Mandaté par une association de lutte contre la prostitution, l’illustrateur suisse Derib nous a concocté une charmante bande dessinée sur Sandra, la vingtaine, qui est sur le point de tomber dans un réseau de proxénétisme. Bons sentiments, ficelles souvent grosses (mais efficaces), dessin très années 80, bref voilà une BD scolaire.
Il était une fois…
Doris Frey est une femme qui travaille dans un hypermarché en région parisienne (du moins j’imagine). Et là, soudain, tout à coup, elle croise une jeune femme brune (oui, Sandra !) qui éveille en elle quelques souvenirs. Et bah, devinez quoi, Sandra tente de piquer un lecteur CD (la BD date du milieu des années 90, ne vous inquiétez point). Ce n’est que le début de ce qu’elle est prête à faire pour son petit ami qui se rêve mac…
Critique de Pour toi Sandra
Y’a des fois, le félin se demande ce que peut foutre une telle bande dessinée dans son sillage. Ça doit être encore un coup de maman-lynx, professeure de son état, qui a reçu ce truc souvent distribué à ses petits nélèves.
Car il faut savoir que l’éditeur est une association qui œuvre (milite n’étant pas le juste mot) pour l’abolition de la prostitution, quitte à lourdement pénaliser le client. D’où la petite dizaine de pages finales assez discutable où il est expliqué que payer pour avoir des relations sexuelles, c’est mal. Bon, venant d’une asso d’inspiration catholique chargée de recueillir les accidentés de la vie, c’est fort louable, toutefois quelques affirmations du genre « la pornographie contribue à considérer les femmes comme des objets, d’où la prostitution » sont un peu légères.
Le scénario est finement pensé (avec les bémols que je lâcherai dans la partie qui suit), à savoir la rencontre entre une putain en devenir et une femme qui a traversé de lourdes épreuves. Doris se remémore sa glauque jeunesse et parviendra, bien sûr, à éviter que Sandra ne glisse irrémédiablement dans une pente qu’elle ne voit pas forcément arriver. Une histoire qui finit mal n’entrait visiblement pas dans le cahier des charges de Derib qui n’a pas eu le droit de pondre son Requiem for a dream littéraire.
Le dessin n’est pas du tout mon genre : plutôt fouillis et couleurs ternes, le problème réside dans l’aspect des personnages. Surtout les visages, ça doit être leur nez ou les lèvres, en tout cas leurs minois ne sont guère crédibles. Je sais que cette BD n’est pas là pour ça (au contraire même), toutefois y’a pas une seule case un peu bandante et sexy à voir. Exit l’aspect glamour des libertines, il est question d’esclavage. Au final, bilan très mitigé. Franchement, c’est pas terrible.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La prostitution, évidemment, est au centre de la BD. La naïve Sandra est éperdument amoureuse d’un joli connard affublé d’un prénom qui ne l’est pas moins (Jimmy…). Ce dernier doit de la tunes à quelques individus peu recommandables, et souhaite se faire payer sur les deux dos de la bête (oh, c’est joliment dit non ?). Cela commence par présenter Sandra au vieux créancier dégueulasse, la contraindre à montrer ses seins, la laisser seule avec lui, etc.
Parallèlement, Doris (elle aurait pu au moins changer son nom de scène…) raconte son expérience dans cet univers peu ragoutant fait de passes dans des hôtels miteux, enchaînements de clients qui la font sentir comme une moins que rien, alcool (puis belles lignes de coco) pour tenir le coup. Au final, et là Tigre fut moyennement satisfait, c’est la manière dont elle s’en est sortie : puisque tous les hommes sont de vilains salauds, fallait en montrer un qui rattrape le lot de bras cassés rencontrés : il s’agira de Jean, parvenu à tirer (non, pas dans ce sens là) Doris de l’ornière malgré l’aversion de cette dernière pour la gente masculine.
…à rapprocher de :
– D’un point de vue du client (qui apprend à haïr ce système), La tentation du lundi de Jean-Marie Blanchard est un cas unique à lire – pour l’instant.
– A contrario, y’a ce très vilain Chester Brown qui a visité les putes et en a fait un essai graphique. C’est 23 prostituées. Pas mal dessiné, toutefois en fin d’ouvrage ses justifications « philosophiques » m’ont plus scandalisé qu’autre chose.
– Un classique du genre, c’est Moi, Christiane F., droguée, prostituée,…
– Sinon, je suis en train de lire les cinq tomes de Cellule Poison, et pour l’instant ça passe. Je vous en parlerai un de ces quatre.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce truc en ligne ici.
Ping : Jean-Marie Blanchard – La tentation du lundi | Quand Le Tigre Lit
Ping : Chester Brown – Vingt-trois prostituées | Quand Le Tigre Lit
C’est la BD qui a traite dans tous les CDI de France et de Navarre. Elle était rangée avec celle sur le SIDA. « Jo » ou un truc comme ça je crois. du même auteur.
Oui, ma copine m’a parlé de ce « Jo ». Tous les gosses l’ont lu (même moi), seulement impossible de s’en souvenir. Va falloir que je la dégote celle-ci. D’ici là, je dois résumer un Tuniques bleues et un Spirou.
J’admire votre capacité à commenter chaque morceau de papier imprimé qui vous tombe sous la patoune. ça vous dirait de faire des critiques des bd bien niaises sur l’éducation sexuelle? Ne dîtes pas non.
Si c’est particulièrement idiot, je ne peux dire non. Tigre est omnivore. Envoyez en mp vos infâmes idées (voire les titres par la poste, hé hé), je mettrai un point d’honneur à faire quelque chose. Pour faire bonne mesure, je résumerai en parallèle de la bonne bd porno si ça ne vous dérange pas.
Ce livre a presque 20 ans, et avait des visées « didactiques », je n’ose dire pédagogiques. Alors oui, le dessin n’est plus au goût du jour, c’est clair et les dialogues font peut-être bien rire dans les collèges. Mais ne dites pas svp que le Nid est d’obédience catholique. Au départ, ses initiateurs l’étaient, certes. Mais de même qu’Emmaüs est rigoureusement non-confessionnel bien que fondé par l’Abbé Pierre, de même le Nid s’adresse (militantes ET personnes accueillies) à toute personne se sentant concernée.
Mais vous avez tout lu ziggette ! L’obédience catholique, je l’ai pêchée sur des sites d’info, vous avez sans doute raison je vais remplacer par « inspiration ». Quand je disais « obédience », je n’insinuais évidemment pas qu’ils ne s’occupaient que de personnes de cette confession. Sans rapport, Tigre signale (certes perfidement) l’unique décès à déplorer dans la BD : une personne de couleur noire par overdose. Cela m’a rappelé « L’accroc », de Donald Goines.