Sous-titre : La pub nous rend con. De 1960 à 1985, le journal Hara Kiri détournait les célèbres publicités qui décérébraient le bon citoyen. Et chaque marque prend son gros coup sur le museau. Bol d’air salutaire et hilarant à souhait, attention tout de même : l’humour y est parfois gras, souvent vilain, mais fait toujours mouche.
De quoi parle La publicité nous prend pour des cons, et comment ?
Si vous connaissez le journal Hara Kiri, vous savez qu’il a disparu à la suite d’un excellent (quoique malvenu) jeu de mots sur le décès du Général – y’en a qu’un avec la majuscule. Puis ça a réapparu sous le nom de Charlie Hebdo, et l’esprit était le même : taper sur tout ce qui est de sacré. Et parce que les publicités, déesses des médias, se prenaient (se prennent) souvent au sérieux, ça appelait une sévère profanation de la part de Cavanna et ses potes.
Partant du constat qu’une marque est sacralisée et mieux protégée qu’un film ou un livre vis-à-vis desquels toute critique est possible, l’hebdomadaire s’est particulièrement lâché : du début des années 60 au milieu des eigthies, ce sont donc des dizaines de détournements, fausses affiches et autres marques d’irrespect qui ont été publiées. Toutes faites sans aide numérique, plutôt à base de paire de ciseaux, de collage (voire de grossiers dessins) et avec un texte impertinent et drôle. A regarder encore et encore, ça aère correctement l’esprit.
Le félin ignorait que le journal a tenté, une fois, de s’ouvrir à la publicité. Une catastrophe dont eux seuls sont capables : les Frères Renoma, confectionneurs dans Paris, leur avaient commandé une réclame. Le résultat ? Une fresque avec Hitler qui vante la maison de confection en pleine marche dans Berlin. Le lendemain, une émeute éclate rue des Rosiers, le bordel est total : les propriétaires sont juifs et le paternel Renoma n’a pas goûté la référence. Moralité : on peut rire de tout, mais pas la publicité.
Il faut savoir que, outre ces fausses publicités qui ne respectent pas grand chose, Cavanna livre sa vision de l’institution publicitaire. Si le gros de sa pétillante pensée constitue la partie suivante, Le Tigre rappellera toutefois l’amour que l’auteur peut porter à la pub en général :
Ce harcèlement, ce martelage, cette persécution, cette obsession, ce décervelage, ce viol, ce sirop, cette goujaterie, cette vomissure, ces sourires répugnants de vénalité, ces « idées » laborieusement mises au point par des spécialistes de la psychologie profonde du connard tout-venant, cette bonhomie hypocrite, cette monstruosité rongeuse de vie […].
Ce que Le Tigre a retenu
Au-delà de l’humour bête et méchant, Cavanna a quelques idées bien arrêtées :
Déjà, notre ami ne semble pas bien comprendre que la pub fait vendre. Alors que les produits se valent tous (par leur médiocrité), l’objectif d’informer le public s’est corrompu vers quelque chose de sournois faisant appel aux réflexes primaires. C’est le seul moyen de se démarquer et concurrencer les autres entreprises. Si la publicité existe, c’est parce que celle-ci a fait ses preuves, c’est à dire que nous ne sommes que des putains de veaux sensibles aux messages des gros sponsors.
Ensuite, il est marrant de lire les critiques qui portent sur des aspects encore d’actualité, par exemple la qualité passablement merdique des produits ou l’obsolescence programmée doublée de l’absence de pièces détachées. Encore plus fun, Cavanna déplore l’absence de concurrence directe entre produits. L’emphase et l’exagération ne porte ainsi que sur ses propres bouses qu’on veut revendre. Face à l’impossibilité de dénigrer directement ses concurrents, l’auteur se lâche et imagine ce que pourraient être des réclames comparant tel ou tel produit entre eux – serviettes hygiéniques, etc.
Enfin, Cavanna tire à boulets rougeoyants contre ce qu’il appelle l’âge de l’Emballage…euh du conditionnement – encore un thème actuel. Certes il faut que le paquet de céréales se fasse remarquer dans le supermarché, alors on magnifie l’objet comme pour montrer qu’on ne se fout pas de la gueule du client, mais ça revient bien plus cher pour ce dernier couillon. Sans compter le nombre de forêts abattues et les détritus qui s’accumulent. La pub, c’est aussi le mal moderne qui symbolise notre civilisation : une mer de papiers gras.
Chose étonnante, la place de la femme a un traitement particulier. Car c’est le jouisseur qui parle et évoque son contentement face à ces belles pépées sur les affiches. Elles sont payées pour être belles ? Même chose qu’au Lido. Mais de là à faire vendre une bagnole ? Comment se peut-ce ? Car à l’inverse, la libido femelle ne s’excite guère face à un corps masculin offert et ne semble point désireuse de sortir son porte-monnaie pour l’occasion – signe que les femmes sont moins connes que nous ?
…à rapprocher de :
– La nouvelle Publicité, de John Updike, présente l’archétype de la publicité parfaite telle qu’on la voit/lit dans les médias.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce truc en ligne ici.