VO : Darkness at Noon. Écrit à la fin des années 30, Le Zéro et l’infini est à la limite du documentaire, un ouvrage sur ce qu’à bien pu subir tout « déchu » soviétique. Dur, choquant, déprimant, terrible, les adjectifs manquent pour décrire ce classique qui annonce un 1984 d’Orwell. Le style en moins hélas.
Il était une fois…
Roubachov, grand ponte du Parti, est (à son tour) emprisonné. Entretiens, interrogatoires, tortures, privations en tout genre, le voilà broyé comme n’importe quel ennemi de la collectivité. Et il aura le temps de réfléchir sur la politique de son pays, ce qu’on attend de lui, est-ce qu’il est prêt à sacrifier.
Critique du Zéro et l’infini
Le Tigre, lors d’un de ses voyages en Asie, est par hasard tombé sur ce livre (en anglais) dans un bar. J’ai lâché la queue du billard pendant deux heures, le temps de le lire. La relecture, en Français, quelques années après, fut inutile : je me souvenais de tout.
Le scénario, inspiré des grands procès de Moscou de 1936 à 1938, plonge le lecteur dans un huis-clos entre le héros, ses geôliers mais surtout sa propre conscience. Car en plus de la déchéance d’un ponte du parti dans un pays totalitaire, nous avons le droit à une fine analyse de Roubachov sur son pays, la lutte des classes, et comment l’évolution de la technologie nécessite la dictature pour bien régner.
Même en Anglais, la description est parfaite de l’ambiance et la folie animant les hommes. En outre, le système de l’époque est tout aussi bien rendu, faisant de cet ouvrage quelque chose de bien plus poignant et réaliste qu’un Kafka ou un Orwell. Le travail de documentation, sans doute à chaud, de l’auteur est superbe, plus de 70 ans après le lecteur sera pris d’effroi.
Pour conclure, ouvrage assez dense mais les thèmes sont correctement répartis dans les chapitres, le lire en Anglais est possible eu égard la simplicité du texte (sauf peut-être quand il s’agit des progrès technologiques).
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le titre, qui renvoie au plus terrible des totalitarismes. Dans un régime communiste, sauce stalinienne, l’individu est zéro. Quant à la collectivité, dont le Parti est l’unique émanation, c’est l’infini. Le « je » est alors remplacé par le « nous », monstre politique dont la volonté est d’un arbitraire à toute épreuve.
L’arbitraire, parlons-en. Comme lors des purges staliniennes, il n’y a pas vraiment de profils d’ennemis, si ce n’est éliminer ceux qui dérangent le grand boss. Le procès, c’est pour le spectacle, et les « douces » séances d’interrogatoires vont permettre le fin du fin : le prévenu qui admet sa trahison, remercie l’État pour supprimer la menace qu’il représente. pain bénit. Le protagoniste principal, bouc émissaire rêvé. A ce titre le bourreau (soigneusement observé par sa hiérarchie) se doit d’éviter, par ses nombreux contacts avec le prisonnier, de faire montre d’une quelconque empathie afin qu’il ne se retrouve pas vite de l’autre côté des barreaux.
En conclusion, Roubachov met en lumière (et reconnaît) l’étendue du dévoiement des idéaux des premiers pas de la révolution. En ignorant l’individualité de l’Homme, en niant tous les faits historiques pour les remplacer par la version (souvent changeante) du Parti, c’est un retour en arrière complet sur certaines caractéristiques d’une civilisation. Un ouvrage dur, sans concessions, et quand on peut lire les réactions de certains intellectuels de gauche en Europe par rapport à l’auteur (en France spécialement), on a presque envie de remonter le temps histoire de botter des culs.
…à rapprocher de :
– 1984, d’Orwell, va plus loin dans la description géopolitique d’un univers tout aussi terrifiant, mais fictionnel.
– Le huis clos, le narrateur qui réfléchit de la sorte à sa condition, c’est un peu Travels in the Scriptorium, de Paul Auster.
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