Encore du cynisme et du glauque, je vous prie de m’excuser. Mais j’ai surtout écrit ce court texte pour qu’il figure parmi les « histoires anéanties » du très sérieux écrivain Guénolé Boillot, énième poto du Tigre. A noter enfin que la dernière idée du héros m’a été soufflée par Alastair Reynolds dans The House of Suns.
Chute libre (ou « le dernier cadeau du marié »)
Je me ressaisis, et n’ai en tête que deux choses.
Un, qu’est-ce que le temps passe vite. 35 ans que je suis né, c’est comme si c’était hier. Quatre mois déjà que j’ai gagné au loto, une minute dans mon échelle temporelle. Le saut en parachute que je préparais depuis une semaine, à peine une seconde.
Deux, cette idiote n’a jamais su mener les choses à leurs termes. La dose de somnifère qu’elle m’a refilée en douce n’est indubitablement pas assez puissante. Toutefois elle ne pouvait savoir que me jeter d’un Cesna à 10.000 pieds d’altitude allait me donner un sévère coup de fouet. A moins que ce soit voulu, afin que je vois la mort défiler pendant une bonne minute. Encore une qui passera vite.
Quelles connes. Soixante secondes donc.
Je n’ai pas de temps à perdre. Bien évidemment mon parachute a été trafiqué. J’ai été délesté de mon smartphone. Il n’y a pas de plans d’eaux aux environs. J’ai signé le contrat de mariage hier. Elle est plus maligne que prévu. Je tourbillonne dans les airs, impossible de m’évanouir ni succomber à une crise cardiaque.
Quarante-cinq secondes.
Je parviens à tâter mes poches et à les frotter, en priant qu’un génie en sorte et se dépêche d’exaucer mes vœux. Personne n’apparaît. Toutefois je sens la bosse de mon couteau suisse. Je réussis à le sortir et m’agrippe à ce dernier comme un gamin aux jupes de sa mère. J’ouvre la lame la plus tranchante. Si je m’égorge tout de suite, peut-être que je mourrais avant d’atteindre le sol. Et le nuage vertical de sang laissé aurait tout d’une performance honorant l’art éphémère. Séduisant. Quoique…
Trente secondes.
Le parachute et le tee-shirt ont eu l’air de s’envoler lorsque je les ai ôtés. Pourquoi je n’ai pas choisi une fille qui s’appelle Noémie ou Alice ? Dans Sophie, il y a une allitération sifflante indiquant un haut degré de traîtrise. Mais surtout, écrire avec une petite lame « S » sur son abdomen est plus compliqué que prévu. Les courbes sont délicates à marquer sur les replis de ma chair tremblotante, sans compter le sang qui me saute littéralement aux yeux.
Quinze secondes.
Bon, le résultat ressemble à un 5. Tant pis, il faut au moins que je protège la marque. Je parviens à me retourner dans les airs pour chuter sur le dos. Je vois l’avion une poignée de kilomètres plus haut. Celui-ci a fait demi-tour. Marrant, les volutes de fumées laissées dernière celui-ci forment un cœur. En y pensant, le mien va se faire bouffer par les charognards, la chair de mon ventre finira dans le leur. Mon travail de mutilation ne sert à rien en fait.
Une dernière idée. Je prends mon alliance et la passe au majeur de ma main gauche. Cet indice, on ne pourra passer à côté. Et j’en profite, tout sourire, pour faire un bras d’honneur à l’attention de ma femme.
Si on pense à jeter un œil sur mon corps que j’espère pas trop abîmé, elle verra ce qu’el…