A la suite de divers stimuli auditifs (feux d’artifices, intégrale de France Gall, finale de coupe du monde d’un quelconque sport), il n’est pas impossible de trouver son animal de compagnie, le lendemain, prostré comme s’il revenait de la troisième guerre mondiale. Oui, votre chien/chat a cru qu’il allait mourir, et revenir d’entre les vivants n’est pas chose aisée. Comment éviter cette tragique issue ?
L’élément déclencheur : son et lumières
Le week-end prolongé du 15 aout est pour le glorieux félin l’occasion de s’adonner à une de ses activités préférées : débarquer à l’improviste chez un ami (ce terme perdant de sa signification à mesure de ma présence) en vue de vérifier la date de péremption de ses vins et autres spiritueux n’est pas sur le point d’être dangereusement dépassée. Depuis des années que je procède de la sorte, je ne vous mentirai pas en vous annonçant qu’on me surnomme désormais E4, c’est-à-dire « l’Éternel Empereur des entonnoirs d’Europe ».
J’étais donc allé sévir dans la région champenoise (tant qu’à bien faire) pour dispenser mon savoir dont la descente est proverbiale. Visite de quelques connaissances qui normalement guettent ma venue comme une poignée de Chrétiens craignent l’arrivée du troisième cavalier de l’apocalypse (le noir, vous savez, celui qui est censé protéger le vin ?). Bref, je n’avais point démérité. J’avais mis en place un audit rigoureux des stocks alcooliques de mes hôtes, lesquels, comme par un fait exprès, nécessitaient une irrésistible vidange dans mon gosier dont l’extensibilité n’a d’égal que le trou de la sécu du Royaume de France.
Merde, je m’égare encore. Suis censé parler de mon chat.
En effet : tandis que j’éructais mes conseils tout en me la collant dans les grandes largeurs, j’avais laissé Bryan seul chez moi. Bryan, c’est le nom attribué à mon chat dans le cadre du présent billet. Sachez qu’on peut laisser un félin seul quelques jours sans craindre le pire, le tout est de laisser de la nourriture cachée un peu partout (j’en parle ici). Quant à l’eau, laissez simplement la cuvette des chiottes ouverte. Bref, j’avais tout prévu et rien de fâcheux ne pouvait arriver. Absolument rien ?
En débarquant dans mes pénates le dimanche soir, quelle ne fut pas ma surprise en ne voyant pas Bryan me faire la fête et réclamer sa pitance. Je l’ai cherché dix minutes au moins, ce couillon était prostré sous un meuble et tirait une tronche longue de deux mètres. Il semblait décidé à ne pas en bouger, j’ai du le tirer de son abri pour le remettre sur pied. Vous savez ce qui s’est alors passé ? Il ne tenait plus sur ses patounes et se laissait tomber sur le ventre. Une parfaite catatonie, son élan vital paraissait s’être fait la belle sans espoir de retour.
A ce moment, Le Tigre imaginait toute sorte de scénarios : un voleur était passé et en avait profité pour faire danser un rock à mon chat ; une nuée de moineaux avaient dansé la macarena sous la fenêtre pendant 48 heures (intense frustration) ; ma radio bloquée sur Nostalgie pendant l’intégralité du weekend ; voire ma gardienne qui a profité de l’absence tigresque pour organiser une soirée à double thème SM/métiers du cirque.
Plus sérieusement, je n’avais aucun moyen de connaître ce qu’il avait bien pu advenir du petit Bryan.
Jusqu’à ce que j’allumais la télévision pour mater les infos du 20 heures.
Le diagnostique félin
La blondasse du Jité annonçait, tout sourire, que le dernier feu d’artifice avait été enregistré comme un des plus voluptueux d’Europe. Que les autorités avaient ouvert une ligne de crédit quasiment infinie pour cet évènement particulièrement apprécié des édiles. Aussi les ingénieurs pyrotechniques s’étaient joyeusement lâchés et avaient concocté un feu dont seule l’intensité était en mesure de rivaliser avec la longueur. Du genre à imaginer un bouquet final qui a tout de l’orgasme qui n’en finit pas.
Du bruit et de la fumée comme si la troisième guerre mondiale venait d’être enclenchée.
Et Bryan d’être, dans l’obscurité et sans son maître à ses côtés, aux premières loges.
Je voyais d’ici mon chaton dont le monde aux alentours était en train de désespérément partir en couille. Dès 23 heures, un sinistre fracas qui allait crescendo, faisant vibrer les vitres comme si celles-ci étaient de vulgaires roseaux. Un son inconnu des délicates oreilles de Bryan qui devait croire que jamais cela ne s’arrêterait. Pour compléter le tableau, des couleurs vivaces naissant subitement dans un ciel habituellement parsemé de paresseuses étoiles. Enfin, comme mon appartement est situé à l’Ouest du lieu du jubilé, le brouillard mâtiné d’une odeur tenace de souffre.
Mon chat a cru mourir cent fois, il a connu, à son modeste niveau, la guerre. Il en est revenu à jamais changé : avec un syndrome de stress post traumatique.
Lorsque mon animal est au plus mal et que je le vois ainsi être en mesure de ne rien faire, Le Tigre développe toute réaction que n’importe quel individu sain d’esprit aurait : prendre la pauvre bête en photo pendant qu’elle n’est guère en mesure de protester.
Regardez-le attentivement. Soutenez ce regard inquiet et cet air affuté, Bryan se prépare à une autre explosion de violence. Appréciez ses oreilles relevées prêtes à saisir la première fusée qui explosera dans une gerbe rouge/blanche. Contemplez cette fourrure, autrefois somptueuse, qui a gagné quelques poils blancs lors de ce maudit week-end. Jugez surtout de cette position latérale de sécurité que mon ami ne veut plus quitter. Je l’ai posé sur ma table basse pour les besoins du photographe, quelques minutes avant il se traînait laborieusement avec ses pattes avant pour avancer – l’attrape-poussière dont tous rêvent.
Les photos faites, j’ai toutefois pris un rendez-vous chez l’odieux vétérinaire. En recevant mon appel, j’entendais ce fils de catin tapoter frénétiquement sur sa calculette de comptable pour mettre à jour le nombre de Lamborghinis est en train de lui apporter les festivités du 15 aout. Le médecin-à-chiens-de-mamies était rudement content, sans compter que pour une fois il sait que sa clientèle sera à peu près calme (pas comme la dernière fois, en lien).
Comment empirer le stress de son animal
Toujours le charlatan tentera de justifier ses incroyables (jusqu’à ce que vous êtes effectivement débité sur votre compte) honoraires par des boniments sur le pourquoi du comment de ce qui est arrivé à son client. Rien qu’en voyant Bryan tout doux dans sa cage, la machine à claque-merde du praticien s’est mise en branle, impossible de l’arrêter. Le bon docteur manipulait le félin pendant qu’il récitait la cinquième section du chapitre III d’un bouquin de bien-être animal. Après une centaine de rendez-vous, ça ne m’aurait guère étonné qu’il avait enclenché un magnétophone pour dispenser son savoir une cent-et-unième fois.
Voilà ce que je suis tout de même parvenu à retenir de ses borborygmes :
1/ Se moquer de sa souffrance. Le vétérinaire connaît ma taquinerie vis-à-vis de mon compagnon à quatre pattes, aussi ce conseil n’appelle aucun commentaire. Donc, ne ricanez pas en le traitant de lopette. Imaginez qu’on fasse de même avec votre plus intime phobie (coulrophobie, merci Stephen King ; arithmophobie ; basophobie, etc.)
2/ Le laisser chier sa peur en solitaire. Merci cap’tain obvious, merci de me rappeler qu’abandonner Bryan 72 heures dans de telles conditions était une monumentale connerie. Si tu crois que ma culpabilité adoucira tes honoraires, autant te foutre un pétard numéro 7 dans le derrière.
Surtout qu’un félin, de nature solitaire, ne risque pas de remarquer votre absence. Un chien, con qu’il est, je ne dis pas : l’idée selon laquelle votre absence est synonyme de mort est capable de naître dans l’esprit de l’imbécile cabot qui subira le double choc de votre arrivée.
En revanche, si votre présence est requise, cela ne signifie surtout pas que vous devez vous précipitez vers lui.
3/ En effet, il convient de faire comme si de rien n’était. Vaquez à vos occupations habituelles, continuez de regarder vos conneries à la télévision, regarder à peine d’où vient le bruit du feu d’artifice, bref soyez cooooool. Parce qu’un chat est vicieux, et sentira rapidement si vous êtes en état de stress. Dès que vous commencez à avoir peur pour lui, votre petite panique entrera en résonance avec la sienne, le résultat étant susceptible d’être plus impressionnant que le feu d’artifice en question. Si le félin se réfugie dans sa boite (dont je parle ici), c’est juste parfait.
Combien de propriétaires de chats, autant désireux de calmer leurs bêtes que chercher du réconfort, ont eu la désastreuse initiative de les prendre fermement dans leurs bras ? Mettez-vous à la place du bestiau, déjà mal à l’aise, qui est maintenu de force dans le sein tremblotant de sa mamie. Bah grand-mère est bonne pour acheter un litre de mercurochrome.
4/ Si vous vous sentez prévoyant, n’hésitez pas à minimiser le bordel sur le point d’arriver. Cela passe par de la musique douce, une ambiance tamisée et feutrée digne d’un club libertin du début des années 2000. N’hésitez donc pas à fermer les rideaux (voire les volets) afin de supprimer tout stimuli visuel.
Fin du fin, le maître qui tâche, en amont, d’accoutumer son mammifère à la sourde violence d’un feu d’artifesse a tout compris. Puisque le pire doit arriver, pourquoi ne pas l’y préparer tranquillement ? Faire tourner un album de Ricky Martin à fond les ballons, une finale de coupe du monde à plein volume, les cérémonies d’ouverture des jeux olympiques, il faut que dans l’esprit de votre Bryan se forge l’habitude que son environnement auditif peut ressembler à celui d’une rock star après deux mois de tournées. En délivrant ce message avec une progression mollo et pianissimo (ça ne veut rien dire mais ça sonne bien non?), l’animal sera capable de faire la différence entre un bombardement par les Russes et un énième jovial feu d’artifice.
Hélas, pour ce qui est de le soigner proprement, la prochaine et dernière partie risque de vous décevoir.
La voie de la guérison
En fait, mon véto est loin d’être con. Il sait d’où il tient son pouvoir. Ce n’est ni le diagnostique, encore moins administrer des piqûres, mais la prescription et la précieuse ordonnance. Il sait pertinemment que les divers maux de ses « clients » se soignent par les mêmes médocs plus ou moins dosés, et il s’est bien gardé de me dire la marque ou la nature des produits à donner à mon petit Bryan.
Le fourbe m’a donc remis deux boites transparentes avec une dizaine de pilules (dont la marque est illisible) chacune dedans. Et une feuille sur la manière de les administrer. D’après les conséquences sur la santé de Bryan, je pencherai pour un dosage 50% anxiolytiques, 50% amphétamines. Un traitement qu’on appelle « up and down » digne de la pharmacopée d’un pilote de chasse. Rien de transcendant donc.
Inutile de gober les médocs destiné à votre animal de compagnie : à moins qu’il ne fasse le double de votre poids, les doses ne vous procureront strictement aucun effet. (Tigre parle en connaissance de cause)
A toutes fins utiles, à la prochaine fête nationale, j’organise une soirée P3, dite « powerful pet panic » : vous apportez votre animal et on les met tous sur mon toit après avoir bouché les issues dix minutes avant le feu d’artifice. Et on filme. Entre American Nightmare et Battle Royal, ça ressemblera à quoi à votre avis ?