J’étais parti pour descendre en règle ce roman. Celui-ci l’a sûrement senti, car l’intérêt du Tigre s’est réveillé dans le dernier tiers. Voici une histoire presque basique de vengeance, de destins brisés et de lamentables comportements pendant la glorieuse période de la collaboration. A sa décharge, André Fortin est un magistrat avant d’être un écrivain. Au moins son œuvre est concise et précise quant à l’exercice du métier.
Il était une fois…
Vers la fin du stage de ses deux auditrices de justice (des magistrats en devenir), le juge marseillais Galtier leur offre l’histoire la plus marquante de sa carrière. Tout commence par le meurtre (quelques coups de poignard) d’un vieillard. Comme ça n’a pas l’air d’être un crime crapuleux (le morlingue du vieux étant intact), Galtier se penche sur le passé de cet individu. Aidé de Juston, un flic, ils partent à la recherche du coupable. En parallèle, l’histoire d’un certain Théodore Fonseca pendant la guerre, et celle de Charlotte, ado perturbée dans une pension en Suisse. Quel est donc le lien entre tout ce joli monde ?
Critique de Restez dans l’ombre
Le juge Galtier, bon vivant, aimant les femmes (la sienne, Billy, est pédopsy, ce qui va avoir son importance), tient particulièrement à découvrir qui se cache sous le personnage de Théo. Un poil désabusé sur ses contemporains, Galtier fait montre d’un certain talent pour mettre mal à l’aise ou tirer les vers du nez des autres.
Les chapitres alternent entre cette enquête et deux autres trames narratives. D’une part, les péripéties de Théo, petite frappe qui va s’intégrer aux milieux (le Milieu, et celui de la collab’ avec tonton Hitler et tata Pétain). J’ai eu du mal à apprécier ces passages, c’est peu immersif. En fait, Tigre a commencé à apprécier dès que (attention mini spoil) le jeune homme séquestre une ado juive. Je dois être malsain.
D’autre part, Charlotte et la directrice de l’établissement, Marie-Hortense. Mazette, leurs récits sont chiants à mourir, je n’ai jamais autant souhaité qu’un chapitre se termine. Même si on s’en doutait, faut bien attendre 120 pages pour savoir d’où cette petite conne sort, et que c’est forcément par elle que la vérité jaillira. Si on ajoute un style peu transcendant, sinon lancinant, comprenez que je ne suis pas prêt de récidiver en présence du juge Galtier. Heureusement que le lecteur pourra trouver ici et là quelques savoureuses expressions fleurant bon le sud.
Au final, encore un roman-diesel dont l’intérêt se fait salement attendre dans les premiers chapitres. Cependant l’auteur marseillais se rattrape correctement, jusqu’à un épilogue tout ce qu’il y a de satisfaisant.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
L’Histoire, cette insaisissable salope. Pas compliqué de deviner que les protagonistes vont se rejoindre, et les exactions de quelques-uns mises à nu. De manière très classique (Dédé, tu me permets l’expression ?), l’écrivain aborde la question de la création d’une légende personnelle alors qu’on a fait de la merde, que l’Histoire est adaptable pour peu qu’on s’y prenne autant rapidement qu’ingénieusement.
Le Théodule, à ce titre, fait preuve d’inventivité. La morale, semble-t-il, est que dans une petite communauté, tout finit par se savoir. Et ça retombe sur la gueule des descendants.
Le quatrième de couverture parle d’une « manière de s’interroger une fois encore sur la place de la justice dans notre société et sur le rôle du magistrat en la matière ». Soit, mais faut pas que le stagiaire qui a rédigé cette couverture tente désespérément d’entuber Le Tigre ici, l’auteur ayant fait le minimum syndical en la matière (sic). Il sera juste question de savoir si le bon juge, qui supputait le fin mot de l’histoire (qui est le meurtrier), aurait dû faire actionner la machine judiciaire. Le débat final avec les deux auditrices est d’une platitude sans nom, un alignement à peine éhonté de lieux communs et fort décevant.
…à rapprocher de :
– Sur l’histoire de Théodule (pardon, c’était plus fort que moi), j’ai préféré les infâmes du roman Le corps noir, de Dominique Manotti. Plus compréhensible, immersif.
– Avant vilain Fortin, Tigre s’imaginait que, concernant les polars marseillais, seul Jean-Claude Izzo existait. Cela me chagrinait d’autant plus que je n’ai jamais eu le courage d’en lire un.
– Autre auteur du même cru, on peut se faire plaisir avec Lettre à mes tueurs, de Frégni.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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Je crois en fait qu’il faut être marseillais pour apprécier réellement ce type d’auteurs locaux ; J’admets que si la même histoire s’était déroulée en Bretagne, j’aurais peut etre bcp moins accroché…
C’est gentil de dédouaner ainsi le Tigre, originaire du Bengale, mais la « marseillaisité » du roman n’est pas choquante. J’ai même apprécié quelques expressions locales savamment distillées, une découverte littéraire rafraichissante. C’est juste que l’immersion n’est pas optimale, je me suis déjà senti plus « dans » un polar qui se situait en civilisation inca…
Quant aux intrigues bretonnantes, j’attends que l’éditeur ai cuvé son chouchem pour qu’un titre soit publié. Pas gagné.
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