VO : The Immortals. Rare roman traduit en français du très connu (du moins dans le monde anglo-saxon) Chaudhuri, Les Immortels nous propose un voyage musical et sociétal dans l’Inde des années 80. Style au premier abord déroutant mais progressivement envoûtant, un ouvrage exigeant et porteur de précieuses clés pour comprendre le pays.
Il était une fois…
Bombay, années 80. Shyamji, fils d’un grand chanteur classique décédé, est amené à donner des cours de chant à Mallika Sengupta. L’époux de Mallika, Apurva, est un dirigeant d’entreprise reconnu. La rencontre entre le monde de l’art, avec ses représentants aux différents courants musicaux, et celui des affaires va donner lieu à de fructueux échanges. Notamment lorsque le fils Sengupta, Nirmalya, se décide également à suivre des cours de chant.
Critique des Immortels
C’est la première fois que je lis, en français, l’ouvrage d’un auteur indien, fin lettré de surcroît. Et le début fut dort difficile. Les 100 premières pages étaient en effet à la limite du supplice : de nombreux personnages aux noms rares (pour nous autres Occidentaux) qui apparaissent comme par magie, des prénoms qu’on penserait être destinés à des femmes donnés à des hommes (Apurpa, Nirmalya pour ne citer qu’eux), un fil conducteur ténu car parsemé de nombreux flashbacks, Le Tigre a peiné. Mais s’est accroché, pour son plus grand bonheur.
Car joie ! Amit C. est aussi excellent musicien, et une fois ces dizaines de pages lues le lecteur commence à saisir la beauté de l’œuvre : ce roman, c’est aussi de la musique ! Le relatif ennui des débuts fait progressivement place à une lecture qui enchante. Pour ma part, même si je suis passé à côté de nombreux passages (n’ayant pas la culture nécessaire), je n’en ai pas moins été subjugué. Phrases longues et bien traduites, on n’est jamais bien loin de la poésie même si celle-ci a mis un certain temps à atteindre le cerveau tigresque.
Enfin, et à titre de critique inhérente à un tel sujet, Le Tigre a été plus d’une fois largué par le vocabulaire que tout néophyte serait incapable de saisir. Écrire en bengali, suivi de la traduction, ça passe. Les lieux aux noms chantant, j’aime bien. Mais lâcher dans la nature des termes comme namaskar, raga, taans, geets, nada, tabla et autres thekas sans les accompagner d’une note de bas de page à l’intention du lectorat français, ce n’est pas gentil du tout.
Un roman intéressant, tout curieux du sous continent indien découvrira cette époque de manière satisfaisante. Enfin, Le Tigre n’en parle que rarement, signalons le beau travail de Simone Manceau, la traductrice. Si Amit écrit en Anglais, jongler avec des phrases fleuves et des termes bengalis (hindis parfois ?) un peu partout a du représenter un défi constant. Je n’ose imaginer les échanges entre l’auteur et son traducteur.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le tableau de l’Inde des années 80. Comme je l’ai déjà évoqué, Mister Chaudhuri nous dresse un portrait fidèle et complexe d’un pays qui ne l’est pas moins. Bien sûr on peut parler des déséquilibres sociaux, du Bombay chatoyant où les embouteillages incessants jurent avec les chics dîners chez l’ambassadeur, voire de la position d’un haut cadre dirigeant dont la richesse n’est au final qu’un leurre payé par l’entreprise (voiture, chauffeur, domestiques, appartement). Le déclassement reste possible tout compte fait.
Mais Amit parle avant tout de musique, des différents styles : certains jugés « populaires » et indignes d’être enseignés, d’autres dits « classiques » avec des sommités qui les chantent et ravissent les connaisseurs. Derrière cette culture, le cinéma de Bombay (le fameux Bollywood) n’est jamais loin, avec Mallika qui caresse l’idée de chanteur pour une de ces superproductions. Quant à l’Inde partagée entre traditions et modernité, je n’ai pas vu grand chose en sus si ce n’est le fiston qui au business préfère la philosophie.
Ce qui a également marqué Le Tigre, ce sont les non dits de relations sociales, la subtilité des échanges entre individus de castes ou CSP (catégories socio-pro) différentes. Comme en Chine ou au Japon, s’adresser à quelqu’un en utilisant tel ou tel nom (didi par exemple) indique la position dans laquelle la personne souhaite se placer vis-à-vis de son interlocuteur. Lors d’un échange, ce sont des considérations de politesse, voire tactiques (demander un prêt) qui se mettent en place. Bien plus retord que le choix tutoiement / vouvoiement.
…à rapprocher de :
Sinon, rien de ce que j’ai lu ne semble se rapprocher (pour l’instant) de ce titre. C’est pour ça que je l’ai particulièrement apprécié. A part peut-être Le monde n’a pas de fin, de Tanweer, qui m’a également déçu. Ce doit être mon esprit étriqué peu enclin à cette littérature orientale.
– Toutefois, en plus accessible mais fort décevant, y’a Le tigre blanc, d’Aravind Adiga. Très porté sur la politique.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici. Ou sur le site de l’éditeur.
Ping : Bilal Tanweer – Le monde n’a pas de fin | Quand Le Tigre Lit
Ping : Aravind Adiga – Le tigre blanc | Quand Le Tigre Lit
Ouf, je viens de terminer ce pavé. Malheureusement, mon avis est bien moins nuancé que celui du Tigre. Je conseille plutôt l’excellent Équilibre du monde de Rohinton Mistry.
Ping : Didier Daeninckx – Je tue il… | Quand Le Tigre Lit