Sous-titre : suivi de Howard Phillips Lovecraft bloc d’éternité. Un début en fanfare, une suite plus que correcte avant de terminer par un fatras de textes déglingués du cerveau conformément au grand Lovecraft. Lartas a une écriture riche quoique bavarde, et ce qui sort de son clavier ne risque pas de plaire à tout le monde.
Il était une fois…
Untel (c’est son nom) à la recherche du Créateur de notre monde ; dame Nature décide de reprendre ses droits non sans violence ; un homme atteint enfin la fameuse Tour noire et s’apprête à découvrir son secret séculaire ; sans oublier quelques textes hallucinés rendant un hommage appuyé au sieur Lovecraft.
[pour ceux qui se demandent s’ils n’auraient pas vu passer un titre ou deux sur le net, c’est parce qu’il s’agit d’une édition, revue, corrigée et augmentée des productions de l’auteur]
Critique de Satanachias
En démarrant ce recueil de nouvelles, il est difficile de ne pas se régaler face à l’imagination torturée d’un auteur auquel vous hésiteriez à confier votre gosse. Le premier texte, titre de l’ouvrage, est tel un coup de poing avec la rencontre entre un quidam et Satanachias, individu à la puissance indicible qui, pourtant, refuse de porter le nom du diable. Il est plutôt une sorte d’accompagnateur de l’Humanité (dans les bons et mauvais moments) et, à ce titre, donne à notre héros la clé qui lui permettra de rencontrer le vrai créateur… Autant envoûtant que noir, Tigre était content.
Votre serviteur l’était presque autant en lisant Un Cycle, sorte de contre-utopie écologisante où il est question du retour en force d’une faune et d’une flore soigneusement annihilées par l’Homme. Efficace. Mais rien à côté de Marssygnac, épopée raccourcie qui n’est pas sans rappeler le cycle de la Tour sombre de Stephen King – la fin, toutefois, se termine en cul-de-sac que c’en est dommage. Et puis vient Megalopolis, voyage monologué d’un homme isolé dans une ville abhorrée qu’il tente de fuir. Le protagoniste décrit, avec un style halluciné et virulent, une cité en perdition sur tous les plans – culture décadente et idiote, pollution à hurler en dégueulant, corruption des chairs et des âmes, etc.
On sent que Cricri Lartas se fait davantage plaisir dès cette nouvelle en accumulant des phrases à la fois longues (les points sont rares, les points-virgules ayant pris le pouvoir) et sèches, des suites d’adjectifs et autres métaphores pour enfoncer le clou du dégoût ressenti par les personnages. Ainsi, la palette du vocabulaire, certes extrêmement large, tourne autour des émanations du mal, que ce soient la bêtise crasse de la populace ou le cynisme des grands de ce monde. Il se dégage ainsi des deux tiers de l’œuvre une forme de poésie franchement désabusée (et richement dotée) qui opère tel un cri d’ivrogne lucide au milieu d’un congrès du Medef.
En revanche, la poésie tourne largement à l’aigre dans l’hommage à H.P. Lovecraft. La maîtrise de l’univers et du langage semble au fauve, du haut de sa relative incompétence dans ce domaine, presque parfaite. Les termes sont féconds, brutaux et forcément excessifs, et racontent soit l’histoire d’un nécromant qui découvre l’horreur (Al Azif), soit le pedigree de telle ou telle créature lovecraftienne (Yog-Sothoth), dans une narration qui souvent invective vertement le lecteur.
Heureusement que l’auteur a foutu ce génial verbiage en fin d’ouvrage parce que c’est assez hard à suivre. Le style, ampoulé à souhait et alourdi de nombreuses figures de style pseudo-liturgiques (quand ce ne sont pas des répétitions) a tout l’air de la version littéraire d’une généreuse masturbation à laquelle s’adonnerait un auteur dont la testostérone déborde par la plume. Je plaisante à peine, c’est une orgie de termes sertis d’adjectifs que je lis rarement, et la compréhension ne sera point au rendez-vous chez ceux pour qui Lovecraft fait penser à un barre chocolatée.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La constante de l’écrivain, à savoir vomir son époque et ce qu’elle tend à devenir, ressort clairement des premiers textes. Avec des situations globales et déplorables (c’est-à-dire sans noms ni exemples précis), Lartas grossit le trait de ce qui peut clocher dans notre civilisation. Corruption des élites, abêtissement par les médias, destruction systématique des ressources de la planète, maladies incontrôlables, misérables existences dans des H.L.M., tout participe à la perte de l’élan vital de l’individu, lequel n’est même plus en mesure de protester. Et tout empire tranquillement tandis qu’une poignée s’auto-lèche les boules et vit dans l’opulence la plus choquante.
Le félin terminera par une énième qualité de cet ouvrage : le quatrième de couverture ne ment pas : l’auteur « poursuit avec toute la lenteur que cela requiert l’élaboration d’une œuvre qui se moque royalement des exigences commerciales, des tendances et des usages littéraires de ces temps, ou des goûts du public« . En effet, Megalopolis s’est construit en plus de dix ans, une telle constance est remarquable. De même, les exigences commerciales et usages littéraires sont correctement malmenés, c’est admirable. Néanmoins, sur les goûts du public, et même si c’est partiellement faux (en tout cas pour le félin), le paradoxe n’est pas loin : le but premier d’un bouquin est de plaire au lecteur – même s’il faut parfois éduquer ce dernier – ou du moins le surprendre.
…à rapprocher de :
– Chez le même éditeur, il y a le très glauque A chaque jour suffit sa haine, de Sébastien Chagny. Violence également dans ces textes qui n’épargnent personne.
– Toujours chez les Éditions de l’Abat-jour, y’a le recueil Avant terme, de Serge Cazenave-Sarkis (davantage versé dans la folie) et son Sans Partage (très très glauque).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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