VO : idem. Sous-titre : Ici repose un homme. Dans le Sud profond des States, un homme revient enterrer ses souvenirs. Mais la ville qu’il a quittée il y a longtemps l’imprègne de nouveau, et le voilà source d’une violence qu’il pensait abhorrer. Illustrations brutes et scénario qui va droit au but, voilà une solide entrée en matière.
Il était une fois…
Earl Tubb a une dernière mission à faire à Craw County : vider et déménager la baraque d’un parent récemment décédé et se barrer le plus vite de cette ville minable d’Alabama. En prenant un premier verre dans un bar, Tubb croise une vieille connaissance (qui n’a plus l’air bien fraîche) et lui vient en aide, quelques instants plus tard, en fracassant la gueule d’un mec. Earl a mis le doigt dans l’engrenage qu’est une ville corrompue où la population semble avoir perdu le sens des réalités.
Critique du premier tome de Southern Bastards
Jason Aaron fait (encore) montre d’une belle efficacité avec ce tome brut, bien amené et montant en gamme question tragédie. Un : prenez un gars assez âgé, bourru et au crochet droit vivace. Deux : foutez-le dans un endroit qu’il a quitté il y a 40 piges et où il a quelques comptes personnels à régler. Trois : faites en sorte qu’il reste malgré les habitants désireux qu’il se casse avec son camion de déménagement. Puis attendez le feu d’artifice.
Pas vraiment un feu d’artifice, juste quelques escarmouches et des mises en garde allant crescendo. Car Earl pose trop de questions, notamment sur le décès de Dusty, qui incommodent gravement la populace. Au fil des pages, le lecteur découvrira le rôle prééminent joué par Euless, dit le « Coach », entraîneur tout-puissant de l’équipe de football de la ville (pas du soccer hein) à qui les forces de l’ordre semblent avoir prêté allégeance. Et les raisons de la détestation, par le héros, d’un endroit où sévissait son père, ancien shérif aux méthodes musclées et détesté de tous. Là, normalement, le protagoniste n’a aucune raison de rester. Sauf qu’il ne supporte pas la bêtise ambiante, et le gourdin du paternel renaissant d’un arbre foudroyé (lequel surplombait la tombe de papa Tubb) va opérer comme un électrochoc.
En rajoutant un gosse pas très futé mais attachant qui se fait dézinguer la gueule, des habitants pleutres face à des priorités sportives absurdes (pas de vagues avant le prochain match), nous ne sommes pas loin d’avoir un comics qui fleure bon le hard boiled – histoire policière sombre, réaliste avec un héros loin d’être parfait. Quant aux illustrations de Latour, force est de reconnaître que ça colle parfaitement aux thèmes du scénariste. Les hommes sont à l’honneur, il est rare de voir une case sans un visage sublimé par des traits veules et marqués (même chez les femmes). Si bien que l’environnement est parfois peu travaillé, toutefois le texte est suffisamment profond pour que l’immersion soit maximale – et ce grâce à un ton majoritairement rouge-brun, menaçant.
Southern Bastards porte bien son nom, aucun adulte ne paraît pouvoir trouver la voie de la rédemption. La narration est vive, les flashbacks brefs et allant à l’essentiel, en une centaine de pages l’ambiance est largement posée. Finement, Aaron termine sur deux grosses questions qui feront qu’acheter le deuxième tome prendra le lecteur comme une envie de pisser : quel avenir immédiat pour Earl en mauvaise posture, et quel rôle pour le tout dernier personnage introduit (non sans surprise) ?
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le félin a cru comprendre (les préfaces des auteurs aident en ce sens) que Latour et Aaron viennent du Sud des States. Leur présente œuvre est à la fois :
1/ Une déclaration d’amour à une région où la vie est rude et les mœurs moins policés, c’est-à-dire que tout se règle entre hommes sans interférence des autorités. Si chacun poursuit le même but, tout ne peut que bien marcher. Des gens fidèles, donc, au sein d’États sudistes qui ont également apporté à l’Oncle Sam son tribut de soldats pour le défendre.
2/ Une preuve de profond rejet pour ses habitants qui ont dévoyé leurs idéaux de liberté pour des chimères, des gens bas de plafond carburant à l’ignorance, l’alcool et l’obéissance aveugle. Bref, des Rednecks aussi finauds et modestes qu’une volée de supporters descendant les Champs-Élysées à la suite d’une coupe du monde remportée par leur équipe nationale.
[pour tout vous avouer, ce premier tome est sans pitié pour la ville de Craw Country où seul un individu extérieur arrive à faire bouger les choses]
Le titre, Ici repose un homme, soulève la problématique d’une famille qu’on tient à fuir. En l’espèce, le père d’Earl, personnage autoritaire et peu amène, était suffisamment détesté par son fils pour que ce dernier aille s’engager au Vietnam. A quel point est-il infernal de vivre avec ce genre de paternel pour partir dans un autre enfer ? Pourquoi vouloir à tout prix abattre l’arbre qui a poussé autour de sa tombe ? Faut-il à nouveau tuer le père ? Est-ce ce sentiment diffus de savoir qu’on va ressembler trait pour trait à son vieux ? Peut-on parler de conduite suicidaire ?
Hélas, l’image désastreuse que renvoie le cercle familial fait souvent office de miroir. Le protagoniste, même si ses intentions sont nobles, ne paraît pas être meilleur que les autres. D’ailleurs, le jeune Earl n’était pas tendre non plus avec ses « amis » de l’époque, en particulier un jeune camarade qu’il a laissé se faire brimer. Le même souffre-douleur, qui, après des décennies de vengeance macérée, régente la ville en tant que coach avec des méthodes mafieuses (mais sans le raffinement ni l’organisation).
…à rapprocher de :
– On peut se rendre compte du talent de Jason Aaron dans le premier tome de Thor (avec Ribic) ou La Splendeur du Pingouin (avec un tas de coauteurs).
– Puisque je parlais de hard boiled, le shérif corrompu, la vilenie standardisée, c’est par exemple 1275 âmes de Jim Thompson.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.
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