VO : Luthor : Man of Steel. A rebours des aventures de Superman, le créatif Azzarello s’intéresse à la Némésis du héros, à savoir Lex Luthor. Le brillant homme d’affaire craint que Superman ne décide tout à coup de ne plus protéger les humains, et entreprend d’agir contre le Kryptonien. Scénario relativement décevant, heureusement que les illustrations de Bermejo sont là.
Il était une fois…
Dans l’opulente cité de Metropolis, un certain Superman comble la populace de sa présence. Tout le monde il est content, le héros sauvant leurs fesses plus d’une fois. Tout le monde ? Non. Lex Luthor, riche entrepreneur réaliste et potentiellement cynique, a fait de l’Homme de fer son ennemi juré. Luthor, qui a ses raisons, compte bien définitivement péter la gueule de l’homme à la cape rouge. Quitte à détruire son seul espoir…
Critique de Luthor
Le félin n’est pas un inconditionnel de Superman et ne tiendrait pas plus de douze minutes face à un fan aguerri. Toutefois, même le touriste le plus honteux comprendrait ce one-shot où le héros est un humain normal qui a comme alliés son argent et son intelligence suprême. Superman ? Le Kryptonien n’apparaît qu’ici et là dans toute sa muette splendeur – ce dernier ne pipe pas un mot et est doté d’yeux rouges inquiétants : on dirait qu’il évolue dans un autre univers.
Revenons à L. Luthor. Chauve, vieillissant, bien conservé, le mecton semble dévouer sa vie à faire tomber Superman. Les quelques contingences de la vie des affaires le rebutent, et il traite ces dernières avec une distante efficacité qui s’éloigne souvent de la légalité (s’il traitait de la même manière les syndicats en France, je peux vous assurer que les trains auront tous trois minutes d’avance).
Du haut de sa supériorité intellectuelle, Luthor mobilise tout ce qu’il peut : il sauve un savant des griffes de Tchétchènes, prend contact avec un certain Bruce Wayne à Gotham City pour accélérer ses recherches, tout ça pour créer une créature capable de rivaliser avec Superman. Laquelle créature, judicieusement dénommée Hope, ne tient évidemment pas longtemps face à l’Homme de Fer. La narration est largement agrémentée, dans des cases colorées en bleu clair (en opposition avec le rouge d’un Superman largement dépeint comme une sourde menace), par les pensées intimes d’un homme cherchant à convaincre le lecteur de son combat.
Hélas, et même si le fauve est content de voir un super-méchant à peu près sain d’esprit, le cheminement intellectuel de Luthor n’a pas la logique et l’implacabilité attendue. En effet, Le Tigre a eu l’impression d’avoir affaire à un être qui fait montre de sensibilité et dont l’idéal de liberté divague vers un sentiment de persécution. Lex est dur en affaires, cynique et très souvent impitoyable, toutefois ce comportement insensible et froid ne cadre guère avec les moyens baroques mis en œuvre pour « protéger » la population de Superman – lesquels ont des conséquences avant tout symboliques.
C’est notamment la raison pour laquelle la fin a ce petit goût d’inachevé. « Tout ça pour ça » a-t-on envie de dire, même si la force de la démonstration est appréciable. Mais la petite touche de ce tome réside, à mon humble avis, dans les dessins de Bermejo. Ce dernier n’a plus besoin de confirmer son talent, la maturité du trait est complète : personnages charismatiques d’un rare réalisme (signalons que les corps sont parfaitement harmonieux), jeu des couleurs pour souligner les oppositions (bleu/rouge par exemple), subtile position du champ visuel (délicieuses contreplongées souvent à but sensuel), architecture plus que soignée, etc. Alors imaginez un mélange de ces éléments, du genre un Lex Luthor bien dessiné qui contemple, en maître, une ville aux reflets orangés d’où surgit une trainée rouge…
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Luthor, c’est un vrai libéral. Au sens premier du terme. L’idée selon laquelle l’Homme ne peut que compter sur lui-même et ne doit pas s’en remettre à une déité quelconque. Superman, E.T. aux pouvoirs incommensurables, est-il à même de montrer la voie à l’Humanité ? Celle-ci doit-elle mettre entre les mains d’un total inconnu les clés de sa destinée ? Imaginons par exemple que Superman décide que pour sauver l’environnement il faille zigouiller une personne sur dix (la « dîme verte » pour enrayer la pollution, hé hé), qui l’en empêchera ? Luthor, en gardant à l’esprit que Superman peut changer de bord à tout moment, se torture l’esprit et choisit la fuite en avant contre l’Homme de fer. Ce dernier le sait, et intervient de temps à autre pour montrer à Luthor qu’il voit clair dans son jeu – voire, il peut lire son âme.
Et comme on ne peut faire d’omelette anti-superman sans casser ses chers œufs, Lex n’hésite pas à sacrifier les siens. Déjà, on voit comment il fait peu de cas de la vie de ses semblables si cela permet de faire avancer son plan – par exemple, lâcher un pédophile dans la nature pour mieux le faire arrêter. Mais son plus bel ouvrage reste Hope, un robot d’apparence humaine capable de voler et, accessoirement, de baiser comme une déesse. En quoi « donner » à la populace une héroïne digne d’une superwoman mais moins puissante que Superman permettra-t-il de sauver Metropolis ? En montrant que l’Homme peut se passer de l’E.T. en slip rouge ? Cela semble l’objectif (fort patriotique) au début.
[Attention SPOIL] Non, et c’est là qu’on prend la mesure de l’intelligence retord et manipulatrice de Luthor : le but est d’égratigner l’image de Superman, peu importe que cela passe par la destruction d’une tour emblématique et l’autodestruction de Hope. L’espoir est mort, mais pas en raison des agissements du héros – superman/luthor, selon votre point de vue, la phrase reste correcte.
…à rapprocher de :
– Des mêmes auteur/illustrateur, il faut surtout lire Joker (en lien). Du très grand art.
– A tout hasard, Bermejo, seul, a imaginé l’intéressant Batman : Noël.
– Autre aventure centrée autour d’un ennemi important de Batman : La revanche de Bane, de Dixon et Nolan. Édifiante, et visuellement plus « gaie ».
– Un autre méchant (mineur) de DC Comics est le Pingouin. Qu’on retrouve dans La Splendeur du Pingouin, d’Hurwitz et Aaron. Correct.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.
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