Le fameux Vincent a quitté sa vie d’avant pour faire son ermite au fin fond de la Patagonie, tout en laissant derrière lui un carnet sur les raisons de son départ. Ses neveux partent à sa recherche, entraînant derrière eux d’autres histoires. Complexe et souvent too much, voilà un roman sans doute plus riche qu’il n’y paraît, il faut ouvrir grand son cerveau.
Il était une fois…
Allez zou, je copie-collie la présentation qu’en fait l’éditeur, parce que ça part dans tous les sens :
« Dans les années 1990, un homme qui se croit possédé quitte métier, maîtresse, femme et enfants pour s’exiler au bout du monde. En 1812, juste avant le passage de la Bérézina, un soldat napoléonien est fait prisonnier par les Russes et confie à des feuilles volantes le détail de ses deux terribles années de captivité. En 2013, deux amis, l’un franco-chinois, l’autre franco-argentin, partent en Patagonie à la recherche de l’oncle de l’un d’eux, disparu depuis vingt ans, et rencontrent le propriétaire de la Lune. En 1882, un médecin astronome participe à une expédition internationale vers la Terre de Feu pour observer les mouvements de la planète Vénus, et établit des contacts avec les Indiens Yahgans, dont le peuple fut exterminé quelques décennies plus tard. »
Critique de Christian Garcin – Selon Vincent
Premier roman que j’ai lu de Garcin, et il ne fait pas les choses à moitié. Le salopiaud, il m’a bien mené en bateau sur 300 pages, tantôt courtes, tantôt presque interminables. Le point fort de l’œuvre ? Une écriture multiple bien maitrisée par l’écrivain qui, non content de changer la forme (police d’écriture, chapitrage) selon le narrateur, parvient à faire croire que nous sommes en présence de plusieurs romans.
Si le repère chronologique de Selon Vincent est l’histoire de son neveu Rosario (accompagné de Paul), le vieux Vincent est bien au centre de l’intrigue. Il a laissé un carnet rédigé avant de filer à l’autre bout du monde. Ce fichu carnet est complété par les souvenirs d’un soldat français en pleine bérézina – le pauvre gars en chie un max, entre le froid et les Russes qui le traitent salement. Les deux compères partiront vers les lieux de l’ermitage de Vinc’ et feront quelques rencontrent qui viendront enrichir une narration déjà complexe.
De ces autres « rencontres », on se demande parfois d’où elles viennent. Le scientifique Augustyn Hyades en mission en Amérique du Sud en 1882 (bon, le rapport avec les Indiens est réel) ; l’excentrique De Brea qui vend des terres sur la Lune, Mars et Vénus (tiens, la médaille du grognard) et qui réveille l’attention d’une Allemande expatriée, il y a de quoi être circonspect jusqu’à ce qu’un lien, aussi ténu soit-il, apparaisse pour former une toile cohérente. Hélas, et voilà qui est paradoxal, les aspects les plus sympas sont justement ceux-là, qui sont en outre les plus courts – les pérégrinations de Rosario et Paulo m’ont paru bien moins intéressantes, sinon ternes.
Le bilan est donc mitigé : d’une part, c’est un titre souvent triste (le premier qui décèle une blague, je lui file mon poids en adamantium) avec des considérations ésotériques assez obscures ; mais de l’autre côté, y’a comme un truc qui fait que ça prend aux tripes. A vous de voir donc.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
L’identité et son contraire (à mon sens, l’aliénation) constitue la trame d’un roman. Les deux protagonistes principaux, qui sont issus de deux cultures (française et chinoise/argentine), se laissent embarquer dans une aventure qui s’avère, au fil des chapitres, éprouvante. Quant au « mal » qui ronge Vincent, c’est un mélange digne du Horla de Maupassant et d’un délire « chamanique » animalier. Pas tant délirant que cela en fait, la fin est relativement surprenante, j’avoue ne m’y être pas attendu – je sais que j’aurais dû deviner ce qui se cachait, c’est logique en fin de compte.
Intimement liées au premier thème, la fuite et la solitude en sont avant tout les conséquences. Fuir le monde tel qu’on le connaît, désir de se retrouver ; partir littéralement aux antipodes ; et mourir seul, tel est le programme du héros. Si pour certains, on ne trouve que l’ennui au bout de ce chemin, d’autres parviennent à dégoter la paix intérieure. Pour Vincent, l’acceptation de son passé (et de ses actes) n’est que le résultat de cet éloignement – pour éviter de péter un câble. Entre oublier (quitte à se sentir possédé) ou se souvenir (et être rongé de remords), Christian Garcin semble préférer la seconde option.
…à rapprocher de :
– Sans spoiler, ce qui arrive à Vincent peut se rapprocher d’amnésie traumatique qui ressurgit salement, un peu comme dans Psycho Killer, de Keith Ablow.
– Quant à la multi narration et les histoires qui s’imbriquent, mais dans un registre nettement plus grandiose, La Maison des feuilles de Danielewski reste ma coquette référence.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.