Internet est bien incomplet, il n’y a que des vidéos débiles sur les combats de chats. Aucune théorisation de disponible, seulement des ados boutonneux et ricanant face à deux minets en pleine échauffourée. Aussi il est temps de donner ses lettres de noblesse aux duels entre chatons, ceux entre clébards ne paraissant occuper que l’attention des médias.
Pourquoi orchestrer des combats de minous ?
Ce billet n’a été possible que grâce aux efforts du consulat européen sis dans la capitale birmane. En effet, si j’en suis arrivé à m’intéresser au noble art du combat félin, c’est parce que j’ai été bloqué, pour une sombre histoire de contrebande, pendant un certains temps en Asie du Sud-Est.
Pour faire simple, après un long séjour près des Philippines, je suis retourné sur le continent histoire de terminer mes études (de médecine). J’ai profité d’un week-end prolongé pour me faire plaisir et prendre quelques souvenirs d’un temple bien caché, un peu comme Malraux avait fait en son temps. Comme Malraux, je me suis fait pécho. Sauf que l’État français n’était pas aussi pressé de me tirer de l’ornière qu’il avait aidé Dédé, et il a bien fallu deux mois pour verser des pot-de-vins et faire tamponner mon visa de sortie.
Du coup, j’ai très vite été à court de tunes. Aussi je suis allé voir une vieille connaissance assez friquée grâce à ses connexions dans les combats de coqs. Désirant ardemment devenir son employé, je lui ai parlé de mon amour immodéré pour les félins. Après trois heures de discussion et cinq litres de Tiger Beer, il m’a autorisé à ouvrir une franchise de combats de chats dans un village à trente kilomètres de la frontière laotienne.
Ces quelques semaines furent sans doute les plus beaux instants de ma vie. Si les « dogs fights » sont d’une rare violence et finissent souvent dans un étang de sang, ceux des félidés ressemblent plus à une partie d’échecs. Tout n’est que posture, projections savamment préparées et courtes explosions de coups de griffes avant la fameuse « clef de nuque » (attention, jeu de mots).
Admirer de telles empoignades est un spectacle que je conseille à tout le monde, c’est tout bonnement magnifique. Hélas, on ne peut déplorer que très peu de championnats de ce type en Europe alors que la matière première ne manque pas. En outre, les félins sont difficiles à gérer. Voilà comment ne pas commettre d’impairs et faire en sorte que ça castagne bien comme il faut.
Comment gérer une bonne baston de chats ?
Deux mois en tant qu’organisateur m’ont apporté une expérience des plus précieuses que je vais vous résumer en quatre brefs points. Il s’agit de règles basiques, de questions que vous devez vous poser avant d’annoncer à la rieuse populace que votre ring sera le must des combats de chats.
Attention, n’employez qu’avec prudence le terme « catfight », je me suis tardivement rendu compte que vos interlocuteurs s’attendent alors alors un crêpage de chignons (souvent dans la boue) par deux femmes, souvent très court vêtues, et à la plastique plus que correcte.
1. Le choix des protagonistes
Je commence par un sujet qui peut à la fois être le plus facile à régler que le plus délicat.
Lors de mon séjour, les autochtones, qui avaient très peu de foi en ma personne, préféraient envoyer leurs propres champions. Ils me faisaient plus confiance pour la régularité des combats et la manière dont je les organisais tel un comptable de province.
Si c’est à vous de fournir le matos, il convient de ne pas se planter. Sélectionner deux combattants (que j’appellerai Arnold et Sylvester) ne peut être laissé au hasard. D’une part, il faut que les catégories de chats soient équilibrées. Un chétif Siamois contre un solide Pixie-bob (qui n’est pas loin de ressembler à un lynx), c’est de la triche. Idem entre un Norvégien et un Persan. Alors prenez des races qui accusent les mêmes kilos sur la balance, et faites combattre des individus de même âge.
D’autre part, Le Tigre vous conseille de vous rabattre vers les mâles (non castrés) qui ont un sens du territoire plus aigu que les femelles. Les matous sont plus enclins à rapidement sortir les griffes, surtout si vous leur avez préalablement présenté une chatte en pleine chaleur. Affamez les une ou deux journées, montrez leur quelques belles croupes, faites péter un peu de musique happy-hardcore (pas de Mylène Farmer surtout, ils vont penser que c’est leur maman qui les réclame), Arnold et son copain ne se laisseront pas prier pour en venir aux mains.
2. Le lieu
Un chat qui se plaint, ça fait du bruit. Deux qui s’en foutent plein la gueule, on dirait dix bébés qu’on égorge avant de les mettre dans le frigo. Aussi votre premier réflexe sera de s’installer soit dans un endroit sans habitation à douze kilomètres à la ronde, soit dans une pièce particulièrement insonorisée. La cave enfouie à six mètres sous terre a ma préférence, tant pour la discrétion que pour le marketing : les clients auront l’impression d’entrer dans un club privé du temps des glorieuses heures de la prohibition.
Second souci, à quoi ressemblera le ring ? Après moultes tentatives en Asie du Sud-Est, la solution la plus élégante est la suivante : une cage circulaire de cinq mètres de diamètres, avec des barreaux (150 centimètres de hauteur au moins) séparés par à peine cinq centimètres et légèrement repliés vers le centre. Le sol (en terre battue ou autre matériaux qui ne fait pas de bruit) sera légèrement incurvé vers le centre.
Le but est d’éviter qu’un des participants ne reste trop dans les côtés et soit encouragé à aller vers le centre du ring. Les chats n’aimant pas la contrainte, les bords ne doivent pas être accueillants. Vous les rendrez inhospitaliers grâce aux barreaux repliés vers le ring (impression de recouvrement), voire en installant un mince filet de flotte sur ceux-ci à l’aide d’une pompe à eau. Arnold et Sylvester ne peuvent se reposer, voilà l’objectif.
3. Les règles d’engagement
Faites un peu comme vous voulez. Cependant, et afin d’éviter toute surenchère d’exploits digne du Tour de France, soyez simple et intransigeant. Voilà quelques pistes.
Aucune drogue : on commence par donner quelques croquettes vitaminées à Sylvester pour qu’il carbure sévère, deux jours après Arnold se pointe excité comme une puce grâce à la coke saupoudrée sur son herbe à chats. A ce stade, au bout d’une semaine les concurrents se pointeront gavés de méthamphétamines avec d’inquiétants tics au pourtour des yeux.
Transformer un innocent combat de félins en lutte de laboratoires clandestins serait dommage, aussi faites pisser les minous dans un bocal pour éliminer les tricheurs. Pour déterminer qui a pris des substances stéroïdes, goûtez leur urine : celle qui a un arrière-goût de noisette doit vous alerter sur la santé du félin.
De même, les poisons sont généralement prohibés. Avant chaque round, j’avais pour habitude d’analyser Arnold et Sylvester pour savoir s’ils n’étaient pas surdopés par leurs maîtres. J’en profitais pour nettoyer, avec un chiffon légèrement imbibé, leurs griffes. Au cas où.
Enfin, beaucoup croient bon équilibrer deux catégories en mettant en place un handicap chez la race la plus forte. Déjà qu’organiser des batailles entre félins est plutôt mal vu, si en plus vous attachez une patte d’un des protagonistes ou lui donnez des anxiolytiques pour pimenter la rencontre, on touche le fond. Laissez faire la nature, au pire mettez en place un « deux contre un », néanmoins je ne vois guère comment il est possible de former les équipes et faire en sorte que les belligérants en tiennent compte.
Quant à déterminer quand le combat doit prendre fin, cela mérite un dernier chapitre :
4. La détermination du vainqueur
C’est à ce moment que Le Tigre démontre qu’il reste un grand amoureux des félins. Se taper sur la gueule pour amuser le spectateur certes, mais la conclusion ne saurait se résoudre par le décès d’un des querelleurs.
Il est des signes assez triviaux (pour un éthologue comme Le Tigre) signalant que la lutte est arrivée à son terme. Voilà quelques KO techniques à connaître lorsque Schwarzene…euh Arnold a perdu :
La soumission. Sylvester s’est imposé comme mâle alpha, aussi son adversaire accepte cette domination. Arnold peut pour cela se coucher, montrer son cul ou éviter toute posture d’affrontement. Plus de gros dos, il est même possible qu’il décide de tourner en rond autour du ring comme un poulet décapité pour éviter tout coup de griffe.
Autre position signalant un gagnant, c’est lorsque Stallo…euh Sylvester morde le cou de son adversaire pendant plus de cinq secondes. Non seulement cela signifie que le chat mordu fait montre d’allégeance, en outre il est inutile de risquer une coupure au niveau de la carotide. Si les minous ne se tapent plus pendant plus de quatre minutes, considérez que c’est terminé.
Conclusion du félin guerrier
Ces quelques règles peuvent vous paraître contraignantes, gardez cependant à l’esprit que dans mon cas j’étais obligé d’offrir des combats parfaits : après quelques jours, il est apparu que mes spectateurs étaient issus de la mafia locale. J’ai donc mise en place des procédures impitoyables, autant par respect des félidés que parce que je chiais dans mon froc de me voir accuser de partialité.
Vos mottos seront donc peu ou prou : faire primer le spectacle sur la vue du sang (surtout que les félins saignent moins) ; et préférer la beauté du geste à un lambeau de peau. Si les combats de chiens sont du MMA, ceux des chats doivent être du catch. Voire du sumo (quand on voit ce que Sylvester et Arnold sont devenus aujourd’hui).
D’ici là, soyez gentils avec mes petits cousins.
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