VO : idem. Lecture de vacances, Jernigan a constitué un très agréable moment. Quelques mois dans la vie d’un Américain plus que moyen, les 350 pages se lisent assez vite non sans quelques longueurs. Médiocrité ambiante, difficultés de compréhension entre les protagonistes, ce n’est pas la joie mais ce n’est pas déprimant non plus. Merci à l’humour de l’auteur.
Il était une fois…
Fin des années 80, un 4 juillet : la bourse new-yorkaise est morose, la femme de Jernigan s’est tuée. Depuis, Jernigan vivote dans son emploi peu stimulant et s’apprête à s’installer chez sa nouvelle petite amie, qui est également la mère de la copine de son fils. Situation malsaine, d’autant plus que quelques secrets restent bien cachés chez sa nouvelle amie. Le héros va-t-il pouvoir sortir d’une spirale infernale faite d’alcools, de loose en tout genre et d’incompréhension généralisée ?
Critique de Jernigan
Très bon roman, pas exceptionnel certes mais qui laisse à réfléchir. Pour une fois, la fiction pure, sans fantaisie ni violence (encore que…) est très bien passée à mes yeux. En décortiquant une période charnière (nouvelle amie, chômage) de la vie d’un Américain assez moyen, Gates est parvenu à rendre son personnage attachant non sans humour.
Jernigan (Le Tigre parle du personnage), c’est un peu la personnification de l’Amérique en pleine déconfiture. Alcoolisme plus du tout mondain ; être avachi devant sa télé en regardant des conneries ; sauter la première femme consentante qui passe, s’installer avec et le regretter amèrement ; ne pas savoir s’y prendre avec son gosse (déjà adolescent) ; être souvent plus heureux dans sa voiture que chez soi,…
Maladresse, mots piteusement choisis pour s’exprimer, chômage plus ou moins assumé, le héros n’en est pas vraiment un, vous l’aurez compris. Si en sus vous le mettez en relation avec une famille (mère et fille) que je qualifierai de catastrophique, c’est normal que ça parte rapidement dans tous les sens et que ça finisse dans une institution médicale.
Let’s talk about the style. David Gates a un certain talent, et parvient à nous mettre rapidement dans le bain. Le narrateur, c’est le héros, qui dispose d’une bonne dose d’auto-dérision et de comique de situation (qu’il imagine le plus souvent). Très sympathique du coup, même si quelques digressions de Jernigan sont pesantes, en plus de perdre chronologiquement le lecteur. Chapitres assez longs mais bien découpés, on n’a pas l’impression d’avoir lu 350 pages denses.
Ainsi, bon petit livre pour celui intéressé par la vie américaine sous l’ère Reagan et qui est écœuré par la prose et histoires invraisemblables d’un Bret Easton Ellis. Ah oui, faut mieux l’acheter en format poche, contrairement à ce que j’ai fait.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La décadence à l’américaine. Jernigan, c’est aussi la présentation de deux familles mal dans leurs peaux : le père qui a bien du mal à communiquer avec le fiston, mais surtout la fille et la mère qui sont de sacrés cas. Archétype de la jeune fragile médicamentée (ancienne droguée), check. Mère adepte du « survival », ancienne femme battue et sélectionnant de manière très douteuse ses partenaires, double check. Les gens croisés dans le roman ont une utilité sociale proche de zéro, à part peut être le meilleur ami du héros.
Le « gap » générationnel. Édifiant. Jernigan incapable de trouver les mots et bien s’intéresser aux lubies musicales de son fils. Celui-ci acoquiné à une fille un peu barge sans que le père ne puisse comprendre pourquoi. Le héros qui se fait avoir par un ami de son fiston. Mère et fille dont on ne sait si elles parlent entre elles. Ne vous inquiétez pas, entre adultes ce n’est pas forcément mieux. Dans toute ce fatras, personne ne semble en outre y mettre du sien.
L’alcoolisme du protagoniste semble être la pierre angulaire du récit. Pas un chapitre ne se passe sans que le héros s’envoie de sévères lampées de gin derrière la cravate. Prendre la voiture dans un piteux état ne l’inquiète pas, pas plus que se torcher consciencieusement quand il est sûr que ça se verrait. Les signes de l’alcoolique sont légion : planquer quelques bouteilles ici et là, boire en cachette, se souvenir plus ou moins de son état de la veille, bref le personnage est bien mal parti. Et se console plus ou moins en regardant ses aïeux, qui avaient les mêmes soucis de ce côté (sans compter feue sa femme).
…à rapprocher de :
– John Updike sait très bien aussi capter les misères de ses contemporains, par exemple dans Terroriste.
– Le midwest, les personnages tristement réalistes, c’est un peu l’Amérique de Joe R. Lansdale, mais avec moins d’humour. Quoique… (contre-exemple en lien)
– Jernigan m’a vraiment fait penser à une version digeste et réaliste d’un Bret Easton Ellis, ce dernier paraissant ne s’occuper que de la jeunesse dorée.
Pour finir, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici (format poche).
Ping : Rachel Joyce – La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry | Quand Le Tigre Lit