J’ai fait un rêve marrant cette nuit. J’ai rêvé que le pays était à feu et à sang. A cause d’une idée que j’avais eue et qui a été appliquée par magie. Au fur et à mesure que celle-ci prenait forme, elle était mise en œuvre. L’idée ne me semblait pas vilaine au premier abord, mais elle a tout fait péter. Et plutôt bien. Voilà comment.
Faire payer les charges sociales par les salariés
C’était d’une simplicité désarmante. Je me demandais même pourquoi personne n’y avait pensé. En une phrase : tout salarié touche l’intégralité de ce que son entreprise paye pour lui – salaire brut, charges sociales, mutuelles, complémentaire santé, urssaf, cancras et carbalas.
Dans le songe du Tigre, je voyais Madame Michu toucher 5.000 euros en fin de mois. Georges, son patron (les rêves du félin sont misogynes), n’avait plus rien à payer en son nom. Aucun rappel de cotisations qui lui tomberait sur la gueule. Le C.D.I. de Madame Michu avait beau être une réalité, elle était payée comme une collaboratrice libérale. Mais sans la T.V.A. C’est aussi ce qui faisait particulièrement plaisir à l’employeur de Dame Michu : il n’avait à faire aucune fiche de salaire. Georges était aux anges, un correct pourcentage de paperasse et de tracasserie s’envolait.
Et les cinq kilos euros de notre amie ? Madame Michu, comme tous les Français dans mes rêves, a un compte en banque. Si elle n’en avait pas, une banque étatique y pourvoirait. Donc la mère Michu dépose son chèque à la banque. Appelons-là la BPP (Banque Panama Papers). Le relevé bancaire de l’employé a quelque chose de différent. Il est scindé en deux parties. Y’a une partie brillante sur laquelle va la moitié de ce que touche le salarié. Il en fait ce qu’il veut. C’est à lui, jamais l’Etat n’ira y promener ses gras doigts avides. Ou presque.
Dans l’autre partie du relevé, sur la droite, y’a les 2.500 euros restants. Cette partie est plus terne, avec une bonne vingtaine de lignes et autant d’intitulés différents. Dans mon rêve, je retrouve des formules dignes d’une fiche de salaire. Et d’autres termes tels que « paiement IR (n-1) », « prélèvement trimestriel taxe foncière » ou « abonnement RATP ». Tous les trucs que l’État (ou un de ses nombreux monopoles) vous prendra en temps normal. La seule certitude de votre existence, avec la mort.
Curieusement, c’est cette partie droite du relevé que Madame Michu consulte le plus. C’est son argent, Georges a fait un chèque à son nom. Pourquoi ne peut-elle pas opérer un virement depuis cette partie ? Elle ne paye pas autant de charges sociales que ça, il lui reste au moins 1.000 euros de solde sur le compte. Il y aurait encore d’autres impôts à payer au cours de l’année ? Sans doute, l’Administration fiscale ne le sait pas encore. Tout dépend de ce qu’il restera après le Règlement Annuel de l’Impôt des Personnes Physiques.
Le RAIPP a lieu le 25 décembre, ce qui en fait un jour davantage attendu par les parents que par leurs enfants. Parce que le 20 décembre est exceptionnellement jour de paie. Et que l’Administration fait avant le 25 vos comptes de l’année. Celle-ci calcule les derniers prélèvements trimestriels au prorata de votre situation, établit une provision pour risques de contrôle fiscal (un pourcentage, statistique, modeste), et enfin vérifie que la totalité des prélèvements obligatoires de l’année colle avec un certain pourcentage de vos revenus de l’année précédente.
Cela explique notamment la mauvaise surprise de Madame Michu. Merde, sur 500 euros de prime que Jojo lui a accordée dernièrement, pourquoi elle ne touche que 200 euros et pas 250 ? Parce qu’il faut en garder une partie pour payer le surplus d’impôt sur le revenu de l’année prochaine, ma p’tite dame.
Ainsi, au 31 décembre, le solde éventuel qui se trouve dans la partie droite du compte en banque de Madame Michu est automatiquement viré de l’autre côté. Pratiquement, la plupart des travailleurs français se font créditer entre 5 et 10% de ce qu’ils ont été contraints de laisser de côté.
Vous voyez le topo ? Cela me semblait juste et bon. La mentalité de mes compatriotes allait changer :
Tout d’abord, la sempiternelle rengaine des patrons consistant à ânonner « les charges sont trop élevées » se déplacerait vers tous les salariés. On leur rappellerait chaque mois le niveau d’imposition qui pèse sur le travail, sur eux, par rapport au capital ou aux différentes rentes. Pour une fois, Madame Michu lirait attentivement les mêmes mentions portées sur son ancien bulletin de salaire et comparerait l’évolution de l’impôt chaque année, lorsqu’elle ne découvrirait pas de nouveaux prélèvements imaginés par nos hommes politiques dont la créativité dans ce domaine ne cesse de surprendre. Peut-être alors s’intéresserait-elle à la chose publique, voire demanderait à l’État une sorte de quitus pour savoir, concrètement, où va une bonne moitié du chèque qu’elle touche.
Ensuite, une bonne partie des tracas administratifs des entreprises (en particulier les PME) seraient, par un juste retour des choses, déportés vers les mêmes administrations les ayant imposés. Il reviendra aux services de l’État de déterminer, calculer et prélever les différentes charges. Madame Michu allait surveiller ça de près, et déjà songe à rejoindre un collectif de défense chargé d’auditer l’impôt de ses membres histoire de voir si l’Administration n’a pas la main trop lourde.
Enfin, les pouvoirs publics ne se sentiraient plus de joie : les principaux prélèvements seraient assurés ! Non seulement les sommes nécessaires sont bloquées jusqu’aux justes paiements à la puissance étatique, mais cet argent immobilisé jusqu’au virement libératoire produit des intérêts, lesquels sont pour moitié versés à l’administré, l’autre moitié revenant à l’Administration.
Et le cauchemar s’installe
C’est là que mon rêve devient intéressant. Parce que je me suis réveillé. Je pensais l’être. Tout était trop brillant, et mes capacités cognitives étaient sans commune mesure avec la réalité. En prenant l’infâme métro jusqu’au 8ème arrondissement, les manchettes de journaux et informations télévisuelles parvenaient directement à ma connaissance. Et ce que je voyais n’était pas beau. Car toute la population s’est sentie baisée.
Les premiers à gueuler ont été, sans surprise, les syndicats. Donner pour mieux retirer, qu’est-ce qu’il peut avoir de plus malsain ? Le saint statut du salarié est en danger, et tend à se rapprocher du prestataire de services ! De plus en plus de gens vont avoir recours au travail au noir, d’autres se verront imposer un paiement en partie en liquide et le solde sur le double compte, les prestations dont ils bénéficient (dont les droits de retraite) seront forcément minorées.
Et que dire de la bave rageuse coulant des gueules des chefs d’entreprise ? Merde, on asphyxie le pays en donnant directement au salarié une telle somme ! La trésorerie de la boîte est devenue catastrophique, et y’a même plus moyen de négocier avec l’urssaf pour des paiements différés (voire minorés).
La droite libérale manque l’arrêt cardiaque. Bloquer la moitié de la rémunération du salarié, quelle infamie ! L’impôt n’est plus déclaratif, mais prélevé a priori par l’Administration : un tel renversement de la charge de la preuve est une honte ! Ce crypto-communisme tendance big brother numérique est le principal fossoyeur d’une liberté fondamentale de tout individu, la propriété.
La gauche de l’échiquier politique français est également furieuse. Elle pointe notamment une tendance qui s’installe progressivement : la décomposition des cotisations et impôts est un appel à sélectionner ceux qu’on veut bien payer. L’universalité de l’impôt va disparaître, et par la même la solidarité citoyenne. Déjà quelques personnes militent pour ne pas payer les cotisations spécifiques au régime de retraite, acceptant par avance de ne toucher aucune somme une fois qu’ils ne travailleront plus. La fin de la retraite par répartition. Idem pour les cotisations chômage. La Nation court à sa perte !
Seule satisfaction : ceux qui beuglent le plus fort restent les politiciens. Obligés de rendre des comptes avant les élections, imaginez. Les maires qui apprennent que de plus en plus de citoyens décident de décocher des services municipaux (lesquels apparaissent être de copieux copinages), faisant de facto baisser la taxe d’habitation. Le pire reste l’accès public de la feuille d’imposition du politicien moyen : horreur, les citoyens s’aperçoivent qu’en plus d’être bien payés, les députés/sénateurs/ministres/secrétaires d’État sont soumis à largement moins d’impôt que le quidam. Le peuple gronde. Le peuple pose des questions relatives à l’acceptation de l’impôt. Le peuple dit des gros mots qui riment avec 89.
Bref, question chaos, ça commençait à prendre forme. Celle d’une jolie guerre civile en préparation. Y’avait une drôle d’odeur dans l’air en plus. Ça sentait la trouille et le règlement de compte, la remise à plat. Si la salle d’attente d’un cabinet d’un psychothérapeute spécialisé dans les troubles d’une Nation devait avoir une odeur, c’était exactement ça. Et moi d’humer l’air. Pour mieux renifler l’ambiance, j’ai entrepris d’escalader un pilier de l’arc de triomphe.
Arrivé aux deux tiers de mon escalade, j’ai contemplé le spectacle : la place était noire de monde. Soudain, j’ai entendu un énorme son sortir des baffles de l’avenue des Champs Elysées : « mais quel est le fils de catin qui a eu cette brillante idée ? ». A ce moment, toute la foule s’est tournée, comme un seul homme, vers ma petite personne. La clameur est montée, j’ai chuté. J’ai fui en me réveillant.
Je ne saurais vous dire s’ils me huaient ou m’acclamaient. A votre avis ?
[ceci n’est que de la littérature, un rêve stupide, une invitation à la réflexion et ne reflète aucunement les vues politiques du félin]