Dans le territoire aride aquitain, le destin d’une famille est irrémédiablement transformé – notamment à cause de la Grande Guerre. Roman figuratif d’une région dans un temps donné, avec son vocable et ses problématiques, il s’agit d’un roman touffu et diablement bien écrit – pas mémorable pour autant toutefois.
Il était une fois…
Début 1914. Les Capestang se porte bien. Possédant des centaines d’hectares qu’elle donne à bail à des métayers obéissants, la famille gère avec fermeté et justesse son domaine sous l’égide du paternel, Joseph. Les enfants Capestang, la vingtaine passée, aident à la gestion de ce qui deviendra un jour leurs terres. Tous, sauf Adrien, le boiteux, qui se désintéresse de ces choses là et vis reclus dans une bicoque à travailler une terre ingrate qui lui donne juste assez de quoi se nourrir. La guerre, cette belle salope, va bouleverser l’équilibre déjà précaire du clan.
Critique de La palombe noire
Cette chose traînait depuis trop longtemps dans la bibliothèque de vieille-tante-hyène. Suis sûr qu’elle n’a toujours pas remarqué que je lui ai grappillé ce roman écrit par un médecin ayant des origines affirmées dans la région girondine. Plus de 400 pages, peu de chapitres, une écriture dense, il faut s’accrocher car cela vaut globalement la peine.
Le style est à l’image du pays décrit : rude, peu accueillant au premier abord, avec des hommes au verbe rare mais précis. Il en résulte un phrasé local époustouflant qui fait entrer de plein pied le lecteur dans une région agricole en ce début de XXème siècle. Quelques passages sont un peu longs, le style parfois lourd, toutefois les images prennent durablement vie dans l’esprit du lecteur qui est transporté un bon siècle en arrière. Il n’en demeure pas moins que cette richesse vocabulairistique confine parfois à la douce branlette stylistique, avec des phrases d’une rare poésie dont je n’ai aucune idée de la signification mais qui claquent bien au vent. Au hasard (c’est dans l’épilogue) :
Henri Carère était là, le borni, pieds nus, grimpé sur un pitey, à l’attaque d’un arbre comme il l’avait été des tranchées allemandes de la Meuse. […] Il avait attendu la mort au fond des immondices, troqué le silence de la forêt, cette cathédrale aux voûtes célestes, contre la sombre toiture des boyaux du front […]
Heureusement que le corps de l’histoire prend rapidement forme, et on mesure ce qui attend Adrien, héros imparfait mais dont l’âme reste pure. D’une part, la guerre bouleverse le petit équilibre de l’Argilège (le nom manoir familial). Un frangin décède à la guerre, le daron Joseph meurt de vieillesse tandis que le dernier frérot a le ciboulot niqué à cause des tranchées – c’est compréhensible. Le sieur Montabaud, époux de la seule fille Capestang, compte bien imposer ses vues en s’arrangeant avec les riches propriétaires aux alentours. L’idée est notamment de faire de Iéna, la parcelle où vit paisiblement le protagoniste, une zone industrielle destinée à la production de résine – évidemment que ça ne botte guère Adrien.
D’autre part, le jeune infirme fera la rencontre de la belle Lise, une Ch’ti à la chevelure dorée (rare dans le Sud de la France) qui apprendra à Adrien l’amour – avec un grand A, pas les dégueulasseries imposées par ses frères dans les bordels. Les deux êtres vont s’apprivoiser, pourront-ils seuls s’opposer aux visions des patriciens locaux ? Plus qu’un roman régional, c’est une mini-saga familiale qui mériterait d’être adaptée dans un feuilleton pour faire mouiller les vieilles de trois à cinq. Hélas, si les qualités littéraires de Dubos sont indéniables (un peu plus d’humour n’aurait pas été de trop), le rythme avance fréquemment à un train de sénateur – le félin n’a donc pris son pied.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
L’écrivain livre une saisissante description des fiefs à l’ancienne. Les glorieux temps au cours desquels le pater familias faisait le tour de ses milliers d’hectares pour vérifier que tous les contrats oraux (bail à colonat partiaire, pour être précis) étaient respectés, que tel métayer se portait bien ou encore donner deux-trois bons conseils à la populace craintive et admirative. Cette mécanique généreusement huilée connaît quelques ratés avec l’apparition des syndicats, qui illustre le passage de l’ouvrier agricole à l’ouvrier tout court – sans compter la technique qui évolue. Derrière ces milliers d’hères plus ou moins itinérants, la fermeté d’une poignée de possédants qui, en l’espace de deux générations, ont acquis et fait fructifier une terre à l’origine inhospitalière – grâce à la politique d’assainissement et de culture de ce brave Napoléon III.
Au-delà des grandes manœuvres du pays gascon, il y a la palombe noire (un spécimen trône sur une cheminée), ou la colombe qui apporte la guerre dans une famille en apparence paisible. En apparence car le « scrof » (surnom d’Adrien) a, depuis sa maladie que sa daronne pensait contagieuse lorsqu’il était petiot, décidé de se couper de sa famille – laquelle reste néanmoins heureuse et prospère. Hélas la guerre va détruire le peu de joie qui demeurait, en particulier la fugue du jeune Jean décidé à s’engager dans le conflit en 1917. Adrien réussira à créer sa propre famille en se liant avec une étrangère (selon les mentalités de l’époque) qui lui apportera la force nécessaire pour s’affirmer face à l’infamie de certains – en particulier le beau-frère avec ses combines financières et le régisseur/violeur.
...à rapprocher de :
– Le lecteur touchera de très très près la dureté du travail de la terre dans Nous sommes tous innocents. Attention, petite pépite.
– Les changements socio-économiques post Der des der et la manière dont certains peuvent en profiter se retrouvent dans Au revoir là-haut, autre tuerie littéraire que le félin ne peut que conseiller.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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