VO : The Scatter Here Is Too Great. Voici Karachi, capitale économique du Pakistan, comme vous ne l’avez jamais lue. Différentes histoires qui s’entrecroisent avec leurs tragédies, les protagonistes sont éclectiques. Hélas, douze fois hélas, la seconde partie du roman ne m’a pas apporté le plaisir que j’attendais, la multiplicité des narrateurs n’aidant pas.
Il était une fois…
Au début des années 2000, un attentat a eu lieu en plein milieu de Karachi, pas loin de la station Cannt, une des plus fréquentée. C’est autour de cet évènement que Bilal Tanweer va faire intervenir ses personnages, qui tous auront à souffrir de l’explosion. D’un drôle de poète à un gosse qui repense à ses écoles buissonnières, en passant par un récupérateur de voitures dont le leasing n’est pas payé, tous vont raconter leurs visions de Karachi.
Critique de Le monde n’a pas de fin
Vraiment pas évident de s’occuper d’un tel ouvrage. Disons que Le Tigre a eu un léger souci : le début de l’œuvre m’a enchanté, il y avait quelque chose de largement envoûtant et exotique, toutefois un certain déclic ne s’est pas produit. Bref, Le monde n’a pas de fin m’a laissé comme deux ronds de flanc, sans savoir de quoi penser d’un titre qui m’a paru inachevé.
Bilal Tanweer, dont le style n’est pas dénué de qualité (et la traduction d’Emmanuelle et Phil’ Aronso est plus que correcte), a subdivisé ses 200 petites pages en cinq grands chapitres. L’ancien communiste et poète Sukhanza vu par deux narrateurs de différents âges, un voyou qui tombe amoureux d’une jeune fille, la famille de cette dernière personne qui surprend le flirt, le jeune Sadeq, en fait tous ont des liens plus ou moins ténus entre eux et avec la bombe qui surgit en pleine journée. Rues bondées, calme sur la plage (après un long trajet en bus), magiciens ou usines de textile, le tableau est bien vaste.
En outre, il est un personnage récurrent qui paraît renvoyer à Tanweer, à savoir le fameux « écrivain dans la ville ». Individu témoin de l’évolution d’une mégalopole, l’écrivain paraît se détacher de l’intrigue somme toute violente pour digresser sur ses rapports au père, ou encore ce que peut signifier réussir dans une telle ville. Cependant, mis à part ce gus, l’ouvrage est trop court pour avoir le temps de s’approprier les autres protagonistes, et j’avoue ne pas avoir eu la patience pour suivre les fils narratifs – qui, parfois, partent dans tous les sens.
En guise de conclusion, Le Tigre a eu un mal de chien à raccrocher les wagons tandis que ce texte, empreint de poésie, livre la vision peu joyeuse d’une ville écorchée : attentats (descriptions assez brutales), islamisation des esprits (la perte d’honneur pour des peccadilles), corruption à tous les étages,…et pourtant l’auteur pakistanais semble garder un certain optimisme, un peu comme vis-à-vis d’une petite amie dont on sait la beauté intérieure.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le titre, en anglais, peut se traduire (librement, c’est-à-dire par mes soins) par « La dispersion ici est trop grande ». La dispersion, c’est un peu la marotte de l’auteur qui utilise un vocabulaire filé autour de la fragmentation d’une vitre lorsqu’une balle l’atteint : l’impact, centrale au début, se disperse en plusieurs fragments qui perdent rapidement en linéarité. Certains se rejoignent, d’autres tracent une ligne esseulée et chaotique, tout ceci à l’image des vies et destins dispersés par un terrible acte de malveillance. Considérant cela, Tanweer se sert de cet attentat pour honorer les vies traumatisées et faire acte de mémoire – au surplus, dire que la dispersion est trop importante est la reconnaissance que d’autres scénarios personnels sont encore à conter.
Quant à la traduction française de ce titre, celle-ci renvoie à la légende de Gog et Magog, vieux démons venus pour annoncer la fin du monde. En effet, après l’explosion, deux êtres mystérieux auraient été vus se baladant tranquillou au milieu des décombres. En outre, le frère d’un des héros, ambulancier, sort profondément meurtri de l’attentat et répète que le monde est fini. Mais, peu importe les exactions de certains (ou, inversement, les conséquences désastreuses imaginées par d’autres, notamment le déshonneur exagéré d’une fille), la vie continue.
La version du Tigre consiste plutôt à rappeler que le terrorisme est une nouvelle forme de guerre et que l’Histoire (avec un grand H) est loin d’être finie, comme l’annonçait avec allégresse ce couillon de Francis Fukuyama. Ainsi, l’explosion ne serait que la confirmation que le monde continuera à connaître les soubresauts de la violence organisée, et qu’il n’a pas de fin – oui, je sodomise les drosophiles à mes heures perdues.
…à rapprocher de :
– J’ai eu le même problème avec Les Immortels, d’Amit Chaudhuri. C’est donc ça : le félin est insensible à la littérature indo-pakistanaise. Terrifiant.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Amit Chaudhuri – Les Immortels | Quand Le Tigre Lit