Roman plutôt dense et exigeant, voici l’histoire d’un des plus vastes empires n’ayant jamais existé. Luttes politiques, intrigues familiales, tout cela sous le regard d’une esclave qui sert plusieurs familles, c’est fort instructif. Le style n’est hélas pas parfait mais ce fut lu à une allure étonnement rapide. Le 13ème siècle asiatique comme si vous y étiez – presque.
Il était une fois…
Alegh est une jeune fille de la tribu des Oyirats. Lorsque des soldats mongols vinrent saccager leur campement, la petite fille échappe de justesse au viol collectif, mais est arrachée à sa famille. Elle entre alors au service de la femme du grand Khan Ogodei, deuxième fils du très célèbre Gengis Khan. Au fil des années la belle (car c’est loin d’être un laideron), notre héroïne apprendra les lettres et sera aux premières loges dans l’histoire du peuple mongol.
Critique des Enfants du Khan
Avant de démarrer le corps du billet, il faut savoir que Le Tigre connaît personnellement l’auteur, un être dont la culture n’a d’égal que le raffinement, et dont j’ai lu pas mal de romans – qui sont, dans la chronologie de l’Histoire humaine, étonnamment éclectiques. Voilà pour signaler d’éventuels conflits d’intérêts. Et j’ai eu peur au début : tant de noms hélas délicats à retenir d’illustres personnages historiques, heureusement qu’Armand a eu l’idée de placer, dès les premières pages, un arbre généalogique du gros Gengis et un glossaire à l’attention de l’ignorant lecteur.
Toutefois, attention : ce titre ne revisite pas l’histoire du père Gengis, mais des Mongols depuis la disparition de celui-ci. La narratrice, femme intelligente qui tire très souvent son épingle du jeu, est une des rares personnes inventée par l’écrivain. D’ailleurs l’idée de placer une femelle est subtile, car souvent la gent féminine a maintenu les fondations lorsque les alcoolos de service étaient au pouvoir. Ogodaï, Chibi, Marco Polo, et tant d’autres, tous ont existé et leurs comportements dans ce roman m’ont semblé cohérents par rapport à l’idée que je me faisais de ces personnages.
Cependant il est quelques imperfections que Le Tigre a personnellement remarquées, à l’instar de sur-descriptions des protagonistes par rapport à la nature environnante. Ceci dit, le style de monsieur Herscovici m’a paru être adéquat avec cet interminable empire qui est secoué par d’incessantes intrigues politiques. Si bien que j’ai eu souvent l’impression que l’écrivain français les traitait au détriment d’autres descriptions, notamment la culture de la « populace » ou des différents peuples rencontrés. Quant aux différents protagonistes croisés, ils ne m’ont pas paru d’une crédibilité exacerbée.
En conclusion, voici un ouvrage susceptible de vous forcer à un livre d’histoire afin de vérifier la véracité des pages parcourues tant le destin de cet amas de cultures est fantastique. Les moines tibétains (Drogön Chögyal Phagpa en particulier) et l’invention de la fameuse « écriture carrée », l’extrême nomadisme des Mongols, la fusion progressive du Khan Kubulaï dans la culture chinoise (il ne faut pas oublier qu’il est le premier de la dynastie Yuan), autant de faits qui m’ont donné le sentiment d’être un inculte fini.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
En premier lieu, Les Enfants du Khan est un roman d’apprentissage comme on en voit rarement : narration à la première personne, évolution progressive d’Alegh au sein de la cour des Khans, jusqu’à son dernier souffle dans un état de devoir accompli et d’allégresse non feinte. Il n’est pas impossible de ressentir l’ébauche d’une forme d’empathie vis-à-vis d’une battante qui, à force de maîtrise et de travail, parvient à se hisser au plus haut tout en ne prenant pas le melon comme cela arrivait à l’époque – et arrive toujours, ai-je envie de rajouter.
Le lecteur aura une vue extensive de ce que fut l’Empire Mongol, mélange de tolérance et d’actes impitoyables. Tolérance religieuse en particulier, les peuples conquis pouvaient continuer à prier leurs dieux au lieu de Tenggeri l’Éternel Ciel Bleu (dixit la narratrice). Mais sur les conquêtes militaires, la ville assiégée doit se rendre et se prosterner face au Khan, sinon je vous laisse imaginer…Certes quelques fils/petits-fils de Gengis ont été plus ou moins tolérants, mais la dureté de ce peuple (très physique il faut en convenir) est loin d’être usurpée dans l’ensemble.
Enfin, on ne peut réellement parler d’homogénéité dans la manière dont sont gouvernées ces vastes zones, car comme dans la Francie du bas Moyen-âge les territoires sont répartis entre les fils des familles régnantes. De la Perse à la Chine du nord, en passant par les immenses steppes de l’Asie centrale, l’ensemble des fils du Khan se bouffent rapidement le nez malgré d’astucieuses techniques pour maintenir l’unicité de cet ensemble de royaumes. Le Yam est une de ces inventions utiles en vue d’accélérer les communications : chaque village possède son canasson et l’homme prêt à grimper dessus pour un savant relais de coursiers d’une redoutable efficacité. Néanmoins, l’œuvre de Gengis Khan se fissure immanquablement – c’est le Charlemagne de l’Asie.
…à rapprocher de :
– Du même auteur, il y a Le souffle jaune, sur la fabuleuse expédition de Zheng He, dans la Chine du début du XVème siècle. Sinon, La spirale des escargots porte plus sur les menues curiosités mathématiques (en particulier le nombre d’or).
– L’héroïne qui à un certain moment a affaire avec les Assassins du « Vieux de la Montagne » me rappelle une belle partie du roman Tancrède, très correcte uchronie d’Ugo Bellagamba.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.