VO : Singularity Sky. Au sein d’une humanité éparpillée dans toute la galaxie, une curieuse organisation surpuissante se balade en vue de chercher du divertissement. Mais quand celle-ci débarque chez des ploucs… Ouvrage plutôt rigolard mais doté de précieux enseignements, la lecture est plaisante malgré quelques lourdeurs répétitives.
Il était une fois…
La planète Orchard, au fin fond de la galaxie, appartient à la Nouvelle République. Cette dernière est un empire centralisé et relativement arriéré qui fonctionne à coup de bâtons dans le derrière de ces administrés. Aussi, quand le Festival, société galactique itinérante, débarque dans la zone, la Nouvelle République ne comprend rien à ce qui se passe. Et pense à une déclaration de guerre. Et envoie ses vaisseaux pour vaincre l’ennemi, quitte à violer la causalité espace/temps pour mettre les chances de son côté. Hélas, une autre entité, l’Eschaton, n’aime pas ce genre de comportement – en représailles, cette partie de la galaxie risque d’être rayée de la carte.
Critique de Crépuscule d’acier
Ah la belle surprise ! L’univers imaginé par l’auteur britannique est haut en couleurs et parle d’une idée plus qu’intéressante et qui n’est que progressivement révélée. Pour faire simple, au cours du XXIIème siècle quelque chose de fabuleux est survenu sur une Terre en pleine singularité : neuf dixièmes de la population a disparu et s’est retrouvée sur des centaines de planètes habitables un peu partout. Le responsable de ce (dé)peuplement massif ? Quelque chose qui se fait appeler l’Eschaton, qui en a profité pour livrer un message, qui est : 1/ Je ne suis pas un dieu, mais votre descendant 2/ Pas de violation de la causalité dans mon cône de lumière [dans ses parages directs], sinon…
C’est tout ce « sinon » qui donne des sueurs froides aux protagonistes. Notamment l’émissaire/agent spécial de l’ONU, Rachel, qui a déjà vu des systèmes solaires entiers disparaître parce qu’un malotru a décidé de niquer la causalité – à savoir remonter le temps à l’aide de vaisseaux supraluminiques. Et c’est ce qu’a en tête la Nouvelle République dont la flotte spatiale, par un tour de passe-passe, arrivera à Orchard quelques heures après la venue du Festival. Vous suivez ? Au sein du vaisseau-mère de cette flotte, il y a Martin Springfield (héros du roman), ingénieur terrien destiné à mettre à jour les logiciels des moteurs. Martin est un employé normal (en apparence) qui a du mal à se faire au système totalitaire de la République, entre paranoïa débile et fossé culturel – ses habitants, de descendance slaves et portés sur l’idéologie centralisatrice, aiment les procédures, les grosses armes et restent réfractaires au progrès, qu’il soit sociétal ou technologique.
Pendant ce temps, un troisième protagoniste assiste aux dégâts provoqués par le Festival. Burya Rubenstein, dissident assigné à résidence, est le spectateur privilégié de la situation singulière d’une planète qui, en quelques jours, fait un bon technologique de plus de 200 ans. Quelques téléphones descendent du ciel, promettant tout ce qu’il veut à l’interlocuteur capable de raconter une histoire. Je vous laisse imaginer ce que le paysan sous le joug d’un État totalitaire peut avoir comme genre de vœux – des armes, la richesse, des gadgets, des jouets, rien de plus. Le gouvernement, à la ramasse, réagit en fourbissant ses ridicules armes.
Ces présentations faites, tout s’accélère lorsque Rachel obtient une accréditation en tant qu’inspectrice de l’ONU (pour la forme) et intensifie ses contacts avec Martin. Une idylle naîtra même entre ces deux Terriens horripilés par la bêtise de la Nouvelle République (et de ses commissaires politiques), notamment personnifiée par l’amiral de la flotte qui a plus sa place dans un cimetière que dans une salle d’opérations : le mec a des siècles de retard et s’imagine botter le cul d’autochtones mal dégrossis – la déconvenue sera totale. Et c’est sacrément marrant à lire, y’a de la finesse toute anglaise avec un soupçon de grivoiserie grâce à la liberté de ton de certains.
Bref, c’est un roman touffu et décoiffant que nous pond Charlie Stross. Long aussi, et vous risquez d’avoir un peu de mal à venir à bout d’un chapitre, et ce d’autant plus lorsque l’humour, plutôt présent, laisse place à un verbiage techno-ésotérique des plus abscons – à mon sens, ce n’est pas de la hard science à part quelques gadgets dont les explications restent claires. En particulier les discours lénifiants des représentants de la Nouvelle République ou les rendus des phases de combat, comme si C. Stross voulait insister sur la futilité d’un entraînement rigoureux lorsque l’ennemi est tout simplement hors de portée – au surplus, le Festival, amas de consciences post-humanistes, ignore qu’il est considéré comme tel. Un exemple de ce type de discours ? Ici :
Armement, je veux six SEM-20 dans les tubes de lancement […] Des ogives réglées pour une spallation directionnelle, sur un angle de deux-zéro degrés […] Pilote, relativité : au contact plus cinq secondes – donc cinq secondes après notre impact sur la cible, déclenchez le micro-saut.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le titre anglais parle de singularité qui descend du ciel. La singularité, c’est grosso merdo le moment où le progrès technologique, exponentiel, échappe à l’Humanité – qui n’est plus à l’origine de cette évolution. Normalement, un tel évènement, certes inattendu et aux conséquences hasardeuses, survient au sein d’une civilisation qui gère plus ou moins bien la chose. Mais, pour la planète Orchard, il est question d’un saut « quantique » (machines autorépliquantes, I.A. sur-développée) provoqué par un élément externe. Le décalage entre ce qu’offre le Festival (la plénitude matérielle) et l’intelligence collective d’une société verrouillée est saisissant. Cette impression est renforcée par le rôle des Critiques, êtres post-humains/numériques qui se chargent d’étudier la situation et demeurent profondément pantois face à l’anarchie hallucinante qui s’installe.
D’une certaine manière, ce roman traite de la fin du monde. Celle d’une planète dont l’organisation étatique puis sociale vole en éclat, ne laissant aucun ordre nouveau qui puisse être appréhendé par la populace. Et la « vrai » fin d’une partie de l’univers si l’Eschaton se décide à punir ceux qui violent ses lois – Eschaton, eschatologie, ça vous dit quelque chose ?
Il apparaît enfin que la problématique de l’œuvre est, en toute simplicité, la liberté. L’inquiétant Festival a un rôle fonctionnel sans volonté propre (entendez : il n’est pas méchant) et qui consiste à désenclaver les régions où l’information ne circule pas. La zone où sévit la Nouvelle République (ni nouvelle, encore moins une république) est le lieu tout indiqué pour dépoussiérer le savoir et mettre ses habitants à jour. Et rien ne peut arrêter un tel flux d’informations libres, surtout pas un État fort qui est d’un anachronisme choquant – la notion même de gouvernement étant hors de propos. Protéger sa population en l’empêchant d’avoir accès à certaines techniques (genre une arme nucléaire) ? Argument ici balayé avec brio.
Malgré son titre français peu avenant, Crépuscule d’acier est d’un rare optimisme.
…à rapprocher de :
– Comme vous avez pu le deviner, ce roman fourmille de nombreuses idées qui mériteraient d’être davantage développées. Ça a l’air d’être le cas dans Aube d’acier, suite directe du présent titre.
– Il y a du Vernor Vinge dans ce roman, quelque chose me dit que je devrais relire quelques uns de ses romans de SF.
– Le Festival représente une civilisation de l’abondance qui produit automatiquement sur demande. On est assez proche du principe de la Culture des romans de Iain M. Banks, par exemple : Excession, L’homme des jeux, Une forme de guerre, L’usage des armes, La Sonate Hydrogène, etc.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Est-ce scatologique ?
« Salutations et joyeuse défécation ! » (dixit un E.T. qui irruptionne chez un rebelle en plein « travail »)
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