que j’attendais grandement ce nouveau roman de l’écrivain français – qui m’avait passablement déçu avec La possibilité d’une île. Et j’ai bien fait de patienter, car il doit s’agir de son œuvre la plus mature jusqu’ici, sans compter que celle-ci est encore plus personnelle, Houellebecq n’ayant visiblement pas hésité à poser ses couilles sur le clavier.
Le scénario s’étale sur plusieurs années et met en scène, outre le héros Jed M., différents protagonistes dont certains sont très connus – Julien Lepers en tient une belle couche, c’est régalant à souhait. J’ai envie de vous dire que l’histoire importe peu, seules les visions de génie de l’art et des relations humaines paraissent constituer le moteur de l’ouvrage. Bien évidemment Michel H. reprend ses thèmes favoris, à savoir l’impossibilité à être heureux ou la une France repliée sur elle-même qui prend le tournant de la mondialisation à l’envers. Les descriptions, parfois sommaires, n’en restent pas moins prenantes (ennuyeuses par leur didactisme selon d’autres, je le conçois) et dépeignent une civilisation qui va au-delà du libéralisme, là où post-capitalisme est forcé de rimer avec post-apocalypse.
Bref, 430 pages que le félin n’a point vu passer. Le style, le vocabulaire m’ont encore plus que d’habitude entraîné dans un monde détonnant, allant jusqu’à me laisser groggy après avoir refermé le petit pavé. Pour une fois que les jurés littéraires ne font pas de conneries…
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le titre mérite quelques explications. Déjà, le motto (non aristotélicien) du cycle le plus connu de A.E. Van Vogt (cf. infra) a inspiré l’écrivain, or la phrase « La carte n’est pas le territoire » est tiré du philosophe Korzybski. Ensuite, le présent roman, à sa manière, introduit la notion de la carte par le biais artistique : Jed accède à la gloire grâce à ses photos (noir et blanc) de cartes Michelin, le travail de l’artiste est tellement bien foutu que le spectateur peut penser qu’ici la carte est meilleure que le territoire représenté. Enfin, la carte renvoie à la fois au tourisme (la France, transformée en un parc géant de loisirs) et à la représentation limitée (mais parfois nécessaire) de vastes territoires dont seule une infime information est offerte (typologie, altitudes, etc.).
Ce qui est particulièrement étonnant dans La carte et le territoire est la façon dont Michel (tu permets) s’est personnellement mis en scène. Car Jed fait rapidement la rencontre du romancier à qui il demande de rédiger un catalogue. Plus tard, Houellebecq sera la matière première du dernier tableau de l’artiste, avec ce que ça comporte comme auto-référencement et savoureuses mises en abyme. La vie réelle de l’auteur, les polémiques qu’il soulève, son assassinat (passages assez glauques, attention), l’auteur a publié un vibrant roman, entre bilan désabusé de l’état du pays et éloge funèbre de sa propre personne.
…à rapprocher de :
– Comme je le disais, il convient de connaître de quoi cause Le Monde des Ā, de Van Vogt, pour saisir le titre. Pour ma part, je n’ai pas pu finir ce truc.
– Tigre a lu tout Houellebecq, dans l’ordre : Extension du domaine de la lutte, Les Particules élémentaires, Lanzarote, Plateforme, La possibilité d’une île.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.