Bande dessinée tirée d’un roman de Jean-Patrick Manchette en personne, Fatale présente les mêmes tares que son homologue originel. Une femme vient chambouler la vie pépère d’une communauté très fermée, sauf qu’on ne sait pas ce qu’elle veut ni d’où elle vient. Néanmoins, les illustrations apportent un indéniable plus à tout ceci.
Il était une fois…
Aimée (de son prénom, car elle semble avoir plus d’un nom dans son sac), est une tueuse talentueuse et à la beauté fatale – lieu commun doublé d’un vilain jeu de mots, c’est fait. Débarquant dans une ville qui a ses petits secrets, Aimée va faire son petit ménage parmi l’engeance bourgeoise des lieux.
Critique de Fatale
Cette BD m’a été offert quelques années après avoir lu le roman Fatale, et très honnêtement j’ai eu la flemme immense de parcourir, à nouveau, un ouvrage dont la fin m’avait terriblement déçu. Chose étonnante, j’ai moins ressenti cette frustration finale avec la version graphique.
Le scénario présente une montée en puissance assez agréable, avec au début la présentation d’une femme coquine qui n’hésite pas à se faire plaisir, dans son wagon-lit, avec des liasses de billets et sa bouteille de champagne. On ne sait ni d’où elle vient ni ce qu’elle va bien pouvoir faire à Bléville, toutefois elle s’intègre assez vite dans une communauté qui a pas mal de caca à foutre sous le tapis – tapis que l’héroïne cherche à soulever plus d’une fois.
Il s’ensuit quelques manœuvres de la part d’Aimée pour faire raquer un maximum de personnes, avec un final qui apporte peu de réponses et laisse la ville en chantier. A part Cabanes, il convient de signaler le bon Doug Headline au dessin. Et ces deux messieurs ont fait de petites merveilles, l’ambiance froide et parfois intimidante (l’architecture glorieuse tranche sur les petits comportements des protagonistes) apporte une touche définitivement dramatique, sans compter les personnages dont les péchés se lisent presque sur les visages. Et je ne parle pas de la disposition des cases, en apparence aléatoire mais équilibrée, sinon harmonieuse.
Dans l’ensemble, cette BD ne m’a point semblé trahir le génie de Manchette. Mieux : celle-ci a réussi à émousser les menus défauts d’un roman sans doute terne et qui se termine en eau de boudin. Comme quoi (Zeus sait si je n’aime pas cette expression) l’art graphique peut énormément – en bien, et en pire évidemment.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La bourgeoisie de province qui sent le chien mouillé prend cher dans cette bande dessinée : l’héroïne arrive dans une petite ville morne avec son commerce autrefois florissant et ses élites attachées à leurs privilèges. En outre, tous les notables du coin (qui sont d’une bêtise crasse en plus d’être pourris) se connaissent, traînent uniquement entre eux (pour les bridges, les cocktails, etc.) et mènent leurs petites affaires loin de la plèbe qui subit leurs égarements – sombre question de bouffe contaminée. Aussi lorsqu’une jeune riche veuve se présente, il ne lui faut pas bien longtemps pour pénétrer cet incestueux microcosme.
La corruption, et à toutes les sauces. L’élite, forcément, s’octroie de scandaleux cadeaux ici et là. Toutefois j’ai trouvé que les ficelles tirées dans ce roman graphique, certes bien tressées par un dessin agréable, étaient parfois invraisemblables : disons que les comportements des protagonistes, entre adhésion aux plans d’Aimée et résignation, servent trop la volonté d’une héroïne qui ne fait guère l’objet de suspicion – pourtant, il y aurait de quoi.
Presque naturellement, lorsque tout menace de s’effondrer, chaque protagoniste tente de sauver son cul. Et si abandonner ou trahir les siens (même son conjoint) permet de s’en sortir, cette longue BD montre que la nature humaine est, au fond, désolante. Le seul gus à peu près normal, le comte, réussit à passer pour un doux dingue au milieu de la morgue des « grands » de Bléville. Et quand un élément extérieur arrive en catalysant ce qu’il y a de pire chez les habitants, alors le « chacun pour soi » est plus que jamais de mise.
…à rapprocher de :
– Je ne saurais trop vous conseiller de regarder du côté du roman éponyme (en lien). Ne vous inquiétez donc pas de la proximité du présent billet avec l’autre. De Manchette, La Princesse du sang a également été portée en BD. A lire sans doute (même punition, même illustrateur).
– Sinon, juste sur le titre, une autre « Fatale » (tome 1) existe en littérature dessinée. Ça passe.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.
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Doug Headline au dessin? Vu sa parenté (Google ou trad de « headline »), il eût été dommage que le roman fut trahi !
Pas mon préféré toutefois.
Merci ô fier félin pour tes chroniques (ça faisait longtemps que je ne t’avais fait signe…)
K
Ravi d’avoir de tes nouvelles. Ce roman graphique est loin d’être une bombe, néanmoins avec le mauvais souvenir que j’avais gardé du roman j’ai été agréablement surpris.
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