Sous-titre : L’homme à l’origine de l’affaire Dreyfus. Bande (très bien) dessinée qui instruira facilement le bon peuple, ça se lit comme un petit pain. Voici les débuts de l’affaire Dreyfus, ou comment le pays en est venu à se déchirer tout en plongeant un innocent dans la mouise – alors que tous les indices se détournent de lui. Étonnamment bon.
Il était une fois…
Ferdinand Walsin Esterhazy est un homme à la morale assez douteuse. Pseudo comte à l’ascendance bâtarde, époux qui monte plus souvent les coureuses de remparts parisiennes que sa femme, joueur invétéré qui perd beaucoup, l’individu vit largement au-dessus de ses moyens. Ayant effectué une carrière militaire correcte (mais loin d’être renversante), Ferdinand est en rade grave de tunes. C’est pourquoi il en vient à vendre ses connaissances issues de l’armée aux Prussiens. Il rédige, un beau jour, un bordereau indicatif. Le même qui sera utilisé pour incriminer Dreyfus…
Critique de L’Homme de l’année 1849
Honnêtement, lorsque ce truc m’a été offert, j’ai cru flairer la daube en boîte comme on sait en produire à la chaîne. Septième tome d’une saga, avouez que les exemples ne manquent pas de séries foireuses qui tournent piteusement autour d’un thème plus ou moins redondant – n’attendez pas de moi pour citer des noms. Une fois n’étant pas coutume, je me suis lourdement trompé.
La gestion du scénario d’abord. Au lieu de se concentrer sur les malheurs de ce pauvre Alfred Dreyfus, la plus grande partie de l’œuvre s’occupe de Ferdinand Esterhazy. Ce dernier, petit espion à la ramasse qui passe la majeure partie de son temps à fuir les créanciers (et soutirer des tunes à ses proches), ira jusqu’à proposer divers plans militaires aux Teutons. Duval alterne intelligemment entre les grandes tendances de l’Histoire (j’en parle plus tard) et celle, plus vulgaire, d’un homme qui finira tranquillement ses jours en Angleterre.
Ensuite, les illustrations. Florent Calvez a un sacré talent, on sent le besogneux particulièrement soucieux de ne rien laisser au hasard : personnages élégamment dessinés, architecture fidèlement restituée, ça se déguste avec un plaisir de fin gourmet – pourvu que le lecteur pardonne l’arrière-plan un peu brouillon. Avec le concours du scénariste, Calvez verse dans une présentation onirique, que ce soit par une iconographie théâtrale (littéralement lorsqu’il s’agit de présenter de fallacieux arguments) ou quelque chose de plus scolaire (en présentant des faits difficilement contestables).
Pour conclure, une belle surprise qui, ne dépassant pas 60 pages, paraît remplir tous ses objectifs : aisée à lire et à comprendre, suffisamment bien documentée et en apparence complète, impartialité de bon aloi, bref c’est tout bonheur. Une série à suivre.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Au-delà d’un nationalisme fervent qui tend absolument à chercher ses ennemis à l’intérieur, l’antisémitisme occupe une place de premier rang. Certains protagonistes, à l’instar d’Edouard Drumont, éructent déjà de belles insanités sur la menace que constitueraient les représentants du Peuple Élu. La BD est visuellement intéressante dans la mesure où, à mesure qu’on lit leurs délires racistes, les acteurs de l’antisémitisme se transforment progressivement en monstres tentaculaires qui, pour ma part, m’ont fait penser au vilain Cthulhu. Et ça va salement polluer l’enquête, Dreyfus apparaissant comme un coupable parfait alors que des centaines de personnes auraient pu avoir accès aux infos révélées dans le bordereau.
Ce qui m’a particulièrement marqué est le tourisme accompli des autorités françaises en matière d’espionnage. Avant la création du deuxième bureau de l’armée (première vraie organisation qui s’apparente à des services secrets), c’était un peu la fête du slip : quelques correspondants ici et là qui passent le plus clair de leur temps à fréquenter les salons mondains ; embauche à la one-again de petites mains pour récurer les corbeilles à papiers des ambassades ; réunions entre personnes qui ne savent pas vraiment se positionner, bref rien à voir avec ce que le 20ème siècle allait offrir.
…à rapprocher de :
– Comme je le disais, L’Homme de l’année se décline en plusieurs moments historiques, il y a de quoi faire, à terme, une belle intégrale qui envoi du pâté (je vous laisse deviner de qui il s’agit à chaque fois) 1917, 1431, 1815, 1967, 1871 1492 (c’est bon j’ai fini).
– Pour des contre-exemples avec des séries qui ont bien tout foiré comme il faut, je pense à La malédiction de la Tour Saint-Jacques de Pécau et Dim. Une bien jolie cata.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.