Écrit par quelqu’un qui était de la maison, la fiction ne s’est jamais autant appuyée sur la réalité. Le résultat est un roman sur le monde interlope et incestueux de la politique (avec un très petit « p ») comme on le lit rarement : affairisme, petits arrangements entre amis, élite nécrosée, presque Le Tigre a été révolté en refermant la chose.
Il était une fois…
Geoffrey est une sorte de lobbyiste, disons qu’il travaille surtout dans le renseignement économique. Par de tortueux moyens il parvient à « recruter », sans qu’elle ne le sache, une jeune mannequin d’ascendance autrichienne (Liza). Pendant ce temps, Vassili écume l’Europe pour remplir ses contrats de tueur à gages et Pierre-Yves s’installe à son nouveau poste de « correspondant » (espion) à Vienne. Dès que la belle Liza se met à sortir avec le Président de la République qui n’est pas sans rappeler un certain Nicolas S., nos « héros » (en plus de quelques banques) vont être sur le pied de guerre.
Critique d’On les croise parfois
D’habitude, Tigre ne bouffe pas d’auteurs auto publiés. Suis trop attaché au format papier et il y a une armée de tels écrivains qui frappent à la porte de ma tanière (au moins). Toutefois, en rencontrant (par hasard) cet auteur, rien que son parcours m’a décidé à faire une exception. Un ancien militaire, diplomate qui a démissionné après avoir été « lassé » (c’est en postface) des mesquineries des hommes de l’ombre, le sujet s’annonçait intéressant.
Et ça l’est drôlement, la maîtrise de l’auteur est totale, peut-être à part certains passages du tueur à gages où on sent l’auteur moins prolixe, et encore. Les actes des protagonistes ne sont guère reluisants, chacun cherchant à protéger son derche face à des missions en apparence impossibles. Avec un dénouement déplorable d’amoralité, Tigre a été plus que satisfait. En sus, quelques anecdotes feront de vous le compagnon idéal des chics dîners en ville. Par exemple, les espions / ambassadeurs prennent toujours le deuxième plat le plus cher du menu lorsqu’ils graillent ensemble. Délicieux.
Le risque aurait été que M. Citharel écrive comme ses anciens collègues (il donne d’édifiants exemples de rapports de services). Mais le style est relativement fluide, si on ne tient pas compte des explications barbouzardes (process de rémunération, commissions et doubles rétrocommissions,…) au cours desquelles j’ai été plus d’une fois correctement largué. Pour conclure, avec sept chapitres bien dodus (avec des séparations dès qu’on change de personne), voilà un bon roman qui aurait mérité un autre titre. Certes on croise (en l’ignorant) de tels individus, mais c’est mal rendre compte de la richesse du bouquin.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
En fait les individus de l’ombre croisés n’ont de noblesse que celle que certains films véhiculent. Outre leurs dents qui rayent le parquet, nos anti héros ont d’énormes oursins dans les poches. Attachés d’ambassade, flics en filature, chacun ne pense qu’à déduire de ses notes de frais tel ou tel restaurant. Les maître mots sont « justification » et « frais de représentation », seulement on ne met pas longtemps à comprendre leurs basses combines. Notamment avoir des sources fantaisistes, hélas au bout du compte c’est le contribuable qui trinque.
Ce qui m’a frappé, même si je le subodorais, est l’attitude des médias qui sont littéralement aux ordres du pouvoir. Il suffit que le directeur de com’ de l’Élysée soit indisponible, et plus rien ne sort sur le Président ! L’unique déclencheur pour que les rédacteurs se sortent les doigts du cul, c’est quand les infos sont diffusées dans les journaux étrangers ou sur le net. Triste. Cedric a également choqué Le Tigre en insinuant que « Le journal de Liza O. » d’un célèbre hebdo est préalablement relu par les services présidentiels. Ce qui signifie que « Le journal de Carla B. » & Co du Canard enchaîné ont subi le même sort ? Un mythe s’effondre brutalement.
Plus généralement, ce sont les liens incestueux entre les différents pouvoirs que l’écrivain souligne. Tigre a l’impression qu’il n’y a qu’en France que tout est si allègrement mélangé : politiques qui carburent aux amphèt’ (d’où un certain malaise vagal…), barbouzes, artistes, hommes d’affaires (vive les délits d’initiés), tous ceux qui pèsent dans l’Hexagone se connaissent bien. Souvent issus des mêmes écoles (Geoffroy passe par les camarades de promo pour atteindre ses futurs clients), ils vont se pinter la gueule aux mêmes soirées et se renvoient tellement de fois l’ascenseur qu’on pourrait faire deux allers-retours vers la lune avec. De quoi gerber (et je reste poli).
…à rapprocher de :
– Sur les petites mesquineries et l’aspect « artisanal » de la gestion de l’Etat, Tigre peut vous renvoyer vers les hilarantes BD des Chroniques du Quai d’Orsay, de Blain et Lanzac (tome 1 et tome 2 sur QLTL).
– En nettement moins drôle, il y a Propagande noire, de Fenec et Malafaye. Comme avec On les croise parfois, l’auteur était dans la boutique avant d’écrire son roman.
– Du coup, peu de choses sur le « service opérationnel » de la DGSE, et là je peux vous renvoyer vers Un agent sort de l’ombre. On retrouve bien les liens services secrets / monde des affaires.
Enfin, puisque l’éditeur qui avait publié ce roman en format papier a fait faillite, vous pouvez trouver ce roman (format numérique) via Amazon ici.
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