VO : idem. Joli pavé de thriller mâtiné d’anticipation sociale presque apocalyptique, le bilan est fort mitigé. Dan Simmons maîtrise certes tous les aspects de son scénario qui tourne autour d’une drogue aux multiples facettes, mais y’a comme un os quand il ne cache pas ses idées politiques pour présenter un univers sombre et exagéré.
Il était une fois…
États-Unis (du moins ce qu’il en reste), 2035. Nick Bottom est un ancien flic salement déchu. Drogué jusqu’à la moelle, il se voit pourtant proposer par Hiroshi Nakamura, milliardaire, de rouvrir une vieille enquête sur la mort du fiston du Japonais. A la dèche, notre héros accepte sa mission. Mais Dara, sa femme décédée dans un accident, s’invite étonnamment dans ses recherches.
Critique de Flashback
La critique se décomposera en deux parties : d’abord je ferai part de l’enthousiasme et dans les thèmes j’évoquerai le malaise de lire un tel roman. Un peu comme un « j’adore ce que tu fais, mais je ne cautionne pas comment tu le penses ».
Le flashback est une fabuleuse substance qui aurait été mise au point par les Israéliens avant qu’ils ne soient vitrifiés. Dans ce futur, l’Amérique n’est pas à la fête et se shoote (dont le héros) à cette drogue. Lors du tournage d’un documentaire vidéo à ce sujet, le fils du puissant Nakamura se fait tuer. Le mystère est entier autour du mobile ou de l’assassin, et Nick Bottom va aller de surprises en surprises en remontant, traditionnellement, le fil de l’histoire : le dealer Delroy, les toxicos présents sur les lieux, un gros trafiquant, chaque interrogatoire amène de nouvelles questions.
Les chapitres sont numérotés en fonction de trois narrateurs : Nick bien sûr ; Val, le fiston mal dans sa peau qui se compromet gravement ; et Leonard, le grand-père qui va tenter de fuir L.A. (au centre d’une guerre entre Japonais, Spaniques et amerloques). Trois générations, trois histoires qui se rejoignent progressivement. Road movie, thriller, anticipation sociale désenchantée, le malaise est omniprésent.
Au final, je me suis régalé question intrigue. Pas trop de temps morts, des scènes d’action à peu près crédibles (à peu près hein), des technologies bien décrites (les attaques par satellite ou les armures de combat notamment). Outre les idées de l’auteur, on pourra reprocher (comme tous les romans de Simmons) que ça finit désespérément bien alors qu’il y avait matière à faire un horrible dénouement.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Si le fauve a bien aimé le rythme et l’intrigue de ce roman, pourquoi lui attribuer la pire note ? C’est à cause des idées distillées au fil de l’œuvre et tendant à expliquer le monde dans lequel le lecteur patauge. Face à tant d’exagération, je pensais que Dan plaisantait gentiment, sauf que le gus semble être un néo-con pur jus. Déjà, Simmons se plait à faire les parallèles entre deux républiques : d’un côté, celle du Texas, libérale et presque parfaite. De l’autre, la République de Boulder, petite communauté qui a accumulé les mauvais choix : soutien anti-sioniste, dépenses en énergie verte (ah oui, le réchauffement climatique n’est pas dû à l’activité humaine selon Dan…), système de santé gratos et inefficace, etc.
Dans l’univers de Flashback, le monde a commencé à partir en sucette à l’horizon 2015 (un coup pour la crédibilité) : les States ont mis en place un ambitieux programme d’aides sociales (l’UE aussi), précipitant leur banqueroute. Souhaitant ne plus maintenir leur rôle quasi divin de gendarme du monde, naturellement les pays musulmans se sont regroupés en une puissante organisation, le Califat Islamique Global (sic). Attaques nucléaires contre Israël, invasion progressive de l’Europe (les pays « Dhimmis ») où la charia a cours, tous les fantasmes et caricatures ont pris vie.
Du coup, c’est le Japon qui a repris les rênes du Grand Jeu en recréant sa sphère de coprospérité (mais avec courtoisie, hem). La Chine n’est qu’un innommable bordel de luttes entre clans où sont envoyés les jeunes soldats états-uniens comme mercenaires. Quant au pays du Soleil Levant, celui-ci est revenu au temps du Moyen-Age avec son système de vassaux et daimyo qui ont remis à l’ordre du jour les Keiretsu. L’intrigue du roman est d’ailleurs, au final, qu’une sombre histoire de pouvoirs entre Nakamura et d’autres seigneurs pour devenir le Shogun qui conseillera l’empereur du Japon. Rien que ça.
Le flashback (et plus encore sa deuxième version, légende urbaine ?) est ainsi l’expression du mal qui ronge l’Occident : au lieu de se tourner vers l’avenir, les Américains ne font que prendre cette drogue afin de revivre des instants heureux pendant quelques heures. Le héros se revoit avec sa femme, son fils revit l’anniversaire de ses quatre ans, tous ont une raison de fuir la réalité pour replonger dans leurs glorieux passés. L’Amérique, qui n’est que l’ombre d’elle-même, est le marché le plus porteur du flash tandis que d’autres nations ont repris le flambeau du leadership mondial (forcément, c’est pire).
…à rapprocher de :
Tigre a beau taper ici sur Simmons, faut quand même savoir que c’est un des rares auteurs à s’inviter dans presque toutes les catégories de ma bibliothèque:
– D’abord, y’a les polars, comme la saga avec Joe Kurtz (la trilogie est géniale), héros qui rappelle Nick. Sauf que ce dernier est placé dans un monde encore plus amoral et sans loi.
– Ensuite, l’horreur. Disons qu’il a tenté de verser dans cet art avec L’échiquier du mal (une cata à mon sens).
– Enfin, et surtout, la SF. Que ce soit Les Cantos d’Hypérion ou Ilium doublé d’Olympos, là on se fait plaisir. On notera que la religion est toujours en embuscade.
– Hors Simmons, l’univers me rappelle grandement ceux du bon Maurice G. Dantec (lui aussi qui ne porte pas l’Islam en grande estime) avec sa saga Liber Mundi.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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A peu prêt d’accord avec la critique. En fait, c’est surtout les passages avec le personnage de Léonard qui font une apologie sans nuance des thèses réacs.
Spoiler
J’ai trouvé la fin très ambiguë puisqu’on peut la voir comme une happy end, mais aussi comme une fin bien terrifiante (le narrateur vis sa vie idyllique sous drogue).
Spoiler
Si j’ai bonne mémoire, il s’entaille le bras pour ressentir une douleur, quelque chose que le flashback v2 ne permettrait pas. Simmons est un habitué du happy end bien gras, il ne laisserait jamais passer ça.
Je l’ai pas senti comme ça (d’ailleurs, l’avant dernier chapitre m’avait bien calmé par sa noirceur) mais tu as peut être raison. Cela dit, le principe de v2 c’est de te faire croire à ton rêve. Le retournement de la fin, au Texas, paraît tellement gros que l’explication la plus simple pour moi est qu’il est sous v2.
Sinon, une autre solution est d’arracher le dernier chapitre (en plus des chapitres de Léonard)!
En horreur, Dan Simmons a quand même écrit l’excellent « Terreur » et le (moins) excellent Drood, dans lequel les idées nauséabondes n’apparaissent pas, sont parfaitement documentés, et surtout toujours aussi passionnants. Mais sinon, tout à fait d’accord sur la critique de flashback. Je trouvais déjà que ces idées étaient présentes (et dérangeantes) dans Olympos (la suite d’Ilium, qui, lui, est vraiment fun).
Vous n’êtes pas le premier à me parler de ces idées dans Olympos, j’ai du zapper quelque chose… Quant à « Terreur », je ne l’ai jamais lu. Pour l’instant.
Hâte donc de lire la prochaine critique de « Terreur » ! Il vaut vraiment le coup. Et, hum…la fin est….une… »happy end », très relative.
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