VO : The Demolished Man. Premier livre de Bester lu, dans le cadre d’un doublé de cet auteur dont le 4ème de couv’ ne dit que du bien. Il fallait vérifier ça dans la mesure où j’ignorais tout de l’écrivain. Et je n’ai pas été déçu, loin de là. Pas étonnant qu’il n’ait écrit que quelques ouvrages, tellement il a usé d’idées ingénieuses dans celui-ci.
Il était une fois…
Terre, XXIVème siècle. Ben Reich est à la tête d’un empire, néanmoins sur le point de se faire couler à cause d’une firme concurrente. En plus il fait des cauchemars où intervient l’Homme sans visage, qui est forcément D’Courtney, son pire ennemi. Il va tenter de tuer ce dernier, dans un monde futuriste où existent de puissants télépathes, empêchant tout crime depuis près de 70 ans.
Critique de L’homme démoli
Remercions ensemble Denoël, puis Folio SF, pour nous faire découvrir ce genre de petite pépite. C’est quand même grave, un roman américain écrit en 1953…et traduit en 2007 ! Bester n’a écrit qu’une poignée de romans, et est considéré comme un des auteurs les plus importants de sa génération. Et ce n’est pas faux du tout.
Tout d’abord l’histoire est tout simplement révolutionnaire, même pour un roman vieux de six décennies. Imaginer une société avec les extrapers (télépathes qui « matent » l’esprit humain), leur guilde, leur code de déontologie, le mode de sélection (communiquez la vraie porte d’entrée, celle réservée pour le personnel, par télépathie), les responsabilités énormes qu’ils portent,… L’univers est cohérent, séduisant et surtout propice à des histoires passionnantes.
C’est ce qu’à réussi Bester, en imaginant le crime parfait. Un homme aux abois va mettre en œuvre une sombre machination pour tuer le PDG de l’entreprise rivale. Bien sûr rien ne se passe comme prévu, la fille de la cible étant témoin de la scène. Quant au policier télépathe qui cherche à prouver coûte que coûte la culpabilité de Reich, son quotidien constitue un réel effort d’imagination (cf. la description des thèmes abordés). De très bonnes idées en sus, comme par exemple « Moïse », l’ordinateur de déclenchement des poursuites pénales, qui ont lieu que lorsque certains critères sont précisément remplis.
Ensuite le style. Et bien ça a certes un peu vieilli, mais rien de scandaleux dans la vision du futur par Bester. Au contraire même, certaines descriptions conservent un petit charme désuet. Le rythme est très bon lorsqu’on suit le patron hyperactif, plus contemplatif et cérébral lorsque le lecteur est dans la tête du flic. Bref, ouvrage qui vieillit très bien, à l’instar des Asimov.
Enfin le chapitrage, le nombre de pages sont bien gérés, ça passe vite et le rythme est souvent bien cadencé. Même si les vingt dernières pages, après la fameuse Démolition, peuvent être largement lues en diagonales.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Les thèmes sont fort nombreux, voici ceux qui m’ont particulièrement interpellé :
La télépathie, bien sûr, est abordée de manière extensive, pour constituer la trame principale du roman.Tous les aspects de cette capacité sont ainsi traités : d’un point de vue politique, avec les factions au sein des extrapers, la structure sociale sous forme de castes où les métiers sensibles sont tenus par des télépathes. Les degrés de télépathie, du 3ème au 1er (qui peut fouiller jusqu’au subconscient), aident à constituer une réelle hiérarchie pyramidale au sein de ces surhommes. Quant aux conversations entre télépathes, Bester est parvenu à les retranscrire avec un certain brio : échanges d’impressions, de mots clés et d’images en l’espace de quelques secondes et ce de manière non linéaire (fidèlement retranscrit dans le texte).
Corollaire de ce pouvoir et surtout des responsabilités qu’il amène, les sanctions en cas que manquement sont expliquées assez crument : la solitude. Et les cris de solitude de certains personnages sont vraiment touchants. L’extraper qui se rate est exclu du monde des télépathes, et au cours du roman on en rencontre un particulièrement ravagé : il explique que vivre avec des gens normaux est comme être le seul être « normal » en présence de sourds-muets, tellement le langage humain est pauvre en comparaison des possibilités infinies de la transmission de pensée.
Quant à la sanction finale, celle qu’on retrouve dans le titre, les dernières pages offrent un aperçu vu côté victime. La Démolition consiste donc à expurger les souvenirs et tout ce qui rend mauvais un homme, afin de refaire en accéléré une éducation. Mais le processus de destruction neuronale est terrifiant : on voit un homme à qui tout réussi progressivement perdre la boule, prisonnier de son esprit (grâce à un puissant processus de tous les télépathes réunis) et évoluant dans un monde qui progressivement se réduit comme peau de chagrin. Image d’une justice destinée à réinsérer plutôt que punir, la vision de l’avenir de Bester est résolument optimiste.
Le prochain thème est un SPOILER [ne pas lire si vous comptez le lire]. La relation au père fait une apparition tout à fait surprenante : Ben Reich a en effet enfoui au plus profond de son esprit un trauma d’abandon par le père, et son besoin de meurtre l’amène à modifier la réalité pour donner une raison à ses sombres desseins. Car l’objet de ses cauchemars est lui-même, fils plus ou moins illégitime d’une personne qu’il verra comme une menace économique tout au long de sa vie. Le père à tuer, tout œdipien, amènerait le sacre de Reich comme maître du monde, capable seul de le modeler à sa guise. FIN SPOILER.
La relation au père se retrouve également entre la fille de la victime et le flic, où d’un amour tout paternel naît une belle histoire d’amour. Incestueux mais faisant partie du processus de guérison de la pauvre femme.
…à rapprocher de :
– Du même auteur, Tigre s’est presque autant fait plaisir avec Terminus les étoiles.
– Sur la télépathie et ses conséquences pour les humains, trouvons dans les quatre pavés du Cycle des inhibiteurs de Reynolds les passages avec les Conjoineurs, qui ont la technologie pour communiquer de la sorte. Et voir comment ils galèrent parfois pour parler à d’autres factions.
– La façon dont le héros cherche à blouser le système n’est pas sans rappeler Minority Report, de Philip K. Dick. Regardons ensemble le film à nouveau plutôt.
– Le Tigre hésite à comparer, mais Cosmétique de l’ennemi de la mère Nothomb est assez proche de l’histoire de Ben Reich, qui se révèle être son pire ennemi.
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