Quatrième opus du très félin détective, bienvenue à la Nouvelle Orléans peuplée de musiciens maudits. Intrigue supplémentaire délicieuse dans une histoire assez touchante, sans doute le Blacksad le plus abouti qui ait été publié. Drogues, médicalisation foireuse, le tout servi par des illustrations qui feront travailler l’imagination.
Il était une fois…
John Blacksad est dans le sud des States, dans l’onirique ville de la New Orleans. Engagé par le boss mourant d’une maison de disques de blues, le héros doit retrouver Sebastian « Little Hand » (parce qu’une de ses mains est minuscule) Fletcher (rapport avec les Depeche Mode ?), un musicien émérite qui n’est pas sans rappeler Ray Charles (pas aveugle mais addict à l’héroïne). Or si ce pianiste (et compositeur) de génie s’est lancé la tête la première dans les paradis, c’est qu’il cache un terrible secret.
Critique de Blacksad : L’Enfer, le silence
Canales (auteur certes espagnol, mais publication originale en français) a de la suite dans les idées, et à parler de mythes américains il faut avouer qu’il a (une fois n’étant pas coutume) fait mouche. Aborder ainsi la Louisiane, entre musiciens héroïnomanes, maisons de disques de blues, vaudou et charlatanisme médical, il ne fallait pas faire dans le n’importe quoi (comme Âme rouge dans une certaine mesure).
L’histoire est infiniment triste, puisque Blacksad tente de trouver un musicien qui se cache pour d’excellentes raisons. Le pauvre chien est un poil instable sur les bords (c’est loin d’être le seul, d’ailleurs un a œuvré lors de la WWII) et néglige (je reste gentil) sa femme enceinte jusqu’aux yeux. Quant au commanditaire du héros, Mister Lachapelle (et son fiston), on sent l’individu sur le fil du rasoir qui jette ses dernières forces dans une quête qu’il ne semble plus maîtriser.
Sur les dessins, Le Tigre a cru noter quelques améliorations (ou inititiatives) fort louables : déjà, l’association animal/caractère marche tout aussi bien, notamment « Little hand » en chien attachant un peu torturé. Mais surtout le sieur Guarnido nous agrémente de planches saisissantes sur la ville, par exemple les défilés qui sont de toute beauté. Ou l’ambiance ésotérique d’une guenon qui soigne un des protagonistes. Une planche, enfin, est un tableau pleinement réussi, sorte de cauchemar animalier halluciné qui ne pourra laisser le lecteur indifférent.
Un titre dont on ne peut se passer, et qui fera le bonheur de tous. Dernier point : l’illustration qui fait office de couverture ne rend que très peu compte du titre, à part un éventuel clin d’oeil au désastre de Katrina ou au mystérieux sauveur de Blacksad sur le milieu du scénario. Heureusement, le titre reste finement trouvé, la référence à Sartre adaptée pour le monde musical où le silence (au lieu des autres) de la solitude peut rendre une existence infernale.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le jazz et les drogues. Dures de préférence. Fletcher, ainsi que quelques uns de ses anciens camarades musicaux, est un pro de la piquouse dans le bras. L’auteur rendu le personnage assez typique d’un drogué : sujet à des absences (il lui arrive de bugger plus d’une fois), peu fiable pour se produire correctement sur scène, caractériel et extrêmement mince. Quel gâchis pour un si talentueux artiste. Pourquoi une telle autodestruction ?
[Thème SPOIL attention] Il apparaît que nos protagonistes ont un lourd passé qu’ils partagent. De manière surprenante, le thème des maladies inoculées par des charlatans qui disent soigner toute sorte d’afflictions fait une entrée tardive dans le roman. Lachapelle, en effet, était un de ces anciens escrocs qui, par son produit, a fait de tout un village une « foire aux monstres ». Choquant, en sus certains de ces habitants sont des musiciens de son label. La question de la haine et la possibilité de la vengeance prennent une signification alors particulière. [Fin SPOIL]
…à rapprocher de :
– Commencer par le premier tome paraît bienvenu pour savoir de qui on parle (Quelque part entre les ombres), le second est plus que correct (Artic-Nation), et le troisième se défend même si l’ai moins aimé (Âme rouge). Le cinquième, une déception (Amarillo).
– Sur l’utilisation des drogues dures par les artistes, il y a l’édifiant essai de Shapiro intitulé Waiting for the man, aux éditions Camion Blanc.
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